MOIS
d'OCTOBRE 2003 (2°quinzaine)
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19/10/03
: Positivons !
Positivons !
En général quand on dit
ça c'est que ça ne va pas vraiment. C'est le cas aujourd'hui. J'ai
passé un samedi détestable et maintenant au milieu de la nuit je
m'éveille et m'installe dans l'insomnie.
C'était un beau samedi
pourtant, ciel clair et temps vif. J'ai passé la journée au bord
des choses, incapable de me mettre vraiment à rien.
Il faut dire
que j'ai plus ou moins la crève, gros rhume, vague état fébrile,
ça n'aide pas.
J'ai eu toute la semaine précédente
un travail fou qui ne m'a laissé aucun espace pour mon autre vie : prendre
le temps, lire, penser, écrire, diariser
La décélération
a été trop brutale et je l'ai mal gérée. Ça
arrive souvent ce genre de situation, je décompresse mais mal, en me faisant
des nuds dans le cerveau et en me créant des frustrations.
J'ai
été au centre commercial, j'avais des achats à faire. J'évite
habituellement le samedi après-midi. La foule consommatrice me met mal
à l'aise. J'envisageais d'acheter un pantalon et une chemise, je voulais
regarder quelques bouquins mais dans ce tourbillon d'acheteurs empressés
les questions idiotes reviennent, qu'est-ce que je fous là, est-ce que
j'ai vraiment besoin de ces habits, est-ce que je vais lire vraiment ces bouquins
qui me font de l'il et j'ai fini par ressortir de la caverne d'Ali-Baba
sans avoir rien acheté tout en me disant que ce n'était que partie
remise.
Mon anniversaire approche et n'est pas étranger à
ce genre de malaise. Il va y avoir le rituel des cadeaux, je déteste cela
de plus en plus, non que je déteste recevoir au contraire mais je déteste
recevoir des colifichets, des gadgets, les inévitables bouquins et cd sur
lesquels il va falloir s'extasier, dire que c'est génial, que c'est "une
très bonne idée". Le malaise de mon anniversaire va plus loin
sans doute. Je me sens vieillir. Les années passent comme des flèches.
Faut-il fêter cela et surtout le fêter de la façon dont on
le fait, non par une petite réunion de quelques amis choisis qui aurait
sens mais par ces rassemblements familiaux obligés où l'on se retrouve
à vingt, où l'on fête en général trois ou quatre
anniversaires en même temps, "c'est l'occasion de se voir tous ensemble"
dit-on dans la famille
On voulait sortir avec Constance dans la soirée.
J'ai farfouillé dans Pariscope. Hésitations, pas les mêmes
envies, trop d'envies ou peut-être pas assez de vraies envies
bref
on n'est pas sorti et hier soir je me suis affalé devant la télévision.
J'ai
été chez les diaristes aussi, cela faisait une semaine que je ne
m'étais pas même connecté mais j'ai zappé des uns aux
autres sans conviction, j'ai zappé aussi sans queue ni tête sur internet
bien au-delà de la sphère diariste, incertain de mes envies : que
lire? qui lire? jusqu'où lire? aller à la découverte? écrire,
faire une entrée dans mon journal, actualiser mon site? rester l'observateur
distant ou intervenir, commenter mes lectures, envoyer des courriels, m'intégrer
un peu à ce monde diariste?
J'ai remarqué d'ailleurs à
ce propos que j'avais été sorti du listing de la Règle
du Je, c'est normal au fond puisque le maintien dans ce "club" implique
outre la mise à jour du journal une participation aux forums ce que je
n'ai jamais fait. J'en ai ressenti pourtant une petite frustration. Ce qui me
prouve bien que ma propre démarche reste ambiguë, journal juste pour
moi et pour quelques rares lecteurs ou envie d'élargir un minimum mon lectorat,
d'exister un tant soit peu dans le monde diariste ? Si c'est cela je ne m'en donne
pas les moyens. J'ai du mal à me positionner, je n'arrive pas à
trouver la bonne distance.
Le jour se lève maintenant. J'avais dit
"positivons", ça n'a pas été vraiment le cas, j'ai
plutôt ressassé, tant pis, c'est cela qui est venu.
Mais c'est
venu. Ça m'a fait du bien d'écrire, de me retrouver avec une page
rédigée dans laquelle j'ai mis un peu de moi, ça m'a fait
du bien d'avoir été au bout de quelquechose contrairement à
hier, même si ce n'est pas grand-chose et même si c'est d'un intérêt
très limité.
