LES ÉCHOS DE VALCLAIR

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MOIS d'OCTOBRE 2003 (2°quinzaine)

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19/10/03 : Positivons !

Positivons !

En général quand on dit ça c'est que ça ne va pas vraiment. C'est le cas aujourd'hui. J'ai passé un samedi détestable et maintenant au milieu de la nuit je m'éveille et m'installe dans l'insomnie.

C'était un beau samedi pourtant, ciel clair et temps vif. J'ai passé la journée au bord des choses, incapable de me mettre vraiment à rien.

Il faut dire que j'ai plus ou moins la crève, gros rhume, vague état fébrile, ça n'aide pas.

J'ai eu toute la semaine précédente un travail fou qui ne m'a laissé aucun espace pour mon autre vie : prendre le temps, lire, penser, écrire, diariser… La décélération a été trop brutale et je l'ai mal gérée. Ça arrive souvent ce genre de situation, je décompresse mais mal, en me faisant des nœuds dans le cerveau et en me créant des frustrations.

J'ai été au centre commercial, j'avais des achats à faire. J'évite habituellement le samedi après-midi. La foule consommatrice me met mal à l'aise. J'envisageais d'acheter un pantalon et une chemise, je voulais regarder quelques bouquins mais dans ce tourbillon d'acheteurs empressés les questions idiotes reviennent, qu'est-ce que je fous là, est-ce que j'ai vraiment besoin de ces habits, est-ce que je vais lire vraiment ces bouquins qui me font de l'œil et j'ai fini par ressortir de la caverne d'Ali-Baba sans avoir rien acheté tout en me disant que ce n'était que partie remise.

Mon anniversaire approche et n'est pas étranger à ce genre de malaise. Il va y avoir le rituel des cadeaux, je déteste cela de plus en plus, non que je déteste recevoir au contraire mais je déteste recevoir des colifichets, des gadgets, les inévitables bouquins et cd sur lesquels il va falloir s'extasier, dire que c'est génial, que c'est "une très bonne idée". Le malaise de mon anniversaire va plus loin sans doute. Je me sens vieillir. Les années passent comme des flèches. Faut-il fêter cela et surtout le fêter de la façon dont on le fait, non par une petite réunion de quelques amis choisis qui aurait sens mais par ces rassemblements familiaux obligés où l'on se retrouve à vingt, où l'on fête en général trois ou quatre anniversaires en même temps, "c'est l'occasion de se voir tous ensemble" dit-on dans la famille…

On voulait sortir avec Constance dans la soirée. J'ai farfouillé dans Pariscope. Hésitations, pas les mêmes envies, trop d'envies ou peut-être pas assez de vraies envies… bref on n'est pas sorti et hier soir je me suis affalé devant la télévision.

J'ai été chez les diaristes aussi, cela faisait une semaine que je ne m'étais pas même connecté mais j'ai zappé des uns aux autres sans conviction, j'ai zappé aussi sans queue ni tête sur internet bien au-delà de la sphère diariste, incertain de mes envies : que lire? qui lire? jusqu'où lire? aller à la découverte? écrire, faire une entrée dans mon journal, actualiser mon site? rester l'observateur distant ou intervenir, commenter mes lectures, envoyer des courriels, m'intégrer un peu à ce monde diariste?

J'ai remarqué d'ailleurs à ce propos que j'avais été sorti du listing de la Règle du Je, c'est normal au fond puisque le maintien dans ce "club" implique outre la mise à jour du journal une participation aux forums ce que je n'ai jamais fait. J'en ai ressenti pourtant une petite frustration. Ce qui me prouve bien que ma propre démarche reste ambiguë, journal juste pour moi et pour quelques rares lecteurs ou envie d'élargir un minimum mon lectorat, d'exister un tant soit peu dans le monde diariste ? Si c'est cela je ne m'en donne pas les moyens. J'ai du mal à me positionner, je n'arrive pas à trouver la bonne distance.

Le jour se lève maintenant. J'avais dit "positivons", ça n'a pas été vraiment le cas, j'ai plutôt ressassé, tant pis, c'est cela qui est venu.

