19/12/04 : Pluie :
Il pleut, il pleut, il pleut…
Ça tambourine sur le velux au-dessus de ma
tête. Je suis revenu du marché plutôt dégoulinant.
Constance et les garçons sont partis faire des courses de Noël.
Moi je devais me charger ce matin du versant FNAC de nos divers achats.
Ça attendra. Je n’ai pas envie de ressortir pour le moment.
J’ai allumé ma machine infernale et
commencé à mes promener chez les uns et les autres.
Je saute de l’un à l’autre, sans m’attarder,
vague envie de poster des commentaires ici ou là mais je passe
mon chemin finalement, il me semble que j’ai envie surtout d’être
seulement avec moi-même. J’ai été aussi
faire un tour sur la météo de Djerba où l’on
part jeudi prochain. Beau aujourd'hui mais ensuite averses passagères.
Enfin 15 degrés de plus qu’ici. On changera d’ambiance
de toute façon. J’ai envie de lumière et de douceur
à défaut de grand soleil.
Puis j’ai ouvert mes notes et me suis mis
à écrire. J’ai mis un disque de Kathleen Ferrier
une des cantatrices dont la voix, venue maintenant de si loin à
travers les années, m’émeut le plus. « Blow
the wind southerly » et d’autres chants populaires britanniques.
L’atmosphère doucement mélancolique qui se dégage
de la plupart de ces chants s’accorde bien à mon humeur
du moment, au cocooning tranquille et à la sinistrose du temps
dehors. Je parcours des yeux le livret et m’attarde sur le visage
rayonnant et désormais à jamais effacé de Kathleen
Ferrier. J’écris lentement, un membre de phrase de ci,
de là, puis je suspends mon doigt au-dessus du clavier, mes
mots font silence pour mieux s’imprégner de ceux qui
coulent dans mes oreilles, j’écoute vraiment et je ne
sais pas faire deux choses en même temps. Et je me sens bien,
en harmonie, ce qui n’est pas si fréquent.
Allez j’en reste là…
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20/12/04 : Lumières
:
Je suis au bureau aujourd'hui, je termine tout ce
que j’ai en plan avant les congés mais c’est calme
et j’ai presque fini. Et du coup je prends un peu de temps pour
écrire pour moi.
Dimanche la journée a continué sur
un bon tempo. Je suis sorti en milieu d’après-midi, il
a cessé de pleuvoir, le temps est devenu froid et sec, un vrai
temps d’hiver, les nuages se sont déchirés et
des espaces de ciel bleu et pâle ont commencé d’apparaître.
Je n’ai pas pour autant été faire des achats,
j’ai été voir l’exposition Turner, Whistler,
Monet mais le temps se prêtait à la balade avant d’aller
s’enfermer chez les peintres. J’ai remonté un peu
les Champs, lieu que je ne pratique guère et que je n’aime
pas trop, je trouve que ça pue trop le fric facile, le paraître
et la consommation débridée mais là je me suis
laissé prendre. Je me suis laissé couler dans le flot
contrasté des gens qui déambulent, nouveaux riches des
quatre coins du globe mais aussi touristes de base, provinciaux en
goguette et banlieusards des cités, mon œil s’est
attardé sur d’inaccessibles vitrines. Je suis choqué
par les prix pratiqués pour une paire de pompes, pour une veste
ou une robe mais en même temps je suis bien obligé de
reconnaître qu’il y a des choses belles et attirantes
dans tout ce glamour, ces vêtements de luxe, ces robes de parade,
ces tenues charmantes et sexy. Tout ça est très éloigné
de moi, j’ai là-dessus plutôt un regard méprisant
et condescendant. Peut-être suis-je un peu janséniste
dans mon genre ! Les guirlandes se sont allumées aux arbres
dans la lumière déclinante, j’ai traversé
l’Avenue deux fois, juste pour le coup d’œil, pour
la double perspective, montante et descendante, l’Arc de triomphe
d’un côté (étrangement déformé
par les échafaudages d’une ixième réfection)
la grande roue foraine à l’entrée des Tuileries
de l’autre. Les gens se font photographier devant l’illusion
de neige et de nature que constituent les sapins blanchis du Rond-Point
des Champs-élysées. Les guirlandes font une avenue de
lumière sur fond de nuit. Les badauds ont l’air heureux.