Je vais aller chercher les croissants, je vais
faire un solide petit déjeuner puis descendre au marché. Et essayer
de mettre cette journée qui commence sur de meilleurs rails que la précédente.
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20/10/03 :
Insomnie "du plein " :
Il est trois heures et
demi du matin. Je m'éveille. Encore une insomnie. C'est quasi quotidien
ces temps ci. Des quantités de choses affluent alors dans ma tête,
c'est un moment où j'ai envie d'écrire et où, en général,
j'y parviens. Décidément si ce n'était déjà
pris par l'excellente Lou, je
crois que je pourrais rédiger moi aussi mes "insomnies chroniques".
J'ai
passé une bonne journée dimanche, quoique légèrement
abruti par mon rhume qui persiste. Je n'ai rien fait pourtant de spécialement
enrichissant ou passionnant. En plus Constance n'avait pas vraiment la forme (euphémisme),
elle s'est traînée toute la journée plus ou moins déprimée
et je n'ai pas réussi à l'entraîner dans une quelconque activité
à l'extérieur de la maison. Quant à moi je suis sorti pour
aller voir cette expo sur les déserts d'Algérie au Jardin des Plantes
devant laquelle j'étais passé la
semaine dernière. Papa souhaitait aussi voir cette exposition. Nous
nous sommes donc donnés rendez-vous devant le bâtiment. Frustration
! L'expo était terminée. Mais nous avons fait une longue promenade
à pied à la place. C'était agréable. Il faisait bon,
un pâle soleil cherchait à percer dans le ciel un peu brumeux. Nous
avons suivi les quais jusqu'au-delà de Notre-Dame, nous sommes remontés
jusqu'au Luxembourg par le boulevard St Michel, les jardins de Cluny, la Place
de la Sorbonne où nous nous sommes arrêtés un long moment
pour écouter un petit orchestre amateur qui jouait pour les passants, c'était
un septuor de cordes, quatre violons, deux violoncelles, une contrebasse. C'était
assez beau. Nous n'avons pas parlé beaucoup pendant toute cette promenade
mais nous n'en avions pas besoin, nous étions bien, simplement, dans le
moment.
Au retour à la maison j'ai fait ce que j'avais à faire
bien plus efficacement que samedi. Et puis j'ai effectué une nouvelle plongée
chez les diaristes, moins erratique que la veille. J'ai lu ceux que je voulais
lire sans me laisser trop entraîner aux quatre vents du web. J'ai eu l'impression
d'être moins hésitant sur ce que je voulais faire de ma propre participation
à ce monde du diarisme. Je crois, au point où j'en suis, qu'il faut
m'impliquer un peu plus sans me laisser pour autant envahir. J'ai contacté
Ephémérides, ce mémorial
des journaux interrompus, pour leur proposer de référencer l'excellent
"Secrets partagés",
j'ai écrit quelques mails privés, je me suis enregistré sur
le forum de la Cev. Je suis très réservé pourtant sur les
forums. Sur ceux que j'ai visité, j'ai trouvé une majorité
de contributions indigentes sur tout et rien mais il y a aussi quelques contributions
intéressantes et argumentées. Et je me trouve mal venu à
juger si je ne participe pas un tant soit peu.
C'est mon état d'esprit
à l'heure qu'il est. Mais participerais-je vraiment ? en trouverais-je
le temps et l'envie ? Au milieu de l'insomnie ma tête est bourrée
d'idées à exprimer, à échanger, de projets d'écriture,
de projets autour du diarisme, de projets aussi vis-à-vis de l'Association
pour l'Autobiographie à laquelle je participe mais de façon pas
encore très active. Je suis dans une insomnie "du plein", de
celles où je suis tenu éveillé par le bouillonnement des
envies et des idées dans ma tête (franchement je les préfère
aux insomnies "du vide", cela m'arrive aussi parfois, celle où
l'on reste hagard, assommé par le sensation d'immobilité et d'impasse
de sa vie). Seulement cela résistera-t-il à l'emprise du matin et
du quotidien? Aurais-je l'énergie demain, plus tard? Ce sont mes tendances
cyclothymiques, tout feu tout flamme (trop) un jour (une nuit), paralysé,
inappétent le lendemain.
