LES ÉCHOS DE VALCLAIR

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MOIS d'AOUT 2004 (1° quinzaine)

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02/08/04 : Rêve envolé :

Le rêve de cette nuit il me semble était de riche matière. Je me suis réveillé tard après une mauvaise nuit, causée cette fois non par les soucis virevoltants dans ma tête mais par de virevoltants et agressifs moustiques. A tout prendre je préfère cette cause d’insomnie, encore que dès qu’elle est installée, les idées mauvaises tendent aussi à revenir, en complément des démangeaisons…

Toujours est-il que je me suis rendormi sur le matin, d’un de ces sommeils de l’aube, à la fois lourd et haché, pas très paisible mais propice aux rêves. J’ai eu l’impression à mon réveil d’en être tout submergé. Parce qu’il était tard, je me suis levé précipitamment et j’ai commencé à vaquer aux préparatifs du petit déjeuner sans chercher à les retenir. Les images sont parties et même la substance des séquences. Il ne me reste que des thèmes, pas les détails, pas la façon dont ils s’articulaient. J’étais ramené loin en arrière dans mes temps militants, ou plutôt c’était des personnes de l’époque militante qui revenaient vers moi, me proposaient de retravailler avec eux, il s’agissait de présenter le point de vue de l’organisation sur certaines questions dans des regroupements politiques plus larges, j’acceptais d’emblée mais je réalisais à mesure qu’approchait le jour de l’intervention que, même si j’étais flatté et prenais pour une marque de confiance d’être ainsi sollicité, je n’avais pas les éléments pour faire cette intervention, je ne savais pas comment avait évolué la position politique de l’organisation, je n’étais pas sûr d’être d’accord ou plutôt j’étais convaincu de ne plus être d’accord mais sans oser même me l’avouer à moi-même. Alors je tergiversais, je cherchais des justificatifs pour ne plus intervenir sur un terrain aussi politique, je proposais de les aider mais pas sur le terrain de l’explication de la ligne, je voulais les aider ailleurs, différemment en m’appuyant sur ce que je savais faire maintenant. Ce que c’était, je ne sais plus et c’est là la frustration du rêve perdu. Je développais il me semble toute une construction mentale sophistiquée, il était question d’horizontalité et de verticalité, eux étaient dans la verticalité, moi je pouvais apporter quelquechose de l’ordre de l’horizontalité, mais qu’étaient-ce exactement que cette verticalité et cette horizontalité, à quoi cela renvoyait-il, il me semble que c’était clair dans le rêve, tout ça en tout cas me semblait très cohérent, avait une espèce d’évidence lumineuse encore bien présente au réveil et dont j’aurais bien aimé pouvoir accrocher jusqu’ici quelques bribes…

En tout cas, action, militantisme, participation à la vie collective, il y a là des choses qui reviennent dans mes rêves ces derniers temps. Après tout le « rêve Sarko », était aussi là-dessus. Comme si, alors que mon présent est marqué d’interrogations essentiellement narcissiques, les rêves exprimaient ma mauvaise conscience d’en être rendu là, ma nostalgie d’un autre temps de ma vie.

A propos de narcissisme et d’une façon parfaitement vaine de tenter de mettre le temps dans son jeu il y en a qui font fort : Roman Opalka un artiste conceptuel qui a son portrait dans le Monde de ce jour, peint depuis quarante ans la suite de chiffres (depuis 1 il est aujourd'hui rendu à 5486028, enfin un peu plus, il a dû progresser encore de quelques unités depuis la rédaction de l’article !) et réalise en contrepoint un autoportrait photographique quotidien, toujours dans la même pose frontale, dans les mêmes conditions de lumière, afin de suivre au jour le jour les traces du passage du temps sur son visage, construisant ainsi une série gigantesque, une œuvre fleuve pour laquelle dit-il « j’ai engagé la mort, cette conne, pour avoir une définition de l’achèvement d’une œuvre ». Ça m’amuse de voir qu’il y en a qui sont suffisamment givrés et qui ont suffisamment de constance et de stabilité dans leur névrose pour en faire leur vie et leur œuvre !

Mettre le temps dans son jeu, cela fait écho à des préoccupations présentes dans la « Règle du jeu », je pense d’ailleurs que c’est pour cela que j’ai été arrêté par l’article sur cet obscur plasticien. Mais les réponses de Leiris sont autrement plus émouvantes et riches que le rite monomaniaque d’Opalka.