Je me laisse porter par l’ambiance.
J’ai aimé l’expo. Là aussi,
après le gris, le froid de tous ces jours, c’était
bonheur de rentrer dans ces lumières, dans ces soleils, dès
les premières toiles c’est cette magie colorée
qui vous saisit et vous réchauffe, cette lumière d’été
surgie du « Rameau d’or » ou de « Mortlake
Terrace ». Un peu trop de monde comme toujours dans ces expos.
Difficile de pouvoir prendre suffisamment de recul pour appréhender
comme il le faudrait des toiles juxtaposées qui confrontent
plusieurs représentations d’un même lieu sous diverses
ambiances ou sous les regards des trois peintres. Mais quelle beauté
! Dont un livre ne rendra jamais vraiment compte : j’ai feuilleté
revues et catalogues à la librairie, c’est incommensurable
la distance qu’il peut y avoir entre les tableaux et leur reproduction,
j’ai toujours ce sentiment après avoir vu les œuvres
réelles mais cela me frappe particulièrement pour ce
type de peintre dont l’excellence consiste avant tout dans leur
capacité à capter des lumières.
Le soir je me suis offert une petite séance
télé, « Sarabande » oblige. Dés les
premiers mots, dès les premières images j’ai été
accroché et malgré l’heure tardive j’ai
regardé le film jusqu’au bout sans ciller. Je n’aime
pas tout dans Bergman, loin de là, je trouve toujours que c’est
beau mais souvent je reste assez extérieur et parfois il me
glace sans me toucher. Pas du tout ici. Peut-être aussi qu’on
apprécie plus Bergman l’âge venant. Toujours est-il
que j’ai trouvé ce film là excellent. La construction
est parfaitement maîtrisée qui fait croître l’intensité
dramatique de scène en scène. Les acteurs sont magnifiques
comme toujours. Bergman c’est sûr est un admirable directeurs
d’acteurs, il arrive à faire passer par leur médiation,
à travers leurs regards, leurs visages serrés au plus
près, un mélange explosif de sentiments, venus de très
loin et de très profond, où se mêlent l’amour,
la haine, la douleur, il alterne douceur et violence, une violence
parfois extrême mais ça passe pourtant. Je crois que
j’ai rarement entendu (jamais ?) quelquechose d’aussi
fort que ces sons émis par le vieux Johan saisi d’angoisse
au milieu de la nuit (plainte, sanglot, cri ? un peu les trois à
la fois). Quelle indicible terreur passe dans ce cri, il redevient
un enfant apeuré, face à la mort qui vient ! Quelle
force aussi dans la scène qui suit, dans son appel à
la femme aimée mais qui ici pourrait être une mère,
dans cette tendresse qui s’exprime, dans ces regards que se
portent les deux vieux amants qui se regardent nus, dépouillés
de tous les oripeaux, de toutes les histoires que l’on se raconte
pour survivre, ramenés à l’essentiel. Et les lumières
sont belles aussi, les couleurs chaudes comme s’il fallait par
là faire contraste avec la noirceur de ce qui grenouille dans
l’âme humaine. Trois plans brefs du paysage suffisent
à évoquer la pureté du monde. Les lumières
chaudes qui baignent par moments les visages, celui de la jeune fille
notamment, même aux moments les plus déchirants et les
plus pénibles de sa confrontation avec son histoire, sont une
promesse, comme l’est son corps vif, vivant, libre, ses bras
nus. Elle lui donne un profil à la Vermeer, étrange
association, j’ai pensé tout à coup « au
petit pan de mur jaune » que Bergotte veut revoir avant de mourir..
Encore une histoire de lumière.
Le rayon de soleil, la lumière captée, antidote à
la mort…
J’avais commencé ma chronique sans titre, voilà,
le titre s’impose, lumières…
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21/12/04 : Le questionnaire
d’Aurora :
Par Samantdi,
je trouve le questionnaire d’Aurora.
