01/01/03:
Commencements: (1)
Donc je me lance.
Après quelques mois d'observation silencieuse du petit monde du diarisme
en ligne, après moult tergiversations, je me lance à mon tour.
Mes
" Notes au fil des jours " tenues par intermittence à différents
moments de ma vie, régulièrement depuis 3 ans, deviennent "
les échos de Valclair " et vont aller dans quelques jours s'afficher
sur internet.
Cette date du 1° janvier, hautement
symbolique convient bien. A vrai dire, depuis quelques mois que je me tâte,
je m'étais fixé de me décider avant la fin de l'année.
Donc, allons-y
Je verrai bien en avançant ce que cela donne et
ne veux pas pour le moment philosopher sur les raisons que je me suis données
pour cette entreprise pas plus que sur les objections que je continue à
avoir.
Simplement je veux rester aussi proche que
possible de ma façon d'écrire mes notes antérieures. D'ailleurs
je n'écrirai pas directement dans mes pages htlm, je continue mes fichiers
précédents sous word que je basculerai à posteriori. Continuité
d'abord. Je ne veux rien faire spécialement pour l'hypothétique
lecteur. J'écrirai ce qu'il me semble devoir écrire, comme je l'ai
toujours fait, des pensées et sentiments très intimes, des impressions
au spectacle de la rue, des réactions face à un évènement,
des bonheurs de lecture
Sans systématisme, lorsque l'envie est là,
sans jamais m'obliger au prétexte que ceci ou cela paraîtrait important
ou ferait bel effet.
Il faudra quelques aménagements
bien sûr afin de préserver l'anonymat, l'introduction de quelques
pseudos, la décontextualisation de certaines scènes trop précises,
autant je suis libre pour ce qui me concerne, autant je me dois à une stricte
réserve pour tout ce qui met autrui en scène. Peut-être même
dans certains cas serais-je contraint de ne pas publier telle ou telle page et
après l'avoir écrite de choisir de la laisser de côté.
Mais je souhaite que cela soit le plus rare possible
Si
l'on met en ligne c'est évidemment avec l'idée d'être lu,
de susciter des interactions. Mais je n'ai pas l'intention de les rechercher particulièrement.
Il me suffit de savoir que c'est une potentialité qui existe, qui adviendra
peut-être.
Et je verrai
Ciel
très sombre ce matin, tout brouillé de bruine. Pas trop d'envie
de promenade ce matin, que j'aurais souhaité pourtant pour me décrasser
de la nuit inévitablement un peu trop arrosée.
Cette
année ne semble pas commencer sous des auspices très encourageants.
La
marée noire du Prestige vient d'atteindre les côtes françaises.
Pas très important à l'échelle de la planète mais
symbolique en cette date.
La guerre menace plus que
jamais. Bush suit imperturbablement son plan, même s'il l'a différé,
l'impérium se fout du reste du monde même s'il fait quelques concessions
sur les formes. La menace terroriste est plus que jamais présente. Après
le 11 septembre je me souviens que je me demandais si ce n'était qu'un
bref feu de paille où le symbole de l'entrée dans une nouvelle période
historique, la marque de ce 21° siècle commençant : chaque mois
qui passe hélas semble bien confirmer cette dernière hypothèse.
On n'en est pas sorti. Avec outre la guerre, toutes les autres conséquences,
la crise économique persistante, la dégradation du moral des agents
économiques, la remise en cause sans états d'âme de l'état
de droit aux USA même, l'alliance avec les pires dictateurs (Poutine est
libre d'achever de raser la Tchétchénie et d'employer les moyens
les plus extrêmes, les plus coûteux en vie humaines innocentes pour
liquider le commando du théâtre de Moscou, puisqu'il est du bon côté
contre les terroristes). Le Moyen Orient est toujours incandescent et l'aggravation
de la situation internationale ne peut que favoriser les faucons dans chaque camp.
