LES ÉCHOS DE VALCLAIR

Ecrivez-moi

Retour à l'accueil

Quinzaine précédente

Archives 2003

Archives 2004

Archives 2005

Index de quelques noms propres

Parcours thématiques

 

 

 

 

MOIS d'Avril 2005 (2° quinzaine)

Aller en bas de page

16/04/05 : Fumée :

Ouvrant la porte ce matin et sortant sur ma petite terrasse dans le matin frais et qui semble annoncer une belle journée, m’est venue aux narines une odeur de fumée, de feu de bois, j’ai humé très fort, essayant de m’en imprégner et de deviner d’où cela venait. C’est plutôt rare car il est interdit de faire du feu dehors à Paris, les pompiers sont censés réagir. Mais il y a dans mon quartier de petites maisons vieillottes qui ont parfois des cours et des jardinets, quelqu'un sans doute a osé faire brûler quelques branches. Avec cette fumée venait une odeur de campagne, de sous-bois moussu, de vieille maison et de boiseries, l’image d’une cheminée dans laquelle dansent les flammes, de fauteuils approchés, de mains et de jambes tendues vers une chaleur presque trop vive mais bienfaitrice…

Je n’ai pas de souvenirs d’enfance auxquels ces images seraient attachées. Je suis un urbain pur jus, j’ai toujours vécu en appartement, mes grands-mères chez qui j’allais en vacance elles-mêmes étaient citadines même si c’était dans de plus petites villes que Paris. Je n’ai pas été chez les scouts et je n’ai pas fait des veillées autour de feux de bois. Mes grands parents paternels ont eu un temps une villa en Espagne au bord de la mer, mais c’était une villa moderne, fonctionnelle, si cheminée il y avait ce ne devait être qu’un décor, je me souviens que ma grand-mère avait une peur panique de l’incendie, jamais elle n’aurait allumé un feu, d’ailleurs c’est une maison où nous n’allions qu’en été. Les feux, la fumée de la cheminée ce sont pour moi des souvenirs bien plus tardifs, remontant plutôt à ma vie de jeune adulte, liés à des passages brefs dans telle maison de campagne de tel ou tel ami, dans un gîte ici ou là au cours d’une randonnée ou à de brefs séjours en hiver chez mon amie des Landes.

Mais l’image est forte tout à coup et l’envie violente. Là à cet instant précis, c’est de cela dont j’aurais envie, une campagne à moi, un lieu clos et chaleureux où rentrer après m’être imprégné de grand air, de vent, de pluie pourquoi pas, une cheminée sur laquelle je me pencherai pour en faire jaillir des flammes, une chaleur vivante, et cette odeur de fumée…

Retour au haut de page

 

17/04/05 : Cauchemar :

Ce n’est pas un cauchemar en rêve hélas, c’en est un de la vraie vie, pas de la mienne mais si, de la mienne aussi, même si c’est indirectement, lointainement. On est dans le même bateau sur cette terre.

C’est « Le cauchemar de Darwin », un documentaire hallucinant sur la vie sur les rives du lac Victoria. La perche du Nil est devenue l’espèce dominante de ce lac dont elle a détruit la diversité écologique, elle est péchée dans des conditions épouvantables, transformée dans des usines sur place, les filets partent vers l’Europe, les déchets sont recyclés (et de quelle façon) pour nourrir la population locale, la vie est rythmée par les allers et retour des avions cargos qui emportent le poisson vers l’Europe non sans apporter dans l’autre sens des armes et des munitions de contrebande qui partiront vers les zones d’Afrique où se déroulent des conflits armés.

