16/04/05 : Fumée
:
Ouvrant la porte ce matin et sortant sur ma petite
terrasse dans le matin frais et qui semble annoncer une belle journée,
m’est venue aux narines une odeur de fumée, de feu de
bois, j’ai humé très fort, essayant de m’en
imprégner et de deviner d’où cela venait. C’est
plutôt rare car il est interdit de faire du feu dehors à
Paris, les pompiers sont censés réagir. Mais il y a
dans mon quartier de petites maisons vieillottes qui ont parfois des
cours et des jardinets, quelqu'un sans doute a osé faire brûler
quelques branches. Avec cette fumée venait une odeur de campagne,
de sous-bois moussu, de vieille maison et de boiseries, l’image
d’une cheminée dans laquelle dansent les flammes, de
fauteuils approchés, de mains et de jambes tendues vers une
chaleur presque trop vive mais bienfaitrice…
Je n’ai pas de souvenirs d’enfance auxquels
ces images seraient attachées. Je suis un urbain pur jus, j’ai
toujours vécu en appartement, mes grands-mères chez
qui j’allais en vacance elles-mêmes étaient citadines
même si c’était dans de plus petites villes que
Paris. Je n’ai pas été chez les scouts et je n’ai
pas fait des veillées autour de feux de bois. Mes grands parents
paternels ont eu un temps une villa en Espagne au bord de la mer,
mais c’était une villa moderne, fonctionnelle, si cheminée
il y avait ce ne devait être qu’un décor, je me
souviens que ma grand-mère avait une peur panique de l’incendie,
jamais elle n’aurait allumé un feu, d’ailleurs
c’est une maison où nous n’allions qu’en
été. Les feux, la fumée de la cheminée
ce sont pour moi des souvenirs bien plus tardifs, remontant plutôt
à ma vie de jeune adulte, liés à des passages
brefs dans telle maison de campagne de tel ou tel ami, dans un gîte
ici ou là au cours d’une randonnée ou à
de brefs séjours en hiver chez mon amie des Landes.
Mais l’image est forte tout à coup
et l’envie violente. Là à cet instant précis,
c’est de cela dont j’aurais envie, une campagne à
moi, un lieu clos et chaleureux où rentrer après m’être
imprégné de grand air, de vent, de pluie pourquoi pas,
une cheminée sur laquelle je me pencherai pour en faire jaillir
des flammes, une chaleur vivante, et cette odeur de fumée…
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17/04/05 : Cauchemar
:
Ce n’est pas un cauchemar en rêve hélas,
c’en est un de la vraie vie, pas de la mienne mais si, de la
mienne aussi, même si c’est indirectement, lointainement.
On est dans le même bateau sur cette terre.
C’est « Le cauchemar de Darwin »,
un documentaire hallucinant sur la vie sur les rives du lac Victoria.
La perche du Nil est devenue l’espèce dominante de ce
lac dont elle a détruit la diversité écologique,
elle est péchée dans des conditions épouvantables,
transformée dans des usines sur place, les filets partent vers
l’Europe, les déchets sont recyclés (et de quelle
façon) pour nourrir la population locale, la vie est rythmée
par les allers et retour des avions cargos qui emportent le poisson
vers l’Europe non sans apporter dans l’autre sens des
armes et des munitions de contrebande qui partiront vers les zones
d’Afrique où se déroulent des conflits armés.
