17/08/05 : Vacances :
Il fait un temps insurpassablement beau. Beau comme
il peut faire beau en Bretagne. Ciel extrêmement pur sans la
moindre brume, luminosité éclatante qui fait ressortir
les couleurs, soleil déjà chaud sur un fond d’air
frais animé d’une légère brise.
Je pédale lentement en revenant de la boulangerie
où j’ai été acheter pain frais et croissants,
j’ai pris pour revenir le chemin détourné qui
suit la côte, longeant le petit port, l’estuaire et débouchant
sur la plage après la pointe. Il est à peine neuf heures
et tout est extrêmement calme. Le parking de la pointe est vide,
sur le chemin des douaniers je ne croise qu’un ou deux joggers,
je vois quelques pêcheurs sur les rochers et sur l’immense
plage à peine quelques promeneurs isolés. Je me gorge
de cette beauté paisible.
Je n’avais pas sorti mon ordinateur depuis
presque une semaine, je n’ai pas écrit un mot, pas avancé
une seule des nouvelles auxquelles je pensais, je n’ai pas envie
de raconter non plus et de commenter mes journées, mes lectures,
mes pensées, je me laisse vivre c’est tout, peut-être
que c’est bien assez, vacances, je suis vacant…
Des baignades revigorantes, de courtes promenades,
de la lecture, de la rêverie, je suis dans un tempo paisible,
hier seulement nous avons fait un petit voyage jusqu’à
l’abbaye de Daoulas pour revoir ce lieu que nous aimons beaucoup
et pour visiter l’intéressante exposition sur l’Amazonie
qui s’y tient.
Toute la famille est réunie pour quelques
jours. J’ai retrouvé Constance d’abord, puis l’un
après l’autre les garçons sont arrivés,
Bilbo d’abord avec un de ses cousins, puis Taupin revenu d’Afrique
et qui prend une semaine reconstitutive avec nous. Il n’a pas
très bonne mine, il a perdu quelques kilos, c’est paradoxalement
le plus pâle d’entre nous mais il est content de son expérience,
de sa découverte d’autres modes de vie et de visions
du monde, il pense qu’il aura envie de retourner là-bas
même si pour l’instant il est ravi de retrouver les normes
occidentales de confort et d’alimentation.
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19/08/05 : Boum !
Boum ! J’ai reçu un bon coup sur la
tête. Je me suis enfin décidé à téléphoner
aux services censés suivre les travaux de cet été
à mon bureau. J’étais parti en vacances vaguement
rassuré après m’être fait dire que les travaux
démarreraient un peu en retard mais que tout serait prêt
à temps. Je ne devais pas y croire tellement puisque j’ai
remis de jour en jour ce coup de téléphone craignant
sans doute ce que j’allais apprendre. Et bien oui les travaux
ne sont pas seulement en retard, ils ne sont pas commencés,
ils ne pourront finalement avoir lieu dans l’année, l’abondement
du budget prévu a été repoussé par le
Conseil de Paris pour des raisons qui échappent à mes
interlocuteurs (disent-ils).
Je suis atterré. Les conditions de la rentrée
vont être à tous points de vue catastrophiques. Je me
sens totalement découragé. J’ai l’impression
que je serais incapable de faire face à la rentrée,
à tout ce que cela va impliquer de tensions supplémentaires,
incapable de me mobiliser pour faire en sorte qu’on puisse fonctionner
tant bien que mal, incapable de faire le siège des administratifs
et des politiques au niveau qui sied et de me bagarrer pour essayer
de débloquer le dossier. Envie de m’enfuir !
Fantasme de démission. Pouvoir leur dire
merde, à tous, les chefs et les chers collègues, leur
claquer la porte au nez, reprendre ma liberté. Salut, ciao,
continuez sans moi… J’en ai avalé des couleuvres,
ce boa là il ne passera pas, c’est la goutte d’eau
qui fait déborder le vase. Et je tourne dans ma tête
les phrases bien envoyées que je balancerai ici et là
dans des courriers libérateurs m’affranchissant enfin
de toute langue de bois. En même temps je sais très bien
que ce n’est qu’un fantasme, que je ne ferai rien de tout
ça, que je parviendrai à assumer une rentrée
merdique, que les vagues et les exaspérations s’annihileront
dans l’indifférence administrative et que tout continuera
avec inévitablement un service de plus en plus dégradé
pour nos usagers mais qui s’en soucie…
Ce qui est douloureux c’est que je ravive
à chaque fois dans ce genre de situations la conscience de
mes impuissances, le regret de n’avoir pas su mener ma vie professionnelle
vers des territoires dans lesquels je me serai plus épanoui.
