01/01/05 : Matin neuf :
Et voilà, nous y sommes, commence 2005 et
du même coup la troisième année de ce journal
en ligne. Ce pourrait être le moment d’un bilan, ou de
transformations dans le site. J’y pense un petit peu. Introduire
des commentaires ? Des images ? Peut-être… Je verrais.
Pour le moment je continue simplement…
Je me sens bien ce matin, détendu et plein
d’envies, heureux de retrouver ma maison et content finalement
de ces quelques jours passés en Tunisie. La soirée hier
a été très agréable. Tout est calme à
la maison. Les jeunes dorment encore. Constance est partie raccompagner
sa mère en voiture. J’ai fini la vaisselle, mis de l’ordre
dans la maison, et je viens paisiblement vers mes mots tout en écoutant
Elegia de Paolo Conte, un disque que j’ai reçu hier soir,
c’est beau, c’est bien dans la tonalité de mon
humeur, un peu mélancolique et doux, à la première
écoute cette voix un peu languissante et fatiguée ne
m’avait pas trop convaincue mais là, en réécoutant,
j’aime, la musique sur laquelle s’inscrit la voix est
belle et riche, les mots sont poétiques et m’emmènent…
Ah Babilonia,Ninive,
Memphis e Luxor... guardale...
Polvere d’oro al sole calante...
Frisco, svogliata e viziosa...
Come un sofa di cretonne…
Frisco, l’etrusca, al sole viaggiante...
Je vais aller faire le tour de mes diaristes de
prédilection et puis je saisirai sur l’ordinateur les
notes que j’ai écrites en Tunisie avec un stylo sur un
cahier (si, si ça existe encore ces vieilles choses) et je
mettrai tout cela ici ensuite…
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06/01/05 : Coup de
colère :
C’est pas mon style, je ne suis pas violent
en général, mais là tout à l'heure j’ai
vraiment eu la main qui m’a démangée, je l’ai
gardée dans ma poche mais enfin ce n’était pas
loin que je tape du poing sur la table, ce qui, j’en conviens,
n’aurait servi à rien.
Je suis monté au rectorat voir quelqu'un
censé travailler avec moi sur un dossier. Cela faisait un moment
que je travaillais avec cette personne par mail et téléphone
et je sentais bien qu’il y avait des choses qui clochaient et
que ça n’avançait pas tout à fait comme
ça aurait dû, mais enfin les dernières consignes
étaient claires, semblaient comprises, tout aurait dû
être prêt pour me permettre de prendre le relais sur ma
partie.
Las, non seulement ce n’était pas fini,
mais ce qui était fait l’était en dépit
du bon sens, plein d’erreurs, quasiment inutilisable. La discussion
pour tenter de corriger les choses a été sans espoir,
la personne m’opposant une crasse incompréhension et
surtout un espèce de mélange hautement exaspérant
d’amabilité mielleuse, de fausse bonne volonté,
d’activisme à côté de la plaque. Mais cette
totale incompréhension, c’est quoi ? De l’idiotie
véritable ou bien une sorte de carapace derrière laquelle
la dame se réfugie pour en réalité ne rien faire
sinon faire semblant pendant ce seul moment délicat où
elle s’est trouvée confrontée à moi. Franchement
je n’en sais rien , je n’ai pas tranché.
Car c’est quand même quelqu’un
à bac + 5, fonctionnaire de catégorie A, recrutée
par concours, assurée d’une totale impunité jusqu’au
doux temps de la retraite. Je suis reparti vers mon service sachant
parfaitement que je n’en tirerai rien, que je devrai tout reprendre
quasiment depuis le début en local par d’autres moyens.
