MOIS
de NOVEMBRE 2003 (1°quinzaine)
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01/11/03
: La beauté du monde :
Ça va mieux. Un peu mieux. Constance
a l'air de sortir un peu du trou mais moi surtout je me suis enfui au cinéma.
Je ne pouvais mieux choisir pour sortir de l'ambiance délétère
de la maison : J'ai vu les deux épisodes de "Nos meilleures années",
un récit qui suit la vie d'une famille italienne des années 60 à
aujourd'hui, deux fois trois heures de cinéma de façon rapprochée,.des
personnages attachants et qui me parlent, idéal pour entrer dans un autre
monde, s'imprégner d'autres temps, d'autres lieux et d'autres gens, idéal
pour sortir un peu de soi, en tout cas du moi ennuyé et déprimé
de ces derniers jours.
Ça m'a plu, beaucoup, même si ce n'est
pas un film génial en soi, même s'il y a des longueurs et des passages
un peu trop mélo surtout dans la seconde partie. Ce sont nos Thibaud à
nous, des Thibaud contemporains et transalpins. Quelqu'un de ma génération
et avec mon histoire se retrouve forcément un peu là-dedans, dans
les personnages et leurs destins contrastés, dans le regard porté
sur l'évolution du pays. L'Italie n'est pas la France, on n'a pas eu l'antipsychiatrie
et les gauchistes chez nous n'ont pas, sauf exception, basculés dans le
terrorisme, on n'a pas la Sicile et la mafia mais on connaît tous des Mattéo,
des Nicola et des Carlo et même on participe un peu de ce qu'ils sont. Tous
les personnages, Mattéo et Laura exceptés sont du côté
de la vie, ils rebondissent comme on aimerait rebondir, ils donnent la pêche.
D'autant que là, les spécificités locales, la beauté
des paysages (ah ! cette maison retapée dans les collines toscanes
),
la faconde méridionale des personnage, leurs grands gestes et leurs mimiques,
leur façon de saisir la vie à plein bras jouent à plein,
tout ça est communicatif, on sort de là le cur léger
Le
film est encadré par deux voyages en Norvège à une génération
d'intervalle et se conclut sur l'évocation de la beauté du monde.
Ça aussi ça me parle et de quelle façon ! J'ai fait un voyage
là-bas aussi, mon plus beau voyage peut-être, celui qui m'a le plus
marqué en tout cas, mon seul grand voyage en solitaire, sac au dos, autostop
et auberges de jeunesse, chaque jour était une promesse, j'avais l'impression
que tout était possible, ouvert, offert. C'était pendant l'été
1976. J'avais prévu d'aller retrouver des amis coopérants en Algérie.
Le mois de juin à Paris avait été terriblement sec, chaud,
étouffant (la canicule déjà !), j'ai eu tout à coup
une grande envie de Nord, j'étais en train d'aller chercher mon billet
d'avion pour Alger et je me suis retrouvé avec un billet de train pour
Copenhague (Ça me ressemble tellement peu ces coups de tête et c'est
tellement chouette !) et le lendemain j'étais parti, Copenhague puis par
bateau et en stop, Stockholm, Helsinki, les lacs de Finlande, la Laponie, Kiruna
et l'ascension aventureuse du Kebneskeise, les îles Lofoten, Bergen, Oslo,
presque deux mois d'un périple ébloui. Je n'ai pas tenu de journal
mais j'avais avec moi une petite caméra super-huit, et j'ai des souvenirs
surtout, beaucoup de souvenirs, des images et des sensations, incroyablement présentes,
infiniment plus que de bien des voyages plus récents : des paysages somptueux
chaque jour renouvelés, des crépuscules interminables et doux, de
longues discussions auprès de feux de bois ou dans les salles communes
des auberges de jeunesse dans un sabir internationalo-anglais, l'eau froide des
lacs sur mon corps nu après les saunas, des visages de belles jeunes filles
douces qui m'ont fait rêver
La beauté du monde, oui,
la beauté du monde !
La beauté du monde donc se devrait être
la beauté de la vie.
Á quoi cela tient-il qu'on se débrouille
si souvent pour se la gâcher!