J’en ai profité pour aller chez Aurora dont j’avais
croisé les mots déjà mais sans y rentrer plus
que cela jusqu’à présent, à cause sans
doute de la vision négative et peut-être caricaturale
que j’ai du type de sexualité qu’elle évoque.
Mais là à vrai dire j’ai découvert beaucoup
de beaux textes et une personne sensible et intéressante, j’irais
voir cela de plus près et j’en reparlerai sûrement.
Pour le moment j’ai eu envie de répondre au questionnaire
sur ma pratique, occasion pour moi peut-être de faire le point
alors que je vais atteindre les deux ans d’existence de mon
journal en ligne.
1) Comment avez-vous connu l’existence des
blogs ?
Je suis de vieille génération ! Pas par internet mais
par un bouquin. « Cher écran » de Philippe Lejeune.
J’ai commencé ensuite à explorer un peu tous azimuts,
mais très à distance, par curiosité intellectuelle
plus même qu’humaine dans un premier temps : Qu’est
ce que ça peut donner d’écrire en ligne ? Et non
sans une certaine défiance : C’est quoi ce truc d’exhibitionniste
? ça veut dire quoi de mettre ainsi de l’intime en ligne
? Mais peu à peu j’y ai pris goût, j’ai trouvé
au-delà de fatras inintéressants de riches personnalités
et plein de mots sensibles.
2) Qu’est-ce qui vous a amené à
ouvrir le votre ?
L’envie de faire l’expérience à mon tour.
Il m’a fallu du temps pour me décider. Du temps surtout
entre le moment où je me suis dit « allons-y voir nous
aussi » et le moment où je suis passé à
l’acte. Des résistances toujours. L’impression
que ça ne se faisait pas, qu’il y avait trop de narcissisme
et de l’indécence à faire ça. A la limite
ce sont les mêmes résistances que celle que j’ai
par moments à tenir un journal intime mais exacerbées
par le fait de mettre en ligne. Enfin je me suis lancé. J’y
ai pris goût, non sans interrogation parfois sur la place que
ça prend dans ma vie et sur le sens que cela a dans mon alchimie
intime.
3)Lorsque vous écrivez sur votre blog, avez-vous
le sentiment de communiquer ou de tenir un journal intime ?
D’abord de tenir un journal intime. Ensuite de communiquer.
En tout cas chronologiquement. La part de communication s’est
accrue à mesure que j’avançais (ou peut-être
surtout la conscience d’un désir de communication présent
sans doute dès le départ mais masqué ou en tout
cas cantonné dans des limites très restrictives).
4)Ecrire sur votre blog a-t-il changé quelquechose
de votre vie ?
Pas vraiment. Mais un peu quand même. Mes activités de
lecture sur internet, mes activités d’écriture
ont pris plus de place, plus de temps, à la place d’autres
choses. Par moment il m’arrive de me dire qu’elles tiennent
justement trop de place, que peut-être elles sont un alibi,
que peut-être elles me détournent de me coltiner à
d’autres choses qui pourraient faire mal et que je n’ose
pas affronter.
5)Ecrire sur votre blog a-t-il changé quelquechose
à votre manière d’écrire ?
Oui. Mon journal intime hors ligne était déjà
assez écrit mais je crois que je fais encore plus attention
qu’avant à la correction de la forme, à produire
quelquechose de lisible, de compréhensible, de cohérent.
Je veux être compris. (Donc, tiens, je cherche à communiquer
pour reprendre la question 3,qu’il y ait ou non réponses
ou d’échanges). Mes sujets évoluent aussi. Au
départ je voulais rester complètement fidèle
à tous les thèmes développés dans mon
journal, m’interdire les restrictions qu’elles soient
de pudeur, ou de gêne à l’égard de personnes
extérieures que j’évoque, pensant que l’anonymat
suffisait pour me permettre de tout dire. Mais ce n’est pas
possible. Des restrictions s’imposent d’elles-mêmes.