Très concrètement ça veut dire que je vais m’y
coller (adieu mon habituel vendredi après-midi de petits bonheurs
cinéphiliques ou baladeurs!) et que je vais demander à
la petite jeune secrétaire remplaçante astucieuse et
hyper efficace qu’un hasard cette fois heureux a fait débarquer
dans mon service de s’y coller avec moi. C’est une fille
gentille, qui n’a pas peur du boulot, elle s’y mettra
sans rechigner même si c’est du boulot non prévu
et en plus pour elle. Et heureusement car seul je n’y serais
pas arrivé. Mais là où ça fait mal, c’est
que cette fille, catégorie C, doit être payée
environ la moitié de l’autre idiote, et que je ne pourrais
pas faire un iota pour qu’elle reçoive une marque de
reconnaissance un peu plus sonnante et trébuchante que mon
sourire et mon remerciement pour ce travail qu’elle va effectuer
en lieu et place d’une autre.
Ya quand même kekchose qui cloche la-dedans
!
Peut-être qu’un tout petit peu de salaire
au mérite, quoiqu’en dise nos syndicalistes, ce ne serait
pas si mal. Peut-être que la promotion quasi linéaire
pour tous c’est pas ce qu’il y a de mieux. Peut-être
que secouer les gens incompétents ou totalement tire au flanc
ce ne serait pas un scandale (et même pour eux d’ailleurs
en les sortant de leur infantilisation-déresponsabilisation).
Peut-être que l’idée de sanction (oh, le vilain
mot !) pour autre chose que pour des fautes graves (et graves il faut
qu’elle le soient vraiment !) pourrait ne pas être totalement
exclue. Peut-être que les syndicats pourraient ne pas être
toujours et systématiquement opposé à toute baisse
de note face à de l’insuffisance professionnelle, peut-être
même que l’idée d’une régression de
carrière ou même d’un licenciement pour insuffisance
professionnelle vraiment lourde et avérée pourrait ne
pas être totalement taboue… peut-être… peut-être…
Entre l’arbitraire si fréquent dans
le privé et l’excessive protection que procurent les
statuts de la fonction publique une voie moyenne aurait un sens...
Et peut-être que rénover vraiment la fonction publique
ce serait une façon de ne pas la casser. Mais je n’y
crois pas. Entre le conservatisme des syndicats et la logique purement
libérale de ceux qui nous gouvernent je crains qu’hélas
la voie moyenne soit introuvable.
Bon je devrais avoir l’habitude. Je sais tout
ça bien sûr et je fais avec dans le quotidien depuis
suffisamment d’années mais enfin des fois, comme aujourd'hui,
quand vraiment trop c’est trop, la moutarde me monte au bout
du nez…
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08/01/05 : Glissement
doux :
C’est la grande salle de conférence
du lycée. La proviseure, une grande et belle femme élégante
et à la belle prestance est venue présenter la journée.
Il y aura des discours, des discussions et puis ensuite un spectacle
sur le thème des précolombiens. Le public est nombreux,
pas exclusivement des profs et des élèves. Cela ressemblerait
plutôt à une distribution des prix à l’ancienne.
Je suis assis très à l’avant de la salle, au deuxième
ou troisième rang, Constance est là aussi, pas exactement
à côté de moi, tout près, il y a juste
quelqu’un entre nous qui nous sépare. Des lycéens
passent entre les rangs avec des torches enflammées. Je me
dis que c’est un hommage, encore, pour les victimes du tsunami.
Mais non. Ils vont aux coins de la salle et allument quelquechose
dans la gueule de statues d’animaux fabuleux, à l’air
vaguement aztèques, qui sont aux coins de la salle et que naturellement
je n’avais pas vu en entrant. Une fumée dense et odorante
sort des statues tandis que la lumière baisse progressivement.
C’est le spectacle qui commence. Des images troubles apparaissent
directement sur le mur et sur le plafond juste devant et au-dessus
de moi. Zut, je suis presque trop près, je vais me casser le
cou pour regarder ça. Mais non les sièges s’inclinent
presque en position allongée, comme dans des avions en première.
