NOUVELLES et FRAGMENTS par Valclair

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Une passion

 

Je crois que la colère c’est encore ce qui m’a permis de me remettre debout.

Je suis Alba, une fille douce, gentille, soumise mais les cœurs trop endoloris parfois peuvent se muer de paisibles agneaux en tigres cruels.

***

Je suis fille au pair chez les Verdier, une riche famille de négociants lyonnais qui habitent un de ces beaux immeubles bourgeois sur le cours qui longe le Parc de la Tête d’Or. Je m’occupe de Simon leur petit garçon de trois ans, je lui parle dans ma langue afin de lui en apprendre les rudiments, chaque jour lorsqu’il fait beau après le petit déjeuner et le bain je l’emmène promener au parc. Je le conduis au jardin des enfants dans ce petit enclos préservé où les chiens ne rentrent pas, il va s’amuser dans le bac à sable, grimpe sur le bateau magique des pirates, dévale le toboggan et surtout retrouve ses petits camarades de jeu que conduisent des grands-mères attentives ou d’autres jeunes femmes comme moi venues des quatre coins du monde.

C’est là que j’avais rencontré Surya. C’était un matin de printemps qui éclatait de verdure, de bourgeons gonflés, de trilles d’oiseaux. Les parterres de narcisses et les jonquilles formaient des tâches de vives couleurs jaunes et orangées contrastant avec le vert tendre des jeunes pelouses. Les enfants étaient en petits groupes jouant paisiblement, je ne les perdais pas de vue mais j’avais pu m’évader un peu cependant, je m’étais assise un petit peu à l’écart sur le banc qui est à côté du kiosque à musique, j’avais un roman à la main que je peinais à lire, mon regard allait des mots dansants sur la page aux plus hautes branches des arbres, aux oiseaux dont je suivais le manège à mes pieds, aux enfants qui jouaient, aux passants, aux passantes apparaissant puis s’effaçant au long des allées…

Je ne l’avais pas vue qui m’observait. Elle était assise sur le banc qui me faisait face, brune autant que je suis blonde, habillée avec une froide élégance, chemisier blanc, tailleur sombre, de beaux yeux noirs en amande, un regard impérieux, elle me fixait sans ciller.

J’ai regardé derrière moi, comme s’il pouvait y avoir là un spectacle susceptible d’attirer son regard mais je savais bien que non, je savais bien que c’était moi qu’elle regardait ainsi avec une telle intensité.

Elle s’est levée, s’est approchée de moi, m’a dit :

« Vous venez ici souvent. Moi, c’est un hasard j’étais un peu en avance à mon rendez-vous d’affaire, je me suis arrêtée ici, plutôt que d’aller au café, j’aime ce bain de verdure en cette saison où les verts sont si doux, regardez les, regardez leurs nuances, ceux de la pelouse, ceux des premières feuilles naissantes, regardez, le temps de la verdure c’est le temps de la poussées des sèves, c’est le temps des éclosions, c’est le temps des amours aussi, vous ne trouvez pas, tout y concourt… »

Elle a continué à me regarder en silence, moi, toute rougissante…

Puis elle m’a dit.

« Voyez, je dois y aller maintenant, il est temps, mais je reviendrais pour vous… »

Et elle s’est détournée, elle est partie de son pas décidé, j’ai suivi des yeux encore interloquée, sa silhouette qui s’éloignait.

Le lendemain quand je suis arrivée au parc il y avait un bouquet de roses abandonné à l’endroit où, la veille, j’étais assise. Abandonné ? pas vraiment. J’ai bien deviné que ce ne pouvait être que pour moi, d’ailleurs il y avait une carte épinglée au bouquet qui me donnait une adresse, un rendez-vous le soir même ou le suivant, quand je voudrais, j’étais attendue, elle disait : « je sais que tu viendras ».

J’y suis allé en effet. Mue par quoi, je ne sais pas. Par ma solitude peut-être dans ce pays loin de toutes mes amitiés, par la curiosité de découvrir ces choses inconnues de moi, ces amours là, par l’attirance immédiate et implacable qu’avait déclenché ce regard qui me disait : « tu dois me suivre ».