On comprend que je sois sorti de ces
films requinqués. Après cela je n'avais guère envie de retrouver
la maison et son atmosphère délétère. J'ai fait quelques
pas dans le Luxembourg mais j'en ai été vite chassé par la
fermeture, j'ai hésité à aller à l'expo Boticelli
(il y a quelques évocations picturales dans le film, ç'aurait été
une façon de le prolonger), où à aller traîner dans
un café. J'aime bien être seul, souvent, mais là je n'en avais
pas envie, j'aurais eu envie d'être dans la convivialité et le partage,
alors comme ce n'était pas possible j'ai préféré en
fin de compte rentrer à la maison, lire, écrire, aller chez les
diaristes et même poster quelques interventions sur le forum de la CEV,
j'ai fait cela avec une certaine légèreté, presque de l'allégresse,
encore porté par l'ambiance de ce film.
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03/11/03 :
Légère et douce ébriété
Hier
a été un beau dimanche paisible et doux.
Le temps était
épouvantable pourtant, pluie et vent toute la journée mais justement
on a su pour une fois bien apprécier le cocon de la maison, j'avais invité
Papa et la maman de Constance, les deux gars étaient là ainsi que
deux de leurs cousins, je m'étais mis aux fourneaux, j'ai sorti quelquechose
de pas trop mal et on s'est fait un repas dominical des familles, un genre de
chose qu'habituellement je n'apprécie pas trop mais là j'étais
bien, tout le monde s'est régalé, tout le monde semblait content,
les discussions étaient paisibles, le temps coulait sans hâte. Constance
était un peu distante, lointaine mais tout de même il me semble qu'elle
a passé un pas trop mauvais moment. Un whisky, un Saint Émilion
délicieux de quinze ans d'âge, un Baume de Venise haut de gamme sur
le gâteau que Papa avait apporté pour fêter mon anniversaire,
j'étais légèrement pompette en sortant de table.
Lorsque
les gens sont partis et Constance est sortie aussi pour faire un bout de conduite
à sa mère, je me suis voté une petite sieste. J'étais
bien, allongé sur mon lit, sous ma couette, dans une légère
euphorie, regardant les gros nuages noirs roulant dans le ciel, entendant le crépitement
de la pluie sur le velux et le vent soufflant en rafale. J'ai mis un disque. J'ai
écouté. Écouté vraiment. Les suites pour violoncelle
de Bach par Rostropovitch, c'est quelquechose quand on prend le temps de les écouter.
Il y a souvent de la musique dans la maison, de la world musique principalement
ou du classique (ou du rock ou du métal quand ce sont les garçons
qui prennent les commandes) mais trop souvent elle n'est là qu'en fond
sonore qui accompagne des activités diverses, c'est agréable mais
on ne peut pas rentrer vraiment dedans. Il faut savoir ne pas faire plusieurs
choses à la fois, être à plein dans ce qu'on fait pour en
jouir vraiment. Mon écoute aussi était peut-être un peu démultipliée
par ma légère ébriété. J'étais dans
cet état, juste bien, qui rajoute un peu d'intensité à tout,
sans alourdir ou rendre malade. Cela faisait longtemps en tout cas que je n'avais
pas aussi bien entendu de la musique
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04/11/03
: Soirée télé :
Constance
n'a pas été travailler, ni hier ni aujourd'hui. Elle ne s'en sentait
pas le courage. C'est mieux finalement, plutôt que de déployer une
énergie folle pour tenter de faire face professionnellement pendant la
semaine en s'écroulant ensuite totalement pendant le week-end et les vacances.
En plus ça l'a obligée à aller voir son médecin, à
reconnaître que ça n'allait vraiment pas et que peut-être les
entretiens avec le psy ne suffisaient pas en ce moment. Cette décision
de s'arrêter quelques jours lui a fait du bien il me semble, ça l'a
désangoissée, une part de son angoisse tenait sans doute à
son impression d'être débordée, à sa peur de ne pas
parvenir à assumer correctement son travail.
Hier soir j'avais envie
d'écrire, d'aller me promener chez les diaristes, d'aller lire les forums
de la CEV et d'y intervenir, bref de m'installer une fois de plus dans mon petit
cocon. Constance avait envie de regarder à la télévision
une émission sur Julien Clerc, avec une interview d'aujourd'hui dans laquelle
il commente sa propre histoire sur fond d'images d'archives et d'évocations
musicales. J'ai regardé d'abord debout, depuis l'embrasure de la porte,
ne voulant pas rester, puis au bout d'un moment je me suis assis à côté
de Constance, je me suis laissé porter, content finalement de me laisser
aller à ce plaisir simple et reposant qui ne demande aucun effort, une
petite soirée télévisuelle
Et c'est vrai qu'il chante
pas mal le Juju, qu'il s'exprime de façon intéressante et avec simplicité
sur lui-même, sur son métier et sa carrière, qu'il est beau,
que son sourire est infiniment charmeur et que c'est un plaisir de le regarder.