Ça se sont les faits eux-mêmes, déjà dramatiques. Mais l’horreur est au-delà des mots, au-delà de cette description d’une « économie » de prédation dont on sait hélas qu’elle régit une part importante du commerce mondial. Elle est dans les paroles et les images qui en montrent les conséquences concrètes jusqu’à des extrémités qu’on n’aurait pas osé imaginer : les pêcheurs qui plongent pour rabattre le poisson vers les filets au risque de se faire happer par un crocodile, la prostitution sans protection et les ravages catastrophiques du sida, les enfants abandonnés qui errent dans la ville et sniffent la colle qu’ils récupèrent en faisant fondre des barquettes de plastique, les équipages russes qui bricolent en picolant leurs vieux avions, vraies poubelles volantes souvent accidentés comme en attestent les carcasses qui pourrissent à proximité de la piste d’atterrissage. C’est ce gardien du « centre technique du poisson » qui raconte comment il attend que les maraudeurs aient franchis la clôture pour pouvoir les tuer sans la moindre émotion et en toute légalité en leur décochant des flèches empoisonnées. Et puis, il y a cette scène, la plus insoutenable du film, celle où j’ai dû à certains moments fermer les yeux, la caméra s’attarde dans cet endroit inimaginable où les déchets des poissons putréfiés et envahis de vermine sont séchés, traités à l’ammoniaque pour être revendus ensuite sur les marchés locaux… Tout au long du film la douleur, le désespoir se lisent dans les corps, sur les visages. Pratiquement aucun vrai sourire à aucun moment. Quand on chante c’est pour les morts et alors il s’agit de complaintes nostalgiques qui parlent sans doute d’autres temps. Les ciels ne sont jamais bleus, ils sont blancs ou plombés, porteurs d’orages. On ne voit rien qui puisse contrebalancer cette horreur, rien, aucun signe de vitalité, ou d’espoir, on ne voit que résignation dans la descente aux enfers. Quand on pense que c’est sur ces terres précisément, dans ces savanes de l’est africain que s’est opéré le début de l’hominisation, que c’est de ce creuset que nous venons, tous autant que nous sommes !

Peut-être le réalisateur en rajoute-t-il pour appuyer sa démonstration ou susciter l’émotion. Non, je ne crois pas qu’il en rajoute, tout ce qui est montré existe, tout au plus conduit-il le regard dans un seul sens par la façon dont il montre, peut-être aussi a-t-il choisi de ne pas montrer d’autres aspects de la réalité qui seraient un peu moins désespérants, je veux un tout petit peu l’espérer...

Je suis sorti de là abasourdi. Ça ne remonte pas le moral c’est le moins qu’on puisse dire. Déjà qu’il n’était pas au top. Mais je ne regrette pas d’avoir vu ce film, il faut de temps en temps oser regarder…

Ça c’était hier soir. Aujourd'hui j’ai été voir au Grand Palais la magnifique exposition sur l’art du Brésil indien. Il faisait beau, la balade en vélo jusque là-bas par les voies sur berges libérées des automobiles le dimanche était agréable. L’expo est très belle, cela m’a fait du bien à tous points de vue cette beauté. Céramique, vannerie, masques d’écorce formidablement expressifs, arts de la plume surtout, compositions somptueuses des formes et des couleurs. Tout ça atteste de la force de ces arts premiers, de l’humanité qui les sous-tend, l’expo se veut rassurante, parle de la préservation et de la reconnaissance acquise désormais pour ces cultures, ça me parait d’un optimisme un peu forcé mais bon, laissons dire, ça éloigne un peu l’horreur du film d’hier, même si en même temps ça rappelle ce qui là-bas, dans ce désastre, s’est irrémédiablement perdu…

Retour au haut de page

 

22/04/05 : Entrée en week-end :

Ce matin air frais, ciel lumineux, couleurs éclatantes, il y a même en ville, des odeurs de jeunes pousses et d’arbres en floraison, prunus, tulipiers, les lilas aussi qui commencent à fleurir, on perçoit encore tout ça tôt le matin avant que ces parfums délicats ne soient écrasés par les odeurs de la pollution du jour. Je me sens plein d’allégresse en allant au bureau. Il faut dire qu’on touche aux vacances, je ne travaille pas pendant la quinzaine qui vient à l’exception de deux petits jours et on va partir dans notre maison du midi, la maison vide de mes grands-parents, celle où j’ai des velléités de m’installer si j’obtenais un poste par là-bas, (encore faudrait-il déjà que je me décide à le demander, cette année j’ai laissé passer une occasion, laissons ça, ce n’est pas le sujet du jour). Pour l’instant je me suis promis dès ma sortie du bureau une promenade photographique vers le Jardin des Plantes et les bords de Seine.