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04/08/04 : Adolescente :

L’autre jour nous avons été à la Pointe du Raz avec Taupin et Taupine. Ce fut un très agréable moment partagé. Il y avait une foule un peu envahissante comme toujours dans ce genre de lieu, mais nous avons marché sur les rochers jusqu’à la pointe ultime, là où le gros des visiteurs ne s’aventure pas, la mer était particulièrement calme, le ciel changeant avec des alternances de belles lumières et de moments où la brume brusquement tombée mais rapidement relevée venait chapeauter les rochers, nous plongeant dans une toute autre ambiance. Nous avons été pique-niquer ensuite dans une prairie sur la Pointe du Van, avec une vue superbe sur la Pointe du Raz désormais tout à fait dégagée, sur les îlots qui la prolongent et sur l’île de Sein. Puis nous sommes allés nous poser un moment sur la plage de la Baie des Trépassés où nous avons profités de l’explosion sur nos corps de la houle (très modeste ce jour là cependant) venue de la haute mer et de la douceur du sable tiède.

Près de nous il y avait un couple de hollandais de haute stature et d’une blondeur presque agressive avec deux filles à la peau brune, manifestement adoptées, originaire sans doute d’Asie du Sud. L’une était une enfant, l’autre déjà une adolescente. Au moment de partir les deux filles ont retiré leurs maillots mouillés. Je les ai regardé faire sans émotion particulière, frappé cependant par ce que redonnait d’enfance à la plus grande d’entre elles cette innocence à être nue alors que sous son maillot je la jugeais déjà grande adolescente. Mon œil s’est attardé sans avoir l’air d’y toucher sur sa jeune poitrine déjà bien formée, sur son sexe encore glabre.

Et cette nuit j’ai fait ce rêve : J’étais au bord d’une piscine. Une jeune fille faisait un léger malaise dans l’eau. Mais elle reprenait vite ses esprits. Elle se plaignait d’avoir froid, je l’enveloppais dans un grand peignoir blanc qui faisait contraste avec le teint très mat de sa peau, comme elle avait toujours froid je la serrais contre moi, nous ne parlions pas la même langue, je ne comprenais aucun de ses mots pris isolément mais comprenais très bien le sens de ses phrases. J’entrouvrais le peignoir sous lequel je la trouvais nue, je glissais ma main entre ses cuisses, sur son sexe qui était encore celui d’une enfant. Je me demandais si je pouvais aller plus loin, elle me disait qu’elle ne savait pas trop si nous pouvions mais qu’elle en avait envie, que peut-être il faudrait se revoir, j’écartais ma main, nous nous relevions, marchions ensemble un moment en nous tenant la main puis nous nous séparions, nous nous éloignions l’un de l’autre et je m’éveillais non avec la sensation de sortir d’un rêve sexuel mais avec une impression de grande douceur.

Je n’ai pas du tout pensé d’abord à ma vision de l’avant-veille qui m’était tout à fait sortie de l’esprit. Elle ne m’est revenue que plus tard et curieusement non pas à cause d’une quelconque impression de ressemblance physique entre la fille aperçue et la fille de mon rêve mais simplement parce qu’elles parlaient toutes deux une langue inhabituelle et incompréhensible.

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05/08/04 : Crimes :

Je ne sais si c’est la période estivale qui veut ça, soit qu’il y ait plus d’affaires de ce genre, soit que les journaux en soient par défaut d’autre chose plus rempli mais l’été est le temps des faits divers. Peut-être est-ce aussi que je suis plus à l’écoute, parce que je prends le temps de m’interroger sur ce qu’ils disent de la société et des hommes, parce que j’ai le temps de laisser mon imagination vagabonder autour des figures humaines étranges ou monstrueuses qui en sont les protagonistes et de m’en construire ce qui pourrait être des romans.

Il y a eu l’histoire de cette pauvre petite mythomane qui a secoué la République avec son agression antisémite simulée.

Il y a ces histoires d’enfants qui rencontrent l’ogre, croisements tout à fait aléatoire où soudain s’inscrit un destin tragique, ces petites filles martyres violées et tuées par un assassin errant, ce gamin qui se promène paisiblement avec sa copine et croise un fou, sans âge, sans lieu, sans nom et sans mémoire qui l’assassine à coup de hachette.

Il y a ces jeunes femmes retrouvées dans un canal au même endroit à deux jours d’intervalle et protagonistes semble-t-il de scénarios sado-masochistes qui ont mal tournés.

