02/08/04 : Rêve
envolé :
Le rêve de cette nuit il me semble était
de riche matière. Je me suis réveillé tard après
une mauvaise nuit, causée cette fois non par les soucis virevoltants
dans ma tête mais par de virevoltants et agressifs moustiques.
A tout prendre je préfère cette cause d’insomnie,
encore que dès qu’elle est installée, les idées
mauvaises tendent aussi à revenir, en complément des
démangeaisons…
Toujours est-il que je me suis rendormi sur le matin,
d’un de ces sommeils de l’aube, à la fois lourd
et haché, pas très paisible mais propice aux rêves.
J’ai eu l’impression à mon réveil d’en
être tout submergé. Parce qu’il était tard,
je me suis levé précipitamment et j’ai commencé
à vaquer aux préparatifs du petit déjeuner sans
chercher à les retenir. Les images sont parties et même
la substance des séquences. Il ne me reste que des thèmes,
pas les détails, pas la façon dont ils s’articulaient.
J’étais ramené loin en arrière dans mes
temps militants, ou plutôt c’était des personnes
de l’époque militante qui revenaient vers moi, me proposaient
de retravailler avec eux, il s’agissait de présenter
le point de vue de l’organisation sur certaines questions dans
des regroupements politiques plus larges, j’acceptais d’emblée
mais je réalisais à mesure qu’approchait le jour
de l’intervention que, même si j’étais flatté
et prenais pour une marque de confiance d’être ainsi sollicité,
je n’avais pas les éléments pour faire cette intervention,
je ne savais pas comment avait évolué la position politique
de l’organisation, je n’étais pas sûr d’être
d’accord ou plutôt j’étais convaincu de ne
plus être d’accord mais sans oser même me l’avouer
à moi-même. Alors je tergiversais, je cherchais des justificatifs
pour ne plus intervenir sur un terrain aussi politique, je proposais
de les aider mais pas sur le terrain de l’explication de la
ligne, je voulais les aider ailleurs, différemment en m’appuyant
sur ce que je savais faire maintenant. Ce que c’était,
je ne sais plus et c’est là la frustration du rêve
perdu. Je développais il me semble toute une construction mentale
sophistiquée, il était question d’horizontalité
et de verticalité, eux étaient dans la verticalité,
moi je pouvais apporter quelquechose de l’ordre de l’horizontalité,
mais qu’étaient-ce exactement que cette verticalité
et cette horizontalité, à quoi cela renvoyait-il, il
me semble que c’était clair dans le rêve, tout
ça en tout cas me semblait très cohérent, avait
une espèce d’évidence lumineuse encore bien présente
au réveil et dont j’aurais bien aimé pouvoir accrocher
jusqu’ici quelques bribes…
En tout cas, action, militantisme, participation
à la vie collective, il y a là des choses qui reviennent
dans mes rêves ces derniers temps. Après tout le «
rêve Sarko », était aussi là-dessus. Comme
si, alors que mon présent est marqué d’interrogations
essentiellement narcissiques, les rêves exprimaient ma mauvaise
conscience d’en être rendu là, ma nostalgie d’un
autre temps de ma vie.
A propos de narcissisme et d’une façon
parfaitement vaine de tenter de mettre le temps dans son jeu il y
en a qui font fort : Roman Opalka un artiste conceptuel qui a son
portrait dans le Monde de ce jour, peint depuis quarante ans la suite
de chiffres (depuis 1 il est aujourd'hui rendu à 5486028, enfin
un peu plus, il a dû progresser encore de quelques unités
depuis la rédaction de l’article !) et réalise
en contrepoint un autoportrait photographique quotidien, toujours
dans la même pose frontale, dans les mêmes conditions
de lumière, afin de suivre au jour le jour les traces du passage
du temps sur son visage, construisant ainsi une série gigantesque,
une œuvre fleuve pour laquelle dit-il « j’ai engagé
la mort, cette conne, pour avoir une définition de l’achèvement
d’une œuvre ». Ça m’amuse de voir qu’il
y en a qui sont suffisamment givrés et qui ont suffisamment
de constance et de stabilité dans leur névrose pour
en faire leur vie et leur œuvre !
Mettre le temps dans son jeu, cela fait écho
à des préoccupations présentes dans la «
Règle du jeu », je pense d’ailleurs que c’est
pour cela que j’ai été arrêté par
l’article sur cet obscur plasticien. Mais les réponses
de Leiris sont autrement plus émouvantes et riches que le rite
monomaniaque d’Opalka.