Mais en milieu de journée la lumière a changé déjà, la fraîcheur s’est évanouie au profit d’un temps presque lourd quand on est en plein soleil et à l’abri du vent, la lumière est beaucoup moins belle, les couleurs ont pâli, les ombres ont perdu de leur relief, des traînées laiteuses apparaissent dans le ciel.

Je fais mon tour quand même, clic-clac, quelques photos mais l’ambiance n’est plus tout à fait la même. Le Jardin des Plantes est paisible, peu de monde encore, ce n’est pas le week-end, pas de joggers frénétiques et pas de troupes d’enfants, quelques amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, deux dames qui s’essayent à la gouache face à des plates-bandes pleines d’éclat.

Je continue vers la Seine, je me pose un moment pour lire, tout au bord de l’eau, sur les gradins du port St Bernard, en fait je lis peu, je n’y arrive pas, mon regard s’accroche ici ou là, sur les gens qui passent et sur le paysage, pas sur les lignes de mon livre, ballets des bateaux sur la Seine, quelques péniches mais surtout des bateaux de promenade, bâtisses des quais et de la poupe de l’Ile Saint Louis….

Je continue, je longe l’Ile, je monte et descend, suivant tantôt le quai d’en haut au pied des immeubles tantôt le quai d’en bas, la vrai, tout au bord de l’eau, et j’approche de Notre Dame par l’arrière.

Plus de monde par ici, l’envahissement touristique y est continu, je ne m’attarde plus, je commence à me sentir lassé de la promenade, je traverse la Seine, remonte par le quartier Saint-Michel jusqu’à la Sorbonne puis reprend un bus pour rentrer…

Le beau temps tient à peu près, le soleil est toujours là quoique un peu voilé, la pluie ce sera pour cette nuit.

Je suis entré en week-end …

Retour au haut de page

 

24/04/05 : Exhumations et quelques autres choses :

Ce week-end j’ai fait une plongée dans les tréfonds de mon ordinateur pour y mettre un peu d’ordre en réorganisant mes dossiers et mes fichiers, j’ai été exhumer de vieux textes pour faire des mises au net, non de contenu mais de mise en page et de présentation puis j’ai commencé à faire des tirages papier de ces anciens documents.

En fait tout ça est parti d’un texte, constitué d’un ensemble de fragments autobiographiques qui datent d’il y a une dizaine d’années. Je me suis enfin décidé à déposer ce texte à l’Association pour l’Autobiographie. Quand j’ai commencé à me rapprocher de ce groupe il y a trois-quatre ans, c’était déjà avec l’idée d’y déposer ce texte, peut-être même était-ce avant tout pour y déposer ce texte. Et je ne l’avais pas encore fait ! J’avais des résistances sans doute parce que ce texte qui n’était pas destiné à être donné à lire donne de moi une image qui au moins en partie ne me plait pas, dans laquelle je ne me reconnais plus complètement. En même temps il vaut justement par son authenticité, juste expression de ce que j’étais au moment où il a été écrit. Il n’est donc pas question d’en changer une ligne. Il me faut accepter de donner à lire aussi certains aspects névrotiques de ma personnalité ou certains ridicules que les gens qui me connaissent ne supposent pas j’imagine tant je parviens à donner de moi l’image de quelqu’un de simple, d’équilibré, plutôt bon vivant, capable de masquer ses failles intimes. Je m’en sens capable désormais. J’ai donc peaufiné la présentation, refais des tirages. C’est fait. Presque. Je n’ai plus qu’à relier puis qu’à transmettre. Tel que je me connais ça va me prendre encore six mois !