D’abord parce que l’anonymat n’a rien d’absolu,
rien ne garantit sa pérennité, ensuite parce que dès
qu’il y a communication il y a précautions. Je pense
que je tends plus désormais vers des chroniques extimes, qui
disent de toute façon beaucoup de l’intime, que je deviens
plus circonspect dans ce qui évoque les relations notamment
avec ma femme, j’ai écrit sur ces sujets là quelques
pages que je n’ai pas mise et ne mettrai pas en ligne.
6) Vous est-il arrivé quelque chose d’inattendu,
de particulier ( agréable ou désagréable) du
fait que vous avez un blog?
Non. Mais cela viendra peut-être de la confrontation entre la
vie bloggesque et « la vie sur terre », au moment où
je sens qu’ici et là l’anonymat menace de se déchirer.
7) Pensez-vous tenir longtemps ce petit espace de
web à vous ?
Oui, j’y compte bien maintenant que l’affaire est lancée.
8) Vous estimez-vous « blog addict »
?
Je le crains. Plaisir le plus souvent donc là c’est parfait
mais parfois zapping compulsif de lecture ou écriture contrainte,
mal vécue, mises à jour faites juste pour ne pas laisser
s’instaurer un trop long silence, ou parce que des images vues,
des pensées ou des rêveries m’ayant traversé
me sont apparues comme ne devant pas être perdues. Cela dit,
cela m’arrivait déjà, pour moi-même, du
temps de mon journal hors-ligne, la mise en ligne n’a fait que
renforcer cette tendance.
9) Les blogs « disparaissent »: que
faites-vous, où allez-vous, dans quel état errez-vous
?
Rien. Ce serait une façon radicale de se dégager de
l’addiction. Mais aurais-je envie de reprendre un journal hors
ligne ? Pas si sûr. Il me semble que le regard des autres, les
mots partagés, la communication, sont devenus des piments essentiels
de mon écriture, qu’ils contribuent à la motiver.
10) Enfin, citez l’url des trois notes de
votre blog que vous préférez.
Difficile à priori. Je ne sais trop sur quels critères.
Entrées de synthèse qui font un point bien argumenté
sur une question ? Entrées qui me paraissent aller assez au
fond de moi-même ? Entrées réussies du point de
vue de l’écriture ? Ou celles qui m’ont apporté
du plaisir, plaisir d’écriture, plaisir de remembrance
en faisant revivre des choses chères à mon cœur
? Allez, en voici trois, qui participent inégalement de ces
diverses catégories. «
Mes trois vies », «
Bonheur et réminiscences », «
Plongée arrière». Et en prime en voici une
qui est un point de vue sur les questions soulevées par ce
questionnaire : «
Tout écrire, ne rien écrire, écrire quand même
».
Allez répondez vous aussi au questionnaire
d’Aurora, cela fera une jolie anthologie…
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24/12/04 : Erreur
de casting :
Nous voici donc à Djerba.
Par moments je me demande un peu ce qu’on
fait ici et je pense avec nostalgie à d’autres types
de voyages que j’ai fait, un peu plus physiques, un peu plus
authentiques ou du moins qui en donnent l’illusion avec des
voyagistes dits « d’aventure », je me dis que c’est
cela dont j’aurais eu besoin.
L’hôtel correspond à peu près
à ce que j’attendais. Il est gigantesque, plus de mille
chambres, heureusement c’est loin d’être plein à
cette saison, il est assez réussi architecturalement, il est
composé de bâtiments bas ponctués de coupoles
répartis sur une vaste surface. Les bâtiments sont séparés
par des allées qui vont jusqu’à la mer, rythmés
par des patios, par des terrasses sur lesquelles il y a des piscines
malheureusement impraticables car il fait trop froid, la plage est
belle, animée par la silhouette de quelques bouquets de palmiers
et des paillotes pour donner de l’ombre, c’est cela le
plus agréable, on peut aller et venir jusqu’à
la mer à tout moment, y voir les couleurs et les lumières
changer au gré des heures du jour et de la météo.