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04/08/04 : Adolescente
:
L’autre jour nous avons été
à la Pointe du Raz avec Taupin et Taupine. Ce fut un très
agréable moment partagé. Il y avait une foule un peu
envahissante comme toujours dans ce genre de lieu, mais nous avons
marché sur les rochers jusqu’à la pointe ultime,
là où le gros des visiteurs ne s’aventure pas,
la mer était particulièrement calme, le ciel changeant
avec des alternances de belles lumières et de moments où
la brume brusquement tombée mais rapidement relevée
venait chapeauter les rochers, nous plongeant dans une toute autre
ambiance. Nous avons été pique-niquer ensuite dans une
prairie sur la Pointe du Van, avec une vue superbe sur la Pointe du
Raz désormais tout à fait dégagée, sur
les îlots qui la prolongent et sur l’île de Sein.
Puis nous sommes allés nous poser un moment sur la plage de
la Baie des Trépassés où nous avons profités
de l’explosion sur nos corps de la houle (très modeste
ce jour là cependant) venue de la haute mer et de la douceur
du sable tiède.
Près de nous il y avait un couple de hollandais
de haute stature et d’une blondeur presque agressive avec deux
filles à la peau brune, manifestement adoptées, originaire
sans doute d’Asie du Sud. L’une était une enfant,
l’autre déjà une adolescente. Au moment de partir
les deux filles ont retiré leurs maillots mouillés.
Je les ai regardé faire sans émotion particulière,
frappé cependant par ce que redonnait d’enfance à
la plus grande d’entre elles cette innocence à être
nue alors que sous son maillot je la jugeais déjà grande
adolescente. Mon œil s’est attardé sans avoir l’air
d’y toucher sur sa jeune poitrine déjà bien formée,
sur son sexe encore glabre.
Et cette nuit j’ai fait ce rêve : J’étais
au bord d’une piscine. Une jeune fille faisait un léger
malaise dans l’eau. Mais elle reprenait vite ses esprits. Elle
se plaignait d’avoir froid, je l’enveloppais dans un grand
peignoir blanc qui faisait contraste avec le teint très mat
de sa peau, comme elle avait toujours froid je la serrais contre moi,
nous ne parlions pas la même langue, je ne comprenais aucun
de ses mots pris isolément mais comprenais très bien
le sens de ses phrases. J’entrouvrais le peignoir sous lequel
je la trouvais nue, je glissais ma main entre ses cuisses, sur son
sexe qui était encore celui d’une enfant. Je me demandais
si je pouvais aller plus loin, elle me disait qu’elle ne savait
pas trop si nous pouvions mais qu’elle en avait envie, que peut-être
il faudrait se revoir, j’écartais ma main, nous nous
relevions, marchions ensemble un moment en nous tenant la main puis
nous nous séparions, nous nous éloignions l’un
de l’autre et je m’éveillais non avec la sensation
de sortir d’un rêve sexuel mais avec une impression de
grande douceur.
Je n’ai pas du tout pensé d’abord
à ma vision de l’avant-veille qui m’était
tout à fait sortie de l’esprit. Elle ne m’est revenue
que plus tard et curieusement non pas à cause d’une quelconque
impression de ressemblance physique entre la fille aperçue
et la fille de mon rêve mais simplement parce qu’elles
parlaient toutes deux une langue inhabituelle et incompréhensible.
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05/08/04 : Crimes
:
Je ne sais si c’est la période estivale
qui veut ça, soit qu’il y ait plus d’affaires de
ce genre, soit que les journaux en soient par défaut d’autre
chose plus rempli mais l’été est le temps des
faits divers. Peut-être est-ce aussi que je suis plus à
l’écoute, parce que je prends le temps de m’interroger
sur ce qu’ils disent de la société et des hommes,
parce que j’ai le temps de laisser mon imagination vagabonder
autour des figures humaines étranges ou monstrueuses qui en
sont les protagonistes et de m’en construire ce qui pourrait
être des romans.
Il y a eu l’histoire de cette pauvre petite
mythomane qui a secoué la République avec son agression
antisémite simulée.
Il y a ces histoires d’enfants qui rencontrent
l’ogre, croisements tout à fait aléatoire où
soudain s’inscrit un destin tragique, ces petites filles martyres
violées et tuées par un assassin errant, ce gamin qui
se promène paisiblement avec sa copine et croise un fou, sans
âge, sans lieu, sans nom et sans mémoire qui l’assassine
à coup de hachette.
Il y a ces jeunes femmes retrouvées dans
un canal au même endroit à deux jours d’intervalle
et protagonistes semble-t-il de scénarios sado-masochistes
qui ont mal tournés.