Demain, nous verrons bien...
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24/10/03
: Bouffées d'adolescence :
Insomnie encore cette
nuit. Mais là je ne me suis pas mis à écrire. J'ai pris un
des documents que j'ai en lecture par l'Association pour l'Autobiographie, c'est
un texte qui évoque à partir de correspondances conservées
par l'auteur la vie d'une jeune femme dans les années qui précèdent
68. Moi j'étais nettement plus jeune, un petit garçon, mais pourtant
j'ai pris je ne sais pourquoi ces pages souvent très noires de plein fouet.
L'histoire de cette femme, sa déprime, sa façon de vivre le climat
intellectuel de l'époque sont assez différentes de ce que j'ai pu
vivre moi quelques années plus tard dans mon adolescence post soixante-huitarde
mais je me suis senti curieusement atteint. J'ai commencé à lire,
je pensais m'endormir dessus au bout de quelques pages, en fait j'ai été
tenu en éveil jusqu'à avoir fini. Est-ce simplement parce qu'elle
parle depuis ce temps qui était aussi celui de ma jeunesse et que ce temps
est passé? Est-ce parce qu'elle raconte la difficulté d'être
de l'adolescence avec les attentes démesurées, les emportements,
les tentatives dans tous les sens et les claques dans la gueule que la vie se
charge de donner? Sans jamais avoir atteint de mêmes fonds de désespoir
qu'elle, j'ai connu des durs moments moi aussi mais en lisant sa vie décousue,
il me revient aussi ce qu'il y avait de formidablement vivant dans cet âge
de ma vie, les climats de fêtes, les picoles, les rencontres multiples et
imprévisibles même si tout ça se traduisait souvent par de
sales petits matins et par des frustrations plus que par des bonheurs. J'ai l'impression
d'en avoir une forme de nostalgie. Plus exactement j'ai un petit pincement à
repenser à tout ce qu'il y avait de promesses dans cette vie si ouverte,
de promesses que je n'ai pas su saisir, encombré de mes frilosités
et de mes blocages, ensuite le temps en a été passé, c'est
une autre page qui s'est ouverte, plutôt une belle page d'ailleurs, mais
enfin quelquechose était fini dont j'avais mal su profiter. Cela dit c'est
le lot commun même si ce n'est pas celui de tous et l'adage un peu sinistre
"si jeunesse savait, si vieillesse pouvait" se vérifie sûrement
pour beaucoup de gens. Sauf qu'il n'y a aucun sens à regretter. Que le
sens c'est de vivre les possibles qui sont encore là et il y en a fort
heureusement !
Je me suis quand même rendormi sur le matin. Pour m'éveiller
sur un rêve, un sale rêve
. Je ne l'ai pas noté au réveil
et m'en souviens peu. Mais ce qu'il en reste est très fort. Nous sommes
en voiture, c'est Constance qui conduit, c'est la nuit, nous entrons dans un souterrain
urbain, soudain j'aperçois deux piétons ce qui est formellement
interdit dans ce genre d'endroit, il se détachent de la paroi du tunnel
qu'ils longeaient et se mettent sur la chaussée, je me tourne vers Constance,
je constate horrifié qu'il n'y a personne, le siège du conducteur
est vide, la voiture file toute seule, je me jette vers le volant et les pédales
mais je sais d'avance que c'est trop tard, que l'accident est inévitable.
Je m'éveille avant le choc mais dans l'horreur surtout de cette absence
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24/10/03
bis: Un film pour diaristes :
Comme souvent le vendredi
je n'ai pas travaillé cet après-midi. J'ai filé me promener,
le temps vraiment y incitait, un beau temps frais et sec, avec un peu de vent,
avec un beau soleil qui réchauffait, un de ces temps où Paris ne
sent même pas trop la bagnole, où l'on a l'impression de respirer.