Ça se sont les faits eux-mêmes, déjà
dramatiques. Mais l’horreur est au-delà des mots, au-delà
de cette description d’une « économie » de
prédation dont on sait hélas qu’elle régit
une part importante du commerce mondial. Elle est dans les paroles
et les images qui en montrent les conséquences concrètes
jusqu’à des extrémités qu’on n’aurait
pas osé imaginer : les pêcheurs qui plongent pour rabattre
le poisson vers les filets au risque de se faire happer par un crocodile,
la prostitution sans protection et les ravages catastrophiques du
sida, les enfants abandonnés qui errent dans la ville et sniffent
la colle qu’ils récupèrent en faisant fondre des
barquettes de plastique, les équipages russes qui bricolent
en picolant leurs vieux avions, vraies poubelles volantes souvent
accidentés comme en attestent les carcasses qui pourrissent
à proximité de la piste d’atterrissage. C’est
ce gardien du « centre technique du poisson » qui raconte
comment il attend que les maraudeurs aient franchis la clôture
pour pouvoir les tuer sans la moindre émotion et en toute légalité
en leur décochant des flèches empoisonnées. Et
puis, il y a cette scène, la plus insoutenable du film, celle
où j’ai dû à certains moments fermer les
yeux, la caméra s’attarde dans cet endroit inimaginable
où les déchets des poissons putréfiés
et envahis de vermine sont séchés, traités à
l’ammoniaque pour être revendus ensuite sur les marchés
locaux… Tout au long du film la douleur, le désespoir
se lisent dans les corps, sur les visages. Pratiquement aucun vrai
sourire à aucun moment. Quand on chante c’est pour les
morts et alors il s’agit de complaintes nostalgiques qui parlent
sans doute d’autres temps. Les ciels ne sont jamais bleus, ils
sont blancs ou plombés, porteurs d’orages. On ne voit
rien qui puisse contrebalancer cette horreur, rien, aucun signe de
vitalité, ou d’espoir, on ne voit que résignation
dans la descente aux enfers. Quand on pense que c’est sur ces
terres précisément, dans ces savanes de l’est
africain que s’est opéré le début de l’hominisation,
que c’est de ce creuset que nous venons, tous autant que nous
sommes !
Peut-être le réalisateur en rajoute-t-il
pour appuyer sa démonstration ou susciter l’émotion.
Non, je ne crois pas qu’il en rajoute, tout ce qui est montré
existe, tout au plus conduit-il le regard dans un seul sens par la
façon dont il montre, peut-être aussi a-t-il choisi de
ne pas montrer d’autres aspects de la réalité
qui seraient un peu moins désespérants, je veux un tout
petit peu l’espérer...
Je suis sorti de là abasourdi. Ça
ne remonte pas le moral c’est le moins qu’on puisse dire.
Déjà qu’il n’était pas au top. Mais
je ne regrette pas d’avoir vu ce film, il faut de temps en temps
oser regarder…
Ça c’était hier soir. Aujourd'hui
j’ai été voir au Grand Palais la magnifique exposition
sur l’art du Brésil
indien. Il faisait beau, la balade en vélo jusque là-bas
par les voies sur berges libérées des automobiles le
dimanche était agréable. L’expo est très
belle, cela m’a fait du bien à tous points de vue cette
beauté. Céramique, vannerie, masques d’écorce
formidablement expressifs, arts de la plume surtout, compositions
somptueuses des formes et des couleurs. Tout ça atteste de
la force de ces arts premiers, de l’humanité qui les
sous-tend, l’expo se veut rassurante, parle de la préservation
et de la reconnaissance acquise désormais pour ces cultures,
ça me parait d’un optimisme un peu forcé mais
bon, laissons dire, ça éloigne un peu l’horreur
du film d’hier, même si en même temps ça
rappelle ce qui là-bas, dans ce désastre, s’est
irrémédiablement perdu…
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22/04/05 : Entrée
en week-end :
Ce matin air frais, ciel lumineux, couleurs éclatantes,
il y a même en ville, des odeurs de jeunes pousses et d’arbres
en floraison, prunus, tulipiers, les lilas aussi qui commencent à
fleurir, on perçoit encore tout ça tôt le matin
avant que ces parfums délicats ne soient écrasés
par les odeurs de la pollution du jour. Je me sens plein d’allégresse
en allant au bureau. Il faut dire qu’on touche aux vacances,
je ne travaille pas pendant la quinzaine qui vient à l’exception
de deux petits jours et on va partir dans notre maison du midi, la
maison vide de mes grands-parents, celle où j’ai des
velléités de m’installer si j’obtenais un
poste par là-bas, (encore faudrait-il déjà que
je me décide à le demander, cette année j’ai
laissé passer une occasion, laissons ça, ce n’est
pas le sujet du jour). Pour l’instant je me suis promis dès
ma sortie du bureau une promenade photographique vers le Jardin des
Plantes et les bords de Seine.
Mais en milieu de journée la lumière
a changé déjà, la fraîcheur s’est
évanouie au profit d’un temps presque lourd quand on
est en plein soleil et à l’abri du vent, la lumière
est beaucoup moins belle, les couleurs ont pâli, les ombres
ont perdu de leur relief, des traînées laiteuses apparaissent
dans le ciel.