Il y a, plus monstrueuse encore, l’histoire
de ce Michel Fourniret, un Barbe-Bleue qui, au vu de sa photo, n’en
avait pas du tout l’apparence, un tueur en série assassin
de vierges, au langage châtié, qui semble ou qui joue
à sembler totalement inconscient de la monstruosité
de ses agissements, comme s’il s’était agi de comportements
anodins, d’un jeu dans un monde où la vie humaine n’a
aucun prix, où autrui à la limite n’existe pas.
Il a pu vivre paisiblement des années durant après un
premier séjour en prison, il a pu acheter des propriétés
ici et là grâce à un trésor, reste du butin
d’une célèbre bande de braqueurs, récupéré
de façon rocambolesque et vivre comme un petit notable de province,
aidé dans ses crimes par sa propre épouse rencontré
par les petites annonces du Pèlerin magazine ! J’imagine
d’ailleurs qu’une pareille histoire suscitera de la copie
et qu’avant peu de mois, il y aura des livres sur un tel criminel
hors du commun. Mais sans doute y aurait-il à faire à
partir de là autre chose que les documents racoleurs qui ont
toute chance d’être produits dans l’urgence du moment
où ça fait vendre.
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06/08/04 : Avant le départ
:
Moments précieux. Tout à l'heure,
sur cette partie de plage quasi vide parce qu’il faut marcher
ou pédaler pour l’atteindre et parce que l’après-midi
touchait à sa fin, j’ai profité d’une longue
baignade solitaire dans une eau chaque jour moins froide, j’ai
eu envie de me mettre nu dès que j’ai été
dans l’eau, j’ai nagé un long moment et fait la
planche face au soleil déclinant tenant ridiculement mon maillot
à la main mais heureux de me sentir entièrement offert
aux éléments. Puis je me suis allongé sur le
sable tiède dans cette petite bande de plage encore au soleil
qui se réduisait sans cesse entre l’ombre des grands
sapins qui couronnent la dune et l’avancée de la mer
poussée par la marée montante. Je suis senti bien, capable
de laisser filer le temps sans regarder ma montre et sans penser à
l’heure qui allait suivre, je suis parti au dernier moment quand
l’ombre a été tout à fait là et
que j’ai commencé à avoir froid. Ensuite, après
le dîner, Constance, Bilbo et moi avons été marcher
un peu, douceur de la nuit, exhalaisons des odeurs, calme parfait
de la mer que nous avons longé un moment, marchant pieds nus
sur le sable de la plage…
Ces moments sans doute étaient colorés
d’une pointe de regret et de douce nostalgie car demain nous
partons. Nous arrivons au terme de cette partie de nos vacances, demain
nous quittons la Bretagne et descendons passer quelques jours à
Noirmoutier auprès de la maman de Constance. C’est cela
qui m’a donné je suis sûr ce retour de tendresse
pour cet endroit où pourtant cette année je ne me suis
pas souvent senti très bien. Ressentir le plus fortement l’envie
d’être ici juste au moment où l’on va cesser
d’y être, cela aussi fait écho à des phrases
lues chez Leiris !
Cette dernière semaine a été
de loin toutefois la plus sereine. J’ai su me laisser vivre.
Je me suis apaisé sans doute parce que j’ai renoncé.
Mon envie d’écriture et l’incapacité à
m’y mettre avait été, parmi bien d’autres,
un des facteurs, à la fois cause et symptôme de mon malaise
dans les premiers jours ici. J’ai laissé faire, j’ai
laissé aller, ce sera pour plus tard ou plus vraisemblablement
ce ne sera pas. Alors les jours ont coulé plus simplement,
plus paisiblement, offrant ce qu’ils pouvaient avoir à
offrir, promenades tranquilles, lectures paisibles, farniente sur
la plage. Sans doute m’étais-je mis dans la tête
que puisque je ne passais pas des vacances très actives ou
de découvertes, au moins j’en profiterais pour «
travailler » pour moi, c'est-à-dire entre autre pour
écrire, pour réaliser certaines de ces choses dont j’ai
l’idée à Paris mais que je n’ai pas le temps
ou surtout pas la disponibilité psychologique de faire là-bas.
Mes insomnies, mes gênes et mes douleurs physiques
cependant n’ont pas totalement disparues, elles vont et viennent,
parfois elles se font terriblement insistantes au point de susciter
de nouveau en moi la crainte de la maladie grave. J’ai une certaine
tendance hypocondriaque que j’ai appris à maîtriser
au fil des ans, quasiment depuis l’adolescence j’ai été
de temps en temps envahi de douleurs insistantes, parfois focalisées
de façon obsédante sur un point précis et qui
se sont chaque fois révélées à l’examen
médical sans support organique réel. Du coup j’ai
appris à vivre avec des douleurs passagères et très
variées, à les mettre sur le compte de la tension nerveuse
ou psychologique, à ne pas trop les écouter et à
les laisser passer comme elles sont venues.