Et je me suis dit que c'était aussi un minimum de partage d'être
ainsi ensemble face à l'écran, que cela ferait du bien peut-être,
que peut-être je manque un peu trop de ces attentions toutes simples et
me réfugie trop dans mon propre monde
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08/11/03
: L'écriture au secret :
J'ai fait un sale rêve.
Pas vraiment un rêve d'ailleurs. C'était plutôt un lent et
progressif éveil, tout encombré de pensées du soir précédent
et de la nuit, de souvenirs d'actes dont j'ai mis du temps à réaliser
que je ne les avais pas commis. Je me voyais englué de posts mis en ligne
sur des forums, de correspondances par mail dans toutes les directions, avec des
partenaires diaristes mais aussi avec d'autres amis, avec de la famille, avec
des connaissances professionnelles, et je m'affolais parce que je réalisais
que des liens étaient en train de se faire entre les gens, qu'ils réalisaient
que c'était moi qui était au centre de la toile et que j'étais
donc en train de perdre de toute part mon anonymat
Fantasme certes
mais qui correspond à une peur réelle. J'ai par moment le sentiment
d'aller trop loin dans ce que je dis, d'être facilement transparent à
qui me connaissant rencontrerait par hasard mon journal. J'imagine l'attention
accrochée de telle relation, arrivée là par hasard, intriguée
par un vague sentiment d'être en pays de connaissance, poussée du
coup à lire plus loin, se disant avec de plus en plus de conviction : "
Tiens mais c'est qu'on dirait bien l'ami Machin
", excitée par
sa découverte, ravie de se sentir peu à peu confortée dans
ses soupçons, me regardant d'un drôle d'air le lendemain, m'observant,
cherchant à savoir
J'en frémis d'avance !
Tout ça
est un peu dérisoire. Après tout il n'y a aucun secret d'état
dans tout ce que je raconte ni rien qui puisse susciter l'opprobre. Un collègue
de travail découvrirait cela c'est que lui-même serait en promenade
dans ces contrées diaristes et donc qu'il aurait un minimum de goût
et d'intérêt pour ce genre de lecture, cela deviendrait une sorte
de secret partagé, explicite ou seulement implicite, cela créerait
peut-être entre nous un vague halo de reconnaissance. Mais ce pourrait être
aussi quelqu'un de plus proche, ce pourrait être Constance. Là, j'aurais
peur. L'autre jour elle m'a dit " Tu écrivais sur les côtes
du Contentin ?" " Oui, j'écrivais quelques petites choses
Si tu veux je te les montrerais
" " Non, non ce n'est pas la peine
" On n'a pas insisté, les choses en sont restées là.
Qu'a-t-elle vu ? Qu'a-t-elle su ? Je ne sais pas mais j'en ai eu une vague angoisse,
l'angoisse de ne pas savoir ce qu'elle sait. D'ailleurs mes rêveries nocturnes
sur d'intempestives révélations ce sont produites la nuit qui a
suivi ce dialogue. Un jour il faudrait que cela sorte. Peut-être les choses
en seraient-elle plus claires, peut-être qu'au final cela nous obligerait
à nous parler ? Ou à cesser définitivement de le faire ?
Je tremble d'écrire cela. Je ne sais plus qui disait que les journaux intimes
étaient cachés avec le secret espoir d'être découverts.
Je n'en suis pas là.
Parfois je vois mes fils ou Constance qui tourniquent
autour de moi pendant que j'écris parce qu'ils ont à faire à
proximité, l'appartement est commun et quoique assez vaste je n'y ai pas
de lieu vraiment pour moi seul, je n'ai pas une Tour Véléda au fond
d'un parc pour m'isoler
Tous savent que j'aime écrire, que c'est
une des marottes du pater, ils savent que je ne parle pas de ce que j'écris,
personne ne me questionne, on respecte mon petit jardin secret. Par moment je
me sens gêné, surtout lorsque je m'éternise, je me mets à
craindre qu'ils ne veuillent en savoir plus, qu'ils se penchent un peu trop sur
mon épaule ou que moi parti ils ne viennent farfouiller dans mes fichiers.