Je fais mon tour quand même, clic-clac, quelques
photos mais l’ambiance n’est plus tout à fait la
même. Le Jardin des Plantes est paisible, peu de monde encore,
ce n’est pas le week-end, pas de joggers frénétiques
et pas de troupes d’enfants, quelques amoureux qui se bécotent
sur les bancs publics, deux dames qui s’essayent à la
gouache face à des plates-bandes pleines d’éclat.
Je continue vers la Seine, je me pose un moment
pour lire, tout au bord de l’eau, sur les gradins du port St
Bernard, en fait je lis peu, je n’y arrive pas, mon regard s’accroche
ici ou là, sur les gens qui passent et sur le paysage, pas
sur les lignes de mon livre, ballets des bateaux sur la Seine, quelques
péniches mais surtout des bateaux de promenade, bâtisses
des quais et de la poupe de l’Ile Saint Louis….
Je continue, je longe l’Ile, je monte et descend,
suivant tantôt le quai d’en haut au pied des immeubles
tantôt le quai d’en bas, la vrai, tout au bord de l’eau,
et j’approche de Notre Dame par l’arrière.
Plus de monde par ici, l’envahissement touristique
y est continu, je ne m’attarde plus, je commence à me
sentir lassé de la promenade, je traverse la Seine, remonte
par le quartier Saint-Michel jusqu’à la Sorbonne puis
reprend un bus pour rentrer…
Le beau temps tient à peu près, le
soleil est toujours là quoique un peu voilé, la pluie
ce sera pour cette nuit.
Je suis entré en week-end …
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24/04/05 : Exhumations
et quelques autres choses :
Ce week-end j’ai fait une plongée dans
les tréfonds de mon ordinateur pour y mettre un peu d’ordre
en réorganisant mes dossiers et mes fichiers, j’ai été
exhumer de vieux textes pour faire des mises au net, non de contenu
mais de mise en page et de présentation puis j’ai commencé
à faire des tirages papier de ces anciens documents.
En fait tout ça est parti d’un texte,
constitué d’un ensemble de fragments autobiographiques
qui datent d’il y a une dizaine d’années. Je me
suis enfin décidé à déposer ce texte à
l’Association pour l’Autobiographie.
Quand j’ai commencé à me rapprocher de ce groupe
il y a trois-quatre ans, c’était déjà avec
l’idée d’y déposer ce texte, peut-être
même était-ce avant tout pour y déposer ce texte.
Et je ne l’avais pas encore fait ! J’avais des résistances
sans doute parce que ce texte qui n’était pas destiné
à être donné à lire donne de moi une image
qui au moins en partie ne me plait pas, dans laquelle je ne me reconnais
plus complètement. En même temps il vaut justement par
son authenticité, juste expression de ce que j’étais
au moment où il a été écrit. Il n’est
donc pas question d’en changer une ligne. Il me faut accepter
de donner à lire aussi certains aspects névrotiques
de ma personnalité ou certains ridicules que les gens qui me
connaissent ne supposent pas j’imagine tant je parviens à
donner de moi l’image de quelqu’un de simple, d’équilibré,
plutôt bon vivant, capable de masquer ses failles intimes. Je
m’en sens capable désormais. J’ai donc peaufiné
la présentation, refais des tirages. C’est fait. Presque.
Je n’ai plus qu’à relier puis qu’à
transmettre. Tel que je me connais ça va me prendre encore
six mois !