Mais je me suis souvenu que ce sont justement des
troubles du même type que j’avais ressenti l’an
dernier à la même période et ici même. Du
coup j’ai été relire ce que j’écrivais
il y a un an. J’ai été surpris de retrouver en
fait bien des similitudes entre mon vécu d’alors et celui
de cette année. Pourtant j’aurais juré que mes
vacances ici avaient été l’an dernier bien plus
« heureuses », bien plus apaisantes et bénéfiques
!
D’où je tire deux conclusions.
L’une plutôt générale
qui est que l’image que je donne de moi à travers mon
écriture insiste plus sur les moments les plus pénibles
que je vis, sur les côtés les plus sombres de ma personnalité.
D’une journée banale vécue, cahin-caha, ni mal,
ni bien, je ne dirais rien. J’écris pour tenter de retenir
quelques beaux moments mais surtout pour m’ausculter, dans un
mélange de masochisme et d’effort pour dénouer
et apaiser la difficulté lorsque ça ne va pas bien.
Ce qui transparaît c’est donc, à part quelques
moments d’exaltation sensible ou intellectuelle, la ligne de
fond grise sous-jacente de ma vie. Mais ce n’est pas ma vie
elle-même, dans son quotidien plus prosaïque faite de tout
ce qui vient, balisée par les habitudes, ressentie avec tantôt
plutôt du plaisir, tantôt plutôt du déplaisir,
mais sans grande douleur ni grand enthousiasme. Au total finalement,
l’un dans l’autre, je me supporte et je m’assume.
Ceux qui me connaissent, sauf Constance sans doute, n’imaginent
pas je pense cette ligne grise chez quelqu'un qui en société
est bon compagnon, plutôt gai et bon vivant, capable d’être
drôle.
L’autre conclusion est tout à fait
spécifique. Je ne dois plus faire le même usage de ce
lieu. Sa magie, qui a effectivement fonctionné bien des années,
me faisant me sentir mieux dès mon arrivée ici, dès
mes premières marches sur la plage a cessé d’agir.
Un cycle est clos sans doute pour ce lieu, celui de la découverte
et celui de l’enthousiasme, celui aussi des enfants plus jeunes
pour lesquels le bord de mer est le lieu de toutes les joies. Sans
le rejeter pour autant peut-être dois-je le mettre à
distance, ne plus en faire le lieu recours qui se révèle
incapable ensuite de répondre aux attentes trop grandes que
j’ai gardé à son sujet. Je me serais relu avant
que nous décidions de nos vacances, peut-être aurais-je
été plus actif pour que nous fassions autre chose cet
été quitte à terminer ici après un voyage,
comme nous l’avions fait avec bonheur après notre grand
périple en Californie.
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10/08/04 : Farniente :
Flemme ! Flemme somptueuse ! Je profite d’une
sieste qui s’éternise. Je suis allongé sur le
matelas de jardin, posé à même l’herbe,
à l’ombre douce du feuillage d’un des arbres du
jardin, il fait bon, chaud mais avec un souffle d’air, j’ai
mon livre devant moi, mon petit cahier sur lequel je note telle ou
telle formule qui me retient, je me suis endormi tout à l'heure
puis réveillé puis rendormi encore, Leiris quoique très
intéressant et superbement écrit, peut aussi dans certaines
de ses pages devenir redoutablement soporifique ! Je me laisse aller
à la somnolence lorsqu’elle vient, je suis bien, l’ambiance
autour est à l’unisson, certains comme moi se reposent,
d’autres vaquent aux occupations de la maison, mais dans la
lenteur et la tranquillité.
Farniente délectable ! Il faudrait pouvoir
le poursuivre sans restriction, jusqu’au bout de l’envie,
pour cela il faudrait que le temps ne soit pas borné, qu’il
n’y ait aucun désagrément à laisser l’après-midi
basculer dans le soir et le nuit sans s’être mis en mouvement,
il faudrait qu’on puisse toujours tout remettre à demain,
telle promenade au long des chemins, telle baignade sous le ciel et
à l’heure qui convient, tel livre à lire, telle
page à écrire…
Finalement ce farniente n’en est pas tout
à fait un, ces mots en sont la preuve, qui eux-mêmes
ont pris le relais de la lecture, il s’agit plutôt d’un
tempo harmonieux entre des envies qui se succèdent sans empiéter
les unes sur les autres, qui ne se bousculent pas, qui ne se font
pas la guerre…
Il faut dire que le cadre dans lequel je suis aide
sûrement à cette harmonie. Nous sommes arrivés
hier dans la maison qu’a loué la maman de Constance avec
deux oncles et tantes, ici je suis un invité, je ne suis en
charge de rien, je n’ai pas à me préoccuper de
l’organisation des journées, des menus à concocter
et des courses qui vont avec. Donner un coup de main à la pluche
ou acheter en passant au bourg une bonne bouteille de vin et un gâteau
comme je l’ai fait tout à l'heure, cela se fait sans
penser et sans contraintes. En un mot je me sens enfin tout à
fait en vacances.