D'autres tensions menacent : comment ne se multiplieraient-elles pas dans des
états exsangues, épuisé par de mauvaises gestions et par
les excès d'une mondialisation sauvage (l'Argentine au premier rang) Et
que va-t-il se passer au Brésil? ici pourtant c'est l'espoir qui prévaut,
la seule bonne nouvelle à peu près de cette fin d'année :
mais la réforme pourra-t-elle réussir, le Brésil pourra-t-il
décoller en éliminant la très grande misère ? C'est
fou : même l'espoir fait peur !
Et puis il y
a cette histoire de bébé cloné. Ça c'est encore autre
chose, une véritable révolution anthropologique qui se profile.
Peut-être est-ce de l'intox pour le moment mais je suis convaincu que si
ce n'est pas pour maintenant, c'est pour demain, pour dans trois ans, pour dans
cinq ans, mais rien il me semble n'empêchera qu'on y parvienne, en tout
cas pas les protestations éthiques des gouvernements. Ce qu'il en résultera
à terme (du clonage mais aussi de tous les autres progrès fabuleux
de la biologie), est sans doute encore à peu près inconcevable.
Tout cela à un côté effrayant mais aussi, il faut bien le
reconnaître, assez excitant et passionnant: ou va-t-on, où va l'espèce,
peut-être dans le mur, peut-être à sa perte mais quelle aventure
!
J'ai acheté, il y une dizaine d'années
déjà un bouquin qui s'appelle " 2100, histoire du prochain
siècle ". C'est un travail de prospective très savant, coordonné
par une commission du ministère de la recherche et associant quantité
de spécialistes très pointus. J'ai lu ça en diagonale au
moment où je l'ai acheté. C'était assez passionnant et évidemment
plein de considérations qui déjà aujourd'hui se révèleraient
sans doute en partie caduques, les facteurs d'évolution en interaction
sont tellement nombreux que toute prévision est inévitablement vouée
à l'échec, l'histoire est plus imaginative que le plus grand conclave
de savants. J'ai rangé ce bouquin en m'interdisant d'y remettre trop vite
le nez, en me réservant de le reprendre plus tard pour avoir le plaisir
du choc entre l'imaginé et l'advenu. Le bouquin datant de 1990, je m'étais
dit que 2010 serait une bonne échéance. Allez, je conserve cette
échéance même si ces jours ci j'ai eu de petites envies d'aller
revoir ce qu'il racontait
04/01/03
: Neige : (2)
C'est presque
de la neige ai-je dit ce matin, en me levant, mais ça ne tiendra pas, la
neige à Paris ça n'existe plus
Mais
ça ne s'est pas calmé, ça s'est mis à tenir sur les
toits des maisons, sur les voitures, aux branches des arbres puis au sol, dans
la cour, sur les trottoirs, sur les chaussées même de rues pas trop
passantes. Vers une heure ça y allait
Par la fenêtre on voyait
dehors les gens avancer courbés sous la bourrasque, engoncés dans
leur parka ou retenant comme ils pouvaient leur parapluie.
Nous
avons été nous promener l'après-midi, un peu trop tard peut-être,
la neige ne tombait plus, ce n'était plus ce moment un peu magique de la
tourmente, où tout blanchit à vue d'oeil, où les gens incrédules
semblent redécouvrir les météores et des sensations d'enfance,
où l'on a envie de faire des boules de neige, où les voitures raréfiées
avancent précautionneusement sur le sol glissant.