Mais c'est venu. Ça m'a fait du bien d'écrire, de me retrouver avec une page rédigée dans laquelle j'ai mis un peu de moi, ça m'a fait du bien d'avoir été au bout de quelquechose contrairement à hier, même si ce n'est pas grand-chose et même si c'est d'un intérêt très limité.

Je vais aller chercher les croissants, je vais faire un solide petit déjeuner puis descendre au marché. Et essayer de mettre cette journée qui commence sur de meilleurs rails que la précédente.

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20/10/03 : Insomnie "du plein " :

Il est trois heures et demi du matin. Je m'éveille. Encore une insomnie. C'est quasi quotidien ces temps ci. Des quantités de choses affluent alors dans ma tête, c'est un moment où j'ai envie d'écrire et où, en général, j'y parviens. Décidément si ce n'était déjà pris par l'excellente Lou, je crois que je pourrais rédiger moi aussi mes "insomnies chroniques".

J'ai passé une bonne journée dimanche, quoique légèrement abruti par mon rhume qui persiste. Je n'ai rien fait pourtant de spécialement enrichissant ou passionnant. En plus Constance n'avait pas vraiment la forme (euphémisme), elle s'est traînée toute la journée plus ou moins déprimée et je n'ai pas réussi à l'entraîner dans une quelconque activité à l'extérieur de la maison. Quant à moi je suis sorti pour aller voir cette expo sur les déserts d'Algérie au Jardin des Plantes devant laquelle j'étais passé la semaine dernière. Papa souhaitait aussi voir cette exposition. Nous nous sommes donc donnés rendez-vous devant le bâtiment. Frustration ! L'expo était terminée. Mais nous avons fait une longue promenade à pied à la place. C'était agréable. Il faisait bon, un pâle soleil cherchait à percer dans le ciel un peu brumeux. Nous avons suivi les quais jusqu'au-delà de Notre-Dame, nous sommes remontés jusqu'au Luxembourg par le boulevard St Michel, les jardins de Cluny, la Place de la Sorbonne où nous nous sommes arrêtés un long moment pour écouter un petit orchestre amateur qui jouait pour les passants, c'était un septuor de cordes, quatre violons, deux violoncelles, une contrebasse. C'était assez beau. Nous n'avons pas parlé beaucoup pendant toute cette promenade mais nous n'en avions pas besoin, nous étions bien, simplement, dans le moment.

Au retour à la maison j'ai fait ce que j'avais à faire bien plus efficacement que samedi. Et puis j'ai effectué une nouvelle plongée chez les diaristes, moins erratique que la veille. J'ai lu ceux que je voulais lire sans me laisser trop entraîner aux quatre vents du web. J'ai eu l'impression d'être moins hésitant sur ce que je voulais faire de ma propre participation à ce monde du diarisme. Je crois, au point où j'en suis, qu'il faut m'impliquer un peu plus sans me laisser pour autant envahir. J'ai contacté Ephémérides, ce mémorial des journaux interrompus, pour leur proposer de référencer l'excellent "Secrets partagés", j'ai écrit quelques mails privés, je me suis enregistré sur le forum de la Cev. Je suis très réservé pourtant sur les forums. Sur ceux que j'ai visité, j'ai trouvé une majorité de contributions indigentes sur tout et rien mais il y a aussi quelques contributions intéressantes et argumentées. Et je me trouve mal venu à juger si je ne participe pas un tant soit peu.

C'est mon état d'esprit à l'heure qu'il est. Mais participerais-je vraiment ? en trouverais-je le temps et l'envie ? Au milieu de l'insomnie ma tête est bourrée d'idées à exprimer, à échanger, de projets d'écriture, de projets autour du diarisme, de projets aussi vis-à-vis de l'Association pour l'Autobiographie à laquelle je participe mais de façon pas encore très active. Je suis dans une insomnie "du plein", de celles où je suis tenu éveillé par le bouillonnement des envies et des idées dans ma tête (franchement je les préfère aux insomnies "du vide", cela m'arrive aussi parfois, celle où l'on reste hagard, assommé par le sensation d'immobilité et d'impasse de sa vie). Seulement cela résistera-t-il à l'emprise du matin et du quotidien? Aurais-je l'énergie demain, plus tard? Ce sont mes tendances cyclothymiques, tout feu tout flamme (trop) un jour (une nuit), paralysé, inappétent le lendemain.

