NOUVELLES ET FRAGMENTS par Valclair

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J'étais là...

Mais oui, j’étais là…

J’étais même là tout près, installé sur le sofa dans l’ombre, appuyé sur un coude, mon regard rivé à l’animal fabuleux s’ébattant sur le tapis épais à mes pieds.

Six jambes, six mains, trois visages renversés, extasiés, allant, venant, formes mouvantes, nacre des peaux ourlées de lumière et d’ombre, géographie sans cesse recomposée, c’est une houle montante et descendante et puis il y a ce chant qui l’accompagne, silences mouillés, plaintes de l’attente, soupirs, ahanements, oh chimère admirable, inépuisable, démultipliée par les glaces. Mais quel Dieu aurait eu l’imagination de créer cette bête extravagante ?

Mes yeux sont tendus au spectacle, avides de n’en pas perdre une miette, aucun mouvement, aucun glissement, j’écarquille les yeux à m’en faire mal comme si je pouvais ainsi les faire devenir loupe, pouvoir adapter la focale, concentrer le regard juste sur ces bouches l’une par l’autre prise, sur ce cul écarté qui monte et descend en cadence, sur la fente humide et sur la barre de chair gonflée qui disparaît puis reparaît puis disparaît à nouveau au profond du triangle mystérieux, origine du monde…

Je suis nu sur le sofa, ma main libre va et vient autour de mon sexe, l’empoigne quand il faut puis s’en éloigne, attente, surtout garder la force en soi, alors la main se fait légère, juste une caresse subtile, l’intérieur des cuisses, sur le flanc, derrière aussi, titiller quelque peu cet autre orifice, pas trop, décoller la main à nouveau, tenter de laisser le corps en paix, planer, danser dans l’air, se détourner de cette raideur qui en devient douloureuse...

Oui j’étais là, oui je suis là et je voudrais que ça dure toujours.

Cela avait commencé ainsi…

Le 28 avril est un jour très particulier pour nous.

Il y a ce hasard extraordinaire que Clara, mon amante magnifique, et moi, avons à cinq années d’écart exactement le même jour de naissance et que c’est ce jour là précisément que nous nous sommes rencontrés il y a un an. Comment envisager de fêter ce jour autrement que de façon très spéciale ?

Nous en parlions depuis un moment.

« Alors ton cadeau ? » lui ai-je dit ce matin là après l’amour alors que nous étions tout rassasiés de nous et que nous nous fixions les yeux dans les yeux.

« Les bottes, finalement, je crois vraiment que je voudrais que ce soit les bottes »

Oui, mais ce ne seront pas n’importe quelles bottes, nous irons là où il faut, ce ne sera pas dans mes prix habituels, mais pour toi, Clara, quelles folies ne ferais-je ?

Et moi, pour moi, je n’ai pas d’idée…

« Oh pour toi, je crois que j’en ai une, je t’offrirai - elle laisse planer un petit silence - je t’offrirai l’animal fabuleux… »

Elle a fait alors ce petit sourire mystérieux que j’aime au-delà de tout, avec cette moue qu’elle affiche souvent en prélude à l’amour, son regard s’est évadé en coin vers je ne sais quelle rêverie… Puis elle a pris son portable, elle a appelé devant moi chez Marc et Gaëlle, elle est sortie de la pièce pour continuer la conversation…

Nous sommes allés chez le bottier. C’est une belle boutique, qui ne ressemble pas à une boutique, à un salon plutôt, larges fauteuils, lumière douce, moquette chaleureuse, présentoirs en bois précieux sur lesquels trônent selon une disposition savante bottes, bottines, cuissardes, des blanches, des beiges, des rouge carmin, des noires, des droites et fines, d’autres plus galbées, certaines à la brutale fermeture éclair et d’autres aux arabesques de lacets. Il faut toucher les cuirs. Certains sont raides et rêches, d’autres souples, frémissant sous la main. Et puis il y a les odeurs. Elles se mêlent dans la boutique en une symphonie subtile mais si l’on s’approche d’un modèle ou d’un autre c’est telle ou telle fragrance particulière qui s’impose. La vendeuse est une grande et belle femme à l’élégance exacte dans sa longue robe fourreau noire, elle affiche un sourire froid de magazine. Elle glisse entre les présentoirs, silencieuse, lente, précise, elle apporte l’une après l’autre les pièces qu’on lui désigne.

