03/11/04 : Déprimant :
Je n’ai pas trop le moral. On est rentré
hier. Je voulais aller au bureau aujourd'hui je souhaitais m’avancer
dans diverses tâches, mais je ne me suis pas décidé,
j’ai laissé filer la journée, je n’ai rien
fait d’intéressant à la place, j’ai traîné,
sans envie de rien.
Il faisait gris et triste sur Paris toute la journée.
J’ai repensé à notre escapade au vert de ces derniers
jours. Lundi la journée avait été belle, enfin.
On s’était longuement promené dans les vignes
et dans la garrigue, on s’était arrêté dans
un village de potiers où l’on a vu des pièces
magnifiques, on avait pique-niqué au soleil, chemise ouverte.
Et dès le lendemain il fallait repartir, avaler les centaines
de kilomètres sur l’autoroute, dans la foule des poids-lourds
et des bagnoles, retrouver la grisaille et la ville, sans nulle envie.
On m’a souhaité mon anniversaire ce
soir. C’était sympathique évidemment mais les
anniversaires maintenant ça me rend triste. Les années
passent trop et trop vite. Banalité évidemment. Je me
dis que j’assume, que je suis serein, que j’apprends à
profiter de l’instant, Habituelles ritournelles avec lesquels
on tente de se convaincre. Mais je me rends bien compte que je n’assume
pas vraiment, je n’assume pas en profondeur, il n’y pas
de vraie acceptation. C’est pourquoi j’ai l’impression
que je préférerai qu’on ne me souhaite pas les
anniversaires. Mais je ne le dis pas, car j’ai l’impression
que ce ne serait pas compris. Ces attentions ont leur prix, je le
sais bien, et je m’en veux de ne pas les apprécier à
leur juste valeur. Et puis il y a eu les cadeaux. J’ai reçu
des livres, des dvd, de la « consommation culturelle »,
il n’y a rien dans tout cela dont j’avais vraiment envie,
pas non plus là-dedans de surprise qui se révèlent
ensuite être de grands plaisirs comme cela arrive parfois. Alors
là aussi, je prends, je souris, je dis que ça me fait
plaisir… Est-ce que ça me fait plaisir ? Bof… Et
je m’en veux du « bof " que je ne dis pas mais que
je pense si fort…
Et puis il y a ces élections américaines.
Hier je m’étais convaincu que Kerry allait passer. La
participation massive me semblait de bon augure. Tu parles ! Bien
sûr Kerry ça n’aurait pas tout changé, les
forces souterraines à l’œuvre, la world company
aurait été là tout autant et la sortie du guêpier
irakien pas évidente. Mais tout de même. C’est
vraiment la conjonction du capitalisme le moins régulé,
du nationalisme impérial et du fondamentalisme religieux qui
triomphe et qui aura les coudées franches pour quatre années.
Moins mal élu qu’en 2000, remportant les suffrages populaires,
raflant la majorité dans les deux chambres ! C’est un
comble ! Un comble explicable évidemment, mais terriblement
dangereux. Les extrêmes se nourrissent mutuellement, la guerre
porte la guerre, les populations appauvries et humiliées qui
n’ont rien à perdre sont un terreau idéal pour
le développement des pires fanatismes et du terrorisme. Je
suis atterré.