Demain, nous verrons bien...

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24/10/03 : Bouffées d'adolescence :

Insomnie encore cette nuit. Mais là je ne me suis pas mis à écrire. J'ai pris un des documents que j'ai en lecture par l'Association pour l'Autobiographie, c'est un texte qui évoque à partir de correspondances conservées par l'auteur la vie d'une jeune femme dans les années qui précèdent 68. Moi j'étais nettement plus jeune, un petit garçon, mais pourtant j'ai pris je ne sais pourquoi ces pages souvent très noires de plein fouet. L'histoire de cette femme, sa déprime, sa façon de vivre le climat intellectuel de l'époque sont assez différentes de ce que j'ai pu vivre moi quelques années plus tard dans mon adolescence post soixante-huitarde mais je me suis senti curieusement atteint. J'ai commencé à lire, je pensais m'endormir dessus au bout de quelques pages, en fait j'ai été tenu en éveil jusqu'à avoir fini. Est-ce simplement parce qu'elle parle depuis ce temps qui était aussi celui de ma jeunesse et que ce temps est passé? Est-ce parce qu'elle raconte la difficulté d'être de l'adolescence avec les attentes démesurées, les emportements, les tentatives dans tous les sens et les claques dans la gueule que la vie se charge de donner? Sans jamais avoir atteint de mêmes fonds de désespoir qu'elle, j'ai connu des durs moments moi aussi mais en lisant sa vie décousue, il me revient aussi ce qu'il y avait de formidablement vivant dans cet âge de ma vie, les climats de fêtes, les picoles, les rencontres multiples et imprévisibles même si tout ça se traduisait souvent par de sales petits matins et par des frustrations plus que par des bonheurs. J'ai l'impression d'en avoir une forme de nostalgie. Plus exactement j'ai un petit pincement à repenser à tout ce qu'il y avait de promesses dans cette vie si ouverte, de promesses que je n'ai pas su saisir, encombré de mes frilosités et de mes blocages, ensuite le temps en a été passé, c'est une autre page qui s'est ouverte, plutôt une belle page d'ailleurs, mais enfin quelquechose était fini dont j'avais mal su profiter. Cela dit c'est le lot commun même si ce n'est pas celui de tous et l'adage un peu sinistre "si jeunesse savait, si vieillesse pouvait" se vérifie sûrement pour beaucoup de gens. Sauf qu'il n'y a aucun sens à regretter. Que le sens c'est de vivre les possibles qui sont encore là et il y en a fort heureusement !

Je me suis quand même rendormi sur le matin. Pour m'éveiller sur un rêve, un sale rêve…. Je ne l'ai pas noté au réveil et m'en souviens peu. Mais ce qu'il en reste est très fort. Nous sommes en voiture, c'est Constance qui conduit, c'est la nuit, nous entrons dans un souterrain urbain, soudain j'aperçois deux piétons ce qui est formellement interdit dans ce genre d'endroit, il se détachent de la paroi du tunnel qu'ils longeaient et se mettent sur la chaussée, je me tourne vers Constance, je constate horrifié qu'il n'y a personne, le siège du conducteur est vide, la voiture file toute seule, je me jette vers le volant et les pédales mais je sais d'avance que c'est trop tard, que l'accident est inévitable. Je m'éveille avant le choc mais dans l'horreur surtout de cette absence…

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24/10/03 bis: Un film pour diaristes :