Parfois je m'arrête alors que j'aurais voulu continuer. C'est presque la
situation classique inversée, ce n'est pas l'ado qui griffonne son carnet
l'oreille aux aguets et le cache précipitamment sous ses piles de livres
scolaires quand sa mère survient, c'est le pater qui prend l'air dégagé
et qui ferme comme négligemment le texte sur lequel il travaillait quand
son fiston s'approche un peu trop avec une oiseuse demande de conseil pour un
devoir! Il y a de quoi se sentir quelque peu ridicule ! Comme si je me sentais
presque en faute !
Quoique il en soit je continue finalement à écrire
au plus près de ce que j'ai toujours fait. En me refusant à (presque)
toute auto-censure, même maintenant que je mets mon journal en ligne. L'autre
soir j'étais chez Voyelle, le nouvel avatar du journal
d'Annie Stroheim, j'aime beaucoup, c'est bien écrit, c'est riche. Mais
son entrée du 29
octobre se résume à quelques phrases qui disent en gros : j'avais
mis en ligne, c'était trop intime, je retire. J'ai été frustré
évidemment de ne pas avoir été là pendant le bref
moment où la page retirée a dû être en ligne. C'était
comme si elle nous reprenait un cadeau déjà donné. Et j'ai
l'impression aussi qu'un journal qui se contente de rester dans l'allusif, si
l'évènement dans ce qu'il a de plus concret ne vient pas par moments
relancer l'intérêt, finit par lasser. Je n'ai pas encore cette impression
avec Voyelle mais je ressens ça avec ElleNH
ou avec l'Immédiate d'Ophélia
que j'ai vraiment bien apprécié le temps de les découvrir
mais que je ne vais presque plus jamais voir quoique ce soient des textes toujours
aussi bien écrits et aussi évocateurs. J'ai envie d'histoires aussi,
j'ai envie de suivre les évènements de la vie avec ses rebondissements
et ses imprévus, j'ai envie de découvrir ou de ressentir les personnes
à travers leurs coups d'amour et leurs coups de désamour incarnés
dans des personnages bien concrets, avec des situations un peu croustillantes
même pourquoi pas, ça c'est mon côté voyeur un peu malsain
peut-être
Moi je suis dans l'explicite. Peut-être trop.
Peut-être que cela aussi est lassant à la longue que d'offrir la
platitude du réel sans guère de distance, sans licence poétique
et sans non plus ce second degré humoristique comme savent si bien le faire
certains diaristes. Mais c'est comme ça que je suis. Et en tout cas je
ne veux pas cliver mon journal entre une partie publique et une partie qui ne
serait que pour moi, dés lors que c'est écrit et dès lors
que j'ai décidé de faire un journal en ligne, je publie. Peut-être
ne pourrais pas toujours appliquer cette règle mais pour le moment je ne
veux pas en déroger.
Advienne que pourra !
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09/11/03
: Ainelise :
Un rêve délicieux cette
nuit.
Je suis hébergé pour quelques jours dans une famille,
ce sont des gens que je connais depuis peu semble-t-il mais avec lesquels je suis
tout de suite très à l'aise, qui sont en train de devenir des amis.
C'est une famille assez fantasque, artiste. Mon rêve commençait avec
l'histoire de cette famille, un grand fils qui avait eu un objet de très
grand prix (une sculpture réalisée par lui ?) qui y tenait beaucoup
mais qui la vendait néanmoins pour aider son père, lui permettre
de relancer sa propre carrière. Dans mon rêve même je n'assistais
pas à cette vente, c'était plutôt un récit que l'on
me faisait autour de la table du repas et l'on me présentait cela comme
un exemple de l'harmonie merveilleuse de cette famille, du dévouement de
chacun de ses membres pour les autres. Il y avait trois enfants, un jeune adulte,
ce fils dévoué, une très jeune fille et une petite fille.