Mais du coup j’ai commencé à faire pareil pour d’autres textes. Certains d’entre eux avaient été tirés sur papier mais sans cohérence, et d’autres pas du tout. Certains étaient à demi-oubliés, d’autres sont tout récents et encore frais comme par exemple les quelques textes que j’ai rédigé pour Obsolettres. Une fois la mise en page harmonisée, le tirage effectué, pour chaque petit ensemble constitué, je vais glisser les pages entre deux feuilles rigides transparentes formant couverture enserrées dans des baguettes plastiques. Ces textes formeront alors des brochures, presque des livres, c’est un premier pas d’auto-édition. Un autre mode d’existence et de présence. Une forme qui me parait supérieure, plus « réelle ». Je n’étais pas parti du tout pour me lancer là-dedans mais une fois que je l’ai eu fait pour mon texte autobiographique, je me suis dit pourquoi pas pour les autres. Il y a des poésies, mes nouvelles « lignes de fuite », mes « pink nouvelles », des journaux plus anciens (les récents existent déjà sous forme papier). En gros il y a du matériel qui remonte à une bonne dizaine d’années, pas des contenus fleuves mais quand même, cela fera au total je pense dans les trois cent pages, dans quoi me suis-je lancé…

Je ne sais si cette exhumation me fait vraiment plaisir. Là encore c’est un peu ambivalent. Ça me rappelle le sentiment que j’ai lorsque je me lance dans la confection d’albums photos. Il y a quelquechose de mortifère dans ce type de recension. Ça a un côté vieillard qui met de l’ordre dans son passé. Cela prend beaucoup de temps, relecture, élimination de fautes d’orthographe ou de frappe, harmonisation des polices et des mises en page, puis le tirage lui-même. J’ai tendance à être maniaque en plus dans ce domaine, je cherche la perfection formelle, ce qui un peu absurde. Je refais un tirage par exemple simplement parce que je m’aperçois que deux titres de chapitre ne sont pas présentés pareils. Quelle importance ! Du coup je me donne l’impression désagréable d’investir trop de présent dans du passé. Je me dis : « laisse les donc ces textes, ils ont été faits, ils étaient vivants au moment d’être créés, dans l’acte même de leur création. Mais maintenant ! Tu ferais mieux d’être dans le présent de la vie, d’une lecture découverte, ou d’une écriture nouvelle, tu as tout un tas d’idées qui te courent dans la tête, qu’attends tu pour les mettre en mots… »

En même temps je prends un certain plaisir à redécouvrir certains de ces textes, j’aurai plaisir ensuite, j’en suis sûr, à les feuilleter, à les voir devenus une forme d’objet. Certains ne me paraissent pas trop mauvais, je me dis même que cela aurait sens de les partager, ne serait-ce que dans un petit groupe d’affinités. Donc faire cela, n’est pas que remuer du contenu mort, c’est peut-être créer les conditions pour faire accéder tout ça à une autre forme de vie.

Maintenant que c’est lancé je vais aller au bout. Je n’ai pas fini ! Une tâche de plus dans laquelle je me lance et qui s’interpose devant d’autres que j’ai en attente…

En dehors de ça j’ai profité du week-end pour de la vie vivante. J’ai été à l’exposition Matisse au Musée du Luxembourg avec Constance, sa mère, une de ses sœurs, un petit neveu. Plaisir d’une activité partagée, prolongé par une longue promenade dans le jardin, tout empreint des jeunes pousses de printemps et d’odeurs. L’expo est belle quoique courte, elle ne présente aucune œuvre qui m’a particulièrement bouleversé, c’est plutôt un ensemble dans lequel on baigne de sérénité et de beauté. Que ces lignes et ces couleurs sont intenses, présentes, expression d’un homme qui pour avoir pu produire cela devait se sentir jeune et vivant dans son grand âge : belle leçon et qui met du baume au cœur. J’ai eu un plaisir profond à me trouver confronté à cette beauté si simple, si évidente. Je me demande d’où elle vient, qu’est-ce qui fait qu’un simple coup de crayon, que la juxtaposition de quelques formes et de quelques couleurs suffisent à créer cette beauté. Pourquoi est-ce plus beau venant de la main de Matisse que de quelqu'un d’autre qui tenterait d’en faire autant ? Je n’ai pas la culture ou la pratique qui me permettrait d’avoir des éléments de réponse, alors je n’en cherche pas, je me contente d’apprécier...