Comme souvent le vendredi je n'ai pas travaillé cet après-midi. J'ai filé me promener, le temps vraiment y incitait, un beau temps frais et sec, avec un peu de vent, avec un beau soleil qui réchauffait, un de ces temps où Paris ne sent même pas trop la bagnole, où l'on a l'impression de respirer. J'ai été dans le quartier Beaubourg, j'y suis arrivé par Pont Marie, par les rues vivantes de cette partie commerçante du Marais, par les ruelles derrière Saint-Merri, par le bassin de Nikki de Saint Phalle où j'aime toujours à m'arrêter un moment pour observer les formes étranges des fontaines, le ballet des jets d'eau… J'allais au cinéma, j'ai failli renoncer tant je me sentais bien dehors, je me sentais des envies de piéton de Paris. Je suis rentré dans la salle tout de même, j'ai vu "Histoire d'un secret". Je n'ai pas regretté, voilà un film sensible, la quête très émouvante d'une jeune femme à la recherche de sa mère morte, c'est un documentaire, une histoire vraie, les personnes filmées sont les protagonistes réels, leur participation au film fait partie de l'enquête et sans doute de la thérapie, de l'accomplissement enfin, trente ans après, du travail du deuil. La figure de la mère se dessine peu à peu, c'est le cas de le dire, puisque sa fille l'exhume notamment en remettant au jour les toiles que celle-ci, qui était peintre, avait réalisées. Et apparaît peu à peu la réalité effrayante de la cause de sa mort, pesant secret de famille, trop longtemps caché, une histoire pas si ancienne et qui montre tout de même combien les choses ont changé autour et après 68, une histoire donc qui m'a ramené aussi à ma lecture de la nuit. Histoire de mort, histoire de vie, enquête sur une vie, un film en tout cas qui ne peut que nous accrocher, nous les diaristes, nous qui sommes tous plus ou moins collectionneurs de vie, la nôtre et celle des autres.

Je prends quelques jours de vacances. Un week-end très prolongé, jusqu'à mercredi, on part en Normandie avec Constance et Bilbo, dans la maison de famille de mon beau-frère, en bord de mer, c'est pour ça que je me sens bien aussi, cette bouffée d'air marin à venir, un lieu aussi où je n'ai jamais été, un lieu à découvrir.

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27/10/03 : Dans le Cotentin :

D'une des fenêtres de la pièce où j'écris, je vois les bâtiments austères d'une ferme de granit, des champs de gros choux pommelés, à perte de vue, un open-field que ponctue seulement quelques silhouettes d'arbres et de maisons au loin. Par l'autre fenêtre, je vois la cour de la maison où nous sommes, une ancienne ferme transformée, trois bâtiments en longueur, formant avec le mur donnant sur la route un quadrilatère autour d'une cour désormais plantée de gazon. Au-delà j'aperçois le jardin et un pré isolé de l'autre petite route par une haie d'arbres, au-delà je devine des champs de choux encore, des cultures légumières qui filent jusqu'à la mer à deux cent, trois cent mètres d'ici. Tout cela n'est pas très conforme à l'idée que j'ai de la Normandie, le bocage, les pommiers, les vaches dans des près très verts, les maisons à colombages, une certaine joliesse un peu fade. Ici c'est une autre Normandie, plus rude, plus grise, plus austère…

La maison est ancienne et n'a pas encore tout le confort. J'y ai retrouvé certains des charmes particuliers de vacances d'autrefois dans de vieilles demeures où l'on claquait des dents. La salle très chaude où l'on se tient longtemps pour profiter du feu de bois, le contraste qui saisit en montant dans les chambres, la toilette hâtive dans la salle de bains froide malgré le petit radiateur électrique, les draps glacés dans lesquels on se glisse tout contracté, la couette remontée jusqu'au nez sous laquelle on se pelotonne, la chaleur qui se diffuse peu à peu à partir de son propre corps, les jambes que l'on déplie progressivement pour conquérir peu à peu tout le lit, le corps de l'autre, autre pôle de chaleur… Bien sûr ceux qui viennent ici souvent souhaitent, et je les comprends, y trouver un plus grand confort (et cela est pour bientôt, il y a un radiateur, dans son emballage plastique posé contre le mur de chacune des pièces) mais pour quelques nuits j'aime à confronter mon corps à ces sensations un peu rudes et un peu oubliées.

J'avais d'abord été un peu déçu en arrivant ici samedi. L'endroit ne me paraissait pas spécialement beau. J'avais plutôt envie d'une Normandie de carte postale. Mais, comme d'habitude lorsque j'arrive dans un lieu nouveau, j'ai su que j'allais ressentir peu à peu l'esprit du lieu, que j'allais découvrir des richesses qui ne s'aperçoivent pas d'emblée. Et de fait c'est ce qui se passe…