La
neige qui était au sol très vite s'est transformé en gadoue
sur les trottoirs, les grandes artères ont retrouvé une circulation
habituelle mais Paris tout de même a conservé un petit air inhabituel
: les promeneurs, plus nombreux qu'à l'habitude et photographiant à
tout va, les arbres, avec leurs branches délicatement dentelées
de blanc, les troncs exposés au vent blanchis sur toute leur hauteur, les
panneaux signalétiques masqués de neige, les façades festonnées
Jardins du Palais Royal, lieu calme comme
toujours, enclave dans la ville, quelques familles avec des enfants bien mis qui
roulent des paquets de neige, la fontaine fonctionne et laisse voir à travers
le rideau d'eau la belle architecture du palais, les chaises autour de la fontaine
sont désertées, elles achèvent de s'égoutter de leur
neige, on clapote dans les flaques
On traverse vers le Louvre, la pyramide
parait bien terne, le ciel s'éclaircit comme on traverse les jardins du
Carrousel, des trouées se font entre les nuages par où se faufilent
les rayons du soleil déjà déclinant, les nus de Maillol sont
emmitouflés de neige
On longe les quais, la Seine roule de hautes
eaux, et soudain pendant un bref instant des couleurs de feu s'allument sur les
pierres du Louvre, et en face aussi, sur la coupole de l'Académie Française,
le vent souffle, le froid est devenu vif, on s'emmitoufle dans nos manteaux, sur
la Passerelle des Arts la neige n'a pas fondue mais s'est durcie au contraire,
des gamins tentent des glissades, les touristes photographient
Nous
revenons en bus, la nuit tombe déjà.
Maman
sans doute aurait aimé cela encore, voir par les grandes baies vitrées
de son appartement ouvertes sur le ciel, toute cette neige tomber sur Paris. Comme
le temps va vite ! Il y a déjà, à quelques jours près,
deux mois qu'elle est morte !
05/01/03
: Sale journée et doutes diaristiques :(3)
Je
me demande si cela vaut la peine d'en parler. Mais j'ai souvent constaté
que d'en parler me faisait du bien. Alors
Journée
mal emmanchée dès le début, malgré le beau temps qui
s'annonçait. Je me suis levé tôt, j'ai fait le marché,
en rentrant je me suis senti des envies de campagne, des envies de marcher dans
la forêt sous son manteau d'hiver mais sans tout à fait l'énergie
de mettre les choses en branle, de me dépêcher, de préparer
un pique-nique, peu enthousiaste à la perspective de devoir prendre la
voiture et de faire des kilomètres sur des routes dont on ne savait trop
l'état
Il fallait convaincre C. aussi. Elle n'est vraiment pas en
forme ces derniers jours, elle est sans ressort, mal dans sa tête, mal dans
son corps et la perspective de retrouver demain sa classe, son école où
les relations sont détestables achevait de la rendre déprimée.
J'aurais voulu qu'on s'entraîne mutuellement. Au lieu de quoi nos manques
d'énergie respectifs se sont cumulés. Et sans même parvenir
à en parler. On s'est contenté d'aller en fin de matinée
jusqu'au Parc Montsouris qui était fermé de surcroît, on en
a fait le tour, dépassé ou croisé par les joggers eux aussi
obligés de se contenter du trottoir des rues longeant le parc. On est rentré
dans la Cité U, là c'était plus agréable, soleil entre
les arbres, un peu de neige crissante enfin sous nos pas, la grande pelouse derrière
le bâtiment principal toute blanche, immaculée, moi je me sentais
bien, heureux d'être là
J'ai voulu faire une photo de C. elle
s'est laissé faire mais comme à regret et je n'ai eu dans mon objectif
qu'un visage désespérément tendu, fermé, cela ne valait
pas la peine, comment me sentir bien alors
Nous
sommes rentrés. C. avait plus ou moins le projet de voir une amie de sa
chorale et de répéter avec elle, moi j'ai hésité à
ressortir, nouvelle promenade ? cinéma ? exposition ? c'est comme ça
qu'on finit par ne rien faire, l'après-midi avance, le soleil commence
à baisser, il est trop tard
J'ai voulu
me mettre sur l'ordinateur, j'ai voulu travailler sur mon site, je voulais m'occuper
d'ouvrir un compte de page web chez mon fournisseur et procéder à
la mise en ligne de mes premières pages. Il y a eu des difficultés
techniques ! Je n'ai pas persisté longtemps dans mes tentatives. Je me
sentais exaspéré par la machine, par l'informatique, par toute cette
technologie envahissante qui parfois nous bouffe plus qu'elle nous libère.