Il y a, plus monstrueuse encore, l’histoire de ce Michel Fourniret, un Barbe-Bleue qui, au vu de sa photo, n’en avait pas du tout l’apparence, un tueur en série assassin de vierges, au langage châtié, qui semble ou qui joue à sembler totalement inconscient de la monstruosité de ses agissements, comme s’il s’était agi de comportements anodins, d’un jeu dans un monde où la vie humaine n’a aucun prix, où autrui à la limite n’existe pas. Il a pu vivre paisiblement des années durant après un premier séjour en prison, il a pu acheter des propriétés ici et là grâce à un trésor, reste du butin d’une célèbre bande de braqueurs, récupéré de façon rocambolesque et vivre comme un petit notable de province, aidé dans ses crimes par sa propre épouse rencontré par les petites annonces du Pèlerin magazine ! J’imagine d’ailleurs qu’une pareille histoire suscitera de la copie et qu’avant peu de mois, il y aura des livres sur un tel criminel hors du commun. Mais sans doute y aurait-il à faire à partir de là autre chose que les documents racoleurs qui ont toute chance d’être produits dans l’urgence du moment où ça fait vendre.

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06/08/04 : Avant le départ :

Moments précieux. Tout à l'heure, sur cette partie de plage quasi vide parce qu’il faut marcher ou pédaler pour l’atteindre et parce que l’après-midi touchait à sa fin, j’ai profité d’une longue baignade solitaire dans une eau chaque jour moins froide, j’ai eu envie de me mettre nu dès que j’ai été dans l’eau, j’ai nagé un long moment et fait la planche face au soleil déclinant tenant ridiculement mon maillot à la main mais heureux de me sentir entièrement offert aux éléments. Puis je me suis allongé sur le sable tiède dans cette petite bande de plage encore au soleil qui se réduisait sans cesse entre l’ombre des grands sapins qui couronnent la dune et l’avancée de la mer poussée par la marée montante. Je suis senti bien, capable de laisser filer le temps sans regarder ma montre et sans penser à l’heure qui allait suivre, je suis parti au dernier moment quand l’ombre a été tout à fait là et que j’ai commencé à avoir froid. Ensuite, après le dîner, Constance, Bilbo et moi avons été marcher un peu, douceur de la nuit, exhalaisons des odeurs, calme parfait de la mer que nous avons longé un moment, marchant pieds nus sur le sable de la plage…

Ces moments sans doute étaient colorés d’une pointe de regret et de douce nostalgie car demain nous partons. Nous arrivons au terme de cette partie de nos vacances, demain nous quittons la Bretagne et descendons passer quelques jours à Noirmoutier auprès de la maman de Constance. C’est cela qui m’a donné je suis sûr ce retour de tendresse pour cet endroit où pourtant cette année je ne me suis pas souvent senti très bien. Ressentir le plus fortement l’envie d’être ici juste au moment où l’on va cesser d’y être, cela aussi fait écho à des phrases lues chez Leiris !

Cette dernière semaine a été de loin toutefois la plus sereine. J’ai su me laisser vivre. Je me suis apaisé sans doute parce que j’ai renoncé. Mon envie d’écriture et l’incapacité à m’y mettre avait été, parmi bien d’autres, un des facteurs, à la fois cause et symptôme de mon malaise dans les premiers jours ici. J’ai laissé faire, j’ai laissé aller, ce sera pour plus tard ou plus vraisemblablement ce ne sera pas. Alors les jours ont coulé plus simplement, plus paisiblement, offrant ce qu’ils pouvaient avoir à offrir, promenades tranquilles, lectures paisibles, farniente sur la plage. Sans doute m’étais-je mis dans la tête que puisque je ne passais pas des vacances très actives ou de découvertes, au moins j’en profiterais pour « travailler » pour moi, c'est-à-dire entre autre pour écrire, pour réaliser certaines de ces choses dont j’ai l’idée à Paris mais que je n’ai pas le temps ou surtout pas la disponibilité psychologique de faire là-bas.

Mes insomnies, mes gênes et mes douleurs physiques cependant n’ont pas totalement disparues, elles vont et viennent, parfois elles se font terriblement insistantes au point de susciter de nouveau en moi la crainte de la maladie grave. J’ai une certaine tendance hypocondriaque que j’ai appris à maîtriser au fil des ans, quasiment depuis l’adolescence j’ai été de temps en temps envahi de douleurs insistantes, parfois focalisées de façon obsédante sur un point précis et qui se sont chaque fois révélées à l’examen médical sans support organique réel. Du coup j’ai appris à vivre avec des douleurs passagères et très variées, à les mettre sur le compte de la tension nerveuse ou psychologique, à ne pas trop les écouter et à les laisser passer comme elles sont venues.