Retour au haut de page
05/11/04 : Echos :
Comme souvent cela a été mieux dès
que j’ai repris le travail. C’est la perspective de reprise
qui est difficile plus que la reprise elle-même. Je le sais,
j’y suis habitué et pourtant chaque fois j’en subis
l’effet alors que je voudrais m’en défendre. Bien
des veilles de retour, bien des dimanches même sont ainsi colorés
négativement. Ensuite je suis repris dans l’action, je
me pose moins de questions, j’anime une réunion, je discute
avec des collègues, j’aide des consultants, dans tout
cela il y a de la vie, heureusement, il n’y a pas que l’ennui
et la lassitude, il n’y a pas que la langue de bois et les pesanteurs
administratives…
Le soir j’ai refait un grand tour de diaristes
avec plaisir et sans trop le sentiment de me perdre et de m’abandonner
à un zapping par trop frustrant, je n’ai pas trop bloglandé
comme dirait Alain. J’ai refait le tour de mes favoris du moment,
les favoris bougent, on ne peut pas tout lire, alors selon les moments
certains s’imposent plus et d’autres passent un peu à
la trappe, mais je garde un œil tout de même, je fais un
petit saut de puce diagonal, je jette un œil, je vois si une
entrée m’accroche, bref je ne les oublie pas…
Certaines pages ont particulièrement fait
échos. Chez Alain
d’abord (entrée du 22/10), cette notion d’élan
vital, oui, je crois que c’est essentiel, tous les volontarismes,
toutes les techniques plus ou moins sophistiquées élaborées
par les psy de tout acabit, par les gourous divers, par les marchands
de bonheur à la mode se heurtent foncièrement à
cela. Est-il là l’élan vital ? Peut-être
faut-il aller gratter très, très au fond, là
où ça fait mal, pour le débusquer, il ne suffit
pas de prothèses comportementales. Je sais qu’il me manque
souvent. Peut-être me manque-t-il en ligne de fond de la vie,
c’est ce qui fait que je n’ai jamais su faire les choix
difficiles, je n’ai jamais osé, je ne me suis jamais
senti assez porté en avant pour prendre le risque de ruptures
radicales, dans ma vie affective (je ne parle pas que de mes relations
de couple), dans ma vie professionnelle et sociale. Je n’ai
jamais osé par exemple rompre avec ma vie de fonctionnaire
alors que j’ai passé quinze ans à me dire que
je devrais. J’ai trouvé mes compromis, mes compensations,
tout ça a fonctionné et fonctionne encore, cahin-caha,
sans déprime ou crise majeure mais j’ai tout de même
le sentiment d’être à la limite basse, d’être
en sous-régime, avec de l’élan vital certes mais
un élan vital, un peu mou, un peu terne, un peu gris…
J’ai aimé l’anniversaire dans
le désert rapporté par Samantdi
(entrée du 1//11), une de mes nouvelles « favorites »
découverte depuis peu. Voilà ce qu’il me faudrait,
tiens, pour conjurer le symptôme de l’anniversaire sinistre
tel que j’en parlais l’autre jour. Car si je vis mal ces
moments ce n’est pas seulement parce qu’ils me rappellent
trop que les années passent et peut-être pas principalement
pour cela. C’est aussi parce que je les perçois comme
des rites répétitifs, attendus, sans surprise. En m’en
emparant, en décidant pour moi d’une vraie fête
hors des sentiers battus, je crois que ce serait tout différent.
Ce serait alors un vrai morceau de présent en vie. Je le sais
d’ailleurs pour l’avoir fait une fois il y a quelques
années, et c’est un excellent souvenir, ce n’était
pas un voyage mais une fête un peu atypique, organisée
par moi et avec des gens inhabituels hors du cercle étroit,
trop étroit, des familiers. Alors l’idée de retrouvailles
à travers un voyage dans un lieu magique et lointain, voilà
une idée que je mets dans un coin de ma tête, pourquoi
pas à l’occasion une autre année, une année
ronde ou pas...
Je m’interrogeais sur l’idée
de basculer vers un blog. J’ai trouvé dans la dernière
entrée (datée du 5 Novembre) de la toujours excellente
Eva de quoi conforter
mes réticences. Je n’avais pas pris la peine d’y
réfléchir vraiment, sa réflexion m’éclaire
et sur bien des points je me sens proche d’elle, dans son rapport
à l'écriture surtout: "Ecrire, c'est réfléchir,
hésiter, corriger, relire. Il faut que les mots n'appartiennent
qu'à soi-même avant d'être donné à
tous." Je me retrouve tout à fait là-dedans. Je
ne dis pas que je ne finirais pas par passer au blogging mais je sais
mieux ce qui me retient.
Merci diaristes amis et inconnus pour ces mots qui
font échos en moi, qui s’installent dans ma tête,
qui viennent y vivre et qui enrichissent mes dialogues intérieurs.
Retour au haut de page
07/11/04 : Moyen !
Encore un dimanche que je pourrais marquer de cet
euphémisme doux : « c’était une journée
un peu moyenne », histoire de dire que ce n’était
vraiment pas ça !
