20/09/03
: Dispersé :
C'est incroyable la rapidité avec laquelle passent
les jours. J'ai beaucoup de travail au bureau, cela compte évidemment mais
il n'y a pas que ça. Je suis trop dispersé. J'ai mille petites choses
en cours. J'ai le sentiment d'être terriblement dans les matérialités
contraignantes, pas dans le fond des choses. Mes activités sont des bulles
en surface qui bouffent mes jours, rien dont j'ai le sentiment que cela s'inscrive
dans mes besoins profonds, rien qui soit véritablement en harmonie avec
mon centre, mon centre impalpable, évanescent, mon centre introuvable,
peut-être d'ailleurs est-ce là le problème
Ainsi
en est-il même de toutes ces activités autour du diarisme que pourtant
je choisis, qui sont miennes. Je n'ai pas tellement envie d'écrire ou plutôt,
(car sinon ce serait simple), j'aurais envie d'écrire mais je ne sens pas
exactement ce que j'ai à dire, envie de dire, besoin de dire. Je suis plutôt
encore une fois dans l'observation distante, je lis les mises à jour des
uns et des autres, je me promène parmi des sites inconnus, je découvre
et veux découvrir en profitant des derniers temps de la Cev avant qu'elle
ne s'efface, mais je ne sais pas bien où tout cela me mène, il en
résulte le même sentiment d'insatisfaction que lorsqu'on se laisse
aller à zapper devant la télé.
Il fait un temps magnifique
encore ce samedi. Un ciel parfaitement bleu, une chaleur de plein été.
Mais est-ce vraiment du beau temps justement ? Il fait trop beau, trop chaud depuis
trop longtemps, le beau temps peut-être ce serait le vent et la pluie, l'air
brassé et renouvelé, la pollution chassée, la terre abreuvée.
Je ne sais plus qui disait que le seul vrai beau temps c'est le temps qui change.
Mais enfin ce soleil donne des envies de promenade, d'aller marcher dans les parcs,
ou au bois, à défaut d'aller dans la vraie campagne. Envie dans
l'immédiat de laisser l'ordinateur (avec ses sautes d'humeur, mon exaspérante
machine n'est pas encore tout à fait remise !), envie de laisser les diaristes,
envie de laisser mes mots en suspens
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21/09/03
: Après-midi dominicale :
Je me suis installé
dans la cour en revenant du cinéma. En sortant de la salle en milieu d'après-midi
avec toujours ce très beau soleil brillant sur Paris, j'avais eu envie
de me poser à une terrasse de café dans ce nouveau quartier de la
bibliothèque ou bien d'aller déambuler un moment sur les quais de
Seine. Constance, n'en avait pas envie, elle se disait fatiguée, voulait
rentrer. C'était une humeur de mauvais jour, de jour où la déprime
de nouveau pointe son nez. Moi j'aurais voulu rester dehors. Mais j'aurais eu
envie de compagnie, de convivialité, d'être au milieu d'un groupe
d'amis, de discuter de tout et de rien, du film, des gens qui passent, du monde
comme il va ou comme il ne va pas, en dégustant une mousse, en profitant
du soir qui tombe
Je l'ai suivie et suis rentré avec elle mais
en le regrettant un peu.
Maintenant je suis là, j'ai sorti l'ordi
sur la table de la terrasse, j'essaie d'écrire en profitant de la douceur
du soir. Constance elle s'est endormie.
Est-ce que j'écris par envie
véritable ou pour meubler l'après-midi finissante, est-ce que j'écris
par impérieux besoin de dire ou à défaut d'autre chose ?