Comme je me suis senti en vacances aussi, quoique
sous une forme un peu différente, pendant les deux jours de
voyage et de découverte que nous avons effectué en venant
ici. Nous avons quitté la Bretagne avec Bilbo, laissant derrière
nous Taupin qui partira d’ici quelques jours avec son amie vers
d’autres horizons vacanciers, nous avons posé pendant
deux nuits notre nouvelle tente que nous inaugurions pour l’occasion
dans un camping en Brière, nous avons sillonné la région
en vélo, nous avons ramé dans les marais, nous avons
été observer les oiseaux à la nuit tombante dans
les canaux derrière le camping, nous nous sommes dorlotés
de petits restaurants en petits restaurants.
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12/08/04 : Photo numérique
:
Nuit et journée agitées de moments
tempétueux, de violents orages mais éclairées
aussi de quelques somptueuses éclaircies qui se sont renforcées
vers le soir. Journée d’hésitation, de va et vient
à l’égal du temps météorologique
sur nos têtes.
Nous hésitions à remonter à
Paris demain. J’en ai eu envie en pensant à tout ce que
je souhaite faire avant notre petit saut dans les Alpes et avant la
reprise du boulot. Mais finalement ce sera samedi ou même dimanche
matin, par la facilité qu’il y a à laisser couler
les jours ici plus que pour tout autre chose, par flemme de me mettre
en route aussi et parce que Constance elle ne se sent nullement pressée
de retrouver la ville.
Nous hésitions dans nos sorties du jour,
finalement nous sommes sortis entre deux coups de vent ce matin, plus
longuement cet après-midi. J’ai mis le nez dans des lectures
diverses.
J’ai passé beaucoup de temps aussi
entre hier et aujourd'hui dans mes photos numériques, c’est
mon nouveau petit joujou, j’ai classé, j’ai éliminé,
j’ai modifié, là aussi hésitant beaucoup,
ne sachant pas ce que je choisis de faire imprimer, ce que je garde
sans imprimer, ce que j’élimine, ce que je recadre ou
modifie. Le numérique est riche de possibilités mais
il induit des comportements différents de la photo classique
qu’il faut apprendre à maîtriser. La photo numérique
n’est ni mieux, ni moins bien que la photo traditionnelle, c’est
autre chose, les deux techniques conduisent à produire des
images et nécessitent d’avoir l’œil attentif
et gourmand mais en dehors de cela elles diffèrent largement.
J’essaie de trouver le bon usage du numérique, j’avance
par essais-erreurs, je fais cela, comme toute découverte ou
apprentissage nouveau avec beaucoup de plaisir mais non sans aussi
une certaine gêne.
Il est tellement facile de déclencher l’appareil,
cela porte si peu à conséquence puisque ensuite il suffit
d’éliminer, on ne gâche jamais rien, on ne «
bouffe pas de la pellicule », on peut donc facilement être
porté à l’inflation des images. On n’a plus
ce minuscule temps de latence, celui dans lequel l’œil
et la tête travaillent, celui où l’on juge parfois
même inconsciemment si l’image en vaudra la peine. Le
choix se fait à posteriori plutôt qu’à priori.
D’où peut venir, encore plus facilement qu’avec
la photo traditionnelle, un comportement de pur consommateur, on accumule
les images, on se laisse envahir comme on se laisse envahir de musiques,
de livres, de tout, on accorde un coup d’œil puis l’on
zappe, on stocke et on oublie.
Une photo classique déjà n’est
qu’un pâle substitut du réel. On ne s’immerge
pas dans une photo comme dans un paysage. Mais au moins possède-t-elle
une base matérielle évidente dès l’instant
où elle est prise, elle est une trace sur le négatif.
Elle pourra être transformée certes, selon les conditions
du développement, modifiée même par des «
trucages » à posteriori (les bureaucrates soviétiques
n’ont pas eu à attendre le numérique pour réécrire
l’histoire à coup de photos trafiquées et ce n’est
pas pour rien qu’une photo n’est pas une preuve juridique)
mais tout de même à partir de la réalité
tangible de la pellicule.