Clara s’est installée dans l’un des fauteuils profonds, sa robe noire est remontée presque en haut de ses cuisses. Elle dénude ses pieds des escarpins qu’elle portait. La vendeuse se penche sur elle, elle l’aide à enfiler les bottes, à faire glisser le cuir au long du mollet, à positionner le talon comme il faut, à lacer celles qui doivent l’être. Les doigts courent sur sa peau, se saisissent du talon mignon, effleurent le haut de la cuisse. Je regarde, j’apprécie, je commente. Entre chaque essayage Clara se lève, va jusqu’au miroir, je la vois de dos puis tournoyante, s’observant, puis de face ensuite quand elle revient vers moi. Une fois, deux fois, trois fois… Combien de fois ? Combien de temps sommes nous restés afin qu’enfin elle se décide ? Ce seront celles-ci qui conviendront, oui, c’est dit. Elle a raison ce sont celles-ci les plus belles sur sa jambe : pas très montantes, entre bottines et bottes en fait, faisant saillir le haut du mollet, avec un léger talon, la voûte plantaire est assez cambrée, il y a un joli laçage, le cuir surtout qui est d’une souplesse particulière et qui fait corps admirablement avec sa peau…

« Délace moi… »

Je me suis mis à genoux devant elle, j’entreprends de défaire le nœud, de desserrer la botte. La peau de Clara est électrique. De la toucher à ce point exact du surgissement de la chair hors de la bottine, à cet autre, un petit plus haut, où la chair au contraire s’évade dans l’obscurité trouble, je la fais frémir, elle écarte légèrement les genoux laissant deviner cette autre blancheur, césure gonflée dans la pénombre…

Mais à peine délacée elle me dit :

« Mais non, c’est idiot, elles sont trop belles, je les garde… »

Et me voici de nouveau tirant le fil du lacet, serrant la cheville de nouveau, ses genoux s’écartent un peu plus, comment n’y risquerais-je pas un instant le doigt, frémissement sous le tissu, cette moiteur soudain sur le doigt, perle d’humidité... Le regard de la vendeuse est posée avec insistance là où ma main s’appesantit. Clara s’est mordue les lèvres, elle a refermé brusquement les cuisses juste comme je retirais la main. Elle rit puis se lève. Ma main égarée achève son mouvement en caresse sur son mollet. J’ai chaud, j’ai le rouge aux joues, je me redresse et tente de marcher avec naturel. La vendeuse a changé de sourire, celui-ci gourmand, vivant, trahit une muette connivence. Nous nous dirigeons vers la caisse, Clara marche devant moi, galbe parfait du mollet, sa petite robe noire virevoltante, son dos, ses épaules, sa chevelure, c’est un feu qui s’éloigne…

Nous sommes arrivés là où nous allons. C’est un immeuble que je ne connais pas. Je ne sais rien, je n’ai pas posé de questions, je suis seulement décidé à me laisser mener là où elle voudra…

Elle monte devant moi. Claquement de ses talons sur les marches. Au troisième étage elle s’arrête, sort une clef de sa poche, je me colle contre elle pendant qu’elle introduit la clef dans la serrure.

Elle se retourne. Sourire radieux.

« Chut… Il faut attendre… »

Et elle m’écarte doucement mais avec fermeté.

Nous entrons. Petit corridor. Puis cette pièce où nous sommes. Un sofa un peu en retrait dans une alcôve. Un autre sur l’un des côtés de la pièce, sous une fenêtre aux lourds rideaux de velours qu’elle ferme, nous isolant du soir qui descend. Au sol une moquette très épaisse et des coussins nombreux, de toutes tailles, de toutes formes. Sur tout le mur faisant face à l’alcôve une grande glace, partant du sol et montant jusqu’au plafond. Et suspendu au plafond un grand miroir qui démultiplie encore notre image lorsque nous passons. Elle allume des lampes basses disposées ici et là, lumières douces, tamisées mais qui se répondent, modulant l’espace…

« Voilà nous y sommes, c’est ici la tanière de l’animal fabuleux… Il va venir, il va venir… »

Elle tremble disant cela. De la main elle m’indique l’alcôve, le sofa un peu en retrait qui est dans la pénombre :

« C’est là que tu dois te tenir »

Je suis décidé à tout, oui, à tout accepter de ce qu’elle a imaginé, de ce qu’elle a combiné, j’attends et je m’oublie.