Mais il y a autre chose derrière ces prétextes techniques. Suis-je
vraiment prêt à mettre en ligne ? Tout n'est pas clair dans ma tête,
je suis séduit par certains des journaux que j'ai vu sur internet, par
certaines personnalités que j'y devine, par les relations qui semblent
se créer dans cette petite communauté, j'ai envie de tenter moi
aussi l'expérience, j'ai envie de voir ce que ça donne, quelle incidence
cela pourrait avoir sur ma façon d'écrire et peut-être de
vivre, quelle perspective cela pourrait ouvrir peut-être à ma vie
relationnelle
Mais je résiste aussi. Tout cela tout de même
est dérisoire. Que tirer de cet océan de narcissismes mis côte
à côte et quel sens d'y rajouter mon propre grain de sel, qu'aurais-je
à apporter de particulier ? Je me sens parfois proche de l'indigestion
quand je surfe entre les diaristes, ils sont si nombreux, toutes les figures,
toutes les problématiques se retrouvent, se mêlent, se croisent et
finissent dans l'indistinct. Parfois je me sens gêné, j'observe mais
sans rien dire, sans me révéler, comme un voyeur par un trou de
serrure : je ne fais rien d'illicite, je suis invité mais il n'empêche
J'observe le(la) diariste mais le monde autour de lui(d'elle) aussi, qui lui n'a
rien demandé. Il y a les pseudos et toutes les précautions prises
pour éviter les reconnaissances intempestives certes mais ma gêne
va bien au-delà de ça, elle est dans le principe même indépendamment
de tout risque de reconnaissance, c'est une question de respect
Tout
ça me tournait dans la tête pendant que je m'agaçais contre
mon fournisseur d'accès. C. était toujours là, son rendez-vous
avec sa copine était pour plus tard, elle était en face de moi,
à trifouiller dans ses papiers, à rangeoter son bureau. Je me sentais
exaspéré par son mal être de toute la journée et par
sa présence muette en face de moi en ce moment précis. Tout simplement
sans doute parce que cette présence muette suffisait à raviver en
moi interrogations et mauvaise conscience : elle n'a jamais lu mes notes, tout
au plus quelques extraits, j'ai toujours voulu maintenir cette intimité
là et maintenant ces mêmes notes je m'apprête à les
balancer sur la toile et en plus sans même lui en avoir rien dit !
07/01/03
: Alors cette mise en ligne ?(4)
Hésitations
récurrentes.
Hier j'avais décidé
de ne pas publier mon entrée du 5. Je ne me sentais gêné de
l'évocation que je faisais de C. Même si il n'y a guère de
risque qu'elle tombe dessus, encore moins que quiconque la reconnaisse, je ne
me sentais pas autorisé de disperser ainsi à tout vent cette image
que j'ai d'elle
J'ai essayé de reprendre
les contenus de mon entrée en en éliminant les aspects trop personnels.
Mais ça n'allait pas, je ne sentais pas ce nouveau texte, j'avais l'impression
de me dépouiller de toute spontanéité, de produire un texte
second, d'entrer dans un dynamique menant à la superposition de deux discours,
en partie complémentaires, en partie redondants entre le " on "
et le " off ", obligeant en tout cas à une gestion complexe de
l'un et de l'autre
Or, précisément
l'expérience que je veux tenter est de rester aussi proche que possible
de ma façon habituelle d'écrire, de dire les choses telles qu'elles
viennent, telles que je les sens sur le moment.
Donc,
si je publie, je publie tout (ou presque tout).
Mais du coup j'hésite
toujours à mettre en ligne.
L'autre soir j'ai
finalement débloqué le problème technique préalable
à la mise en ligne. Ce n'était rien du tout d'ailleurs. Je persistais
à cliquer sur un mauvais endroit à un moment de la procédure.