A l’opposé de la mer les bâtiments de l’hôtel
sont reliés entre eux par une immense galerie de plusieurs
centaines de mètres de long sur laquelle s’ouvre les
réceptions, les restaurants, les cafés, les salles de
jeux, les salles de spectacles où se tiennent les « animations
». Les touristes y déambulent, sollicités sans
cesse par les marchands du temple qui proposent toutes les variétés
d’artisanat local à des prix à négocier
évidemment mais le jeu du marchandage ne m’amuse pas
particulièrement ou pas longtemps en tout cas. Et c’est
pareil lorsqu’on sort, dès qu’on fait trois pas
sur la plage, les vendeurs arrivent auquel il faut toujours et inlassablement
répondre négativement ce qui m’est désagréable.
Je comprends ces types évidemment, je comprends qu’il
cherchent à profiter de cette manne qui passe à leur
portée, alors j’essaie de sourire, de dire non gentiment
mais ce n’est pas sans un fond de malaise.
L’hôtel est presque luxueux par certains
aspects, dans ce qui relève de l’apparence, juste correct
pour le reste. On sent bien qu’on est plutôt dans le bas
de gamme de ce type d’établissement. La nourriture est
abondante, sinon pléthorique mais ni bonne, ni mauvaise, sans
charme. Il y avait couscous l’autre soir, celui du petit kabyle
au bout de ma rue est dix fois meilleur, c’est un test ! Le
soir il y a des animations. On s’y est risqué le premier
jour Assez calamiteux ! C’était, à ce que j’ai
compris, une reprise d’extraits du spectacle de Robert Hossein
sur Notre-Dame de Paris. Venir voir ça à Djerba, intéressant!
La clientèle est très mélangée et parfois
un peu beauf, il y a pas mal de familles avec des enfants, des jeunes
couples, des personnes vieillissantes, souvent en petits groupes de
quelques couples amis. On n’entend parler strictement que français.
En marchant sur la plage un peu plus loin on traverse des enclaves
germaniques ou néerlandaises. Ici l’Europe ne traverse
pas encore la répartition hôtelière !
Enfin à tout ça, à vrai dire,
je m’attendais un peu. Où il y une véritable erreur
de casting c’est à propos de la température. Il
fait glacial. Je venais chercher de la douceur. C’est raté
! Je me doutais bien qu’il ne ferait pas chaud mais je pensais
quand même dans la journée être en tee-shirt, pouvoir
bouquiner au soleil, grignoter à des terrasses de café.
Impossible. Il y a en permanence un vent du nord glacé qui
rend cela impraticable, même si le soleil est clair et le ciel
bleu. On a pris des vêtements un peu trop légers, de
petits lainages mi-saison et des coupe-vent, on regrette un peu les
gros pull-overs. On garde en permanence tout ce qu’on a sur
le dos et on reste un peu tendu, contracté, le corps mobilisé
contre le froid. J’imagine que c’est en octobre-novembre
ou en mars-avril qu’il faut venir pour bénéficier
de la tiédeur dont je rêvais.
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26/12/04 : Soirée de Noël
:
La soirée de Noël a été
particulièrement gratinée ! On a subi un interminable
« dîner de gala » fort médiocre avec gentils
animateurs affublés soit de costumes à paillettes, soit
de ridicules bonnets de Père Noël. Il y avait des intermèdes
musicaux et chorégraphiques entre chaque plat. Sur un opéra
rock entre le potage et le feuilleté, sur une musique «
électro-celtique » (si,si !)entre le feuilleté
et le dindonneau aux petits légumes, ensuite avant la bûche
glacée, il devait y avoir la danse du ventre, mais là,
trop tard, on était parti, on n’a pas tenu jusque là.
En plus on était idéalement ( !) situé, juste
sous les enceintes, la musique était tellement assourdissante
qu’on ne pouvait pas se parler. Entre les prestations organisées,
l’animateur invitait le public à aller danser, il y avait
là toutes sortes de look, des gens très sapés
et parfois de façon assez vulgaires, d’autres comme nous
qui ne l’étions pas du tout. Tout ça amusant à
regarder un petit moment, pas longtemps. Et l’animateur faisait
applaudir à tout va chaque prestation, les gens dans l’ensemble
était plutôt bon public, à part quelques grincheux
qui se sont sans doute, comme nous, assez vite éclipsés.