La jeune fille portait le nom d'Ainelise, oui Ainelise (haine?) pas Anne-Lise,
et ce nom me frappait plus même que sa figure qui reste floue. Dans cette
maison les gens vivaient simplement, sans honte de leur corps, ils se promenaient
nus ou demi-nus sans aucune gêne. J'étais allongé sur mon
lit, un petit lit une place de célibataire, m'apprêtant à
dormir, tandis que la famille continuait à vaquer dans cette grande pièce
commune où j'étais installé. Ainelise, toute nue, s'est installée
sur le lit à côté de moi. Elle était là, simplement,
sans manifester aucune invite sexuelle, assise à côté de moi
puis elle s'est allongée. Il fallait se serrer évidemment dans un
lit si étroit. Je sentais la chaleur de son corps, la douceur de sa peau
d'adolescente. Au bout d'un moment elle a saisi mon sexe avec une grande douceur
mais moi j'ai manifesté un mouvement de recul, je me sentais gêné
par les gens autour de moi, par l'impression aussi d'être à l'extrême
bord de la pédophilie, " tu ne veux pas ? tu sais je suis grande,
j'ai presque dix sept ans
". Tout cela semblait si simple, si naturel,
si facile. " Si, si, lui ai-je répondu, bien sûr que je veux
" Mais la magie première a semblé s'affadir un peu, j'ai senti
s'installer en elle une certaine distance et je me suis dit, regrettant déjà
mon manque d'initiative : " est-ce que je suis en train encore une fois de
laisser passer le coche... "
Et je me suis éveillé là-dessus.
Dans un sentiment de douce euphorie mais avec l'envie de me rendormir, de rattraper
mon rêve, d'en modifier le cours
C'était trop tard. La douce
Ainelise était bien partie !
Et maintenant, en écrivant tout
ceci plusieurs heures après, me revient un souvenir.
Un bien ancien
souvenir.
C'était au temps de mon adolescence militante. Je vivais
en province à l'époque. Nous étions venu à Paris pour
je ne sais quel comité. Il était tard, nous étions tous épuisés
d'une très longue journée, nous étions partis de notre province
dans la nuit précédente pour arriver à Paris tôt le
matin, nous avions assisté à une interminable réunion toute
la journée, dîné avec les camarades et nous remettions cela
le lendemain Je m'étais logé avec trois camarades chez mes parents
qui dormaient déjà lorsque nous sommes arrivés. Il y avait
un couple, moi et une autre fille. Une gamine mignonne, qui me plaisait bien.
Il n'y avait pas tant de lits disponibles et nous nous sommes retrouvés
à coucher dans le même. Je me suis affalé dessus, au bord
même du sommeil mais non toutefois sans quelque pensée attendrie
(avais-je manuvré pour que ce soit cette fille qui vienne dormir
chez moi, ou bien était-ce le pur effet du hasard, de cela je ne me souviens
plus). La fille est sortie de la salle de bains, vêtue seulement d'une petite
culotte, avec ses jolis petits seins nus. Elle s'est allongée sans rien
dire près de moi. Mais le lit était large ! Il aurait fallu tenter
un geste, une parole
L'attendait-elle ? Elle n'a rien manifesté en
tout cas et s'est endormie très vite. Moi, je me suis senti tout réveillé,
j'ai passé l'une de mes pires nuits d'insomnie, taraudé d'envies,
incapable de rien en ado coincé que j'étais. La journée du
lendemain est passée vite. Nous ne sommes pas rentrés dans notre
province dans la même voiture. Elle a quitté la région peu
après et je l'ai totalement perdue de vue. Je ne lui ai jamais parlé
. Je garde de cette nuit un persistant regret.
Il m'est revenu dans cette
Ainelise nocturne
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10/11/03
: Cinémas :
Orgie de cinéma ce week-end.
Modeste orgie, trois films en deux jours... Mais pour moi c'est beaucoup, en général
j'aime avoir le temps de mettre un peu à distance ce que j'ai vu, pour
mieux m'en pénétrer, j'aime laisser un peu de temps avant que de
nouvelles images ne viennent se surimprimer aux précédentes
Un
film vu seul d'abord samedi " Les jours où je n'existe pas ",
c'est un espèce de conte philosophique à propos d'un homme qui,
chaque soir, à minuit, sort de l'existence pour 24h, il ne vit donc que
la moitié du temps commun, pendant lequel le monde et les autres eux continuent
à vivre. Le thème est assez fascinant et traité avec beaucoup
d'habileté, le cinéaste sait faire ressentir de façon très
concrète " l'être au monde " de ce qui entoure son personnage
évanescent, présence très charnelle du personnage féminin,
des gens qui passent, des paysages qui défilent, des objets qui s'entrechoquent.
