NOUVELLES ET FRAGMENTS par Valclair

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L'acrotomophile

 

Pauvre Michel était là, sur le petit banc de bois, ses cannes entre les jambes, occupé à prendre en lui la douceur du soleil déclinant de la fin d’après-midi, devant cette ferme familiale où il avait presque toujours vécu, juste au détour du chemin qui descend entre les sapins vers le village plus bas, attendant le passage d’éventuels randonneurs, de beaux gars, de jolies jeunes femmes, des figures vives : les voir mettrait un peu d’animation dans son après-midi immobile…

Jamais il n’a pu trouver femme, le Michel, ni pendant les quelques années où, jeune ouvrier dans un atelier de mécanique il a vécu à la ville, ni plus tard lorsqu’il est revenu dans la montagne reprendre seul la ferme de ses parents vieillissants. Il a passé des annonces dans le Chasseur français, il a eu des rencontres à la ville, il y a même une femme qui est venue jusqu’à lui, qui est resté le temps de trois semaines puis qui s’est évaporée, le laissant à sa solitude. Après ça plus jamais il n’a essayé. C’est qu’il est spécial, Michel, il a un problème. Ça remonte à loin. Il peut pas. Dès qu’il s’approche d’une femme, même si dans sa pensée l’instant d’avant il la désirait très fort, il n’y a plus rien, ça fond dans sa culotte, il n’y a plus qu’un petit oiseau tout rabougri, et rien n’y fait, ni les images qu’il projette dans sa tête, ni des mains expertes, ni des bouches qui se voudraient gourmandes. Il a plus qu’à remballer piteusement. Il se sent trop vaincu pour offrir ne serait-ce que de la tendresse - ça marche la tendresse parfois – il ne peut que fuir, se buter, maudire ce qui le fait rêver et qui n’est pas là…

Les années ont passé sur les années, les parents sont morts, la ferme même s’est éteinte, Michel a vécu grâce aux terrains qu’il a pu vendre ici et là sur lesquels des gens de la ville ont construit des chalets.

Il s’est installé dans la lenteur, dans les journées trop étirées, dans les coups de rouge qui rythment trop fréquemment sa journée et le laissent au soir pantelant et brumeux. Il s’est perdu dans les stations qui n’en finissent pas sur le petit banc de bois, juste au détour du chemin entre les sapins…

S’il plisse les yeux, alors, il la revoit…

Il était tout môme. C’était l’hiver dans ce temps où s’ouvrait les premières pistes sur le flanc de la montagne. Les vacanciers descendaient à ski, ils ne passaient pas par le chemin derrière la ferme en général.

Alors lorsqu’il l’a aperçu, cette femme jeune, grande, belle, d’allure sportive, avec toutefois quelquechose d’étrange dans la démarche, Michel a tout de suite a senti comme un signe, comme un mystère, il a senti qu’il devait s’écarter, il s’est vivement replié derrière la haie de sapins sans qu’elle l’aperçoive.

Elle s’est approchée. Son pas est souple d’une jambe mais raide de l’autre. Elle sourit au ciel entier, aux sapins alourdis de neige, à ce soleil timide qui se risque entre les nuages dispersés. Elle s’arrête à la hauteur d’une pile de grumes située en plein axe du soleil renaissant, elle fait voleter de la main la neige pour dégager un emplacement confortable pour s’asseoir. Puis Michel lui voit faire cette chose incroyable : elle remonte lentement la longue robe qui la couvrait jusqu’aux chevilles, elle dégage une jambe raide et blanche, sertie d’appareillages étranges retenus par des lanières de cuir, elle s’assoit, elle dénoue les lanières, pose avec délicatesse juste à côté d’elle cette chose détachée du corps, cette jambe au bout de laquelle reste accrochée, l’enserrant, une chaussure de marche de cuir noir. Elle passe alors une main tendre sur la chair rose du moignon, sur la cuisse tout autour, c’est une caresse…

Michel sent monter en lui une sensation qu’il ne connait pas, une raideur brutale entre ses jambes, impérieuse et délicieuse, il porte son bras à son ventre, dégage son membre douloureux, le secoue, l’astique vigoureusement de la main. Une vague de chaleur le traverse, il sent le rouge lui monter violemment au front et aux oreilles,

La femme, elle, continue son mouvement, à mesure son sourire s’élargit, marquant son bien-être, sourire pour elle-même , sourire porté aux nues, sourire pour ce petit garçon qu’elle ne voit pas. Puis elle repose sa main sur le côté, elle s’étire comme une chatte, elle reste un moment les yeux fermés, exposée à la caresse du seul soleil, elle ouvre un peu plus large son entrejambe, offrant à l’enfant extasié son improbable géographie, longue jambe fine, mystérieux triangle, blanche césure entraperçue, et puis cet arrondi si doux, cette promesse et cette absence, infiniment troublante…

Michel s’est jeté en grognant face contre la neige, le froid brutal a ralenti ses ardeurs, d’un œil il tente de voir encore la belle dame qui se rajuste, elle se relève, elle reprend sa marche, passe devant lui, claudiquant, sa canne sur la neige, son mouvement déhanché, sa longue robe comme une traîne, elle passe, elle s’éloigne, elle disparaît, elle a disparu…

Mais elle persiste dans les yeux de Michel, elle persiste, image étincelante, puissante et tutélaire, pourvoyeuse de l’enivrement de ses sens mais s’interposant et affadissant à jamais pour lui les sensualités plus banales...

***

C’est triste, n’est ce pas ? Pauvre Michel ! Il n’a pas su rencontrer sa moitié, il n’a pas rencontré son unijambiste. Il paraît qu’il serait « acrotomophile ». Tiens ça lui ferait une belle jambe, au Michel, de savoir ça! Si l’on ose dire !

Juillet 2006

 

Ecrit dans Osbsolettres sur la consigne "Ecrire un texte sur une ou plusieurs perversions sexuelles"

Obso donnait ce lien qui m'a fait découvrir ce terme bizaroïde d'acrotomophile. Quant au fantasme je crois qu'il est plus banal qu'il n'y parait, oserais-je dire que je l'ai croisé pendant mon adolescence ce qui explique que ma plume n'ait eu nulle difficulté à générer cette historiette .

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