J’ai même un plaid sur les genoux. Il me semble qu’on
part pour une longue nuit. Il fait très sombre, les images
au mur sont à peine distinctes, elles n’ont rien de précolombiennes
ni même de réalistes, ce sont simplement des formes qui
glissent, dans des tons sombres, belles toutefois. Ma voisine, car
c’est une voisine, s’est rapprochée de moi et nous
nous caressons sous le plaid. Je suis un peu affolé. Si la
lumière revenait ou simplement si des images plus claires apparaissaient,
éclairant la salle et le public ! Je suis au bord de l’allée
qui passe entre les sièges, je me tourne de ce côté-là,
je voudrais me déprendre de la caresse sans la perdre pourtant.
L’obscurité cependant est devenue totale. Qui est à
côté de moi ? A quoi ressemble-t-elle ? A moins que ce
ne soit Constance finalement qui se soit rapprochée ? Mais
j’entends un certain remue-ménage justement. Quelqu’un
bouge, passe au-dessus de moi. « Il faut que j’aille aux
toilettes ». c’est la voix de Constance. Elle s’engage
dans l’allée en tâtonnant. « c’est
un four, ici, on n’y voit rien », elle s’éloigne,
un juron, elle a dû trébucher dans l’obscurité.
Sur le mur et le plafond d’un noir d’encre, comme un ciel
sans lune et sans étoile, il y a juste de temps à autre
d’infimes zébrures colorées qui traversent l’espace,
de petites lueurs qui clignotent, un voyage intersidéral peut-être
mais dans un espace lointain au-delà de la galaxie, c’est
un spectacle quand même et je le regarde. Mais ma voisine revient
vers moi, elle se glisse sur moi, toute entière et cette fois
je n’ai plus de résistance et je l’enlace, elle
est nue et je suis nu, son corps glisse et glisse sur le mien, sa
peau est douce, douce, c’est une caresse des pieds à
la tête, son sexe, qui est contre le mien, s’ouvre comme
une fleur…
Quand je me suis éveillé, j’étais
vraiment surpris, incrédule presque, je ne suis pas là-bas
avec la douce inconnue entre mes bras, je suis ici, dans mon large
lit, Constance n’est pas contre moi, mais elle est là,
je tends la main d’ailleurs pour m’en assurer, elle dort
profondément, au loin, le rêve n’a même pas
surgi d’un frottement de nos peaux, je me glisse en silence
hors du lit, nettoie ce qui doit l’être, me recouche,
songeur…
Le sens de mon rêve, de son épilogue
en tout cas est tout ce qu’il y a de clair. Je pourrais le raconter
à Constance, ce serait sans doute une façon d’amorcer
une parole que nous n’avons plus, ce dont je me plains parfois
mais en même temps je n’en ai pas envie, je préfère
garder cela dans mon petit jardin secret.
Que ce rêve était beau ! Les images
et les sensations en étaient fortes, intenses, elles restent
prégnantes après le réveil, contrairement à
bien des fois où d’emblée tout est flou, où
se mêlent le rêve et les mots que je tente de mettre dessus
pour le retenir. Rien de tel ici. Mes mots coulent directement des
images, de leur succession qui ne fait pas doute. Et maintenant j’écris
tout cela d’un trait ce qui est bien agréable pour moi,
qui souvent écrit laborieusement, avec des retours en arrière
et des repentirs surtout dans mes entrées de réflexions
ou de commentaires. Là c’est un récit et un récit
d’évidence. J’aurai du plaisir à le retrouver
et c’est pour cela aussi que je l’écris.
Ce rêve n’avait qu’un défaut.
Ce n’était qu’un rêve !
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09/01/05 : Cocooning
ou promenade ?
Hier midi il faisait vraiment sinistre. Presque
nuit en plein jour. Pour déjeuner il a fallu allumer les lumières,
je regarde sur la cour, sur la rue, tout est sombre. Brr ! Constance
et Bilbo doivent sortir, ils vont choisir une guitare électrique,
cadeau offert à Bilbo pour ce Noël. Moi je n’ai
pas envie d’affronter le dehors peu engageant même pour
aller me faire une petite toile.