Dès hier nous avons exploré le pays environnant, profitant d'un temps agréable, nuages et grandes trouées de bleu, lumières changeantes… Nous sommes montés à un grand phare proche qui domine toute la région, offrant une vue superbe sur la campagne environnante, moins monotone qu'elle ne m'avait paru d'abord, et sur la mer évidemment. L'après-midi nous avons profité d'une marée très basse pour aller à pied sec sur une île proche, nous nous y sommes promenés, avons visité la tour forteresse qui occupe l'extrémité de l'île, avons de là contemplé le port en face dans le contre-jour, les groupes épars de pêcheurs à pied éparpillés entre les casiers des ostréiculteurs et sur les vastes étendues sableuses dégagées par la marée, la mer, verte, grise ou bleue selon la lumière mais toujours ourlée de son feston d'écume blanche… Aujourd'hui nous avons traversé la campagne à l'intérieur des terres, une campagne vallonnée, bocagée, elle existe ici aussi, et nous sommes rendus à l'autre extrémité de la péninsule. Nous sommes passé devant l'impressionnante et quelque peu effrayante usine de retraitement nucléaire de la Cogema, avec ses fils de fer barbelés et ses clôtures électriques, avec ses énormes bâtiments aveugles. Cet énorme ensemble écrase de sa masse la paisible campagne environnante, avec ses prairies rases, ses murets de pierre et ses haies basses, ses vaches et ses moutons isolés. Nous avons rejoint le cap et nous nous sommes promenés à pied sur cette pointe de terre enserrée de mers, nous avons marché le long de la côte basse et sur les plages puis nous avons grimpé sur les falaises de ce finis terrae …

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29/10/03 : Dépressive :

Il y a un point négatif dans ce séjour dont je n'ai pas parlé jusque là, préférant m'appesantir plutôt sur mes vagues considérations touristico-paysagères moins implicantes. Constance ne va pas bien, pas bien du tout.

Écrire là-dessus ? À quoi ça rime ? Ce n'est pas cela qui fera qu'elle mieux et moi avec puisque inévitablement la situation me pèse. Ce n'est que ressasser du négatif. Et puis-je m'autoriser à parler ainsi d'elle sans qu'elle le sache ? C'est jeter sa douleur en pâture sur le net à son insu. De quel droit ? Modifier les noms, rester dans l'anonymat ne change rien sur le fond, il y a là quelquechose qui est de l'ordre du vol, sinon du viol. Et pourtant je le fais. Parce que je le sens comme ça, parce que j'ai envie d'écrire, de confier au clavier ce qui me pèse, parce que j'y trouve un soulagement, comme une espèce de sas de décompression dont j'ai impérativement besoin ne serait-ce que pour faire face à la situation.

Elle faisait face plus ou moins tous ces derniers temps. Elle n'avait pas retrouvé une vraie joie de vivre mais enfin elle assurait avec des hauts et des bas dans la vie de tous les jours, avec les enfants, à son travail.

Vendredi, la veille de notre départ elle s'est disputée avec une de ces grandes amies, une de ses collègues sur laquelle elle s'appuie beaucoup, trop peut-être. Celle-ci, fatiguée sans doute de ce rôle de confidente et de soutien permanent, lui a dit de façon maladroite et brutale certaines choses, certaines vérités sûrement qu'elle ne pouvait entendre en l'état. Lorsque je suis revenu du cinéma j'ai retrouvé Constance en larmes, totalement décomposée, paralysée de douleur.

Elle ne voulait plus partir chez sa sœur, me disant d'y aller seul avec Bilbo. J'ai insisté évidemment pour l'entraîner avec nous. Samedi matin pas moyen de la faire lever. Nous avons différé notre départ. Ce n'était que : " je ne veux pas y aller, qu'on me laisse en paix, j'emmerde tout le monde, je rends la vie impossible aux gens, vous seriez plus tranquille sans moi, je veux me cacher, je veux dormir, je veux mourir… " répétés à satiété. Je ne me sentais pas de la laisser mais je ne voulais pas non plus renoncer à ce petit voyage en bord de mer dont je me faisais une fête. Finalement elle a fini par se lever et se préparer, comme une zombie en répétant " je viens puisqu'on m'y oblige " et on a réussi à décoller dans l'après midi, on peut imaginer dans quel climat.