Au
cinéma hier et aujourd'hui nous avons vu deux films très différents
mais sortis en même temps et qui curieusement reposent sur un même
ressort dramatique, le pieux mensonge, le mensonge par amour. Tous deux sont intéressants
par les contextes qu'ils évoquent : la réunification allemande vue
depuis l'ex RDA pour l'un, la Georgie dans la décomposition post-communiste
pour l'autre. Mais " Good-bye Lénin " n'est qu'un film très
moyen, sans grande originalité dans la façon de filmer, un peu lourd,
dont les effets sont appuyés et souvent trop prévisibles, joué
sans finesse par les acteurs. On ne s'ennuie pas mais on n'est pas emporté
non plus, on reste à distance, c'est un film froid. Au contraire "
Depuis qu'Otar est parti " est un film merveilleux, constamment émouvant
qui en dit bien plus long sur les déchirements, la perte, le deuil, la
volonté malgré tout de vivre. On est moins dans le discours explicite,
beaucoup plus dans la perception sensible. Beaucoup tient, encore et toujours,
dans la façon de jouer des acteurs, des actrices en l'occurrence, dans
l'intensité de leur présence. Elles sont magnifiques, toutes les
trois, par un simple geste, par l'intonation d'une voix, par un simple regard,
pas même appuyé, elles sont là, elles crèvent l'écran,
tout devient parfaitement crédibles et donc elles touchent au cur.
Le film est dur et pourtant on sort de là plutôt rasséréné,
heureux, parce que la vie continue, parce que l'espoir est là, parce que
la jeune fille, on en est convaincu, relancera sa vie, portée, malgré
la distance, par la force extraordinaire et l'amour de son admirable grand-mère.
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25/09/03
: Accueillir les sentiments:
Encore une fois j'ai
connu plusieurs journées d'exaspérants problèmes techniques
avec mon ordinateur. Je n'ai pas réussi à faire ma mise en ligne
l'autre jour, je n'ai pas pu autant que je le voulais visiter les diaristes que
j'ai plaisir à suivre. Il y a des tas de choses que je veux faire, des
améliorations techniques à apporter à mon site, une remise
à jour de ma page de diaristes favoris, des contacts que je voudrais prendre,
des mails à écrire, tout cela prend du retard. Moi qui me sent déjà
très dispersé, ça n'améliore pas ! Il faudrait vraiment
que j'en sorte, je n'ai pas le courage de me lancer dans la réinstallation
complète de mon système ce qui serait sans doute la solution.
Mais
certaines des choses que j'ai lues tout de même tant bien que mal chez les
uns et les autres quand j'ai pu me connecter m'ont ouverts des abîmes de
réflexions.
Ce sont des choses simples pourtant, évidentes
même, mais à côté desquelles on peut passer dix ans,
vingt ans, sans y penser. Ou plutôt on y pense mais on ne s'y arrête
pas, cela ne fait pas tilt en soi.
J'ai lu comment l'Intimiste
est émotivement bouleversé par ce qui lui arrive en ce moment. J'ai
lu comment Azulah,
à peine se sent-elle un peu délaissée par Séko, s'enflamme
pour le lointain Nekme. Deux exemples parmi d'autres
Et je me suis dit :
Ce ne sont pourtant pas de petits diaristes ados ou post-ado, ce sont des "
grandes personnes " comme moi, sans doute à peu près de mon
âge, et eux, malgré leur expérience, malgré leur maturité
et même s'ils ne sont pas dupes d'eux-mêmes, même s'ils mesurent
les complications possibles et les risques pris, ils accueillent leurs sentiments,
ils palpitent, ils s'exaltent, ils s'enflamment
Moi, par contraste,
il me semble que je me ferme à tout, que je me cadenasse, que je me barricade,
je suis un bloc immobile, figé, gelé, comme une coque d'insensibilité
que les émotions, les affects n'atteignent pas.
J'exagère
un peu naturellement, je ne suis pas aussi inhumain que cela. N'empêche
il me semble qu'il y a en moi une dimension atrophiée.