Puis nous avons été au cinéma, nous avons vu « Mon petit doigt m’a dit », divertissement délicieux, personnages tortueux et fantasques, acteurs excellents et pas seulement les deux principaux mais tous qui donnent de l’épaisseur aux personnages secondaires, dialogues savoureux et plein d’humour, situations tortueuses et rebondissantes, beauté des paysages en bord de lac du Bourget et dans la montagne savoyarde. L’histoire s’étire et la chute est un peu laborieuse et décevante (comme dans beaucoup de polars d’ailleurs, livres ou films) mais ce n’est pas l’essentiel pendant les trois quart du film on passe un moment vraiment réjouissant. Là encore c’était plaisir d’être en petite troupe, de différents âges et d’échanger ensuite à la table d’un café, alors que le plus souvent je vais au cinéma seul ou seulement avec Constance.

Au total c’est un bon week-end qui s’achève où se sont équilibrées mes activités propres d’exhumations et d’écriture et des activités ouvertes et partagées… Bon week-end aussi peut-être parce que je touche quasiment aux vacances, une journée encore, et même pas à mon bureau d’ailleurs mais dans un autre service, tâches de préparation d’activités futures entre pairs, ce sera décontracté, ce n’est presque pas le travail finalement ou du moins pas ce qui est lourd et contraignant en lui, je me sens en avant vacances…

 



La gerbe, un dernier éclat de vie de Matisse

Retour au haut de page

 

25/04/05 : Heureux ? :

Comme souvent j’ai été touché par la très belle dernière entrée d’Alain « retour vers l’essentiel » et par son bel éloge de "l'ascèse de l'instant".

Je comprends parfaitement ce qu’il veut dire et partage les valeurs qu'il met en avant. Mais ce qui chez lui correspond à un accomplissement qu’il a su atteindre ou à tout le moins qu’il parvient à approcher, reste chez moi un vécu le plus souvent hors d’atteinte. Comme lui je suis fasciné par la contemplation de la mer, et je ressens fortement l’apaisement qu’elle me procure. Il m’arrive, mais rarement, de pouvoir m’abstraire en elle, d’être tout entier dans ma contemplation et dans l’instant au moment où je le vis. Ces moments existent, j’en suis sûr, puisque j’ai l’expérience de les avoir vécus mais ils sont rares, exceptionnels, ils ne forment pas, loin de là, le tissu profond de ma vie qui est bien plus souvent constituée d’instants où le présent est battu en brèche par le passé et par le futur sous la forme du regret et sous celle de l’attente. J’ai des plaisirs et des déplaisirs, des moments heureux et des moments malheureux mais qui tous s’inscrivent dans une trame qui n’est pas le bonheur, qui n’est pas le malheur non plus, qui est une sorte de ligne de fond grise, liée à je ne sais quoi, sans doute à une incapacité à me trouver vraiment, à m’accepter tel que je suis, à me sentir en harmonie…

La vie à ce jour ne m’a pas apporté de grands malheurs ou de grandes douleurs, je n’ai jamais été malade, j’ai un métier que j’apprécie plus ou moins mais qui m’assure la sécurité et me permet de vivre sans problème matériel, je vis une relation stable qui m’a apporté beaucoup de satisfactions, qui m’en apporte encore même si elle est aujourd'hui plombée par la routine, j’ai des enfants avec qui je m’entends bien, qui ont l’air bien dans leur peau et semblent s’engager dans la vie sous des auspices favorables... Tout donc pour être heureux comme on dit. Et pourtant ce n’est pas ça. Je ne peux pas dire que je suis heureux. J’en ai honte d’une certaine façon quand je vois les malheurs que certains affrontent. Et cette honte elle-même contribue à mes propres difficultés.

On dit qu’il y a des gens doués pour le bonheur et d’autres qui le sont moins. D’où cela vient-il ? Sans doute en partie des gènes et de ce qu’ils génèrent dans la chimie des cellules, ce n’est pas pour rien que j’emploie le mot « doué ». On a sans doute un peu trop sous-estimé cette part innée au temps du freudisme triomphant, je repense moi souvent et avec un certain effroi, à ma mère et à mon grand père maternel, dont je retrouve en moi, presque tels quels, certains des traits de caractère les moins heureux. Mais bien sûr cela vient aussi de l’histoire telle qu’elle se joue, histoire de la famille et histoires individuelles, et de la façon dont chacun là-dedans a pu ou pas se dépêtrer. Tout cela, la part génétique et la part historique évidemment sont intrinsèquement mêlés. Une aide extérieure, celle d’une thérapie, peut être précieuse, je n’y ai jamais eu recours, peut-être n’étais-je pas assez « malade », peut-être n’ai-je pas osé, ce en quoi sans doute j’ai eu tort.