Mais du coup j’ai commencé à
faire pareil pour d’autres textes. Certains d’entre eux
avaient été tirés sur papier mais sans cohérence,
et d’autres pas du tout. Certains étaient à demi-oubliés,
d’autres sont tout récents et encore frais comme par
exemple les quelques textes que j’ai rédigé pour
Obsolettres. Une fois la mise en page harmonisée, le tirage
effectué, pour chaque petit ensemble constitué, je vais
glisser les pages entre deux feuilles rigides transparentes formant
couverture enserrées dans des baguettes plastiques. Ces textes
formeront alors des brochures, presque des livres, c’est un
premier pas d’auto-édition. Un autre mode d’existence
et de présence. Une forme qui me parait supérieure,
plus « réelle ». Je n’étais pas parti
du tout pour me lancer là-dedans mais une fois que je l’ai
eu fait pour mon texte autobiographique, je me suis dit pourquoi pas
pour les autres. Il y a des poésies, mes nouvelles «
lignes de fuite », mes « pink nouvelles », des journaux
plus anciens (les récents existent déjà sous
forme papier). En gros il y a du matériel qui remonte à
une bonne dizaine d’années, pas des contenus fleuves
mais quand même, cela fera au total je pense dans les trois
cent pages, dans quoi me suis-je lancé…
Je ne sais si cette exhumation me fait vraiment
plaisir. Là encore c’est un peu ambivalent. Ça
me rappelle le sentiment que j’ai lorsque je me lance dans la
confection d’albums photos. Il y a quelquechose de mortifère
dans ce type de recension. Ça a un côté vieillard
qui met de l’ordre dans son passé. Cela prend beaucoup
de temps, relecture, élimination de fautes d’orthographe
ou de frappe, harmonisation des polices et des mises en page, puis
le tirage lui-même. J’ai tendance à être
maniaque en plus dans ce domaine, je cherche la perfection formelle,
ce qui un peu absurde. Je refais un tirage par exemple simplement
parce que je m’aperçois que deux titres de chapitre ne
sont pas présentés pareils. Quelle importance ! Du coup
je me donne l’impression désagréable d’investir
trop de présent dans du passé. Je me dis : « laisse
les donc ces textes, ils ont été faits, ils étaient
vivants au moment d’être créés, dans l’acte
même de leur création. Mais maintenant ! Tu ferais mieux
d’être dans le présent de la vie, d’une lecture
découverte, ou d’une écriture nouvelle, tu as
tout un tas d’idées qui te courent dans la tête,
qu’attends tu pour les mettre en mots… »
En même temps je prends un certain plaisir
à redécouvrir certains de ces textes, j’aurai
plaisir ensuite, j’en suis sûr, à les feuilleter,
à les voir devenus une forme d’objet. Certains ne me
paraissent pas trop mauvais, je me dis même que cela aurait
sens de les partager, ne serait-ce que dans un petit groupe d’affinités.
Donc faire cela, n’est pas que remuer du contenu mort, c’est
peut-être créer les conditions pour faire accéder
tout ça à une autre forme de vie.
Maintenant que c’est lancé je vais
aller au bout. Je n’ai pas fini ! Une tâche de plus dans
laquelle je me lance et qui s’interpose devant d’autres
que j’ai en attente…
En dehors de ça j’ai profité
du week-end pour de la vie vivante. J’ai été à
l’exposition
Matisse au Musée
du Luxembourg avec Constance, sa mère, une de ses sœurs,
un petit neveu. Plaisir d’une activité partagée,
prolongé par une longue promenade dans le jardin, tout empreint
des jeunes pousses de printemps et d’odeurs. L’expo est
belle quoique courte, elle ne présente aucune œuvre qui
m’a particulièrement bouleversé, c’est plutôt
un ensemble dans lequel on baigne de sérénité
et de beauté. Que ces lignes et ces couleurs sont intenses,
présentes, expression d’un homme qui pour avoir pu produire
cela devait se sentir jeune et vivant dans son grand âge : belle
leçon et qui met du baume au cœur. J’ai eu un plaisir
profond à me trouver confronté à cette beauté
si simple, si évidente. Je me demande d’où elle
vient, qu’est-ce qui fait qu’un simple coup de crayon,
que la juxtaposition de quelques formes et de quelques couleurs suffisent
à créer cette beauté. Pourquoi est-ce plus beau
venant de la main de Matisse que de quelqu'un d’autre qui tenterait
d’en faire autant ? Je n’ai pas la culture ou la pratique
qui me permettrait d’avoir des éléments de réponse,
alors je n’en cherche pas, je me contente d’apprécier...