Ce n'est pas
que je rejette volontairement les sentiments, c'est plutôt que je me mets
en situation de ne pas en ressentir. Je peux rêver d'être amoureux
d'une femme lointainement fantasmée, d'une femme qui n'existe pas, je ne
tombe pas amoureux d'une femme concrète, croisée dans mon travail
ou chez des amis. Cela m'avait frappé déjà à quelques
reprises : dans mon travail j'ai eu plusieurs fois à piloter pendant quelques
semaines de charmantes stagiaires, or, alors même que je ma relation avec
Constance était déjà installée dans une routine de
vieux couple, alors même qu'il m'arrivait de fantasmer des rencontres qui
réveilleraient en moi des sensations, des sentiments quasi oubliés,
jamais je n'ai ressenti une attirance, un désir, l'envie d'un rapprochement
avec aucune de ces jeunes femmes. Comme si dès que j'étais en situation
de proximité avec quelqu'un je l'entourais immédiatement de barrières
étanches, la déréalisant, la désexualisant, interdisant
qu'aucun flux de désir puisse circuler entre nous.
Mais je ne m'étais
pas arrêté plus que cela à ce paradoxe. J'avais juste constaté
le fait, l'imputant simplement au hasard, c'était juste que j'avais seulement
croisé un type de personne qui ne pouvait m'attirer, jamais je n'étais
allé jusqu'à me dire: "comment se fait-il que tu ne croises
que des personnes en lesquelles rien ne t'attire, n'est ce pas toi, toi-même,
qui fait en sorte que rien ne puisse émerger parce que tu te protèges
beaucoup trop, parce que tu as quelquepart une peur panique de ce que l'ouverture
de soi aux autres peut impliquer, que cette peur tu ne veux pas même avoir
à la reconnaître, donc tu fais tout pour ne pas même risquer
de la ressentir."
Ces dernières années il n'y a guère
que pour Viviane que j'ai ressenti l'amorce d'un sentiment. C'est calamiteusement
peu. J'ai été relire du coup ce
que j'écrivais ici même à propos de Viviane lorsque je
l'ai revue au début de l'été. Au fond je disais sous une
autre forme à peu près la même chose : " Ma monogamie
au long terme que j'ai voulu croire un choix n'a sans doute été
que l'effet de mes frilosités relationnelles, de ma peur des autres, de
ma peur des corps. " Je suis donc conscient de tout cela depuis longtemps,
peut-être simplement ai-je là perçu à quel point c'était
un processus actif, un processus que je mets moi-même en uvre.
Percevoir
cela ainsi peut-il aider à changer ? J'ai des doutes. Ce mode de fonctionnement
est si profondément, si anciennement inscrit en moi
Ce cur
froid, ce cur qui ne ressent pas assez, ne sévit pas que dans mes
relations amicales ou amoureuses : Je me suis presque étonné du
peu d'émotion vraie que j'ai ressenti au décès de Maman.
Bien sûr j'avais de bonnes raisons (elle s'est éteinte sans souffrir,
elle était déjà si diminuée que ce n'était
plus tout à fait elle, il valait mieux qu'elle parte avant d'atteindre
les extrémités de dégradation qu'induit l'Alzheimer, au final
cela allait être un soulagement pour Papa
) Certes ! Mais tout de
même ne pas sentir du fond de soi monter une vague de détresse, ne
pas sentir les larmes qui montent aux yeux et un sanglot qui s'étouffe
dans la voix! Je m'en suis presque culpabilisé.
Simplement accueillir
ses sentiments ! Se laisser aller à être triste, exalté, enthousiaste,
désespéré, désirant, amoureux
Défaire
les barricades qu'installent la peur et l'intellectualisation à outrance
Accueillir !
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27/09/03
: Sur une jeune morte :
J'ai passé un long moment
hier soir sur le blog de Milou, une jeune diariste décédée
récemment à la suite d'un accident de voiture.