J'ai été dans le quartier Beaubourg, j'y suis arrivé par
Pont Marie, par les rues vivantes de cette partie commerçante du Marais,
par les ruelles derrière Saint-Merri, par le bassin de Nikki de Saint Phalle
où j'aime toujours à m'arrêter un moment pour observer les
formes étranges des fontaines, le ballet des jets d'eau
J'allais
au cinéma, j'ai failli renoncer tant je me sentais bien dehors, je me sentais
des envies de piéton de Paris. Je suis rentré dans la salle tout
de même, j'ai vu "Histoire d'un secret". Je n'ai pas regretté,
voilà un film sensible, la quête très émouvante d'une
jeune femme à la recherche de sa mère morte, c'est un documentaire,
une histoire vraie, les personnes filmées sont les protagonistes réels,
leur participation au film fait partie de l'enquête et sans doute de la
thérapie, de l'accomplissement enfin, trente ans après, du travail
du deuil. La figure de la mère se dessine peu à peu, c'est le cas
de le dire, puisque sa fille l'exhume notamment en remettant au jour les toiles
que celle-ci, qui était peintre, avait réalisées. Et apparaît
peu à peu la réalité effrayante de la cause de sa mort, pesant
secret de famille, trop longtemps caché, une histoire pas si ancienne et
qui montre tout de même combien les choses ont changé autour et après
68, une histoire donc qui m'a ramené aussi à ma lecture de la nuit.
Histoire de mort, histoire de vie, enquête sur une vie, un film en tout
cas qui ne peut que nous accrocher, nous les diaristes, nous qui sommes tous plus
ou moins collectionneurs de vie, la nôtre et celle des autres.
Je
prends quelques jours de vacances. Un week-end très prolongé, jusqu'à
mercredi, on part en Normandie avec Constance et Bilbo, dans la maison de famille
de mon beau-frère, en bord de mer, c'est pour ça que je me sens
bien aussi, cette bouffée d'air marin à venir, un lieu aussi où
je n'ai jamais été, un lieu à découvrir.
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27/10/03
: Dans le Cotentin :
D'une des fenêtres de
la pièce où j'écris, je vois les bâtiments austères
d'une ferme de granit, des champs de gros choux pommelés, à perte
de vue, un open-field que ponctue seulement quelques silhouettes d'arbres et de
maisons au loin. Par l'autre fenêtre, je vois la cour de la maison où
nous sommes, une ancienne ferme transformée, trois bâtiments en longueur,
formant avec le mur donnant sur la route un quadrilatère autour d'une cour
désormais plantée de gazon. Au-delà j'aperçois le
jardin et un pré isolé de l'autre petite route par une haie d'arbres,
au-delà je devine des champs de choux encore, des cultures légumières
qui filent jusqu'à la mer à deux cent, trois cent mètres
d'ici. Tout cela n'est pas très conforme à l'idée que j'ai
de la Normandie, le bocage, les pommiers, les vaches dans des près très
verts, les maisons à colombages, une certaine joliesse un peu fade. Ici
c'est une autre Normandie, plus rude, plus grise, plus austère
La
maison est ancienne et n'a pas encore tout le confort. J'y ai retrouvé
certains des charmes particuliers de vacances d'autrefois dans de vieilles demeures
où l'on claquait des dents. La salle très chaude où l'on
se tient longtemps pour profiter du feu de bois, le contraste qui saisit en montant
dans les chambres, la toilette hâtive dans la salle de bains froide malgré
le petit radiateur électrique, les draps glacés dans lesquels on
se glisse tout contracté, la couette remontée jusqu'au nez sous
laquelle on se pelotonne, la chaleur qui se diffuse peu à peu à
partir de son propre corps, les jambes que l'on déplie progressivement
pour conquérir peu à peu tout le lit, le corps de l'autre, autre
pôle de chaleur
Bien sûr ceux qui viennent ici souvent souhaitent,
et je les comprends, y trouver un plus grand confort (et cela est pour bientôt,
il y a un radiateur, dans son emballage plastique posé contre le mur de
chacune des pièces) mais pour quelques nuits j'aime à confronter
mon corps à ces sensations un peu rudes et un peu oubliées.
J'avais
d'abord été un peu déçu en arrivant ici samedi. L'endroit
ne me paraissait pas spécialement beau. J'avais plutôt envie d'une
Normandie de carte postale. Mais, comme d'habitude lorsque j'arrive dans un lieu
nouveau, j'ai su que j'allais ressentir peu à peu l'esprit du lieu, que
j'allais découvrir des richesses qui ne s'aperçoivent pas d'emblée.
