NOUVELLES ET FRAGMENTS par VALCLAIR

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La dernière entrevue

 

« Lui, lui, lui… »

C’est une rumeur qui parcourt toute l’immense salle, enflant à mesure, passant de l’un à l’autre des centaines de courtisans assemblés, ce sont des bras qui se tendent, des doigts qui pointent…

« Moi ? »

C’est moi qui suis désigné, à ma grande stupéfaction, moi Théodore le Timide, pour aller recueillir la Parole du Maître au moment ultime. Je m’avance, tremblant, au milieu des vieillards parcheminés, des riches en jabot, des puissants en houppelande, des sages penchés, il y a là Babakar le Vertueux, Abou le Fort, Harald le Très Sollicité et tant d’autres qui font depuis des jours et des jours le siège de la chambre du Maître dans l’espoir d’être admis auprès de lui. Ils me lancent des regards mauvais alors que je passe au milieu d’eux d’un pas mal assuré.

La porte au bout de la salle est petite, enfoncée dans une encoignure, on ne dirait pas qu’elle mène au saint des saints. L’huissier cérémonieux qui interdisait le passage l’ouvre pour moi et s’efface.

Derrière moi la porte s’est refermée, le bruissement de la foule est resté au dehors, la pièce est belle mais sobre, un grand lit en occupe le fond mais le Maître n’y est pas couché, il est assis dans un fauteuil, adossé à des coussins ; Tine, la vieille servante, lui tient la main.

« Approche-toi »

La voix est douce mais forte encore, elle surprend sortant de ce corps à demi effacé, si maigre, si rabougri, presque une ombre. Tine se retire et me laisse la place.

Je suis tellement ému que j’ose à peine regarder le vieillard, ainsi je suis auprès de lui, moi le disciple inconnu, le petit étudiant besogneux qui n’aurait jamais rêvé d’une pareille rencontre, par quel miracle…

Il m’enveloppe de son regard doux, me donne sa main à prendre. Je m’en saisis, c’est moi qui tremble, je veux la porter à mes lèvres, cette vieille main usée, racornie, décharnée mais il retient mon geste.

J’ose bredouiller : « Maître, vous allez donc me dire, vous allez me dire les Secrets du Monde… »

« Certes oui, c’est pour cela que tu es ici… »

« Mais approche-toi, approche toi encore un peu plus, ce que j’ai à te dire ne peut se prononcer à voix haute… »

« Plus près, plus près encore, ton oreille contre ma bouche… »

Il commence, sans hâte, je n’entends pas les mots, c’est comme un bourdonnement infime, comme une ligne musicale, comme une lente coulée d’or qui infuse directement de lui à moi, comme un miel qui me pénètre, mais les portes s’ouvrent, la lumière irradie, je passe de monde en monde et les arcanes se révèlent.

« Oh Maître, cela est si clair, si beau, si vrai… »

Le chuchotement s’est éteint. Le Maître a repris d’une voix de nouveau audible :

« Ne me remercie pas. Pousse donc plutôt mon fauteuil vers la fenêtre. »

Je m’exécute.

« Ouvre la, veux-tu… »

Je tire les rideaux, repousse les deux battants vers l’extérieur, un peu d’air aigrelet pénètre dans la pièce, un rayon de soleil déclinant se pose sur les mains du vieillard.

« Regardons ensemble »

Il y a juste devant nous les feuilles mouvantes des arbres du parc, la pelouse très verte, le moutonnement des collines et le village perché à main droite, plus loin encore la ligne de la mer, ourlée de blanc, et puis le ciel où passent des nuages pressés.

« C’est bien, maintenant retire toi, je m’en vais passer… »

« Oh Maître, Maître… »

Je m’éloigne en marche arrière en bredouillant des mots d’amour et de reconnaissance.

La porte s’est ouverte. Me revoici dans la grande salle, tous me regardent avec respect désormais, ils m’entourent.

« Que t’a-t-il dit, que t’a-t-il dit ? »

Que m’a-t-il dit ? Mais je n’en sais plus rien, je n’en ai pas le moindre souvenir, tout s’est effacé au moment même où j’ai franchi la porte, il ne reste en moi que la trace d’une sourde et ineffable musique.

Je trace ma route en silence au milieu des courtisans.

Le Secret c’est la beauté du monde, c’est la poésie du cœur, celle que chacun porte en lui…

Mai 2004

 

Ecrit dans Obsolettres sur une consigne dont je n'ai plus le libellé exact.

C’était mon premier texte depuis que j’ai retrouvé ce goût d’écrire dans la fiction. C’est à ma fréquentation d’Obsolettres que je dois d’avoir retrouvé ce goût et de cela je ne peux qu’être redevable à ce site et à ses initiateurs même si je le fréquente moins désormais.