Mais je me suis souvenu que ce sont justement des troubles du même type que j’avais ressenti l’an dernier à la même période et ici même. Du coup j’ai été relire ce que j’écrivais il y a un an. J’ai été surpris de retrouver en fait bien des similitudes entre mon vécu d’alors et celui de cette année. Pourtant j’aurais juré que mes vacances ici avaient été l’an dernier bien plus « heureuses », bien plus apaisantes et bénéfiques !

D’où je tire deux conclusions.

L’une plutôt générale qui est que l’image que je donne de moi à travers mon écriture insiste plus sur les moments les plus pénibles que je vis, sur les côtés les plus sombres de ma personnalité. D’une journée banale vécue, cahin-caha, ni mal, ni bien, je ne dirais rien. J’écris pour tenter de retenir quelques beaux moments mais surtout pour m’ausculter, dans un mélange de masochisme et d’effort pour dénouer et apaiser la difficulté lorsque ça ne va pas bien. Ce qui transparaît c’est donc, à part quelques moments d’exaltation sensible ou intellectuelle, la ligne de fond grise sous-jacente de ma vie. Mais ce n’est pas ma vie elle-même, dans son quotidien plus prosaïque faite de tout ce qui vient, balisée par les habitudes, ressentie avec tantôt plutôt du plaisir, tantôt plutôt du déplaisir, mais sans grande douleur ni grand enthousiasme. Au total finalement, l’un dans l’autre, je me supporte et je m’assume. Ceux qui me connaissent, sauf Constance sans doute, n’imaginent pas je pense cette ligne grise chez quelqu'un qui en société est bon compagnon, plutôt gai et bon vivant, capable d’être drôle.

L’autre conclusion est tout à fait spécifique. Je ne dois plus faire le même usage de ce lieu. Sa magie, qui a effectivement fonctionné bien des années, me faisant me sentir mieux dès mon arrivée ici, dès mes premières marches sur la plage a cessé d’agir. Un cycle est clos sans doute pour ce lieu, celui de la découverte et celui de l’enthousiasme, celui aussi des enfants plus jeunes pour lesquels le bord de mer est le lieu de toutes les joies. Sans le rejeter pour autant peut-être dois-je le mettre à distance, ne plus en faire le lieu recours qui se révèle incapable ensuite de répondre aux attentes trop grandes que j’ai gardé à son sujet. Je me serais relu avant que nous décidions de nos vacances, peut-être aurais-je été plus actif pour que nous fassions autre chose cet été quitte à terminer ici après un voyage, comme nous l’avions fait avec bonheur après notre grand périple en Californie.

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10/08/04 : Farniente :

Flemme ! Flemme somptueuse ! Je profite d’une sieste qui s’éternise. Je suis allongé sur le matelas de jardin, posé à même l’herbe, à l’ombre douce du feuillage d’un des arbres du jardin, il fait bon, chaud mais avec un souffle d’air, j’ai mon livre devant moi, mon petit cahier sur lequel je note telle ou telle formule qui me retient, je me suis endormi tout à l'heure puis réveillé puis rendormi encore, Leiris quoique très intéressant et superbement écrit, peut aussi dans certaines de ses pages devenir redoutablement soporifique ! Je me laisse aller à la somnolence lorsqu’elle vient, je suis bien, l’ambiance autour est à l’unisson, certains comme moi se reposent, d’autres vaquent aux occupations de la maison, mais dans la lenteur et la tranquillité.

Farniente délectable ! Il faudrait pouvoir le poursuivre sans restriction, jusqu’au bout de l’envie, pour cela il faudrait que le temps ne soit pas borné, qu’il n’y ait aucun désagrément à laisser l’après-midi basculer dans le soir et le nuit sans s’être mis en mouvement, il faudrait qu’on puisse toujours tout remettre à demain, telle promenade au long des chemins, telle baignade sous le ciel et à l’heure qui convient, tel livre à lire, telle page à écrire…

Finalement ce farniente n’en est pas tout à fait un, ces mots en sont la preuve, qui eux-mêmes ont pris le relais de la lecture, il s’agit plutôt d’un tempo harmonieux entre des envies qui se succèdent sans empiéter les unes sur les autres, qui ne se bousculent pas, qui ne se font pas la guerre…

Il faut dire que le cadre dans lequel je suis aide sûrement à cette harmonie. Nous sommes arrivés hier dans la maison qu’a loué la maman de Constance avec deux oncles et tantes, ici je suis un invité, je ne suis en charge de rien, je n’ai pas à me préoccuper de l’organisation des journées, des menus à concocter et des courses qui vont avec. Donner un coup de main à la pluche ou acheter en passant au bourg une bonne bouteille de vin et un gâteau comme je l’ai fait tout à l'heure, cela se fait sans penser et sans contraintes. En un mot je me sens enfin tout à fait en vacances.