Mais le propos se dilue à mesure qu'on avance, l'intérêt se
délite peu à peu quand on a compris où l'auteur voulait en
venir, l'ennui gagne, c'est intéressant certes mais ce n'est qu'un conte
philosophique, cela ne crée pas une émotion véritable et
qu'est-ce qu'un film sans émotion
Mais il marque cependant,
il vous place dans une espèce d'ambiance rêveuse favorable à
la méditation. J'étais arrivé en avance au cinéma,
j'en avais profité pour déambuler aussi un peu dans l'après-midi
finissante dans des coins que je connaissais peu, la rue Losserand très
animée, quelques ruelles étonnantes parfaitement campagnardes, les
voies du TGV et au-dessus les hautes constructions du nouveau quartier Montparnasse
vu sous un angle inhabituel
Et bien en sortant, j'ai retrouvé tout
cela, deux heures plus tard, dans une ambiance bien différente, la nuit
complètement tombée, les boutiques vides achevant de fermer, le
square le long du TGV déserté. C'est une expérience classique
évidemment et quasi quotidienne en fait de retrouver la ville, de retrouver
la vie, après s'est enfermé plusieurs heures dans une salle obscure,
en réunion, dans un bureau, mais elle prenait ici un peu plus de relief
rapporté au film dont je sortais. Il m'est revenu aussi le souvenir d'un
moment, il y a quelques années, où pendant plusieurs semaines j'avais
souffert d'un étrange malaise : Je ne pouvais m'empêcher de voir
dans tous ceux que je croisais des disparus en sursis dont j'étais moi
aussi bien sûr. Cela se manifestait surtout dans les transports en commun
: je regardais les gens, avec une espèce d'incrédulité, comme
s'ils étaient des zombies : " Mais comment font-ils pour être
là sans rien dire, sans se révolter, ils font comme si de rien n'était,
ils ne se rendent donc pas compte, ils y sont mais un jour, bientôt, ils
n'y seront plus
". Comment être et accepter l'idée de
n'être pas ? C'était une espèce de panique métaphysique,
cela me faisait vaguement penser à la Nausée de Roquentin
Cela m'a passé heureusement assez vite mais ce film en a pour moi réactualisé
la sensation, quoique de façon bien plus distanciée qu'à
époque.
Les deux autres films je les ai vus avec Constance, je l'avais
sentie disponible, un peu mieux enfin, prête à accepter de prendre
plaisir, donc j'en ai profité pour l'entraîner vers des films un
peu roboratifs. Nous avons vu " Téléboutique " agréable
et sympathique divertissement et puis " Les sentiments ", c'est vraiment
très drôle, j'ai beaucoup ri et elle aussi (quel plaisir de l'entendre
rire !) mais aussi assez cruellement amer. Les acteurs sont excellents, Bacri
avec sa gueule de vieux chien battu comme d'habitude mais tellement plein de vie,
tellement plein d'enfance, Isabelle Carré surtout que je connaissais peu
et que j'ai trouvée extraordinaire, dans ce rôle de petite fille
un peu fofolle, soudain bouleversée d'amour. Elle est belle mais pas exceptionnellement
belle, elle le devient lorsqu'elle s'éclaire de l'intérieur, lorsque
son regard s'illumine sous le coup de son improbable passion. C'est incroyable
ce qu'elle peut faire passer dans un regard, ça c'est la vraie magie du
cinéma, cette présence merveilleuse dans une simple image tremblant
sur l'écran. Mais ce n'est pas pour autant une " réelle présence
". Les lumières rallumées on se retrouve côte à
côte Constance et moi, sans princesse charmante, sans prince charmant et
l'on repart en se tenant gentiment par le bras et avec en nous la tonalité
plus triste de la dernière partie du film. On parle un peu en sortant,
mais de façon objective, détachée, en cinéphiles,
sans toucher à ce qui pourrait faire mal, à nous-mêmes, à
notre histoire de couple vieillissant, sans parler de ce que pourraient être
nos propres aspirations, désirs, fantasmes. Comme d'habitude... Dans la
nuit Constance s'est rapprochée de moi, cela a été tendre
et fort, cela faisait longtemps que ce n'était pas arrivé dans ce
temps de quasi désert du sentiment et de la chair où la vie nous
a désormais conduit.
Et ce matin elle avait de l'énergie,
elle a pu reprendre son travail avec pas mal d'entrain.
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11/11/03
: Parc de Sceaux :
Ces jours fériés ont
du bon tout de même ! Surtout quand il fait un temps somptueux comme aujourd'hui.