Envie de cocooning plutôt. Me mettre sur mon
lit et bouquiner. J’ai de quoi faire. Les Karin Bernfeld que
j’achève, le Némirovski que je commence, les mondes
de Fondation dans lesquels je suis au milieu du gué, quelques
nouvelles récupérées sur internet et dont j’ai
fait un tirage papier (rien à faire, je comprends très
bien l’échec du livre électronique, la vraie lecture
plaisir pour moi c’est sur du papier, avec des pages que l’on
feuillette, qu’on pose et qu’on reprend à loisir,
pas sur un écran d’ordinateur), j’ai même
un document que j’ai rapporté du bureau mais là,
non, je n’y toucherai pas, tant pis, ça attendra lundi.
Et j’ai envie d’écrire aussi, des écritures
pour moi et des écritures pour les autres.
Et puis ne voilà-t-il pas que j’aperçois
par le velux le ciel au-dessus de ma tête qui s’éclaircit.
Le soleil même semble vouloir trouer les nuages, un coin de
bleu apparaît et une lumière dorée se pose sur
les maisons...
Je pose mes livres, envie de sortir tout à
coup. Où aller ? Et si je rejoignais Constance et Bilbo ? Magie
des portables, on va se retrouver là-haut près de Pigalle.
Je connais bien Paris, sur le bout du doigt le triangle Montagne Ste
Geneviève, Tolbiac, Montparnasse dans lequel je vis, à
quelques brèves années d’interruption près,
depuis l’âge de dix ans, assez bien toute la rive gauche,
les îles, et, sur la rive droite, une bande pas trop éloignée
de la Seine, Bercy, Bastille, Marais, Beaubourg, Palais Royal, Louvre,
Concorde, Trocadéro, moins au-delà, vers le grand nord,
le grand est. Là-bas, disons au-delà de l’Opéra,
je connais des lieux précis, pas des cheminements, pas l’intimité
des rues. Allez, il y a encore à découvrir dans Paris
! J’embarque dans le métro jusqu’à Le Pelletier
(je crois bien que je n’étais jamais descendu à
cette station), je découvre le quartier Notre-Dame de Lorette,
je monte tranquillement le long de rues inconnues m’arrêtant
ici ou là pour regarder une façade, je passe la place
Saint Georges et ses immeubles cossus et élégants, j’atteins
la petite rue de Douai où on a rendez-vous, autre ambiance,
elle pourrait s’appeler Rue des Marchands de Guitare, comme
au temps des corporations ou chaque rue était consacrée
à un commerce bien précis, il y a beaucoup de monde
dans et hors des magasins, c’est plein de jeunes musicos qui
vont d’une boutique à l’autre, s’interpellent,
discutent l’article. Je retrouve Constance et mon Bilbo tout
content de son achat. Nous remontons Place Pigalle, je me promènerai
bien encore un moment sur les boulevards mais le temps s’est
recouvert et il s’est mis à tomber une petite pluie fine
et désagréable. Alors on embarque tous les trois dans
le 67, après tout c’est une façon de continuer
la promenade plutôt que de revenir enterré dans le métro.
Constance et moi regardons Paris qui défile tout ou long d’un
bel itinéraire, on montre à l’autre et on commente
ce que l’on voit, on se sent comme des touristes. Bilbo lui,
qui a passé la nuit dernière chez des copains et n’a
pas dû beaucoup dormir, s’est assoupi, guitare entre les
jambes...
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13/01/05 : Soirée
pour moi-même :
Dure journée vraiment. Très difficile
au bureau. Toujours concentré sur mon dossier à remettre
pour aujourd'hui théoriquement mais en fait loin d’être
fini. Et nouvelle difficulté. Un de mes collaborateurs absent
aujourd'hui pour compliquer encore le problème. Mais absent
pour une difficulté réelle, grave, tragique même.