L’évanescence de la photo numérique
elle se donne d’emblée, par la facilité qu’il
y a à l’effacer sans laisser de trace, par la façon
même dont elle apparaît selon la distance et l’angle
de vue que l’on porte sur l’écran d’ordinateur
où on la fait défiler, par le traitement immédiat
que l’on peut lui faire subir en la recadrant, en modifiant
sa colorisation, sa luminosité, ses contrastes sans même
parler des traitements plus sophistiqués qu’on peut effectuer
avec les logiciels graphiques. Encore moins que dans la photo traditionnelle
il n’y a la « vraie » photo. Elle n’existe
pour ainsi dire pas tant qu’elle n’est pas fixée
sur le papier.
On fait avec le numérique un pas de plus
dans la virtualité, et, si l’on n’y prend garde,
on court le risque, d’être encore un peu plus happé
par ce virtuel aux dépens des « réelles présences
».
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13/08/04 : Rêve
encore :
C’est au bord de la mer mais ce n’est
pas une plage, c’est la campagne plutôt, c’est une
prairie. Je suis allongé dans l’herbe. Constance est
près de moi. Un peu plus loin il y a un groupe de trois hommes
assis qui discutent, je sais, sans savoir comment je le sais car rien
ne le laisse deviner dans leur comportement, que ce sont trois homosexuels
et qu’ils sont amants.
Constance se glisse contre moi et me caresse, elle se met sur moi,
elle se frotte contre moi par derrière et me titille de ses
mains. Nous croyions être relativement discrets mais les trois
hommes nous ont repérés, ils ont suspendus leur conversation
et nous regardent.
Je dis à Constance que ça ne fait rien, je lui demande
de continuer, mon excitation croit, nos souffles s’accélèrent,
je sens que je vais me répandre, je voudrais la prendre et
il va être trop tard mais nous nous retournons cependant et
je la pénètre avec une grande jouissance.
Mais son souffle est régulier, c’est
à peine si nous nous frôlons du pied et je me rends compte
que ma belle vigueur s’est gaspillée sur un bout de drap
entre mes cuisses.
Je m’en sens tout déçu. Je croyais
bien être en train de faire l’amour avec Constance mais
non, ce n’était qu’un rêve. Mais c’était
un rêve avec elle, or il est rare que ce soit elle (ou une autre
personne de ma connaissance d’ailleurs) qui vienne me visiter
dans ce genre de rêves, mes rencontres oniriques sont plutôt
des créatures que je ne rattache à personne de connu.
Hier sur la plage, j’ai vu arriver une belle
fille avec deux hommes, et m’a traversé fugitivement
l’impression que ces trois là sortaient juste de faire
l’amour ensemble, il n’y avait pourtant entre eux aucun
geste qui pouvait le laisser penser mais j’ai ressenti cela
comme une évidence à une chaleur toute particulière
dans leur regard, à une espèce d’aura sensuelle
très forte qu’ils dégageaient, peut-être
n’est-ce qu’un fantasme mais il devait bien y avoir quelquechose
pour que l’idée m’en soit venue avec autant d’immédiateté
et de force. Le soir à table il y a eu une discussion autour
du mariage homosexuel pleine d’opinions homophobes, j’ai
préféré laisser dire mais j’ai ressenti
un certain malaise à me taire. J’ai repensé à
mon réveil à ces deux sentiments passagers de la veille
que j’aurai sans cela oubliés, sans doute ont-ils contribués
à l’alchimie de mon rêve.
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14/08/04 : Leiris, la suite :
J’ai est terminé avec « La Règle
du Jeu » pour le moment, je suis arrivé au bout mais
je me suis lassé sur la fin, j’ai zappé quelques
passages et je n’ai pas l’intention de reprendre le début
pour l’instant. Mais j’y reviendrai j’en suis sûr.
J’ai pris pas mal de notes au fil des pages
non par pathologie d’étudiant attardé mais tout
simplement parce que j’ai plaisir ensuite à pouvoir retrouver
des phrases qui m’ont plu et m’ont parlé. Et puis
j’ai eu l’idée justement d’aller chercher
dans les tréfonds de mon ordinateur ce que j’ai écris
à propos de « l’Age d’Homme », essai
autobiographique de Leiris précédant « La Règle
du Jeu », lorsque je l’ai lu, il y a quelques années.
Á ma grande surprise, alors qu’aujourd'hui je suis frappé
par les points communs entre la personnalité de Leiris et la
mienne, j’avais noté à l’époque une
difficulté à rentrer dans le texte parce que, disais-je,
je trouvais le personnage de Leiris par trop éloigné
du mien pour pouvoir vraiment m’y intéresser ! Comment
est-ce possible ? L’image qu’il donne de lui est-elle
si différente ? Je ne le crois pas au vu des citations retrouvées.