Nous
avons pris les vélos et nous sommes allés au Parc de Sceaux par
la Coulée Verte. A vrai dire, surtout au début, elle n'est pas très
verte, mais c'est tout de même un itinéraire vraiment aménagé
pour les vélos, une piste complètement séparée de
la circulation automobile et c'est très agréable même si l'environnement
reste plutôt bétonné. A partir de Fontenay la verdure devient
plus présente, la Coulée Verte commence à mériter
réellement son nom.
Le Parc lui-même est magnifique, avec
ses zones très variées, jardins à la française devant
le château, grandes pièces d'eau dans lesquels se reflètent
des allées de peupliers mordorés, secteurs moins jardinés
de bois et de prairies, les couleurs d'automne partout sont resplendissantes,
on sent qu'elles ne dureront pas, beaucoup de feuilles sont tombées déjà
et c'est un plaisir aussi, à certains endroits, de s'enfoncer dans l'épais
tapis de feuille, de s'amuser à les soulever et à les faire virevolter
avec les pieds, comme on le faisait dans les cours de récré à
l'automne, lorsqu'on était gamins. Il fait frais à l'ombre mais
délicieux au soleil. On s'est installé sur un banc, un de ces beaux
bancs de pierre des parcs de châteaux, le long du Grand Canal, face au soleil
et l'on a pris notre pique-nique. J'avais l'appareil photo, j'ai essayé
d'attraper un peu de ces couleurs, de cette ambiance, de cette douceur. Je sais
bien que c'est comme toujours à peu près voué à l'échec,
juste un pâle reflet de la réalité comme le sont les mots
aussi. Heureusement d'ailleurs, heureusement que le réel est plus puissant,
plus fort que toute les représentations que l'on peut en tenter, même
si cela conduit à colorer aussi le moment que l'on vit d'une petite pointe
de nostalgie puisqu'on sait que le moment passé ne reviendra pas.
Nous
avons traversé ensuite le vieux centre de Sceaux avant de reprendre nos
vélos que nous avions laissés de l'autre côté du Parc,
nous avons pris un café en terrasse, en face de l'église, dans cette
ambiance si provinciale, on se serait cru à mille lieux de Paris.
On
est rentré à la maison assez recrus de fatigue mais on se sentait
bien, on se sent bien.
Constance s'est couchée un livre à
la main et moi je prolonge un peu cette journée en écrivant ces
quelques mots. Je n'irais pas ce soir (même si tout à l'heure j'ai
posté quand même quelques interventions sur le forum de la CEV) me
perdre au fil des diaristes, à la recherche d'improbables découvertes,
je me contente de mon vécu du jour
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15/11/03
: Sisyphe chez les diaristes :
Je me suis encore fait
piéger. Je suis rentré tôt hier, je n'ai pas travaillé
l'après-midi, alors dans la quiétude de la maison vide je me suis
installé devant l'ordinateur avec quelques projets précis, une mise
à jour de ce site, un autre texte qu'il me tient à cur de
rédiger. Mais je suis parti me promener sur le forum de la CEV puis sur
des journaux, mes favoris habituels, puis sur d'autres croisés à
l'occasion puis, en suivant des liens à partir de ceux-ci vers d'autres
encore qui m'étaient tout à fait inconnus, juste pour voir qui lit
quoi (dis-moi ce que tu lis, je te dirais qui tu es), pour ouvrir d'autres portes,
deviner d'autres intimités, faire une belle découverte peut-être.
Et l'heure a tourné, tourné, tourné
Ce monde
des journaux en ligne est un océan sans fond ! Parfois je nage là-dedans
au risque de m'y noyer. J'ouvre des pages à tout va. Certaines sont écrites
de telle façon où je les perçois d'emblée comme à
ce point sans intérêt que je n'ai pas envie d'aller plus loin, je
peux refermer la porte entrouverte sans regret. Mais c'est assez rare finalement.
Dans la plupart des cas, parce qu'il y a de l'humain là-dessous et que
rien de ce qui est humain ne me laisse tout à fait indifférent,
j'aimerais poursuivre. Je suis accroché par les proximités que je
trouve avec moi-même comme par les différences radicales de mode
d'être que je perçois d'autres fois, par une sympathie à priori
lorsque je devine certaines qualités humaines ou certaines valeurs que
j'apprécie mais aussi par une curiosité pour ceux qui m'agacent
ou me hérissent. Alors j'essaie d'aller un peu plus loin, de connaître
un peu plus, de comprendre un peu mieux. Les pages succèdent aux pages,
souvent lues en diagonale donc de façon inconfortable et peu satisfaisante,
les fils que je suis se ramifient à l'excès, je suis embarqué
dans le voyage presque à mon corps défendant. Certains sortent un
peu du lot. Ils pourraient rentrer dans ma liste de diaristes cités mais
jusqu'où aller alors, où s'arrêter ?