Dés ce premier soir je suis tombé entre ses bras. Je croyais y aller sans savoir de quoi la soirée serait faite. Je verrais bien me disais-je. Mais je savais forcément, je savais qu’à peine sa porte ouverte, sans me dire un mot, elle m’attirerait vivement contre elle, qu’elle poserait sa bouche sur la mienne et chercherait ma langue avec la sienne, je savais qu’elle glisserait une main sous mon pull vers ma poitrine, qu’elle glisserait l’autre sans attendre vers le bas de mon ventre, je savais que je me laisserais faire et que je fondrais à l’instant sous ses doigts.

Nous nous sommes vues et revues, à chaque jour portées plus haut dans nos éblouissements…

***

Et ce fut le printemps et l’été du bonheur.

Surya et moi marchant dans les rues de Lyon main dans la main, oui main dans la main , nous osions et je me moquais de ce qui se racontait et de ce qu’on avait dit aux austères Verdier, et je me suis moqué quand ils m’ont dit « mademoiselle il ne convient plus que vous vous occupiez de Simon »...

Surya et moi partant randonner en montagne, longues courses dans les alpages, les sonnailles des vaches, l’odeur des sapins quand on entrait sous le couvert de la forêt, le jambon savoureux et les omelettes crémeuse aux refuges et le soir sous nos duvets entrouverts dans la promiscuité du dortoir les caresses silencieuses…

Surya et moi installés ensemble dans son appartement du quai de Saône, échangeant tout, partageant tout, l’une à l’autre toujours, chaque jour, chaque nuit, et chaque absence même était peuplée de nous…

***

Mais passe le temps, changent les couleurs…

Une chaleur implacable avait régné sur Lyon tout l’été accompagnée d’une sécheresse comme on n’en avait peu connue. Nous allions encore dans le parc de la Tête d’Or. Mais les feuilles des marronniers étaient grillées comme à l’automne, les pelouses qu’on n’avait guère eu le droit d’arroser étaient rases et jaunes comme des paillasses. Nous nous sommes arrêtées parfois sur le banc , près du kiosque à musique, à côté de l’enclos des jeux d’enfant. L’air collait sur nous comme une chape.

Quelquechose était changé : ce n’était plus l’entrain, le pétillement, la légèreté, qui avaient jusque là accompagnés nos courses. Ce n’était plus cette immédiate complicité qui faisait mon immédiate adhésion à chacun de ces gestes, à chacune de ses injonctions comme si je n’avais fait que les attendre, prête et impatiente d’y répondre. Sont venus des silences. Sont venues des langueurs. Sont venues des attentes qui ne se résolvaient plus dans la joie.

Surya, crispée, soupçonneuse, s’est faite plus enveloppante encore qu’elle n’était. Chaque pas en dehors d’elle était une transgression, comme une interdiction franchie, muette mais tellement explicite et à laquelle répondait ses muets mais terrifiants reproches. Je me suis rétractée dans ce cocon tissé autour de moi, j’ai fermé les yeux, j’ai emmagasiné du silence, je n’ai pas cherché à m’échapper mais j’ai senti que s’installaient les mauvaises pensées, insidieuses, dévastatrices.

Rolf est venu me voir au début de l’automne. Rolf c’était un ami de chez moi. Un ami très cher, un amour peut-être qui ne s’était pas dit. J’avais continué de correspondre avec lui, je lui avais raconté pour Surya et moi, il m’avait répondu par de très longues lettres, bien plus longues que les miennes, il m’y disait son désarroi, les tristesses de sa vie mais ne s’était permis nul jugement de la mienne.

J’avais été le chercher à la gare, seule. Je l’avais conduit à son hôtel, nous devions prendre l’apéritif ensemble, c’était le moment que nous nous avions convenus de nous accorder seul à seul puis nous devions nous retrouver pour dîner tous les trois. Le sms de Surya était arrivé glacial, impérieux : « assez vu ce garçon, resto non, reviens, t’attends » . Le bon grand Rolf est là, devant moi, sa grande carcasse un peu voûtée, ses yeux doux et triste. Je ne peux pas le planter à tout de même. J’ai envoyé un sms à mon tour « tout à l’heure, je dîne, je viens ». La seconde d’après le sien était là « non, rentre ». J’ai débranché le portable. J’ai dîné avec Rolf. Le cœur n’y était pas. Mon cœur n’était pas avec lui, mon cœur n’était pas avec Surya, mon cœur n’était plus que cendres. Je ne me suis pas attardé. Pauvre Rolf. Il a senti qu’il n’était rien dans ce maelstrom, rien sinon peut-être cette pointe d’épingle venu piquer au cœur, cette pointe d’épingle capable de bouleverser l’équilibre du silence, de faire éclater les rancoeurs tues, de dénouer les nœuds malsains des amours trop possessives.