Tout ça me faisait assez penser à un plateau d’émission
de variétés sur TF1 !
Je me sens très mal à l’aise
face à ce genre de soirée. Je ne peux pas m’en
abstraire simplement. J’ai plein de sentiments contradictoires,
ambivalents. Je me sentirais assez facilement méprisant face
à cette part du public qui participe sans état d’âme,
qui joue le jeu, qui guinche, qui applaudit, qui s’enthousiasme.
Et ça me gêne de me sentir méprisant. Le racisme
social est un racisme aussi détestable que l’autre, il
en a les mêmes racines, la difficulté à accepter
les différences. Et je me dis aussi que quand même ces
gens s’amusent et qu’après tout c’est cela
qui compte, que c’est dommage pour soi, de ne pas y parvenir.
J’aimerais me libérer de mon quant à moi, me fondre
là-dedans moi aussi, trouver le moyen de m’amuser de
cela et pas seulement le regarder en observateur constipé,
mais j’en suis incapable, et mon malaise vient de là
peut-être plus que de tout autre chose, ces gens là s’amusent
et moi je n’y arrive pas ! Je repense à une scène
de « E la nave va » de Fellini qui m’avait beaucoup
frappé parce que je m’y retrouvais. Des réfugiés
étaient montés sur le bateau et y improvisait une fête
et quelques savants messieurs venaient les observer et faire leurs
commentaires avec leurs gueules sinistres tandis que les autres, pauvres
et misérables, dansaient, chantaient et riaient.
Me revient un Noël passé à Lanzarote.
Non, ce n’était pas Noël, c’était un
premier de l’an mais c’est pareil. La quinzaine que nous
étions dans notre groupe de randonneurs avions mangé
le soir dans une ambiance chaleureuse un repas un peu amélioré
dans un boui-boui de l’île de Graciosa. Il pleuvait et
ventait en tempête, nous étions à l’abri
dans ce seul petit hébergement du village, nous nous sentions
bien, nous avions dormi là, la pluie rentrait par les fenêtres
qui jointaient mal et avait trempé nos duvets mais ça
ne faisait rien. Le matin, après une très courte nuit,
nous avions repris notre marche avec un sentiment d’allégresse,
il faisait grand beau, c’était une belle promesse pour
l’année qui commençait, après trois heures
de randonnée pour traverser l’île sous un ciel
nettoyé, nous avions pu nous baigner (enfin quelque courageux
avaient pu se baigner) avant de pique-niquer sur des pierres tiédies
par le soleil. Bain lustral ! J’en garde un merveilleux souvenir.
Allez, de toute façon demain on loue une
bagnole et on va se promener à notre rythme. Tentons d’être
bien dans notre présent.
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28/12/04 : Promenades
tunisiennes:
Hier donc on a fait le tour de l’île.
Ou plutôt on a zigzagué en divers allez et retours un
peu erratiques. On s’est avisé peu après être
parti qu’il n’y avait plus beaucoup d’essence dans
le réservoir de notre véhicule. Cap plein sud donc où
une pompe à essence est indiquée sur notre carte. Las,
elle est fermée depuis plusieurs années nous dit-on.
Il faut soit aller sur le continent en passant le bac, soit remonter
à Houm Soukt au nord de l’île. On choisit le bac
par crainte de ne pouvoir arriver au bout de l’autre côté.
Attente pour le passage. Traversée. On nourrit la bête.
Attente dans l’autre sens. Retraversée. Tout ça
nous a pris pas loin de deux heures. Je bouillonne intérieurement
(et je le crains quelqu'un peu extérieurement). Incident tragi-comique
! Sur le moment comme à mon habitude, je n’en vois que
l’aspect tragique (enfin, tragique ? !), ce n’est qu’après
que je pourrais en rire, je m’énerve de ma journée
à demi perdue, je fulmine contre mon imprévoyance et
m’en veut en même temps d’être incapable de
prendre l’incident avec le sourire.