Mais c’est ainsi. J’essaye de faire avec ce que je suis. Avec le rêve (demain on rase gratis) de pouvoir parvenir à une harmonie plus globale qui m’échappe, à un contentement en profondeur, à la capacité à vivre toujours au mieux le bonheur de l’instant. La conscience que j’ai de tout cela s’est affûtée, (je suis bien moins dans l’inconscience et le déni que ne l’était ma mère par exemple), je ne fonctionne pas tout à fait comme avant, les lignes imperceptiblement ont bougé, mais si peu, si peu, il me semble qu’il y faudrait des siècles…

Retour au haut de page

 

27/04/05 : Arrivée :

Longue traversée nord-sud, plus rapide toutefois maintenant que l’autoroute est terminé tout du long. Le temps s’éclaircit au fur et à mesure que l’on progresse vers le sud. C’est après Brive en traversant les causses du Quercy que cela commence à sentir le midi. Contournement de Toulouse, traversée du Lauraguais par la petite route que j’aime bien et qui suit la ligne de crête des collines, nous arrivons…

Nous avons retrouvé la maison déjà ouverte, mon père en effet y est depuis quelques jours avec ma sœur et mon petit neveu. En plus depuis quelques mois nous louons un appartement du second à une cousine veuve depuis peu et qui ne supportait plus son isolement dans son petit village. Elle est là et garde deux de ses petites filles pendant les vacances. Tout le monde s’est retrouvé au jardin à notre arrivée. Boissons fraîches. La table de ping-pong est sortie. Les enfants jouent et chahutent. Ça vit. C’est agréable. Ce n’est pas toujours le cas lorsqu’on arrive ici, que l’on doit ouvrir la maison, toute empreinte de silence, d’odeurs de vieilleries et de renfermé, où pèsent avec force les ombres de mes grands-parents.

Nous sommes arrivés ici suffisamment tôt pour pouvoir enfourcher nos vélos dès ce soir et faire une petite promenade, pas loin, juste une petite reconnaissance, c’est la promenade traditionnelle à notre arrivée ici, on longe le mini-canal que suit un GR et qui serpente aux limites du bourg puis dans la campagne, évitant les dénivelées en suivant strictement la courbe de niveau. On observe ce qui change à chacune de nos venues ici. On est surpris chaque fois par le nombre de maisons neuves qui grignotent la campagne. C’est un peu triste d’un côté mais rassurant aussi, ce n’est pas ici une campagne morte, où s’accumulent les ruines et les friches. Dans le bourg odeurs mêlées du lilas, de la glycine, des cytises… Dans la campagne, odeurs plus puissantes, d’un troupeau de vache dans un pré, des pins qui par endroits ombragent le chemin, des carrés de colza en pleine floraison, taches jaunes violentes au milieu des verts très doux du printemps. Les odeurs, peut-être est-ce qui me manque le plus à Paris, où les parfums subtils sont le plus souvent écrasés dans le magma indistinct de l’odeur de la ville, les effluves ici sont différenciés à chaque nouveau tour de roue et portent en eux toute la variété de la nature. Le niveau de l’eau est très bas, on parle d’une sécheresse importante qui menace pour cette année, c’est vrai, il faut que nous en prenions conscience nous qui, avec nos réflexes d’urbains en vacances, ne verrions dans la pluie que désagrément. Pour l’instant en tout cas, il fait très beau, très doux, le ciel est complètement pur, le soleil qui se couche irise les feuillages de derniers rayons dorés.