Geste manqué sûrement significatif !
Peut-être
ne suis-je pas tout à fait prêt encore dans ma tête. Alors
attendons
Et peut-être que le fond du
fond de ma résistance est de me rendre compte qu'il est plus facile de
mettre en jeu de l'intime avec des inconnus qu'avec des proches. Parce que ce
n'est que virtuellement impliquant. Parce que l'interlocuteur reste hypothétique,
lointain, pas pour tout de suite
Et je me dis
alors que c'est peut-être un comportement de substitution, une façon
de se détourner à bon compte de ce qu'il est si difficile de faire
dans la vie relationnelle réelle. Plutôt que d'être derrière
ton ordinateur à tourner tes phrases, à les envoyer dans cet indéfini
de la toile, va donc gratter là où ça fait mal, pour le meilleur
ou pour le pire peut-être !
09/01/03
: A la recherche d'Isabelle Eberhardt :(5)
Je
viens de terminer les deux volumes de la biographie d'Isabelle Eberhardt par Edmonde
Charles-Roux.
C'est un livre qui m'a beaucoup déçu,
que j'ai failli abandonner à plusieurs reprises.
J'ai trouvé
l'écriture relâchée, sans relief, les redites sont nombreuses,
le texte est étouffé sous l'abondance de ses sources : deux fois
plus court et mieux travaillé le livre peut-être aurait été
plus évocateur. On a le sentiment que l'auteur a voulu tout donner de la
masse immense de documentation qu'elle a réunie. Mais elle reste pour l'essentiel
à la surface, dans l'événementiel, elle ne parvient pas à
faire ressentir de l'intérieur le mystère de cette fille, la façon
dont elle a pu vivre ses contradictions : on imagine l'évocation qu'une
Yourcenar aurait pu tirer appuyée sur de telles sources d'une telle personnalité.
Cela
dit il y a beaucoup de choses intéressantes, la description notamment de
figures extravagantes, représentatives dans leur diversité de ce
monde de la Belle Epoque où contrastent, dans le beau monde, milieux cosmopolites
cultivés et nobliaux nationalistes : voici Lydia Pachkof, écrivain,
voyageuse russe de la génération précédente (I, p
168), voici Cheikh Abbou Naddara, juif turc en exil à Paris, polyglotte,
professeur, conférencier et figure mondaine à Paris (I, p 369),
voici le Comte Prozor, diplomate russe lettré, représentant atypique
du tsar (I, p 485), voici le colonel de Susbielle, caricature de l'officier français
anti républicain (II, p 78), voici Mores et ses comparses, des aventuriers
à l'antisémitisme délirant (II, p 133), voici Lyautey à
Ain Sefra (II, p 537) : à travers tous ces personnages il est vrai que
passe un peu de la société de cette époque.
De
même quelques scènes de la vie d'Isabelle sont bien rendues : l'ambiance
particulière de la Villa Neuve, ce monde " entre deux mondes "
(I, p 180), la conversion à l'islam et la mort de mère (I, p 467),
le premier séjour à El Oued, l'initiation dans un confrérie
maraboutique (II, p 321), entre autres
Mais
comment Isabelle vivait-elle vraiment son écartèlement culturel
et ce noyau familial à la fois riche et profondément perturbé,
qu'y avait-il derrière son ambivalence sexuelle, derrière ses relations
très fortes avec son frère Augustin, quel est le cheminement qui
l'a mené à l'Islam puis à l'adhésion aux confréries,
impliquant " une obéissance si contraire à sa nature "
(II, p 322) quel ressenti avait-elle de ses propres contradictions ?