Elle même s’installe sur l’autre sofa, immobile, sculptée par la lumière douce, le profil de son visage et sa chevelure brune répandue en cascade sur ses épaules, son buste qu’elle tient très droit, fierté des seins qui se devinent sous son chemisier léger, sa robe noire en corolle autour de ses genoux, ses jambes nues qui en émergent entre tissu de la robe et cuir des bottes impeccables, cette peau laiteuse qui est un appel à la caresse, cet entre-deux offert qui semble frémir dans l’attente…

Elle me regarde une fois encore, me sourit, pose un doigt sur ses lèvres.

« Chut, chut… ça va commencer… »

C’est alors que la porte s’est ouverte, que Marc s’est avancé vers elle lentement, il s’est approché jusqu’à la toucher puis il s’est mis à genoux …

Et tout, en effet, a commencé…

Maintenant l’animal fabuleux, après un dernier soubresaut, s’est apaisé. Il est resté immobile un instant tandis que les souffles s’éteignent, forme improbable, puis il s’est disjoint lentement et sans à coups. Il n’y a plus que trois corps côte à côte désormais qui ne se touchent plus et trois visages tournés vers moi. Mais Marc et Gaëlle ont les yeux fermés, seule Clara me regarde, elle plisse les yeux, elle me sourit, elle m’invite. Elle glisse un gros coussin sous ses fesses rehaussant son bassin puis elle écarte à nouveau les jambes qu’elle avait refermées, de nouveau offert ce sexe rougi, ce bouton dressé, cette fente humide, béance, elle m’attend...

Je m’approche, je la saisis, mon sexe un instant s’arrête à l’entrée du sexe qui l’appelle, un instant seulement, il n’y aura pas de préliminaires, elle geint doucement, j’ai entrelacé mes doigts aux siens, je la pénètre, elle m’absorbe, je me glisse en elle tout entier, jamais il me semble je n’ai été aussi loin, aussi profond, jamais je n’ai été autant enveloppé, enserré d’elle, son ventre et mon sexe à ce point arrimés.

Marc et Gaëlle chacun d’un côté de moi se sont approchés. Ils sont à genoux, ils se penchent et me frôlent, une main légère, une caresse à peine entre mes fesses qui s’écartent, les cheveux de Gaëlle qui balaient mon flanc, la fraîcheur d’une bouche contre ma poitrine, juste cela, on les croirait tous deux en prière, seulement occupés à rendre grâce.

Clara geint un peu plus fort tandis que nos ventres exactement accordés commencent ensemble une imperceptible danse, ses yeux clignotent, c’est sur ses paupières alors, sur l’une puis sur l’autre, que je pose un infime baiser, léger papillon de nuit qui s’envole avec nous.

Et c’est alors comme si la terre se fendait sous moi, comme si chavirait le ciel de lit au dessus de nous. L’onde enfin, si longtemps retenue, venue de toutes les parcelles de mon corps, du plus lointain de mes doigts, du dernier de mes orteils, me traverse, tétanise mon dos et mes reins, je me répands en elle, et mon cri et son cri, les échos s’en perdent puis la vague qui lentement se retire et cette lente, lente redescente embrassée...

Clara je t’aime…

Avril 2006

Cette nouvelle constitue ma participation au jeu libidino-littéraire initié par Megarde, Tristana et Ségolène sur le blog Jeu de mains Il s'agissait de donner une suite aux diverses interventions précédentes. Je me suis débrouillé ainsi pour tenter de retomber sur mes pieds en tenant compte de ce qui avait été écrit avant moi.

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