Papa a commandé un cassoulet chez le charcutier voisin. Nous allons le chercher, tout fumant, tout juste sorti du four dans sa cassole de terre vernissée. Il fait si doux qu’on peut s’installer dans le jardin pour dîner. Diable ce qu’on est bien ! La nuit achève de tomber. Les oiseaux se sont tus sauf quelques martinets qui tournoient encore au-dessus de nos têtes…

Retour au haut de page

 

30/04/05 : Passé, présent… avenir ?

Je me suis réveillé avant la fin de la nuit ce matin, aux tous premiers chants d’oiseaux. J’ai eu tout de suite le sentiment que je ne me rendormirai pas. Je me suis glissé hors de la chambre emportant mon livre et j’ai été m’installer sur l’autre côté de la maison, dans l’ancien bureau de mon grand-père. Par la croisée restée ouverte je jette un coup d’œil sur la place qui s’anime déjà car aujourd'hui est jour de marché, les commerçants s’installent très tôt, la nuit commence à peine à pâlir, je regarde l’heure à l’horloge du beffroi de la halle : il est cinq heures et demi…

J’ai du mal à me mettre à lire en fait. Je rêvasse en regardant les objets de la pièce. Mon ordi portable est là, je l’allume et commence à écrire ces mots…

A côté de moi, il y a la vieille Remington d’avant guerre qu’utilisait mon grand-père, sous le petit morceau de bâche plastique transparent qui la protège de la poussière, je le retire, amusé soudain, je glisse une feuille entre les rouleaux, je tape touche par touche, cliquetis d’un autre temps, je fais revenir le chariot, manipule le cylindre pour faire avancer la feuille, les caractères apparaissent à peine sur la feuille puis plus du tout, l’encre sur le rouleau doit avoir quasi complètement séchée, pour autant qu’il en reste…

Au mur des photos : mon père petit garçon sage en costume de marin dans les années trente, visage fin, cheveux brillants et bien peignés avec la raie sur le côté, on le reconnaît cependant ; le portrait de ma grand-mère dans sa quarantaine resplendissante, une petite photo dans un joli cadre de bois, celle que mon grand-père gardait sur son bureau et devant laquelle chaque matin à la saison pendant les dix années pendant lesquelles il lui a survécu, il mettait une ou deux roses fraîches et odorantes tout juste coupées au jardin ; une photo de moi et de ma sœur, dans les années soixante, on se tient par la main, pieds dans l’eau devant une barque à voile, dans le petit village de la Costa Brava où mes grands-parents avaient une villa où nous allions en vacances, nous avons l’air complices, nous ne l’avons jamais été vraiment, que nos sourires sont gais, celui de ma sœur surtout, épanoui, rien qui pourrait un tant soit peu faire penser aux galères qui ont été les siennes pendant tant d’années à partir de son adolescence et dont elle s’est si difficilement sortie, c’était une photo du début de la couleur mais justement elles sont passées ces pauvres couleurs, la photo est terne, éteinte, n’étaient ces sourires heureusement…

Dans la bibliothèque quelques vieux livres reliés, quelques Jules Verne de la collection Hetzel aux reliures complètement démantibulées (c’est bien, cela veut dire qu’au moins ils ont vécu, ils ont été lus), quelques beaux livres illustrés des années 50 et 60, la collection plus tardive des prix Nobel de littérature des éditions Rombaldi, mon grand-père m’avait offert ça pour mon bac, je n’ai jamais été suffisamment grandement logé pour embarquer cette soixantaine de gros volumes, ils sont toujours restés ici. Mes grands-parents étaient très fiers de leur achat, du culturel reconnu quoi de mieux pour un jeune homme qui s’engageait en khâgne, et en plus, croyaient-ils, le début d’un patrimoine, car ces bouquins bien sûr prendrait de la valeur. Ça m’amuse : on les rencontre dans toutes les brocantes, pour trois fois rien… Et puis il y a aussi le nouveau Larousse illustré en huit volumes datant du début du siècle passé, je cherche en vain la date exacte de publication, aussi curieux que cela paraisse elle ne figure nulle part, en feuilletant le complément en fin du dernier volume j’ai constaté qu’il évoque des évènements de 1906 et 1907 et pas au-delà. Je me promène dans les notices de personnages totalement oubliés, je laisse traîner mon regard sur les belles planches illustrées, caractéristiques des Larousse.