Puis nous avons été au cinéma,
nous avons vu « Mon petit doigt m’a dit », divertissement
délicieux, personnages tortueux et fantasques, acteurs excellents
et pas seulement les deux principaux mais tous qui donnent de l’épaisseur
aux personnages secondaires, dialogues savoureux et plein d’humour,
situations tortueuses et rebondissantes, beauté des paysages
en bord de lac du Bourget et dans la montagne savoyarde. L’histoire
s’étire et la chute est un peu laborieuse et décevante
(comme dans beaucoup de polars d’ailleurs, livres ou films)
mais ce n’est pas l’essentiel pendant les trois quart
du film on passe un moment vraiment réjouissant. Là
encore c’était plaisir d’être en petite troupe,
de différents âges et d’échanger ensuite
à la table d’un café, alors que le plus souvent
je vais au cinéma seul ou seulement avec Constance.
Au total c’est un bon week-end qui s’achève
où se sont équilibrées mes activités propres
d’exhumations et d’écriture et des activités
ouvertes et partagées… Bon week-end aussi peut-être
parce que je touche quasiment aux vacances, une journée encore,
et même pas à mon bureau d’ailleurs mais dans un
autre service, tâches de préparation d’activités
futures entre pairs, ce sera décontracté, ce n’est
presque pas le travail finalement ou du moins pas ce qui est lourd
et contraignant en lui, je me sens en avant vacances…
La gerbe, un dernier éclat de vie de Matisse
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25/04/05 : Heureux ?
:
Comme souvent j’ai été touché
par la très belle dernière entrée d’Alain
« retour vers l’essentiel » et par son bel éloge
de "l'ascèse de l'instant".
Je comprends parfaitement ce qu’il veut dire
et partage les valeurs qu'il met en avant. Mais ce qui chez lui correspond
à un accomplissement qu’il a su atteindre ou à
tout le moins qu’il parvient à approcher, reste chez
moi un vécu le plus souvent hors d’atteinte. Comme lui
je suis fasciné par la contemplation de la mer, et je ressens
fortement l’apaisement qu’elle me procure. Il m’arrive,
mais rarement, de pouvoir m’abstraire en elle, d’être
tout entier dans ma contemplation et dans l’instant au moment
où je le vis. Ces moments existent, j’en suis sûr,
puisque j’ai l’expérience de les avoir vécus
mais ils sont rares, exceptionnels, ils ne forment pas, loin de là,
le tissu profond de ma vie qui est bien plus souvent constituée
d’instants où le présent est battu en brèche
par le passé et par le futur sous la forme du regret et sous
celle de l’attente. J’ai des plaisirs et des déplaisirs,
des moments heureux et des moments malheureux mais qui tous s’inscrivent
dans une trame qui n’est pas le bonheur, qui n’est pas
le malheur non plus, qui est une sorte de ligne de fond grise, liée
à je ne sais quoi, sans doute à une incapacité
à me trouver vraiment, à m’accepter tel que je
suis, à me sentir en harmonie…
La vie à ce jour ne m’a pas apporté
de grands malheurs ou de grandes douleurs, je n’ai jamais été
malade, j’ai un métier que j’apprécie plus
ou moins mais qui m’assure la sécurité et me permet
de vivre sans problème matériel, je vis une relation
stable qui m’a apporté beaucoup de satisfactions, qui
m’en apporte encore même si elle est aujourd'hui plombée
par la routine, j’ai des enfants avec qui je m’entends
bien, qui ont l’air bien dans leur peau et semblent s’engager
dans la vie sous des auspices favorables... Tout donc pour être
heureux comme on dit. Et pourtant ce n’est pas ça. Je
ne peux pas dire que je suis heureux. J’en ai honte d’une
certaine façon quand je vois les malheurs que certains affrontent.
Et cette honte elle-même contribue à mes propres difficultés.
On dit qu’il y a des gens doués pour
le bonheur et d’autres qui le sont moins. D’où
cela vient-il ? Sans doute en partie des gènes et de ce qu’ils
génèrent dans la chimie des cellules, ce n’est
pas pour rien que j’emploie le mot « doué ».
On a sans doute un peu trop sous-estimé cette part innée
au temps du freudisme triomphant, je repense moi souvent et avec un
certain effroi, à ma mère et à mon grand père
maternel, dont je retrouve en moi, presque tels quels, certains des
traits de caractère les moins heureux. Mais bien sûr
cela vient aussi de l’histoire telle qu’elle se joue,
histoire de la famille et histoires individuelles, et de la façon
dont chacun là-dedans a pu ou pas se dépêtrer.