Et de fait c'est ce qui se passe
Dès hier nous avons exploré
le pays environnant, profitant d'un temps agréable, nuages et grandes trouées
de bleu, lumières changeantes
Nous sommes montés à
un grand phare proche qui domine toute la région, offrant une vue superbe
sur la campagne environnante, moins monotone qu'elle ne m'avait paru d'abord,
et sur la mer évidemment. L'après-midi nous avons profité
d'une marée très basse pour aller à pied sec sur une île
proche, nous nous y sommes promenés, avons visité la tour forteresse
qui occupe l'extrémité de l'île, avons de là contemplé
le port en face dans le contre-jour, les groupes épars de pêcheurs
à pied éparpillés entre les casiers des ostréiculteurs
et sur les vastes étendues sableuses dégagées par la marée,
la mer, verte, grise ou bleue selon la lumière mais toujours ourlée
de son feston d'écume blanche
Aujourd'hui nous avons traversé
la campagne à l'intérieur des terres, une campagne vallonnée,
bocagée, elle existe ici aussi, et nous sommes rendus à l'autre
extrémité de la péninsule. Nous sommes passé devant
l'impressionnante et quelque peu effrayante usine de retraitement nucléaire
de la Cogema, avec ses fils de fer barbelés et ses clôtures électriques,
avec ses énormes bâtiments aveugles. Cet énorme ensemble écrase
de sa masse la paisible campagne environnante, avec ses prairies rases, ses murets
de pierre et ses haies basses, ses vaches et ses moutons isolés. Nous avons
rejoint le cap et nous nous sommes promenés à pied sur cette pointe
de terre enserrée de mers, nous avons marché le long de la côte
basse et sur les plages puis nous avons grimpé sur les falaises de ce finis
terrae
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29/10/03
: Dépressive :
Il y a un point négatif
dans ce séjour dont je n'ai pas parlé jusque là, préférant
m'appesantir plutôt sur mes vagues considérations touristico-paysagères
moins implicantes. Constance ne va pas bien, pas bien du tout.
Écrire
là-dessus ? À quoi ça rime ? Ce n'est pas cela qui fera qu'elle
mieux et moi avec puisque inévitablement la situation me pèse. Ce
n'est que ressasser du négatif. Et puis-je m'autoriser à parler
ainsi d'elle sans qu'elle le sache ? C'est jeter sa douleur en pâture sur
le net à son insu. De quel droit ? Modifier les noms, rester dans l'anonymat
ne change rien sur le fond, il y a là quelquechose qui est de l'ordre du
vol, sinon du viol. Et pourtant je le fais. Parce que je le sens comme ça,
parce que j'ai envie d'écrire, de confier au clavier ce qui me pèse,
parce que j'y trouve un soulagement, comme une espèce de sas de décompression
dont j'ai impérativement besoin ne serait-ce que pour faire face à
la situation.
Elle faisait face plus ou moins tous ces derniers temps. Elle
n'avait pas retrouvé une vraie joie de vivre mais enfin elle assurait avec
des hauts et des bas dans la vie de tous les jours, avec les enfants, à
son travail.
Vendredi, la veille de notre départ elle s'est disputée
avec une de ces grandes amies, une de ses collègues sur laquelle elle s'appuie
beaucoup, trop peut-être. Celle-ci, fatiguée sans doute de ce rôle
de confidente et de soutien permanent, lui a dit de façon maladroite et
brutale certaines choses, certaines vérités sûrement qu'elle
ne pouvait entendre en l'état. Lorsque je suis revenu du cinéma
j'ai retrouvé Constance en larmes, totalement décomposée,
paralysée de douleur.
Elle ne voulait plus partir chez sa sur,
me disant d'y aller seul avec Bilbo. J'ai insisté évidemment pour
l'entraîner avec nous. Samedi matin pas moyen de la faire lever. Nous avons
différé notre départ. Ce n'était que : " je ne
veux pas y aller, qu'on me laisse en paix, j'emmerde tout le monde, je rends la
vie impossible aux gens, vous seriez plus tranquille sans moi, je veux me cacher,
je veux dormir, je veux mourir
" répétés à
satiété. Je ne me sentais pas de la laisser mais je ne voulais pas
non plus renoncer à ce petit voyage en bord de mer dont je me faisais une
fête. Finalement elle a fini par se lever et se préparer, comme une
zombie en répétant " je viens puisqu'on m'y oblige " et
on a réussi à décoller dans l'après midi, on peut
imaginer dans quel climat.
Je me sentais mal de sa douleur, mal aussi de
la bousculer ainsi, avec l'impression de la violer. Je me demande toujours lorsqu'elle
est comme ça si je fais bien de l'entraîner ou si je devrais la laisser.