Quand je suis rentrée à la maison Surya était déjà couchée, toute lumière éteinte. Elle avait pleuré. Pour autant elle ne m’a pas dit une parole aimable, pas une parole de connivence ou de partage, moi j’aurais bien voulu pleurer dans ses bras, j’aurais bien voulu que nous pleurions ensemble. Mais Surya n’est pas quelqu'un qui pleure en présence des autres. Elle a rallumé la lampe de chevet, lumière dorée, lumière tendre, cette lumière douce à nos caresses, mais cette nuit là je n’ai vu qu’une rougeoyante mais terne lumière de fin du monde. Envolés les verts reflets de nos amours débutantes, des pelouses et des feuilles nouvelles du parc, envolée la plénitude grasse des alpages de l’été. Elle s’est dressée sur un coude, elle était nue, elle m’a dit d’une voix dure, d’une voix de dernière fois:

« Déshabille-toi »

Je me suis exécutée, exécuté c’est le mot, incapable de dire non, incapable de dire oui. Elle est venue sur moi, elle m’a caressée sauvagement, j’ai senti monter la jouissance, j’ai râlé, était-ce un râle, était-ce un pleur. C’était un pleur !

Elle ne m’a rien dit ensuite. Elle me regardait simplement, moi qui avait les yeux clos, fermés sur mon désastre intérieur, sur ce champ de ruine où je ne voyais rien qui pourrait jamais se construire, et je sentais son regard peser sur ma peau, elle était muette autant que je l’étais, son regard était comme un couteau posé à la naissance de ma carotide, regard d’amour et de folie, et je me disais, vas-y, vas-y, plante là donc la lame, et que ça jaillisse et que ça coule rouge et épais, et que ça s’écoule et s’épuise et que tout s’éteigne, les souvenirs lumineux et l’amour morte…

***

Voilà, où j’en étais, morte !

Mais je me suis levée de cette couche qui n’était plus pour moi. Morte presque. Pas tout à fait. Elle dormait elle, toute de haine recrue. Je me suis habillée silencieusement. J’ai senti cela qui montait de moi, ce qui ne m’avait jamais effleuré, moi Alba, la douce, la gentille, la soumise, de la colère, une colère froide, instinctive, implacable, une colère folle. Oui, je pouvais me remettre debout. J’ai vérifié que toutes les fenêtres étaient bien fermées, j’ai tiré le drap sur son visage, dernier regard, j’ai ouvert lentement le gaz de la cuisinière, au maximum. J’ai refermé la porte derrière moi, j’ai descendu lentement l’escalier, je n’ai pas oublié de déposer la clef de l’appartement dans la boîte aux lettres.

Je n’en avais plus besoin.

Mars 2006

 

Écrit dans le cadre d’un week-end d’écriture, piloté par Coumarine au monastère d’Hurtebise.

Le thème était libre mais la nouvelle a été écrite à partir d’inducteurs tirés au hasard dans des paquets de cartes postales, l’un pour les personnages, l’autre pour le lieu. J’ai tiré pour ma part un tableau représentant deux femmes nues sur un lit, l’une blonde a l’air triste et contrainte, l’autre brune qui porte sur sa compagne un regard dominateur et courroucé, tout cela traité en grands à-plats fougueux dans des tons rouges et carmins. Pour le lieu j’ai tiré un parc avec son kiosque à musique, avec un banc vide sur lequel est abandonné un bouquet de fleurs. Il fallait en plus commencer notre nouvelle par un incipit à choisir parmi cinq phrases proposées et accorder dans le cours du récit une place particulière à la couleur verte.

On trouvera un compte-rendu de ce week-end d’écriture dans mon blog ici.

 

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