On
objectera peut-être que de telles considérations n'auraient pas été
objectives, que l'auteur a voulu rester au plus près de ce qui était
attesté, donc des faits, qu'elle s'est refusée par principe à
tout ce qui aurait été interprétation de sa part, recréation
forcément hypothétique. Peut-être mais j'ai le sentiment qu'il
a moyen lorsqu'on s'est imprégné vraiment d'un personnage d'atteindre
à une véritable empathie avec lui, de pénétrer réellement
sa subjectivité. Je ressens le portrait psychologique d'Hadrien ou de Zénon
comme profondément juste même si, forcément, il n'est pas
exact. C'est cela que j'aurais voulu trouver à propos d'Isabelle et qui
n'y est pas. Il reste, sans doute, à aller voir moi dans ce qu'elle a pu
écrire elle-même et que je n'ai jamais lu.
11/01/03
: Explorations diaristiques :(6)
Ce
matin j'ai passé plusieurs heures à circuler entre les journaux
à partir de liste de la CEV, en découvrant ainsi toute une série
d'autres en plus de la petite dizaine que je suis plus ou moins régulièrement.
Et j'ai aussi fait un tour sur le forum dont j'avais entendu parler par certains
des diaristes que je lis mais que je n'avais jamais été voir moi-même.
Ce genre de promenade est à la fois excitant
et vertigineux et à la longue plutôt déprimant.
Il y a
toujours le plaisir de la découverte, l'attente de ce qui va surgir, le
voile levé révélant un autre petit bout de vie. Il y a cette
excitation à pénétrer comme par effraction des mondes qui
ne sont pas le nôtre mais aussi presque aussitôt la frustration de
ne pouvoir aller au bout, saisir, absorber, embrasser tout cela
Car
bien sûr il est hors de question de tout lire, je survole à toute
vitesse, je lis en diagonale, j'essaie de deviner à travers quelques paragraphes
la personnalité qui pourrait me parler plus qu'une autre parce que je trouverais
en elle des questionnements qui ont à voir avec les miens ou des réactions
qui m'interrogeront au contraire parce qu'elles sont profondément opposées
aux miennes. Mais se faisant je sais que j'en laisse d'autres de côté
qui recèlent peut-être aussi des éléments précieux.
Et puis je m'évade. Je vais vers d'autres diaristes cités. Je pénètre
ainsi une de ces micro-communautés qui se constituent entre diaristes en
fonction des affinités. Mais le voyage n'a pas de direction et pas de borne.
Pourquoi prendre cette voie plutôt que celle-ci. Il n'y a pas de carte de
ce territoire infini, on avance à l'aveuglette, avec le plaisir et l'insatisfaction
que cela confère
Et puis pour l'instant
je reste le lecteur caché, le voyeur qui ne se révèle pas.
J'aime cette position, je le sais bien, ce n'est pas d'aujourd'hui et ce n'est
pas seulement vis à vis de ce monde nouveau du diarisme en ligne : c'est
une donnée de base de ma personnalité, cette idée de mettre
moi aussi mon journal en ligne est sans doute une façon de lutter contre
cette vieille tendance, c'est pour cela aussi sans doute que j'ai tant de mal
à faire le pas.
A quelques moments j'ai eu
envie de donner mes réactions ou de répondre à certaines
des interventions vues sur le forum. Mais là aussi je ne suis pas décidé.
Il y aurait eu tant à dire, pourquoi commencer par ici plutôt que
par là. Facile prétexte là encore pour rester coi, pour rester
dans la facile position de l'observateur.
Cela donne
le vertige. Une forte implication dans ces débats diaristiques doit vite
devenir envahissante. La lecture de nombreux diaristes, les longues entrées,
les participations argumentées et nombreuses aux forums, les réponses
aux mails doivent, j'imagine, prendre des heures et des heures aux intervenants
les plus présents. Est-ce que la vie et les échanges virtuels n'en
viennent pas alors à prendre le pas sur la vie immédiate et proche,
sur les " réelles présences " à portée de
voix, à portée de main ? Ce peut-être aussi une façon
de fuir le réel. Je pensais à cela, lisant hier un article du Monde
sur des fondus de jeu en réseau qui finissent par y consacrer la plus grande
part de leur vie. Cela me fait peur peut-être parce que je craindrais si
je m'engageais moi-même dans un tel processus de basculer dans ce genre
d'excès.