Je me sentais mal de sa douleur, mal aussi de la bousculer ainsi, avec l'impression de la violer. Je me demande toujours lorsqu'elle est comme ça si je fais bien de l'entraîner ou si je devrais la laisser. Je me souviens il y a deux ans lorsqu'elle avait traversé une phase du même genre, j'avais été voir son psy pour, entre autre, lui poser cette question et je n'avais eu qu'une réponse de psy, pas décodable facilement comme il se doit mais il me semble qu'en gros cela voulait dire " faites comme vous le sentez " !

Bref on est parti ; Et ici ça ne va pas vraiment mieux. Elle suit le mouvement, vient se promener avec nous mais je sens que ça lui coûte, à aucun moment je ne sens de joie en elle même au mouvement des pas, à la puissance apaisante de la mer, à la beauté des ciels.

Il y a du monde ici, les tablées sont nombreuses, une convivialité obligée est très difficile à vivre lorsqu'on se sent mal. Et de fait Constance a plusieurs fois refusé de venir aux repas, suscitant interrogations et agacements. Hier soir nous devions aller à la crêperie. Au dernier moment elle n'a pas voulu venir, ce que moi je comprenais très bien, mais sa sœur n'a pas supporté " Ça fait trois jours que tu es là et que tu fais la gueule, il y en a marre, on t'invite, on croit te faire plaisir, on se décarcasse pour toi… ". Il y a aussi le regard glaçant de son beau-frère, lui ne dit rien, mais on le sent qui juge avec ses certitudes d'homme sûr de lui, de brillant sujet et de chef d'entreprise sur-occupé, et ce regard fait mal peut-être plus que les mots.

Constance est venue à la crêperie après quelques torrents de larme. Mais elle est restée silencieuse toute la soirée, mangeant du bout des lèvres une unique crêpe, moi j'essayais d'être avec les autres, mais je me forçais moi aussi, je n'avais pas envie d'être là non plus, j'avais mal, si mal, pour elle…

C'est dur, tout ça !

Nous rentrons à Paris, tout à l'heure comme prévu.

Que garderais de ce voyage ? Mes petits bonheurs de découverte décrits hier ? Cette situation douloureuse ?

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31/10/03 : Dur !

Ce n'est pas facile. Constance est toujours complètement abattue. Elle me dit et me répète qu'elle n'aurait pas dû venir là-bas et je la comprends, sans doute a-t-elle raison. J'ai l'impression que la réaction violente de sa sœur va laisser des traces. C'est une pierre de plus pour lui faire mal, après celle jetée par sa copine vendredi dernier.

Est-ce que toutes ces réactions violentes peuvent lui faire du bien à terme, en la mettant devant un des aspects de la réalité, en la faisant réagir comme le croient trop souvent les docteurs tant mieux ? Pour ma part je suis plus circonspect, peut-être suis-je trop interventionniste, peut-être pas assez, je réagis au feeling, un jour comme ci, un jour comme ça. Je sais surtout que je ne sais pas comment faire. Qui peut savoir ? Les psys savent-ils ? J'ai des doutes. Qui peut savoir à quelle profondeur se niche le malheur et donc comment on pourrait lui tordre le cou ?

Ce matin je devais aller au bureau. Je n'y suis pas. J'irais tout à l'heure. Il faudra rattraper le temps perdu. J'ai préféré faire mes mises à jour, recopier sur mon site mes écritures de ces derniers jours. Cela c'est une fuite en avant, un refuge sans doute un peu malsain dans l'écriture mais j'ai l'impression d'en avoir besoin. J'ai vu en plus hier soir qu'il y avait du grain à moudre sur le Forum de la Cev mais je ne sais pas si dans les circonstances actuelles j'ai bien envie d'aller babiller là bas. Il me semble que là, ce serait une fuite en avant dans la fuite en avant, un envahissement de mon temps si je me laissait prendre au jeu.

Constance papillonne tout autour en reniflant, en écoutant sa radio qui m'insupporte, elle s'apprête à prendre son bain dans lequel elle va s'éterniser toute la matinée ce qui a le don de m'énerver mais si elle se sent incapable d'autre chose cela vaut mieux que de pleurer sur son lit. Elle vit sans doute ma présence occupée de mes écritures dont je ne dis rien comme une fuite par rapport à elle et ça l'est aussi certainement mais comment faire autrement, je ne peux pas être constamment dans son malheur.

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