Comme je me suis senti en vacances aussi, quoique sous une forme un peu différente, pendant les deux jours de voyage et de découverte que nous avons effectué en venant ici. Nous avons quitté la Bretagne avec Bilbo, laissant derrière nous Taupin qui partira d’ici quelques jours avec son amie vers d’autres horizons vacanciers, nous avons posé pendant deux nuits notre nouvelle tente que nous inaugurions pour l’occasion dans un camping en Brière, nous avons sillonné la région en vélo, nous avons ramé dans les marais, nous avons été observer les oiseaux à la nuit tombante dans les canaux derrière le camping, nous nous sommes dorlotés de petits restaurants en petits restaurants.

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12/08/04 : Photo numérique :

Nuit et journée agitées de moments tempétueux, de violents orages mais éclairées aussi de quelques somptueuses éclaircies qui se sont renforcées vers le soir. Journée d’hésitation, de va et vient à l’égal du temps météorologique sur nos têtes.

Nous hésitions à remonter à Paris demain. J’en ai eu envie en pensant à tout ce que je souhaite faire avant notre petit saut dans les Alpes et avant la reprise du boulot. Mais finalement ce sera samedi ou même dimanche matin, par la facilité qu’il y a à laisser couler les jours ici plus que pour tout autre chose, par flemme de me mettre en route aussi et parce que Constance elle ne se sent nullement pressée de retrouver la ville.

Nous hésitions dans nos sorties du jour, finalement nous sommes sortis entre deux coups de vent ce matin, plus longuement cet après-midi. J’ai mis le nez dans des lectures diverses.

J’ai passé beaucoup de temps aussi entre hier et aujourd'hui dans mes photos numériques, c’est mon nouveau petit joujou, j’ai classé, j’ai éliminé, j’ai modifié, là aussi hésitant beaucoup, ne sachant pas ce que je choisis de faire imprimer, ce que je garde sans imprimer, ce que j’élimine, ce que je recadre ou modifie. Le numérique est riche de possibilités mais il induit des comportements différents de la photo classique qu’il faut apprendre à maîtriser. La photo numérique n’est ni mieux, ni moins bien que la photo traditionnelle, c’est autre chose, les deux techniques conduisent à produire des images et nécessitent d’avoir l’œil attentif et gourmand mais en dehors de cela elles diffèrent largement. J’essaie de trouver le bon usage du numérique, j’avance par essais-erreurs, je fais cela, comme toute découverte ou apprentissage nouveau avec beaucoup de plaisir mais non sans aussi une certaine gêne.

Il est tellement facile de déclencher l’appareil, cela porte si peu à conséquence puisque ensuite il suffit d’éliminer, on ne gâche jamais rien, on ne « bouffe pas de la pellicule », on peut donc facilement être porté à l’inflation des images. On n’a plus ce minuscule temps de latence, celui dans lequel l’œil et la tête travaillent, celui où l’on juge parfois même inconsciemment si l’image en vaudra la peine. Le choix se fait à posteriori plutôt qu’à priori. D’où peut venir, encore plus facilement qu’avec la photo traditionnelle, un comportement de pur consommateur, on accumule les images, on se laisse envahir comme on se laisse envahir de musiques, de livres, de tout, on accorde un coup d’œil puis l’on zappe, on stocke et on oublie.

Une photo classique déjà n’est qu’un pâle substitut du réel. On ne s’immerge pas dans une photo comme dans un paysage. Mais au moins possède-t-elle une base matérielle évidente dès l’instant où elle est prise, elle est une trace sur le négatif. Elle pourra être transformée certes, selon les conditions du développement, modifiée même par des « trucages » à posteriori (les bureaucrates soviétiques n’ont pas eu à attendre le numérique pour réécrire l’histoire à coup de photos trafiquées et ce n’est pas pour rien qu’une photo n’est pas une preuve juridique) mais tout de même à partir de la réalité tangible de la pellicule.