Et j'ai fait mieux
(ou pire) que ça. J'ai réouvert ma base de données "Diaristes".
Avant même de commencer ce journal en ligne, lorsque j'ai commencé
à m'intéresser sérieusement au diarisme, il y a un peu plus
de deux ans, je m'étais créé une petite base de données
pour répertorier au fur et à mesure les journaux que je croisais.
Derrière ça il y avait le vague projet de faire peut-être
un jour une étude sérieuse là-dessus, d'écrire un
bouquin, pourquoi pas, ça ce sont mes vieux fantasmes de thésard
rentré
Une base de données, avec la puissance que l'informatique
donne aux recueils d'informations, a quelquechose de fascinant pour des gens facilement
atteint du virus de la collectionnite ou pour des esprits légèrement
obsessionnels comme le mien : Amplifier progressivement sa récolte, constituer
des catégories, les affiner, les regrouper, les croiser, produire des listes,
il y a une jouissance là-dedans, une jouissance un peu mortifère
Le moyen peut devenir la fin, le jeu sur l'objet "base de données"
prendre le pas sur l'objectif pour lequel il avait été créé.
(J'ai connu ça auparavant. J'avais commencé à mettre ma bibliothèque
en fiches, j'ai arrêté heureusement ce projet un peu névrotique
mais non sans mal, une fois qu'on a commencé, on se dit, il faut aller
au bout sinon tout le travail déjà fait l'aura été
en vain). Bref j'ai périodiquement enrichi ma base "Diaristes"
mais de loin en loin, d'autres aspects ont prévalu entre temps, cela s'est
fait à l'occasion de quelques petites poussées de fièvre
d'accumulation et de classification, et bien cela a été le cas hier,
j'ai rajouté pas mal de spécimens à ma collection et surtout
j'ai recommencé à me poser des questions sur la pertinence des champs
que j'avais entrés, sur les regroupements à faire
Aïe,
aïe, aïe, danger !
Un travail de Sisyphe!
Je crois me souvenir
qu'il faut " imaginer Sisyphe heureux ".
Moi je ne le suis pas quand
je me laisse ainsi embarquer. Je n'ai fait que cela de mon après-midi et
de ma soirée, du zapping et du recensement, sans savoir au juste pourquoi
je le faisais, juste en me laissant porter par la dynamique de l'activité
elle-même
Est-ce parce qu'au fond c'est plus passif et plus
facile que de se coller à d'autres activités plus exigeantes, est-ce
une forme de paresse ?
Est-ce parce que j'aime charger la barque pour avoir
l'impression d'être en permanence un peu débordé et pour repousser
à plus tard la réalisation d'autres objectifs qui m'importent plus
en fait mais qui m'effraient peut-être ?
Est-ce pour me centrer sur des
objets qui, en eux-mêmes restent désincarnés (des collections
de mots, l'exploration et la recension que j'en fait) même s'il y a des
personnes derrière, pour éviter de me coltiner aux problèmes
très palpables de ma vie réelle, notamment à ceux liés
à l'affadissement de mon couple et à la sécheresse de mes
relations affectives en général ?
Ce matin j'ai pu écrire
cette page. J'en suis content. Elle m'a permis de remettre en perspective ce à
quoi je me suis laissé entraîner hier, donc elle me permettra peut-être
de mieux me défendre, m'aidera à mettre des limites. Mais en même
temps elle m'a pris du temps évidemment et je n'ai pas plus avancé
mes autres projets. Alors ? Peut-être est-il temps que je fasse un léger
break dans tout ce qui tourne autour du diarisme et qui tend à mordre un
peu trop sur d'autres aspects de ma vie. Peut-être. En même temps
je n'en ai pas envie encore. J'ai envie de continuer à avancer dans tout
cela au contraire, cahin-caha, avec mes contradictions.
Tout à l'heure
on part en week-end à la campagne. Un bol d'air en perspective. Il va pleuvoir
il parait. On fera avec la pluie
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