Et ça a totalement plombé la journée. Tout le
reste tout à coup paraît tellement relatif, ce dossier
à finir, la gêne que le retard va causer aux usagers,
les gueulantes éventuellement « là-haut »
(mais s’en apercevront-ils même ?), tout cela pèse
finalement de bien peu de poids à côté de la vie
et de la mort…
Alors en rentrant, vite, j’ai eu envie d’aller
ailleurs, de pouvoir me retrouver avec moi-même, avec mes lectures
et mes écritures, dans ma bulle. J’ai dîné
très tôt, à un horaire quasi anglo-saxon et tout
seul. Pas du tout envie d’attendre Bilbo et Constance qui rentrent
tard, Bilbo après son cours de karaté, Constance après
son cours de yoga. Des pâtes arrosée d’une sauce
maison, champignons, olives, blancs de poulet, xérès,
crème fraîche, avec un peu de ciboulette fraîche
au moment de servir, j’ai eu plaisir à me faire cette
petite douceur, ils en trouveront le reste à réchauffer
tout à l’heure, ce n’est pas très convivial,
tant pis. Je me suis choisi un Bourgueil vif là-dessus et j’ai
mangé tout seul, j’aime cela une fois de temps en temps,
manger seul, et bien manger pour le plaisir que j’y prends,
pas seulement pour assouvir un besoin. J’ai mis « Le voyage
d’hiver », chanté par Fisher-Diskau, musique à
l’unisson de mon état d’esprit, de mes pensées
qui vont vers mon collègue, je me laisse porter par les notes
et la voix, mélancolie, tristesse mais force et puissance aussi
et beauté de cette musique triste, beauté qui adoucit,
apaise et finit par transcender la tristesse. J’ai peut-être
un petit peu forcé sur ma bouteille, juste un peu, juste ce
qu’il faut, pour le plaisir du goût, pour écouter
avec plus d’acuité, pour me sentir l’esprit affûté
et le cœur présent à mes émotions. J’ai
terminé mon repas, j’ai remis le disque terminé,
je suis monté et me suis mis devant mon traitement de texte
et je viens vers mes mots maintenant, lentement, ma main souvent reste
suspendue, j’écoute, j’ai toujours autant de mal
à faire vraiment deux choses en même temps…
En fait pas mal d’idées me passent
par la tête. J’ai écris. J’ai effacé.
Je réfléchis. Sur des tas de choses, sur l’écriture
intime, sur l’écriture d’invention aussi, sur quoi
mettre dans ce site que j’ai envie de transformer mais sans
bien savoir dans quel sens. Non pour l’instant je n’arrive
à rien et je crois que je vais en rester là, je vais
rester dans l’écoute encore un moment et puis me mettre
dans mon lit avec un bon bouquin…
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15/01/05 : Explorations
:
Je suis toujours fasciné par les exploits
scientifiques spectaculaires : la plongée d’Huygens vers
Titan fait partie des événements qui me font rêver.
A trois milliards de kilomètres de la terre, un engin parti
il y a huit ans qui se détache à une heure calculée
à la seconde près, qui amorce une descente complexe
pour atteindre la surface, prendre quantité de photos et de
mesures sur un temps très court avant que ses batteries ne
s’éteignent définitivement, envoyer les résultats
sur la terre où des escouades de savants vont les interpréter
et renouveler profondément la connaissance à partir
d’elles, moi ça me laisse pantois, admiratif, emballé.
J’aime cette aventure de la curiosité humaine, cet appétit
de la découverte, ces frontières que l’on recule
indéfiniment, ce toujours plus. Je voudrais vivre vieux, vieux
pour voir l’homme débarquer sur Mars, des colonisations
nouvelles, la fusion thermonucléaire, les nanos-moteurs, l’homme
bionique…
Mais j’en frémis aussi. Ou va-t-on
avec tout ça ? Sur ce dernier point surtout. L’homme
bionique est-ce encore l’homme ? Ne joue-t-on pas les apprentis
sorciers ? Où va Prométhée ? Et puis surtout
à quoi cela sert-il si l’homme dans le même temps
est incapable de maîtriser cette puissance nouvelle qu’il
conquiert, s’il laisse sur le minuscule lopin d’espace
qu’il occupe, s’accumuler dégâts et contradictions
faisant de cette terre une poudrière menacée ?