Tout cela, la part génétique et la part historique évidemment
sont intrinsèquement mêlés. Une aide extérieure,
celle d’une thérapie, peut être précieuse,
je n’y ai jamais eu recours, peut-être n’étais-je
pas assez « malade », peut-être n’ai-je pas
osé, ce en quoi sans doute j’ai eu tort.
Mais c’est ainsi. J’essaye de faire
avec ce que je suis. Avec le rêve (demain on rase gratis) de
pouvoir parvenir à une harmonie plus globale qui m’échappe,
à un contentement en profondeur, à la capacité
à vivre toujours au mieux le bonheur de l’instant. La
conscience que j’ai de tout cela s’est affûtée,
(je suis bien moins dans l’inconscience et le déni que
ne l’était ma mère par exemple), je ne fonctionne
pas tout à fait comme avant, les lignes imperceptiblement ont
bougé, mais si peu, si peu, il me semble qu’il y faudrait
des siècles…
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27/04/05 : Arrivée
:
Longue traversée nord-sud, plus rapide toutefois
maintenant que l’autoroute est terminé tout du long.
Le temps s’éclaircit au fur et à mesure que l’on
progresse vers le sud. C’est après Brive en traversant
les causses du Quercy que cela commence à sentir le midi. Contournement
de Toulouse, traversée du Lauraguais par la petite route que
j’aime bien et qui suit la ligne de crête des collines,
nous arrivons…
Nous avons retrouvé la maison déjà
ouverte, mon père en effet y est depuis quelques jours avec
ma sœur et mon petit neveu. En plus depuis quelques mois nous
louons un appartement du second à une cousine veuve depuis
peu et qui ne supportait plus son isolement dans son petit village.
Elle est là et garde deux de ses petites filles pendant les
vacances. Tout le monde s’est retrouvé au jardin à
notre arrivée. Boissons fraîches. La table de ping-pong
est sortie. Les enfants jouent et chahutent. Ça vit. C’est
agréable. Ce n’est pas toujours le cas lorsqu’on
arrive ici, que l’on doit ouvrir la maison, toute empreinte
de silence, d’odeurs de vieilleries et de renfermé, où
pèsent avec force les ombres de mes grands-parents.
Nous sommes arrivés ici suffisamment tôt
pour pouvoir enfourcher nos vélos dès ce soir et faire
une petite promenade, pas loin, juste une petite reconnaissance, c’est
la promenade traditionnelle à notre arrivée ici, on
longe le mini-canal que suit un GR et qui serpente aux limites du
bourg puis dans la campagne, évitant les dénivelées
en suivant strictement la courbe de niveau. On observe ce qui change
à chacune de nos venues ici. On est surpris chaque fois par
le nombre de maisons neuves qui grignotent la campagne. C’est
un peu triste d’un côté mais rassurant aussi, ce
n’est pas ici une campagne morte, où s’accumulent
les ruines et les friches. Dans le bourg odeurs mêlées
du lilas, de la glycine, des cytises… Dans la campagne, odeurs
plus puissantes, d’un troupeau de vache dans un pré,
des pins qui par endroits ombragent le chemin, des carrés de
colza en pleine floraison, taches jaunes violentes au milieu des verts
très doux du printemps. Les odeurs, peut-être est-ce
qui me manque le plus à Paris, où les parfums subtils
sont le plus souvent écrasés dans le magma indistinct
de l’odeur de la ville, les effluves ici sont différenciés
à chaque nouveau tour de roue et portent en eux toute la variété
de la nature. Le niveau de l’eau est très bas, on parle
d’une sécheresse importante qui menace pour cette année,
c’est vrai, il faut que nous en prenions conscience nous qui,
avec nos réflexes d’urbains en vacances, ne verrions
dans la pluie que désagrément. Pour l’instant
en tout cas, il fait très beau, très doux, le ciel est
complètement pur, le soleil qui se couche irise les feuillages
de derniers rayons dorés.
Papa a commandé un cassoulet chez le charcutier
voisin. Nous allons le chercher, tout fumant, tout juste sorti du
four dans sa cassole de terre vernissée. Il fait si doux qu’on
peut s’installer dans le jardin pour dîner. Diable ce
qu’on est bien ! La nuit achève de tomber. Les oiseaux
se sont tus sauf quelques martinets qui tournoient encore au-dessus
de nos têtes…
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30/04/05 : Passé, présent…
avenir ?