Ce qu’il y a eu ? Pas grand-chose. Juste un
peu, beaucoup, de déficit « d’élan vital
» avec une indétermination, une apathie de toute la journée
ce qui n’est pas contradictoire avec une grande activité
permanente, une volonté de remplir le vide avec des activités
matérielles, en se créant de fausses obligations, tout
cela donnant une tension de tous les instants, un désaccord
cuisant entre ce moi de surface qui vibrionne et ce moi profond qui
patauge et ne sait trop où il est. J’ai eu une réaction
détestable aux contrariétés (l’ordinateur
qui plante, un bricolage commencé qui reste en suspens, les
objets ayant cette fâcheuse tendance à ne pas obéir
à nos injonctions, des tensions avec Bilbo : « mais enfin
tu pourrais pas un peu t’avancer toi qui te plains toujours
d’avoir tant de travail plutôt que de rester avachi devant
cette télé à regarder des conneries ? »).
Bref des agacements disproportionnés, de l’énervement,
des mots qui dépassent ma pensée, je m’emporte
contre les autres et contre moi-même et je m’en veux aussitôt
après. Je retrouve trop dans ce mode de fonctionnement les
comportements de ma mère. Demain, cela fera deux ans jour pour
jour qu’elle est morte. Est-ce un signe que je lui fais, comme
un hommage mal venu : « Maman, tu m’as fait, vois, je
te suis fidèle » ? Je ne sais pas, je m’en passerai
bien de cette fidélité là, mais ça trotte
en moi, ça fait mal !
En milieu d’après-midi j’ai pris
un peu de distance. J’ai profité du temps presque agréable
pour aller pédaler dans Paris, bords de Seine, jardins de Bercy,
esplanade de la Bibliothèque, j’avais pris l’appareil
photo, j’ai regardé de toute l'intensité de mon
regard, j’ai essayé de rentrer dans la plaisir des cadrages
et de la saisie des instants mais sans grande conviction. Mon esprit
vaquait ailleurs mais sur de mauvais chemins.
J’ai repensé à ce couple en face
de moi, hier, dans le bus, un homme pas bien jeune, pas bien beau,
petit, replet, à son bras une belle grande femme, trente ans
plus jeune que lui, j’ai d’abord cru que c’était
sa fille, mais non, leur tendresse est d’une autre nature, c’est
son amie, sa compagne, son amour, leurs yeux le disent. Qu’à
-t-il donc ce bonhomme tout moche ? Je le regarde de près :
tout tient peut-être dans ce sourire, dans ce regard, dans cette
joie de vivre que l’on sent en lui… Moi aussi, encore
une fois, encore un jour, je voudrai avoir un amour vivant à
mon bras !
L’autre soir nous étions au restaurant
avec Constance, je ne vais pas souvent au resto seul à seule
avec elle, j’ai trop peur de nos silences justement, je nous
vois en « morts-dînants» (belle expression, bien
triste, bien vraie, qui vient d’« Eternal sunshine of
the spotless mind », un beau film), et oui, c’est à
peu près ce que nous avons été, des « morts-dînants
», un repas en tout cas qui m’a paru bien long ! Parler,
il le faudrait peut-être. Vieille idée. Sentiment terrible
que c’est un peu tard, qu’on est installé, déjà,
au-delà de ça. Alors ça ne se fait pas, ce n’est
pas que j’aie peur, que je n’ose pas, c’est pire,
c’est qu’au fond je n’en ai même plus vraiment
l’envie. A quoi bon ? Pour aller où ?
Hier encore, dans le métro cette fois, un
papi avec ces deux petits enfants, la chaleur du vieux, son enthousiasme
expliquant, racontant, riant, la connivence formidable des deux gamins,
un courant d’amour qui passe et puis à la station d’après
un type qui monte, l’air rogue, il engueule des gens avec des
valises qui sont dans son passage, il s’assied rageusement en
pestant, son visage porte sa rage intérieure tandis que le
visage du papi et son sourire portent sa joie. Je me dis que je suis
quelquepart entre ces deux là, oh, ça ne se verra pas
chez moi, j’ai l’éducation qu’il faut et
le contrôle de moi pour rester souriant et même affable,
mais parfois là-dedans, tout au fond, ça peste et ça
rage, pour rien, contre moi-même et contre le monde entier,
comme le faisait maman...
Et là cet après midi, dans ce parc,
il y a mes yeux qui traînent sur les belles jeunes filles qui
passent, non pas seulement pour le plaisir de regarder ce qui est
beau, comme ce ciel où le soleil passe et se cache, comme ces
feuillages qui ont pris les couleurs d’automne, comme cette
eau frémissante du bassin devant moi, non des yeux qui traînent
avec de tortueuses pensées de bonnes fortunes, avec des fantasmes
inaccessibles et que je sais tels, avec une vague culpabilité
d’infidélité en pensée, avec l’amertume
de ce que je n’ai pas. Je me trouve nul et d'une effarante banalité,
lot si partagé des hommes vieillissants.