L’évanescence de la photo numérique elle se donne d’emblée, par la facilité qu’il y a à l’effacer sans laisser de trace, par la façon même dont elle apparaît selon la distance et l’angle de vue que l’on porte sur l’écran d’ordinateur où on la fait défiler, par le traitement immédiat que l’on peut lui faire subir en la recadrant, en modifiant sa colorisation, sa luminosité, ses contrastes sans même parler des traitements plus sophistiqués qu’on peut effectuer avec les logiciels graphiques. Encore moins que dans la photo traditionnelle il n’y a la « vraie » photo. Elle n’existe pour ainsi dire pas tant qu’elle n’est pas fixée sur le papier.

On fait avec le numérique un pas de plus dans la virtualité, et, si l’on n’y prend garde, on court le risque, d’être encore un peu plus happé par ce virtuel aux dépens des « réelles présences ».

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13/08/04 : Rêve encore :

C’est au bord de la mer mais ce n’est pas une plage, c’est la campagne plutôt, c’est une prairie. Je suis allongé dans l’herbe. Constance est près de moi. Un peu plus loin il y a un groupe de trois hommes assis qui discutent, je sais, sans savoir comment je le sais car rien ne le laisse deviner dans leur comportement, que ce sont trois homosexuels et qu’ils sont amants.
Constance se glisse contre moi et me caresse, elle se met sur moi, elle se frotte contre moi par derrière et me titille de ses mains. Nous croyions être relativement discrets mais les trois hommes nous ont repérés, ils ont suspendus leur conversation et nous regardent.
Je dis à Constance que ça ne fait rien, je lui demande de continuer, mon excitation croit, nos souffles s’accélèrent, je sens que je vais me répandre, je voudrais la prendre et il va être trop tard mais nous nous retournons cependant et je la pénètre avec une grande jouissance.

Mais son souffle est régulier, c’est à peine si nous nous frôlons du pied et je me rends compte que ma belle vigueur s’est gaspillée sur un bout de drap entre mes cuisses.

Je m’en sens tout déçu. Je croyais bien être en train de faire l’amour avec Constance mais non, ce n’était qu’un rêve. Mais c’était un rêve avec elle, or il est rare que ce soit elle (ou une autre personne de ma connaissance d’ailleurs) qui vienne me visiter dans ce genre de rêves, mes rencontres oniriques sont plutôt des créatures que je ne rattache à personne de connu.

Hier sur la plage, j’ai vu arriver une belle fille avec deux hommes, et m’a traversé fugitivement l’impression que ces trois là sortaient juste de faire l’amour ensemble, il n’y avait pourtant entre eux aucun geste qui pouvait le laisser penser mais j’ai ressenti cela comme une évidence à une chaleur toute particulière dans leur regard, à une espèce d’aura sensuelle très forte qu’ils dégageaient, peut-être n’est-ce qu’un fantasme mais il devait bien y avoir quelquechose pour que l’idée m’en soit venue avec autant d’immédiateté et de force. Le soir à table il y a eu une discussion autour du mariage homosexuel pleine d’opinions homophobes, j’ai préféré laisser dire mais j’ai ressenti un certain malaise à me taire. J’ai repensé à mon réveil à ces deux sentiments passagers de la veille que j’aurai sans cela oubliés, sans doute ont-ils contribués à l’alchimie de mon rêve.

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14/08/04 : Leiris, la suite :

J’ai est terminé avec « La Règle du Jeu » pour le moment, je suis arrivé au bout mais je me suis lassé sur la fin, j’ai zappé quelques passages et je n’ai pas l’intention de reprendre le début pour l’instant. Mais j’y reviendrai j’en suis sûr.