Les moments où j’ai eu envie de changer n’ont pas
manqué, les idées sur d’autres possibilités
non plus mais il aurait fallu prendre des risques, se détacher
du douillet cocon du petit fonctionnaire et ça je n’ai
pas su faire, à chaque fois j’ai choisi la sécurité,
la pente de la plus grande facilité immédiate en trouvant
chaque fois de très bons prétextes à mon immobilisme.
Ça vaut pour la vie professionnelle. Mais ce serait naïveté
de penser que ça ne vaut que pour elle. C’est un trait
profond de ma personnalité au contraire qui traverse tous mes
choix (ou plutôt mes non-choix) et que je déteste et
que je regrette. Ah s’il m’était donné de
pouvoir reprendre les choses à vingt ans ou même à
trente comme je les conduirais différemment. Regretter est
absurde d’accord mais comment chasser les regrets quand ils
vous envahissent.
Et pour l’instant je rumine. Je m’en
suis gâché toute cette journée de vacances. J’ai
essayé en vain de prendre de la distance, je me suis promené,
je me suis baigné, mais sans voir vraiment la mer ni les ciels.
J’ai traîné toute ma journée une mauvaise
humeur exaspérante pour moi et pour ceux qui sont autour de
moi. C’est absurde je le sais. Mais tellement courant chez moi.
C’est comme ça que je réagis aux contrariétés,
de façon totalement inadaptée mais c’est ma façon,
toutes les bonnes résolutions et tous les arguments rationnels
n’y font rien. Je me laisse toujours aussi facilement prendre
dans ce piège. Essayer d’écrire ici ce soir est
une forme de mise à distance et qui finalement, je le sais
d’expérience, ne marche pas si mal, je suis dedans encore
puisque je ne parviens pas à m’en abstraire tout à
fait mais au moins j’ordonne et je tente d’apprivoiser
en mettant en mots. Souvent après ça va mieux, ça
fait comme une catharsis qui me permet ensuite, sans rien régler
sur le fond, de sortir à peu près du ressassement.
Demain est un autre jour certes. Il faudra essayer
d’en jouir à peu près correctement bien qu’il
me rapproche un peu plus de cette foutue rentrée !
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20/08/05 : Instants :
La journée a encore été plutôt
morose. D’autant que le temps cette fois n’était
pas avec nous. Gros nuages noirs, petit vent frisquet au moment même
où je me suis baigné, en rentrant je me sentais frigorifié
jusqu’à l’os aussi profondément que je me
sens la tête encombrée de pensées parasites. L’après-midi
temps toujours menaçant, tentatives pour lire, pour écrire,
infructueuses, j’ai senti venir la mauvaise apathie, l’incapacité
à se décider pour rien. Finalement Constance et moi
avons réussi à nous mobiliser, on a pris la voiture
on est parti à une dizaine de kilomètres, à l’intérieur
des terres, autour d’un étang tranquille, où l’on
sait que foisonnent les ronciers à mûres. Il y avait
de quoi cueillir en effet. Ça m’a bien apaisé.
Et puis le temps s’est levé, une magnifique lumière
du soir est tombée sur l’étang, sur la belle campagne
qui l’entoure si complètement paisible, éloignée
de l’agitation des plages. Nous marchions. Nous nous arrêtions
pour regarder ou pour cueillir nos mûres. Puis j’ai sorti
mon appareil photo et je me suis régalé à tenter
de saisir quelquechose de la lumière et de l’ambiance
du lieu. Il y avait quantité d’oiseaux, des canards de
diverses sortes et de nombreux cygnes aussi, il y a eu soudain au-dessus
de l’étang juste devant nos yeux puis s’éloignant
ensuite en effectuant un grand cercle, un vol lent et majestueux de
cinq grands oiseaux blancs, j’ai cru que c’était
un vol d’oies mais au fond peut-être étaient-ce
des cygnes j’ignore l’aspect qu’ils ont en vol.