Oui, tout ça était là, avec
moi, pendant ma promenade, ma mère, ma femme, le silence entre
nous, les couples, l’amour, les années qui passent, la
jeunesse qui est belle…
11/11/04 : Des nouvelles
de l’APA :
J’ai lu ces jours derniers et aujourd'hui
encore par ce froid jeudi férié du 11 novembre, les
documents que j’ai reçu récemment de l’Association
pour l'Autobiographie, dont je suis membre. Il y a la revue, «
La faute à Rousseau » et la dernière livraison
du « Garde-mémoire » un recueil qui regroupe de
brefs commentaires des textes déposés auprès
de l’association au cours des deux dernières années.
Je me suis plongé là-dedans avec assez de plaisir passant
de demi page en demi page d’un monde à l’autre
: de l’évocation d’une intense histoire d’amour
à de sombres secrets familiaux, d’un texte tombeau à
propos d’un enfant mort à des souvenirs de guerre, du
récit d’une fuite hors de la Russie en révolution
au problème douloureux d’une jeune femme fille de harkie
incapable de trouver sa place… Des exemples parmi quelques centaines
d’autres. Ces sauts de puce m’ont fait penser à
mes promenades à travers le net et les journaux en ligne. Même
zapping à la fois enrichissant par toute cette masse d’humanité
qu’on aperçoit dans sa diversité et frustrant
précisément parce que on ne fait que l’apercevoir.
Avec une différence par rapport à internet, c’est
qu’il y a aussi ici une épaisseur temporelle, les textes
peuvent émaner de vieilles personnes évoquant leur enfance
ou même être des textes retrouvés de personnes
décédées depuis longtemps. On ne change pas seulement
d’ambiances, de milieux sociaux, de façon d’écrire
à propos de soi, on change aussi d’époque. C’est
un plaisant kaléidoscope…
J’ai vu aussi que l’APA avait rénové
son site internet. J’ai été le visiter dans tous
ses recoins. Il semble vouloir être plus réactif que
l’ancien, il semble aussi vouloir accorder une part plus importante
à ce qui se passe sur internet autour du diarisme et des blogs.
C’est un domaine dont l’APA parlait jusque là assez
peu, je trouvais qu’elle n’accompagnait pas assez ce mouvement
nouveau. Peut-être est-elle en train de s’y mettre. Le
site propose maintenant de référencer les pages personnelles
de ses membres, je vais donc y faire inscrire mes Echos
J’ai trouvé ainsi en le visitant un
texte que je trouve très bon sur le
désir d’autobiographie, pourquoi on y vient, en tant
que lecteur comme en tant qu’écrivant, le texte passe
en revue les diverses formes d’écriture autobiographiques
du journal work in progress aux bilans de vie, aux textes clos et
construits, il montre comment le désir d’écrire
s’articule avec le désir de faire lire donc de communiquer.
Il insiste beaucoup sur la dynamique du semblable et du différent.
« Voilà typiquement la réaction qu’on a
souvent aux souvenirs des autres : pour moi c’était exactement
la même chose, sauf que c’était entièrement
différent. C’est ce mixte du même et de l’autre
qui fait la force du désir d’autobiographie, sur le plan
de la lecture (tous un peu pareils, chacun absolument différents)
comme de l’écriture (c’est bien moi mais que j’ai
changé) ». Je ressens quant à moi les choses exactement
comme cela.
A part ça j’ai aussi été
faire un grand tour sur Obsolettres,
ce que je n’avais pas fait depuis un moment, j’ai lu beaucoup
de textes écrits par les participants, plus ou moins bons évidemment
mais l’ambiance de ce site est sympa, j’aime les rebonds
de texte en texte, la façon dont l’un peut en induire
un autre, ça me donne des envies, j’aimerai bien participer
plus mais là encore je ne trouve pas vraiment le temps, où
la volonté de m’y mettre plutôt, car le temps je
l’ai si je veux, je ne m’y mets pas à cause de
l’apathie du moment, j’hiberne sans hiberner, il faudrait
que je me secoue à tous niveaux…