A moins que Leiris aie surtout dans ce texte mis en avant des masques
que je n’ai pas perçus comme tels, sur lesquels je ne
suis pas arrêté mais qui ont marqué négativement
ma lecture ? Où est-ce moi qui aurais tant changé ?
Certainement non, les thématiques qui traversent mon journal
de l’époque sont bien proches de celles d’aujourd'hui,
même désespérément proches. Me refusais-je
à voir certaines choses ou plutôt à les entendre
vraiment ? Peut-être est-ce le plus probable. En tout cas dès
mon retour à Paris j’irais remettre le nez dans ce texte
pour voir comment je le lis, comment je le sens aujourd'hui.
Leiris est éclaté entre les deux pôles
de ses aspirations et de ses activités, le versant littéraire,
le versant poétique, le versant individualiste et le versant
humaniste, le versant engagé, le versant militant. La difficulté
à fusionner les deux lui parait reposer sur des difficultés
objectives mais aussi sur sa position de classe et surtout (et c’est
là que ça devient intéressant et que ça
éclaire des choses pour moi aussi) sur des ressorts plus profonds
de sa personnalité :
« Toute une vie passer à rêver
à des là-bas dont les couleurs m’attiraient sans
pourtant me conduire à brûler mes ici » ( p 851)
« Sous un vain voile de rectitude morale, une terrible mollesse
» (p 874)
« Le paradoxe de mon existence entière : prendre parti
pour les opprimés alors que je me range dans la classe des
oppresseurs, écrire pour me libérer alors qu’écrire
est une servitude que je ne veux pas voir se relâcher, …
, parler amour et poésie alors que je mène le train
le plus bourgeois, rêver action positive quand je suis intellectuel
jusqu’au bout des ongles … »( p 906)
« M’agiter dans le vide. Faire semblant. Mettre autant
de retranchements qu’il se peut entre le réel et moi
» (p 925)
« Fondre ses deux irréductibles : l’engagement
social et la poésie, étrangère à tout
calcul comme à toute morale » (p 927)
« Ne pas savoir hausser ses actes jusqu’à ses idées
» (p 972)
Il se laisse aller parfois à des admirations
bien naïves notamment pendant son voyage en Chine où il
trouve de la spontanéité et de la poésie dans
des festivités aux mises en scène très staliniennes
mais il garde quand même plus que d’autre un certain sens
critique (c’est l’effet positif précisément
de son caractère clivé) mais j’ai aimé
retrouver à travers lui lorsqu’il évoque la révolution
cubaine dans ses années flamboyantes les enthousiasmes qui
ont été ceux de mon tout premier éveil politique
lorsque jeune lycéen j’ai rêvé moi aussi
« à cette héroïque entreprise de complet
renouvellement humain »( p 879), à « ce lieu où
poésie et révolution pourrait se fondre »( p 887),
où s’associerait selon les mots d’ordre du début
du surréalisme le changer la vie de Rimbaud et le transformer
le monde de Marx. (p 984)
Le dernier volume, lorsqu’il ne reste plus
qu’un « Frêle bruit » est évidemment
le plus sombre, car les affres (et les effets objectifs) du vieillissement
sont tout autre chose à 75 ans qu’à 50. Mais il
y a, dans cette douleur, quelques très beaux textes que j’ai
envie de citer un peu longuement pour moi et pour peut-être
en donner le plaisir à ceux qui me lisent:
« Cet écrit, trop ciré, trop
briqué, pour qu’y crépite mon cri !
Ce mémoire qui recoud si mal les loques de ma mémoire
!
Cet essai pluriel où j’essaie et réessaie, m’armant
de multiples clefs et secouant de multiples portes !
Trier, caresser, marier les mots ; parfois les dépiauter, les
tordre les casser. Ni coquetterie ni dérision mais façon
– il va sans dire illusoire – d’amadouer, tourner
ou briser une fatalité. Façon, quoiqu’il en soit
– malgré faiblesses, tâches et trous – de
donner à entendre que quelquepart en nous une mainmise reste
possible…
Si cela revenait à demander la lune car il des maux que rien
ne saurait abolir et auxquels seule la poésie peut aider à
faire face) je souhaiterais pour un avenir que je ne connaîtrai
pas, l’instauration d’une société où
des oiseaux de mon espèce, s’il y en avaient encore,
n’auraient plus besoin de pareils subterfuges. » (p 942)
Ou celui-ci :
« Diversion, alibi, rite purificatoire : cet ouvrage dont j’attendais
qu’une règle en émerge mais qui ne m’aide
ni à faire, ni à me faire, (puisqu’il n’en
résulte à peu près rien sauf précisément
que je persiste à le faire).
