Impressions marocaines (Juillet 1994)
Marrakech
Tombeau saadien
La foule solliciteuse et la chaleur déjà,
Mais ce dédale, entre les murs, est un sas.
Nous sommes seuls en ce jardin,
Auprès des tombes si paisibles
Parmi les oiseaux chantants, et les parfums subtils.
17 Juillet
Souk
Lumière douce du souk, les canas apaisent nos têtes.
17 Juillet
Place
Puis la place et sa foule qui nous presse et nous pèse,
Les presseurs d'orange, alignés au carré, comme une armée
Les chanteurs qui psalmodient et les acrobates contournés
Et les serpents assoupis et, dans la nuit qui tombe,
Les gargotes de plein air aux pesantes fumées.
17 Juillet
Terrasse
Dans l'étouffante chaleur, l'escalier s'enroule
Mais sur les terrasses, le vent glisse comme une eau
La foule moutonne au pied, le rose vire au noir
S'allument les feux et monte l'odeur âcre des fumées.
17 Juillet
****
Vers la montagne
Sur la route
Sur ce ciel très bleu du matin
Un bouquet de palmiers, à la découpe hardie
Et l'odeur croustillante du pain.
18 Juillet
Marabout
Puissante épaule, cathédrale de pierre,
Où veille le marabout
Au dessus du torrent et du chant des cigales.
18 Juillet
****
Au fil de la randonnée
Thé
Après la lumière aveuglante, les épais murs d'ocre
Sont un tunnel où nos pas tâtonnent.
La salle aux tapis de laine,
Les naïfs décors peints sur le mur,
La vieille pendule et la photo du roi,
Le chapelet où égrener les noms du Dieu Unique,
L'étroite trouée de lumière derrière les fers ouvragés
Et le thé lentement versé et sa fraîche brûlure.
19 Juillet
Matin
La lumière est un cône renversé
Nous marchons dans le vallon ombreux
Aux chênes tortueux du chemin,
soudain s'allument les feuilles.
20 Juillet
Haute Berbèrie
Sous le col pierreux, d'abord les campements d'en haut,
Les grottes qu'obstruent à demi des murets de pierre,
Abois des chiens, cris d'enfants et les troupeaux qui vaquent
Et l'aire de battage ou tourne l'âne pour trois lignes de grain
Appels longuement modulés des bergers au dessus de nos têtes
Et deux figures hiératiques sur un rocher nous regardent passer
Plus bas, la source puissante, fraîche, bondissante,
Dans les mains en coupelle des enfants, les prunes jaunes,
Astringentes et fraîches à la bouche,
Salam...
Puis le vert des jardins, les jeunes arbres fruitiers se balancent
Et les puissants noyers nous ombrent et l'odeur des figuiers
Et les hautes demeures, leurs fenêtres d'ombre profonde
Et sur les seuils les enfants qui saluent et qui rient et nous suivent...
20 Juillet
Fond d’oued
Trois notes de flûte,
L'odeur âcre des chevrettes
Noires au long poil.
L'oued s'enfonce en canyon.
Au dessus de nos têtes,
Un aigle fait de grands cercles.
21 Juillet
Halte de midi
A la source, est le grand arbre sacré
Trois gamins gambadent, habiles comme des singes
Sur les hautes branches des arbres devant
Et les groupes au pied, filles ici, garçons là,
Silencieux, immobiles, regards vissés sur les roumis,
Nous observent puis nous suivent et nous collent...
23 Juillet
Haute nuit
Nuit fraîche, étoiles vives,
La voie lactée est un proche nuage
Mais, surgie à l'épaule de la montagne,
La lune est là soudain
Elle apâlit les étoiles et les éteint.
24 Juillet
Haute pâture
Entre les pierres, trois herbes poussent
Et passent les troupeaux et courent dans les pierriers
Les jeunes bergers aux pas élastiques et les fillettes parées.
25 Juillet
Gorge
Les tourbillons glacés sur mes cuisses,
Dans mes oreilles, le fracas du torrent
Qu'amplifient les hautes parois sur nos têtes,
Je suis ivre de sensations et de bruit.
26 Juillet
Camp de Tiranimine
Noires sur rouge, les biquettes courent sur la paroi
Au fond coule l'oued...
Sur la mule l'homme enturbanné de jaune
Et la femme aux voiles multicolores,
Pieds dans l'eau, trois fillettes joueuses
Qui, penchées, remplissent leur bidons
Puis s'éteint sur la plus lointaine montagne
La lueur du couchant et c'est la nuit...
26 Juillet
Portes du sud
Dans la vallée qui s'élargit
Plus d'arbres aux crêtes sous l'éclatante lumière,
Les pieds dans l'eau, les verts lauriers
Tournent vers nous leurs bouquets colorés,
Bienvenue est la halte sous le tunnel des figuiers...
27 Juillet
Marche nocturne
Nos pas dans la nuit hésitent sur les pierres,
Le thym par bouffées et la violente armoise,
Devant nous Orion s'efface dans la lueur montante
Et c'est l'attente émouvante du jour...
28 Juillet
Dernière halte
C'est la halte dernière
La chaleur du grand sud
Le vent s'est levé
J'ai la bouche sèche d'oignons et de poussière.
28 Juillet
Poèmes écrits sur le motif, pendant un voyage au Maroc, sortes de haîkus dans l'esprit quoiqu'ils ne le soient pas dans la forme. J'ai été les rechercher au fond de mon ordinateur en ce mois de juin 2007, en rédigeant un de mes "ricochets" . Sans doute valent-ils essentiellement pour moi par les sensations qu'ils contribuent à faire remonter. Mais j'ai eu envie de leur redonner un petit espace de vie en les publiant ici.
Retour au haut de page