Je me suis réveillé avant la fin de
la nuit ce matin, aux tous premiers chants d’oiseaux. J’ai
eu tout de suite le sentiment que je ne me rendormirai pas. Je me
suis glissé hors de la chambre emportant mon livre et j’ai
été m’installer sur l’autre côté
de la maison, dans l’ancien bureau de mon grand-père.
Par la croisée restée ouverte je jette un coup d’œil
sur la place qui s’anime déjà car aujourd'hui
est jour de marché, les commerçants s’installent
très tôt, la nuit commence à peine à pâlir,
je regarde l’heure à l’horloge du beffroi de la
halle : il est cinq heures et demi…
J’ai du mal à me mettre à lire
en fait. Je rêvasse en regardant les objets de la pièce.
Mon ordi portable est là, je l’allume et commence à
écrire ces mots…
A côté de moi, il y a la vieille Remington
d’avant guerre qu’utilisait mon grand-père, sous
le petit morceau de bâche plastique transparent qui la protège
de la poussière, je le retire, amusé soudain, je glisse
une feuille entre les rouleaux, je tape touche par touche, cliquetis
d’un autre temps, je fais revenir le chariot, manipule le cylindre
pour faire avancer la feuille, les caractères apparaissent
à peine sur la feuille puis plus du tout, l’encre sur
le rouleau doit avoir quasi complètement séchée,
pour autant qu’il en reste…
Au mur des photos : mon père petit garçon
sage en costume de marin dans les années trente, visage fin,
cheveux brillants et bien peignés avec la raie sur le côté,
on le reconnaît cependant ; le portrait de ma grand-mère
dans sa quarantaine resplendissante, une petite photo dans un joli
cadre de bois, celle que mon grand-père gardait sur son bureau
et devant laquelle chaque matin à la saison pendant les dix
années pendant lesquelles il lui a survécu, il mettait
une ou deux roses fraîches et odorantes tout juste coupées
au jardin ; une photo de moi et de ma sœur, dans les années
soixante, on se tient par la main, pieds dans l’eau devant une
barque à voile, dans le petit village de la Costa Brava où
mes grands-parents avaient une villa où nous allions en vacances,
nous avons l’air complices, nous ne l’avons jamais été
vraiment, que nos sourires sont gais, celui de ma sœur surtout,
épanoui, rien qui pourrait un tant soit peu faire penser aux
galères qui ont été les siennes pendant tant
d’années à partir de son adolescence et dont elle
s’est si difficilement sortie, c’était une photo
du début de la couleur mais justement elles sont passées
ces pauvres couleurs, la photo est terne, éteinte, n’étaient
ces sourires heureusement…
Dans la bibliothèque quelques vieux livres
reliés, quelques Jules Verne de la collection Hetzel aux reliures
complètement démantibulées (c’est bien,
cela veut dire qu’au moins ils ont vécu, ils ont été
lus), quelques beaux livres illustrés des années 50
et 60, la collection plus tardive des prix Nobel de littérature
des éditions Rombaldi, mon grand-père m’avait
offert ça pour mon bac, je n’ai jamais été
suffisamment grandement logé pour embarquer cette soixantaine
de gros volumes, ils sont toujours restés ici. Mes grands-parents
étaient très fiers de leur achat, du culturel reconnu
quoi de mieux pour un jeune homme qui s’engageait en khâgne,
et en plus, croyaient-ils, le début d’un patrimoine,
car ces bouquins bien sûr prendrait de la valeur. Ça
m’amuse : on les rencontre dans toutes les brocantes, pour trois
fois rien… Et puis il y a aussi le nouveau Larousse illustré
en huit volumes datant du début du siècle passé,
je cherche en vain la date exacte de publication, aussi curieux que
cela paraisse elle ne figure nulle part, en feuilletant le complément
en fin du dernier volume j’ai constaté qu’il évoque
des évènements de 1906 et 1907 et pas au-delà.
Je me promène dans les notices de personnages totalement oubliés,
je laisse traîner mon regard sur les belles planches illustrées,
caractéristiques des Larousse.