J’ai pris pas mal de notes au fil des pages non par pathologie d’étudiant attardé mais tout simplement parce que j’ai plaisir ensuite à pouvoir retrouver des phrases qui m’ont plu et m’ont parlé. Et puis j’ai eu l’idée justement d’aller chercher dans les tréfonds de mon ordinateur ce que j’ai écris à propos de « l’Age d’Homme », essai autobiographique de Leiris précédant « La Règle du Jeu », lorsque je l’ai lu, il y a quelques années. Á ma grande surprise, alors qu’aujourd'hui je suis frappé par les points communs entre la personnalité de Leiris et la mienne, j’avais noté à l’époque une difficulté à rentrer dans le texte parce que, disais-je, je trouvais le personnage de Leiris par trop éloigné du mien pour pouvoir vraiment m’y intéresser ! Comment est-ce possible ? L’image qu’il donne de lui est-elle si différente ? Je ne le crois pas au vu des citations retrouvées. A moins que Leiris aie surtout dans ce texte mis en avant des masques que je n’ai pas perçus comme tels, sur lesquels je ne suis pas arrêté mais qui ont marqué négativement ma lecture ? Où est-ce moi qui aurais tant changé ? Certainement non, les thématiques qui traversent mon journal de l’époque sont bien proches de celles d’aujourd'hui, même désespérément proches. Me refusais-je à voir certaines choses ou plutôt à les entendre vraiment ? Peut-être est-ce le plus probable. En tout cas dès mon retour à Paris j’irais remettre le nez dans ce texte pour voir comment je le lis, comment je le sens aujourd'hui.

Leiris est éclaté entre les deux pôles de ses aspirations et de ses activités, le versant littéraire, le versant poétique, le versant individualiste et le versant humaniste, le versant engagé, le versant militant. La difficulté à fusionner les deux lui parait reposer sur des difficultés objectives mais aussi sur sa position de classe et surtout (et c’est là que ça devient intéressant et que ça éclaire des choses pour moi aussi) sur des ressorts plus profonds de sa personnalité :

« Toute une vie passer à rêver à des là-bas dont les couleurs m’attiraient sans pourtant me conduire à brûler mes ici » ( p 851)
« Sous un vain voile de rectitude morale, une terrible mollesse » (p 874)
« Le paradoxe de mon existence entière : prendre parti pour les opprimés alors que je me range dans la classe des oppresseurs, écrire pour me libérer alors qu’écrire est une servitude que je ne veux pas voir se relâcher, … , parler amour et poésie alors que je mène le train le plus bourgeois, rêver action positive quand je suis intellectuel jusqu’au bout des ongles … »( p 906)
« M’agiter dans le vide. Faire semblant. Mettre autant de retranchements qu’il se peut entre le réel et moi » (p 925)
« Fondre ses deux irréductibles : l’engagement social et la poésie, étrangère à tout calcul comme à toute morale » (p 927)
« Ne pas savoir hausser ses actes jusqu’à ses idées » (p 972)

Il se laisse aller parfois à des admirations bien naïves notamment pendant son voyage en Chine où il trouve de la spontanéité et de la poésie dans des festivités aux mises en scène très staliniennes mais il garde quand même plus que d’autre un certain sens critique (c’est l’effet positif précisément de son caractère clivé) mais j’ai aimé retrouver à travers lui lorsqu’il évoque la révolution cubaine dans ses années flamboyantes les enthousiasmes qui ont été ceux de mon tout premier éveil politique lorsque jeune lycéen j’ai rêvé moi aussi « à cette héroïque entreprise de complet renouvellement humain »( p 879), à « ce lieu où poésie et révolution pourrait se fondre »( p 887), où s’associerait selon les mots d’ordre du début du surréalisme le changer la vie de Rimbaud et le transformer le monde de Marx. (p 984)

Le dernier volume, lorsqu’il ne reste plus qu’un « Frêle bruit » est évidemment le plus sombre, car les affres (et les effets objectifs) du vieillissement sont tout autre chose à 75 ans qu’à 50. Mais il y a, dans cette douleur, quelques très beaux textes que j’ai envie de citer un peu longuement pour moi et pour peut-être en donner le plaisir à ceux qui me lisent:

« Cet écrit, trop ciré, trop briqué, pour qu’y crépite mon cri !
Ce mémoire qui recoud si mal les loques de ma mémoire !
Cet essai pluriel où j’essaie et réessaie, m’armant de multiples clefs et secouant de multiples portes !
Trier, caresser, marier les mots ; parfois les dépiauter, les tordre les casser. Ni coquetterie ni dérision mais façon – il va sans dire illusoire – d’amadouer, tourner ou briser une fatalité. Façon, quoiqu’il en soit – malgré faiblesses, tâches et trous – de donner à entendre que quelquepart en nous une mainmise reste possible…
Si cela revenait à demander la lune car il des maux que rien ne saurait abolir et auxquels seule la poésie peut aider à faire face) je souhaiterais pour un avenir que je ne connaîtrai pas, l’instauration d’une société où des oiseaux de mon espèce, s’il y en avaient encore, n’auraient plus besoin de pareils subterfuges. » (p 942)

Ou celui-ci :
« Diversion, alibi, rite purificatoire : cet ouvrage dont j’attendais qu’une règle en émerge mais qui ne m’aide ni à faire, ni à me faire, (puisqu’il n’en résulte à peu près rien sauf précisément que je persiste à le faire).
Laborieusement calligraphique, cet ouvrage qui, malignement, me consume au lieu de me fortifier (puisque le rédiger est devenu ma grande, presque ma seule occupation).
Récit, peinture ou glose, cet ouvrage que ma vie nourrit plutôt qu’il ne la nourrit (puisque c’est d’elle qu’il tire sa matière et n’en est qu’un sous-produit)… » (p 970).