Les coûts de ces explorations sont considérables
comme ceux aussi des machines qui participent à la recherche
fondamentale en physique, le gigantesque accélérateur
de particules en construction par exemple ou Iter en projet. Alors
que l’argent manque pour bien des recherches à plus petite
échelle, pour des recherches appliquées qui permettraient
d’améliorer le sort immédiat d’une humanité
dont une grande partie ne peut accéder à la satisfaction
de ses besoins vitaux, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
On peut se poser tout un tas de questions c’est
sûr mais n’empêche, ça me fait rêver
et j’aime bien rêver. Où va l’aventure, qui
le sait, mais l’aventure va et est passionnante…
On rêve et on frémit comme rêvait
et frémissait nos ancêtres devant l’inconnu des
océans, au temps où l’autre côté
du monde était aussi lointain et mystérieux que ne l’est
pour nous Titan. J’ai senti ce parallèle en allant voir
après mes promenades matinales sur le site de la Nasa
et de l’Esa
et mes rêveries de conquête spatiale
la très belle expo sur la mer à la Bibliothèque
Tolbiac. Expo magnifique, formidablement riche et variée
compte tenu de l’espace restreint dans lequel elle se tient
et très bien scénographiée. En arrivant on est
accueilli dans la pénombre de l’expo, par trois vagues
bleutées sur de grands écrans à la hauteur de
l’œil. Tout de suite on y est ! Et après on va de
trésor en trésor, il y a quantité de livres évidemment
mais d’autres choses aussi et tout cela, à quelques exceptions
près, provient des réserves de la BNF. Quelle richesse
! Représentations marines sur des parchemins médiévaux
enluminés, portulans de la renaissance, cartes de toutes les
époques et de tous les types, planches dessinées de
naturalistes du 19° siècles, herbiers de la mer, gravures,
photographies, affiches de films ou de théâtres, manuscrits
d’œuvre connues et éditions modernes illustrées
comme cette magnifique Odyssée illustrée par Chagall…
Dans un coin sont installés des poufs profonds sur lesquels
on peut s’affaler, on met des écouteurs et l’on
écoute des musiques et des chansons inspirées par la
mer, du plafond pendent des chaînettes auxquelles sont fixées
des feuilles avec des textes littéraires et des poèmes
sur la mer, on les amène tour à tour devant les yeux,
on lit et on écoute, on se repose de la visite tout en étant
encore dans la visite. Il y a aussi, juste à côté,
des étagères avec plein de bouquins sur la mer que l’on
peut consulter librement. J’aime beaucoup quand l’organisation
d’une exposition permet et invite à cette liberté.
Quand je suis sorti vers 13h et que j’ai réenfourché
ma monture, le temps si gris du matin était en train de basculer,
étrange lumière, sommets des tours encore pris dans
le brouillard, luminosité intense du côté du soleil,
ailleurs un bleu encore assourdi de brume. Inutile de dire que je
me sentais bien.
L’après-midi Constance et moi avons
été voir l’exposition d’un ami peintre.
C’est quelqu'un que l’on connaît et que l’on
suit depuis longtemps. C’est frappant de voir comme il progresse.
Comme quoi il y a bien le talent, mais il y aussi le travail, l’expérimentation
et l’approfondissement des techniques. L’expo regroupait
des petits formats, des gouaches, des aquarelles et des encres, tout
un ensemble inspiré par « Au dessous du volcan »
qui est le livre culte de cet ami. On en a parlé en prenant
un pot ensuite, il m’a redonné des envies, décidément
voilà encore un bouquin qu’il faudrait que je reprenne
car lorsque je l’avais lu adolescent je n’avais pas vraiment
accroché, je n’étais même pas parvenu au
bout.