Quelle beauté, quelle sérénité ! Mon appareil
photo était déjà rangé, tant pis, ou tant
mieux, peut-être…
Pendant toute cette promenade je me suis senti bien,
enfin, vraiment bien, présent à l’instant dans
toute sa densité, mes soucis soudain m’ont paru infiniment
lointains et dérisoires…
Et maintenant pour tenter de faire perdurer la beauté
de ces instants ou plus exactement leur retentissement en moi j’écris
ces quelques mots dans la prenante et délicieuse odeur de la
confiture qui cuit doucettement sur le coin de la plaque électrique
à trois mètres de moi. Mais je sais combien ces instants
sont précaires…


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22/08/05 : Panne :
Nous pensions rentrer à Paris ce matin. Á
neuf heures tout était prêt, voiture chargée,
vélos sur le toit, notre petit pied à terre breton rangé,
nettoyé, fermé pour l’hiver. Nous partons sans
anicroche. Nous nous arrêtons trois kilomètres plus loin
pour faire le plein d’essence. Au moment de redémarrer,
rien, absolument rien, la clef tourne à vide…
Le garagiste est venu, n’a rien pu faire sur
place, a emmené la voiture et nous a ramené ici. Nous
avons laissé tous nos bagages, pris chacun un bouquin et le
sac de pique-nique, nous avons réouvert les volets, remis l’eau
et l’électricité et nous attendons l’appel
du garagiste qui doit nous dire s’il peut trouver un démarreur
et faire la réparation aujourd'hui. Nous avons fait une brève
promenade jusqu’à la mer sous un ciel menaçant,
mais la plage était belle tout de même, maintenant nous
sommes rentrés à la maison, nous bouquinons, j’ai
sorti mon petit carnet, les garçons ont ressorti leur échiquier
et poussent le bois. Ambiance curieuse, on est là sans y être
tout à fait, présent et en attente, dans une sorte de
suspension imprévue. Curieusement je ne vis pas mal ce contretemps
qui me complique pourtant un peu la vie. J’avais des tas de
choses à faire à Paris avant la reprise du boulot prévue
pour jeudi et qui sera de toute façon douloureuse. Je me sens
calme et fataliste, bien plus que je ne l’étais ces derniers
jours, encombrés de mes agacements professionnels. Hier encore
où la journée pourtant était météorologiquement
merveilleuse, où nous nous sommes promenés dans de très
beaux endroits, je me suis montré irascible à la moindre
contrariété, je n’ai pu éviter de me laisser
envahir par des vagues de mauvaise humeur alors qu’il aurait
fallu savoir jouir à plein de ce qu’offrait cette dernière
journée de vacances. Paradoxalement je me sens mieux aujourd'hui
alors que le ciel est gris et que nous restons confinés dans
notre petit appartement à attendre des nouvelles du garagiste…
Nous voulions partir tôt. Cela nous semblait
indispensable, absolument impératif. Nous partirons tard, ce
soir ou peut-être même demain. C’est ainsi. C’est
une circonstance qui ne dépend pas de nous. Il faut faire avec.
Comme je dois faire avec mes conditions de rentrée professionnelle
détestables. En m’en laissant le moins possible atteindre...
Les gens qui aiment bien voir des signes partout
dirait que c’en est un. Juste pour dire : il y a ce qui dépend
de soi et ce qui n’en dépend pas. Inutile de rajouter
sa propre colère aux contrariétés de la vie.
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27/08/05 : Á
distance :
Donc je suis de retour. J’ai rangé
les accessoires de l’été et des vacances. J’ai
fait imprimer mes photos. J’ai repris le boulot dans les conditions
détestables auxquelles je m’attendais. J’ai été
lire mes diaristes favoris, ceux qui le sont simplement parce que
j’aime les mots qu’ils écrivent et ceux qui le
sont aussi parce que maintenant je les ai croisé « en
vrai ». J’ai relu les mots de ce journal que j’ai
écrit pendant que j’étais loin d’internet
et donc que je n’ai pas mis en ligne sur le moment...
Je me sens à distance. Á distance
de mes propres mots et des mots des autres. Á distance de mon
boulot qui m’a pourtant tellement envahi. Á distance
de mes vacances passées. En fait je crois que c’est surtout
que j’ai envie de me mettre à distance... D’être
dans ma bulle... Comme pour faire un retour vers moi mais un retour
en silence...
Je ne sais pas trop. C’est un sentiment étrange.
Je me sens très indéterminé, très flottant.
Sans que ce soit désagréable d’ailleurs, sans
que ce soit assorti de culpabilité.
Le symptôme c’est ma difficulté
à aller mettre en ligne ces mots de mes vacances, je pensais
le faire à peine rentré et puis non, j’ai laissé
passer un jour, deux jours, trois jours… Je pensais aller lire
avec avidité mes blogueurs habituels, me précipiter
pour aller mettre des commentaires ou envoyer des mails, dire coucou,
je suis rentré, mais non j’ai juste survolé de
loin… Ce n’est pas que j’ai envie d’arrêter,
pas du tout, la preuve finalement je viens mettre en ligne, et j’éprouve
même le besoin de faire ce petit commentaire pour dire que je
suis là, même si j’y suis un peu en marge, un peu
sur la pointe des pieds.
Ou peut-être est-ce que des choses mûrissent
mais qui ne sont pas prêtes ? Je ne sais même pas exactement
sur quel plan, je ne force pas, je ne cherche pas…
Ma bulle c’est me mettre tôt dans mon
lit avec un livre, un bon livre qui m’emmène loin, loin
des autres et de la communication, loin avec moi-même…
Avant de revenir…