Enfin ensuite tout a été mieux et
on a passé une bonne fin de journée. Nous nous sommes
lancés sur des pistes dans l’ouest de l’île,
nous avons longé la mer dans un secteur pas encore envahi par
le tourisme, quelques rares maisons isolées, des oliviers,
des palmiers en rentrant vers l’intérieur, nous nous
sommes un peu égarés mais c’était avec
profit, nous avons rejoint des villages du centre de l’île
et retrouvé des routes. Nous nous sommes arrêtés
à la synagogue de la Ghriba, sous haute surveillance, ambiance
étrange à l’intérieur, après le
passage des détecteurs de métaux on se retrouve en un
lieu hors du temps, nous sommes les seuls visiteurs, lumière
diffuse, mosaïques colorées, le tabernacle ancien, les
inscriptions dédicatoires en hébreu et parfois en français,
deux vieux juifs pieux qui psalmodient à voix forte tout en
regardant périodiquement leur montre, le gardien qui fait la
quête pour « l’entretien du sanctuaire et pour qu’y
continuent les récitations » et qui en même temps
nous propose de changer des euros et nous là dedans, un peu
décalés, Constance couverte de son foulard et nous,
avec nos kippas d’occasion…
On est reparti ensuite plein sud jusqu’au
village de Guellala, nous avons regardé les étals des
potiers et vus un atelier, là encore il faut résister
aux marchands, puis nous sommes montés sur une modeste colline
où a été construit un musée présentant
les traditions de l’île, le batiment est beau, spacieux,
on jouit d’une belle vue sur le village en-dessous, sur la mer
un peu plus loin, à l’intérieur des scènes
sont reconstituées avec des personnages de cire, scènes
de la vie quotidienne et scènes de fête, mais présentation
aussi de pièces de costumes, de tissus, d’objets et d’un
atelier de céramique. Lorsqu’on sort le vent s’est
levé avec plus de force soulevant le sable, le village et la
mer se devinent à peine dans la poussière dorée
du couchant.
Sur le chemin du retour on s’est arrêté
en pleine campagne, auprès d’une ancienne maison de pierre
à l’abandon, entre palmiers et oliviers, on a fait quelques
photos, quelques pas, la nuit achève de tomber, il y a l’appel
du muezzin au loin, tout est paisible, bref moment, on se sent enfin
à plein en Tunisie.
Aujourd'hui on a « fait » l’excursion
au désert. Autre style. On est parti dans le cadre des sorties
organisées par l’hôtel, cinq gros quatre-quatre,
trente personnes, on est parti dans la nuit, levée du soleil
pendant le passage du bac puis deux bonnes heures de route et encore
plus d’une heure de piste dans le désert de cailloux
pour atteindre les premières dunes de sable, belle couleur
ocre et tache d’un vert intense de l’oasis de Ksar Ghilane
qui apparaît enfin. Halte sous les palmiers. Bien sûr
« en option » il y a la promenade à dos de dromadaire
à laquelle tout de même nous ne cédons pas. Nous
partons nous promener à pied dans les dunes pendant l’heure
et demi libre qui nous est accordée, bain rapide ensuite dans
une source thermale chaude, merveilleux moment, sensation d’intense
délassement, se laisser flotter sur le dos, au-dessus de soi
le bleu très vif du ciel et le cercle des palmes, nous retrouvons
le groupe pour un repas agréable et bon, à peine le
temps de terminer déjà le « guide » (?!)
et les chauffeurs nous appellent pour repartir, on embarque, et nous
revoilà sur la piste, les chauffeurs font du zèle (ou
s’amusent ?), ils se la jouent Paris-Dakar (l’an dernier
parait-il le rallye est passé sur cette même piste).