Je me souviens il y a deux ans lorsqu'elle avait traversé une phase du
même genre, j'avais été voir son psy pour, entre autre, lui
poser cette question et je n'avais eu qu'une réponse de psy, pas décodable
facilement comme il se doit mais il me semble qu'en gros cela voulait dire "
faites comme vous le sentez " !
Bref on est parti ; Et ici ça
ne va pas vraiment mieux. Elle suit le mouvement, vient se promener avec nous
mais je sens que ça lui coûte, à aucun moment je ne sens de
joie en elle même au mouvement des pas, à la puissance apaisante
de la mer, à la beauté des ciels.
Il y a du monde ici, les
tablées sont nombreuses, une convivialité obligée est très
difficile à vivre lorsqu'on se sent mal. Et de fait Constance a plusieurs
fois refusé de venir aux repas, suscitant interrogations et agacements.
Hier soir nous devions aller à la crêperie. Au dernier moment elle
n'a pas voulu venir, ce que moi je comprenais très bien, mais sa sur
n'a pas supporté " Ça fait trois jours que tu es là
et que tu fais la gueule, il y en a marre, on t'invite, on croit te faire plaisir,
on se décarcasse pour toi
". Il y a aussi le regard glaçant
de son beau-frère, lui ne dit rien, mais on le sent qui juge avec ses certitudes
d'homme sûr de lui, de brillant sujet et de chef d'entreprise sur-occupé,
et ce regard fait mal peut-être plus que les mots.
Constance est venue
à la crêperie après quelques torrents de larme. Mais elle
est restée silencieuse toute la soirée, mangeant du bout des lèvres
une unique crêpe, moi j'essayais d'être avec les autres, mais je me
forçais moi aussi, je n'avais pas envie d'être là non plus,
j'avais mal, si mal, pour elle
C'est dur, tout ça !
Nous
rentrons à Paris, tout à l'heure comme prévu.
Que garderais
de ce voyage ? Mes petits bonheurs de découverte décrits hier ?
Cette situation douloureuse ?
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31/10/03
: Dur !
Ce n'est pas facile. Constance est toujours
complètement abattue. Elle me dit et me répète qu'elle n'aurait
pas dû venir là-bas et je la comprends, sans doute a-t-elle raison.
J'ai l'impression que la réaction violente de sa sur va laisser des
traces. C'est une pierre de plus pour lui faire mal, après celle jetée
par sa copine vendredi dernier.
Est-ce que toutes ces réactions
violentes peuvent lui faire du bien à terme, en la mettant devant un des
aspects de la réalité, en la faisant réagir comme le croient
trop souvent les docteurs tant mieux ? Pour ma part je suis plus circonspect,
peut-être suis-je trop interventionniste, peut-être pas assez, je
réagis au feeling, un jour comme ci, un jour comme ça. Je sais surtout
que je ne sais pas comment faire. Qui peut savoir ? Les psys savent-ils ? J'ai
des doutes. Qui peut savoir à quelle profondeur se niche le malheur et
donc comment on pourrait lui tordre le cou ?
Ce matin je devais aller au
bureau. Je n'y suis pas. J'irais tout à l'heure. Il faudra rattraper le
temps perdu. J'ai préféré faire mes mises à jour,
recopier sur mon site mes écritures de ces derniers jours. Cela c'est une
fuite en avant, un refuge sans doute un peu malsain dans l'écriture mais
j'ai l'impression d'en avoir besoin. J'ai vu en plus hier soir qu'il y avait du
grain à moudre sur le Forum de la Cev mais je ne sais pas si dans les circonstances
actuelles j'ai bien envie d'aller babiller là bas. Il me semble que là,
ce serait une fuite en avant dans la fuite en avant, un envahissement de mon temps
si je me laissait prendre au jeu.
Constance papillonne tout autour en reniflant,
en écoutant sa radio qui m'insupporte, elle s'apprête à prendre
son bain dans lequel elle va s'éterniser toute la matinée ce qui
a le don de m'énerver mais si elle se sent incapable d'autre chose cela
vaut mieux que de pleurer sur son lit. Elle vit sans doute ma présence
occupée de mes écritures dont je ne dis rien comme une fuite par
rapport à elle et ça l'est aussi certainement mais comment faire
autrement, je ne peux pas être constamment dans son malheur.
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