Ou bien encore :
« Grain que l’on pulvérise ou bête prise au piège, être le jouet de deux mouvements rigoureusement contraires : vouloir freiner le temps qui vous ronge mais presque sans relâche, un vœu de ce genre suivant l’autre, souhaiter qu’il coule vite pour que vienne bientôt et passe le jour où l’on doit faire quelquechose qu’on appréhende ou qui ennuie » (p 959)

Ou ce souhait :
« Si nos chairs jusqu’au bout se prêtaient aux enluminures de l’érotisme au lieu de s’embuer peu à peu d’obscénité cadavérique » (p 952).

Il y a là-dedans des tas de choses que je ressens très fortement notamment autour de cette pulsion, de ce plaisir et de cette perversité de l’écriture de soi dont je ne cesse de me dire qu’il faudrait que je me détache et à laquelle, toujours, je reviens.

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15/08/04 : Étape parisienne :

Nous voici à Paris pour deux ou trois jours, ou un peu plus selon le temps qui sera annoncé en montagne. Comme d'habitude je suis content de rentrer, de retrouver mes petites affaires, mon cadre habituel. Au point de me dire que je pars peut-être trop longtemps en vacance, qu'il vaudrait mieux partir moins, mais alors partir complètement, faire un break total, dans le voyage, dans la découverte. Ce qui me ramène en contrepoint à cette idée de vivre ailleurs qu’à Paris, dans une vraie maison, comme on y songe parfois, avec de l’espace, de la lumière, de l’air, la campagne à proximité, la mer peut-être, pour pouvoir en jouir dans le quotidien. Pour que des temps de vacances puissent s’y vivre sur place, mêlant plus harmonieusement activités restées en plan pendant l’année, farniente et promenades. Car si nous partons si vite de Paris, que nous aimons pourtant, dès que nous en avons la possibilité c’est qu’on y étouffe en été, que la nature nous manque…

Évidemment j’ai des masses de choses à faire notamment pour préparer ma rentrée professionnelle qui viendra très vite après notre bref séjour en montagne. Et puis je me plonge aussi avec gourmandise dans internet, après ce mois de sevrage, je fais le tour de mes sites favoris, chez les diaristes et ailleurs, cela me donne un peu le tournis, je n’ai bien sûr pas le temps de tout lire, je saute de l’un à l’autre, juste histoire de prendre la température, de voir où en sont les uns et les autres. Je me rends compte que je me suis attaché à ce petit monde et qu’au fond, il m’a manqué.

Je veux aussi mettre à jour mon site. J’ai écris pas mal pendant ces vacances, trop peut-être, et pas forcément ce que j’aurais voulu. Mais c’est là, sous word, dans la mémoire de mon portable, alors tant qu’à faire… J’ai une vague hésitation quand même, à relire tout ça en diagonale, maintenant que je ne suis plus dans le vif du sujet, mes plaintes, mes apitoiements de moi-même, tout ce que je dis de moi et des autres surtout à qui je ne demande pas leur avis, tout ça, maintenant, me parait un peu indécent. Et me parait donner de moi une image qui accentue les côtés sombres puisque ce sont surtout les moins bons moments qui me font écrire. Est-ce que ce ne serait pas le moment d’arrêter ? Mes lectures de Leiris aussi me font réfléchir, la façon dont il montre au long des années la façon dont chez lui l’écrit bouffe la vie et en même temps la constitue, tout cela que je ressens si proche chez moi, allez, carpe diem, sortons dehors, sortons de ces ratiocinations auxquelles je me livre et de ces contraintes auxquelles je m’astreins, mais en même temps, c’est bien vrai, tout ça, c’est aussi mon plaisir, c’est aussi mon carpe diem…

Allez, je m’y colle, je publie, j’ai envie de poursuivre l’expérience, n’est pas encore venu le moment de passer à autre chose, même si j’y songe…

 

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