Le bruit dehors est devenu plus intense. Il fait grand jour et c’est le grand beau temps aujourd'hui encore. Tous les commerçants sont arrivés et de nombreux clients déjà, la rumeur du marché enfle et pénètre jusqu’à moi, elle me tire de mes rêveries, je m’accoude à la fenêtre et regarde le mouvement joyeux à mes pieds. J’entends que Constance, que Papa se sont levés, je vais les rejoindre à la cuisine et prendre avec eux mon petit déjeuner, nous discuterons de ce dont nous avons besoin au marché et puis, à notre tour, dans ce bel aujourd'hui, nous y descendrons… Voilà pour le présent.

Et l’avenir ? Ce séjour me donne de plus en plus envie de venir m’installer ici. Ça fait des années que je tourne autour de cette idée, c’est moi qui ai freiné lorsqu’il a été question de vendre cette maison et qui ai alors clairement posé que je n’excluais pas d’en faire à terme ma résidence principale, j’ai envisagé de prendre un poste dans la région mais sans aller au bout les deux fois où des occasions se sont présentées. Comme souvent je suis dans le vague projet, quasiment dans le fantasme, conjecturant de façon parfois très précise à propos d’éléments de transformation à effectuer, ce serait bien de faire une chambre supplémentaire ici, et dans l’atelier au fond du jardin il faudrait percer une fenêtre et puis il faudrait couper le cèdre qu’avait planté mon grand-père, il est devenu trop grand, disproportionné par rapport à la taille du jardin, et une piscine ce serait bien une piscine, mais où et comment la faire pour qu’elle soit masquée et ne casse pas l’ambiance du jardin, quels meubles faudrait-il retirer pour pouvoir intégrer les nôtres, et mes bouquins, mes masses de bouquins où les mettrais-je…

Ce ne sont que des rêveries. Je n’ai pas abordé le sujet dans le vif, avec mon père et ma sœur qui sont quand même concernés même s’il est acquis que je suis le seul qui envisagerait éventuellement une installation ici. Constance connaît mon envie, elle s’y est ralliée mais du bout des lèvres et elle ne la voit que comme un vague fantasme sans concrétisation proche. Je ne me suis pas posé la question du financement de ces transformations qui serait rien moins qu’évident...

Mais si je ne fais pas ces pas, c’est que dans mes réticences entrent aussi des questions plus fondamentales. L’angoisse de m’installer dans une maison dont les attraits je le sens bien sont aussi d’être fonctionnelle et pratique pour des vieux, en plein centre d’une petite ville tranquille, avec les commerces et services nécessaires à la porte de maison, avec un jardin, avec la campagne toute proche. C’est une maison pour la retraite, une maison « pour faire une fin » comme disait je ne sais plus qui et ça en soi ça me parait effrayant. Certes Toulouse grande ville très vivante est proche, certes la région que j’aime beaucoup est pleine de ressources, s’installer ici ne veut pas dire s’y enterrer mais je ne peux m’empêcher de voir cela en ombre portée… Et puis justement il y a ça aussi, ces souvenirs de mes grands-parents en leur grande vieillesse, n’est-ce pas difficile et malsain de s’installer dans un lieu trop marqué par eux, par un passé dont on risque d’être en partie prisonnier, peut-on cesser de s’y sentir dans la maison des grands-parents, peut-on se sentir vraiment chez soi. C’est pourquoi aussi si je m’installe ici il me parait fondamental d’y faire des transformations profondes, pas seulement pour rénover, moderniser, mais en fait pour pouvoir m’approprier vraiment le lieu…

Il me semble en tout cas aujourd'hui que passé, présent et avenir ne sont pas trop en bisbille et convergent pour me dire : vas-y, tu peux faire quelquechose qui te conviendra ici. Mais alors justement vas-y, c'est à dire pose des jalons, commence à entrer dans le concret, inscrit ça dans ton présent même si c’est avec des actes minuscules, ne te contente pas de tout laisser flotter comme un vague projet à l’horizon d’un futur indéterminé…

Retour au haut de page