Même sans tomber dans ces extrêmes,
il me semble qu'à être trop dans le réactionnel aux positions
ou commentaires des uns et des autres, on risque la dispersion, l'appauvrissement
de son écriture propre. C'est pourquoi la plupart des blogs, dont la forme
même favorise l'interactivité, les entrées courtes et multiples,
me paraissent dans l'ensemble moins intéressants, moins riches, plus superficiels
que les journaux classiques. (Ne généralisons pas : il y a d'excellents
blogs et des journaux classiques parfaitement sans intérêt).
Cela
dit si l'on publie c'est bien que l'on s'attend à être lu et que
l'on souhaite susciter de l'interactivité. Mais pour moi cette interactivité
doit rester modérée, contrôlée. J'écris d'abord
pour moi, dans la lignée de ce que je fais depuis des années, l'interactivité
c'est un plus, la cerise sur le gâteau.
C'est
pourquoi je ne conçois pas que ma mise en ligne doive s'accompagner d'une
recherche frénétique de lectorat. Je suis frappé de voir
l'importance que certains attachent à ce que disent leurs compteurs, à
quel point aussi certains se montrent soucieux et atteints face à des critiques
ou des mises en cause de ce qu'ils écrivent. Il me semble que ce ne serait
pas mon problème. Que celui qui m'aime me lise, que celui qui ne m'aime
pas passe son chemin, c'est tout et que je reste moi-même ! J'aimerais à
la limite que mon propre texte vogue au hasard dans l'immensité du web,
sans demander rien à personne, un peu comme une bouteille à la mer,
je trouverai beau que les rencontres ne soient que de hasard, improbables mais
magiques si elles advenaient. C'est un peu une vue de l'esprit, j'imagine que
les probabilités d'interaction dans ce cas là sont quasi nulles,
donc je me rattacherai moi aussi au fanal de la CEV pour avoir ce minimum de visibilité
qui donne sens à une mise en ligne. Mais je comprends très bien
qu'une fois celle-ci acquise on puisse souhaiter se détacher. C'est le
cas par exemple d'Eva et de ses "
Regards solitaires " qui ont quitté la CEV : c'est pour moi à
peu près le meilleur de ce que j'ai vu à ce jour parmi les diaristes,
un site sobre sans être austère, des textes facilement lisibles et
très bien écrits, pas trop longs et pas redondants, toujours chargés
de sens
Ce sont de tels sites qui me donnent envie de participer moi-même
à cette aventure.
Il faut faire son petit
chemin à soi dans tous ces modes d'être en écriture, il faut
trouver son propre équilibre.
Pour revenir
au plaisir des découvertes je veux juste donner ici ce beau texte trouvé
dans les " Secrets partagés
" de Cassandra:
"
Alors un lettré dit : parlez nous de la Parole.
Et il répondit,
disant :
Vous parlez lorsque vous cessez d'être en paix avec vos pensées.
Et
lorsque vous ne pouvez rester davantage dans la solitude de votre cur vous
vivez dans vos lèvres, et le son est un divertissement et un passe temps.
Et
dans une large part de vos discours, la pensée est à moitié
assassinée.
Car la pensée est un oiseau de l'espace, qui dans
une cage de mots peut ouvrir ses ailes mais ne peut voler. "
C'est
de Khalil Gibran et c'est très beau et très profond. Sans doute
n'est ce pas très juste pour la pensée analytique, prépondérante
en occident, souvent la pensée surgit de l'effort pour la mettre en mots
et c'est aussi pour cela que j'écris. Mais c'est vrai et profond sur un
autre plan d'appréhension et de perception du réel, pour d'autres
modalités de la pensée, pour une pensée plus intuitive, j'ai
envie de dire presque pour une pensée sensitive.
Et
peut-être que ça a plus à voir qu'il n'y parait avec tout
ce dont j'ai parlé dans cette page.