Laborieusement calligraphique, cet ouvrage qui, malignement, me consume
au lieu de me fortifier (puisque le rédiger est devenu ma grande,
presque ma seule occupation).
Récit, peinture ou glose, cet ouvrage que ma vie nourrit plutôt
qu’il ne la nourrit (puisque c’est d’elle qu’il
tire sa matière et n’en est qu’un sous-produit)…
» (p 970).
Ou bien encore :
« Grain que l’on pulvérise ou bête prise
au piège, être le jouet de deux mouvements rigoureusement
contraires : vouloir freiner le temps qui vous ronge mais presque
sans relâche, un vœu de ce genre suivant l’autre,
souhaiter qu’il coule vite pour que vienne bientôt et
passe le jour où l’on doit faire quelquechose qu’on
appréhende ou qui ennuie » (p 959)
Ou ce souhait :
« Si nos chairs jusqu’au bout se prêtaient aux enluminures
de l’érotisme au lieu de s’embuer peu à
peu d’obscénité cadavérique » (p
952).
Il y a là-dedans des tas de choses que je
ressens très fortement notamment autour de cette pulsion, de
ce plaisir et de cette perversité de l’écriture
de soi dont je ne cesse de me dire qu’il faudrait que je me
détache et à laquelle, toujours, je reviens.
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15/08/04 : Étape
parisienne :
Nous voici à Paris pour deux ou trois jours,
ou un peu plus selon le temps qui sera annoncé en montagne.
Comme d'habitude je suis content de rentrer, de retrouver mes petites
affaires, mon cadre habituel. Au point de me dire que je pars peut-être
trop longtemps en vacance, qu'il vaudrait mieux partir moins, mais
alors partir complètement, faire un break total, dans le voyage,
dans la découverte. Ce qui me ramène en contrepoint
à cette idée de vivre ailleurs qu’à Paris,
dans une vraie maison, comme on y songe parfois, avec de l’espace,
de la lumière, de l’air, la campagne à proximité,
la mer peut-être, pour pouvoir en jouir dans le quotidien. Pour
que des temps de vacances puissent s’y vivre sur place, mêlant
plus harmonieusement activités restées en plan pendant
l’année, farniente et promenades. Car si nous partons
si vite de Paris, que nous aimons pourtant, dès que nous en
avons la possibilité c’est qu’on y étouffe
en été, que la nature nous manque…
Évidemment j’ai des masses de choses
à faire notamment pour préparer ma rentrée professionnelle
qui viendra très vite après notre bref séjour
en montagne. Et puis je me plonge aussi avec gourmandise dans internet,
après ce mois de sevrage, je fais le tour de mes sites favoris,
chez les diaristes et ailleurs, cela me donne un peu le tournis, je
n’ai bien sûr pas le temps de tout lire, je saute de l’un
à l’autre, juste histoire de prendre la température,
de voir où en sont les uns et les autres. Je me rends compte
que je me suis attaché à ce petit monde et qu’au
fond, il m’a manqué.
Je veux aussi mettre à jour mon site. J’ai
écris pas mal pendant ces vacances, trop peut-être, et
pas forcément ce que j’aurais voulu. Mais c’est
là, sous word, dans la mémoire de mon portable, alors
tant qu’à faire… J’ai une vague hésitation
quand même, à relire tout ça en diagonale, maintenant
que je ne suis plus dans le vif du sujet, mes plaintes, mes apitoiements
de moi-même, tout ce que je dis de moi et des autres surtout
à qui je ne demande pas leur avis, tout ça, maintenant,
me parait un peu indécent. Et me parait donner de moi une image
qui accentue les côtés sombres puisque ce sont surtout
les moins bons moments qui me font écrire. Est-ce que ce ne
serait pas le moment d’arrêter ? Mes lectures de Leiris
aussi me font réfléchir, la façon dont il montre
au long des années la façon dont chez lui l’écrit
bouffe la vie et en même temps la constitue, tout cela que je
ressens si proche chez moi, allez, carpe diem, sortons dehors, sortons
de ces ratiocinations auxquelles je me livre et de ces contraintes
auxquelles je m’astreins, mais en même temps, c’est
bien vrai, tout ça, c’est aussi mon plaisir, c’est
aussi mon carpe diem…
Allez, je m’y colle, je publie, j’ai
envie de poursuivre l’expérience, n’est pas encore
venu le moment de passer à autre chose, même si j’y
songe…