Je pratiquais
peu cette diariste. J'avais ouvert une ou deux fois son blog. J'avais croisé
quelques évocations d'elle chez d'autres au moment notamment du pique-nique
de la RDJ. Ce n'était pas le type de texte qui sont de mes favoris, un
peu difficile à suivre par son écriture très hachée,
et avec, dans sa présentation même, cette contrainte très
désagréable des blogs pour qui ne lit pas chaque entrée puisque
le texte se déroule à rebrousse-temps. Je suis tombé sur
le texte de Cégosum qui
l'évoque et cela m'a donné envie d'aller y voir. Rien de morbide
là-dedans, plutôt une forme d'hommage. Une volonté de connaître
un petit quelquechose d'elle maintenant qu'elle n'est plus, maintenant qu'inévitablement
elle va s'éloigner, s'enfoncer peu à peu dans les profondeurs du
net, s'effacer sans doute
J'ai pris le texte au début, j'ai suivi
ce jeu étrange qu'elle a conduit, se révélant, se masquant
tour à tour, à travers chat et avatars, dans sa vie internautique
plutôt intense comme dans les aléas de sa vie au jour le jour. Je
n'ai pas tout lu évidemment cela aurait été bien trop long
et fastidieux pris ainsi à posteriori. Mais j'ai fait des plongées
de ci de là, essayant de la percevoir au travers des mots.
Apparaît
alors une figure attachante, passionnée, un peu fantasque, qui garde plus
que d'autre une grande part de mystère. Il y a dans sa façon de
fonctionner en utilisant des stratégies tortueuses, des identités
multiples quelquechose qui m'évoque de modernes " Liaisons Dangereuses
", la perversité et le cynisme en moins. Mais c'est aussi sûrement
une façon d'être induite par ce que permet l'internet, l'immédiateté
et la multiplicité des présences, une certaine forme d'ubiquité.
Je est ici et ailleurs, je est celui-ci mais aussi celui-là. Je est plusieurs.
Je me sens très éloigné de ces modes de fonctionnement, c'est
une question de personnalité, mais c'est aussi je pense une question de
génération.
Mais j'ai regardé aussi la photo de Milou.
Dans l'instant une autre part de la personne est donnée. Les textes, aussi
intimes, aussi fouillés soient-ils ne donnent qu'une image floue, lointaine,
la personne reste dans les limbes, sur le rebord du réel. L'image d'un
seul coup rapproche, concrétise, incarne même. Comme le fait une
voix d'ailleurs. Je me souviens, lorsque Lou nous avait offert quelques secondes
de sa voix douce et chaleureuse, de la bouffée de présence que cela
m'avait apporté.
J'ai regardé avec intensité l'image
de Milou, son corps menu, ses traits paisibles, son regard un peu distant et j'ai
ressenti d'elle quelquechose de fragile, de doux, de discret, de retenu. Cela
ne cadre pas tellement avec ce que l'on perçoit à travers les textes.
Encore qu'elle l'avait écrit elle-même : " J'ai l'impression
de donner une image surhumaine de moi dans mon blog, très offensive, agressive.
Alors que je suis on ne peut plus calme et fragile. Il suffit de me regarder,
ça se voit. Un petit oiseau fragile, tombé du nid, pourriez vous
croire qu'il est capable de voler à l'autre bout du monde. "
C'est
cette petite personne à l'allure sage et réservée qui a donné
sans retenue des mots très intimes d'elle, souvent fantasques et parfois
douloureux, c'est elle qui a mis en uvre des stratégies farfelues
et joué d'étranges ballets d'approche et de retrait avec l'élu
de son cur !
Quel kaléidoscope qu'une personne !
Quel mystère
qu'une personne !
Elle n'est plus. C'est affreusement banal. C'est triste.
C'est la vie.
Quelques toutes petites facettes d'elle ont brièvement
existé à mes yeux.
Je souhaite du courage à ceux qui l'ont
connue " en vrai ".
Voilà, Milou, j'ai passé quelques
moments avec toi, in memoriam.
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