Le bruit dehors est devenu plus intense. Il fait
grand jour et c’est le grand beau temps aujourd'hui encore.
Tous les commerçants sont arrivés et de nombreux clients
déjà, la rumeur du marché enfle et pénètre
jusqu’à moi, elle me tire de mes rêveries, je m’accoude
à la fenêtre et regarde le mouvement joyeux à
mes pieds. J’entends que Constance, que Papa se sont levés,
je vais les rejoindre à la cuisine et prendre avec eux mon
petit déjeuner, nous discuterons de ce dont nous avons besoin
au marché et puis, à notre tour, dans ce bel aujourd'hui,
nous y descendrons… Voilà pour le présent.
Et l’avenir ? Ce séjour me donne de
plus en plus envie de venir m’installer ici. Ça fait
des années que je tourne autour de cette idée, c’est
moi qui ai freiné lorsqu’il a été question
de vendre cette maison et qui ai alors clairement posé que
je n’excluais pas d’en faire à terme ma résidence
principale, j’ai envisagé de prendre un poste dans la
région mais sans aller au bout les deux fois où des
occasions se sont présentées. Comme souvent je suis
dans le vague projet, quasiment dans le fantasme, conjecturant de
façon parfois très précise à propos d’éléments
de transformation à effectuer, ce serait bien de faire une
chambre supplémentaire ici, et dans l’atelier au fond
du jardin il faudrait percer une fenêtre et puis il faudrait
couper le cèdre qu’avait planté mon grand-père,
il est devenu trop grand, disproportionné par rapport à
la taille du jardin, et une piscine ce serait bien une piscine, mais
où et comment la faire pour qu’elle soit masquée
et ne casse pas l’ambiance du jardin, quels meubles faudrait-il
retirer pour pouvoir intégrer les nôtres, et mes bouquins,
mes masses de bouquins où les mettrais-je…
Ce ne sont que des rêveries. Je n’ai
pas abordé le sujet dans le vif, avec mon père et ma
sœur qui sont quand même concernés même s’il
est acquis que je suis le seul qui envisagerait éventuellement
une installation ici. Constance connaît mon envie, elle s’y
est ralliée mais du bout des lèvres et elle ne la voit
que comme un vague fantasme sans concrétisation proche. Je
ne me suis pas posé la question du financement de ces transformations
qui serait rien moins qu’évident...
Mais si je ne fais pas ces pas, c’est que
dans mes réticences entrent aussi des questions plus fondamentales.
L’angoisse de m’installer dans une maison dont les attraits
je le sens bien sont aussi d’être fonctionnelle et pratique
pour des vieux, en plein centre d’une petite ville tranquille,
avec les commerces et services nécessaires à la porte
de maison, avec un jardin, avec la campagne toute proche. C’est
une maison pour la retraite, une maison « pour faire une fin
» comme disait je ne sais plus qui et ça en soi ça
me parait effrayant. Certes Toulouse grande ville très vivante
est proche, certes la région que j’aime beaucoup est
pleine de ressources, s’installer ici ne veut pas dire s’y
enterrer mais je ne peux m’empêcher de voir cela en ombre
portée… Et puis justement il y a ça aussi, ces
souvenirs de mes grands-parents en leur grande vieillesse, n’est-ce
pas difficile et malsain de s’installer dans un lieu trop marqué
par eux, par un passé dont on risque d’être en
partie prisonnier, peut-on cesser de s’y sentir dans la maison
des grands-parents, peut-on se sentir vraiment chez soi. C’est
pourquoi aussi si je m’installe ici il me parait fondamental
d’y faire des transformations profondes, pas seulement pour
rénover, moderniser, mais en fait pour pouvoir m’approprier
vraiment le lieu…
Il me semble en tout cas aujourd'hui que passé,
présent et avenir ne sont pas trop en bisbille et convergent
pour me dire : vas-y, tu peux faire quelquechose qui te conviendra
ici. Mais alors justement vas-y, c'est à dire pose des jalons,
commence à entrer dans le concret, inscrit ça dans ton
présent même si c’est avec des actes minuscules,
ne te contente pas de tout laisser flotter comme un vague projet à
l’horizon d’un futur indéterminé…
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