Nous faisons un arrêt au soir tombant pour visiter une maison
troglodyte du village de Matmata, verre de thé brûlant
et galettes cuites dans la cendre trempées dans de l’huile
d’olive et du miel, c’est bon, l’hôtesse est
souriante et a un beau regard chaleureux, l’accueil était
préparé et programmé bien sûr mais ça
ne fait rien, c’est avec plaisir vraiment que l’on met
notre pièce pour cette famille. Tout ça est passé
tellement vite, on n’a pas eu le temps bien sûr de rentrer
dans les lieux comme on aime à le faire habituellement, en
prenant le temps d’aller et de venir, de marcher et d’attendre,
de regarder mais aussi de fermer les yeux et de faire silence. Sept
heures de quatre-quatre vombrissant et polluant pour trois heures
sur place c’est peut-être contribuer un peu beaucoup au
réchauffement de la planète pour pas grand-chose ! Mais
quand même c’était bien, c’était une
parenthèse, comme un espèce de rêve passé
comme l’éclair, mais prégnant et riche d’images
fortes et puis les garçons qui ne connaissaient pas le désert
et pour lesquels surtout on avait fait cette excursion, étaient
très contents, alors soyons-le avec eux.
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29/12/04 : Vivifiant
!
On vient de rentrer d’une longue marche sur
la plage, une bonne quinzaine de kilomètres aller et retour.
On a longé la mer en suivant le cordon d’hôtels
presque jusqu’à l’extrémité de la
zone touristique. Ce n’est pas la nature bien sûr mais
enfin tous ces hôtels pourraient être pires, leurs architectures
ne sont pas trop agressives, ils sont relativement espacés
et souvent construits un peu en retrait de la plage. Et puis la mer
est bleue, le ciel clair, le soleil brillant, à défaut
de me baigner j’ai marché au moins les pieds dans l’eau.
Mais il fait froid. Il nous manque d’avoir de gros pull-overs.
Je n’ai pas réussi à tomber la parka même
quand nous avions le vent dans le dos. Le corps reste toujours un
peu tendu, il ne peut se laisser aller à la pleine détente,
à la décontraction, il faut mobiliser son énergie
contre le froid. N’étaient les hôtels, les silhouettes
des palmiers, les petits vendeurs qui nous accostent, et les dromadaires
promène-touristes que l’on croise, on se sentirait un
peu comme dans ces grandes marches qu’il nous est arrivé
de faire par de belles journées de vacances de Toussaint le
long de l’immense plage de la Torche au bout du bout du pays
bigouden. On est bien quand même, on respire, c’est vivifiant,
prenons ce plaisir pour ce qu’il est même si ce n’est
pas tout à fait cela qu’on venait chercher.
On marche côte à côte avec Constance,
en silence mais en harmonie et quelques mètres derrière
nous les deux garçons papotent inlassablement, entretenant
et renouant cette complicité entre eux que je trouve magnifique
et qui a forcément été mise à mal cette
année depuis que Taupin n’habite plus à la maison.
Se retrouver c’était aussi un de leurs souhaits pour
ces vacances et cela c’est réussi.
Maintenant que la nuit est tombée, on se
pelotonne dans notre chambre, chauffage allumé, les garçons
jouent aux échecs, Constance bouquine et moi j’ai pris
mon cahier pour écrire ces quelques mots.
31/12/04 : Bonne
année quand même :
Nous voici rentrés juste à temps pour
fêter l’année nouvelle. Fêter ? Quel sens
cela a-t-il quand on voit ce qui se passe… Mais si, fêtons.
Essayons de faire passer de la paix, de l’espérance,
au moins en en étant prodigue entre nous, à notre petite
échelle, avec ceux qui nous sont proches.
On avait vaguement réalisé pendant
les derniers jours de notre séjour qu’il s’était
passé un drame mais nous n’en avions pas pris la mesure.
Il faut dire qu’on ne faisait pas le siège des salons
de télévision de l’hôtel et qu’on
a aperçu les titres du journal seulement la veille de notre
départ. Cette catastrophe est effrayante en elle-même
évidemment par les ravages qu’elle cause à des
populations déjà misérables. Elle marque bien
aussi la fragilité humaine, malgré toutes nos technologies
il reste des forces qui nous dépassent infiniment et face auxquelles
on ne peut rien, cela peut-être peut nous ramener à une
humilité qu’on oublie trop souvent. Son déclenchement
si près de l’instant du basculement d’année
frappe d’autant plus les esprits, c’est le moment où
l’on est censé se réjouir, se tourner avec optimisme
vers l’avenir, certains y verront comme un mauvais augure pour
la suite des temps.
La catastrophe a d’autant plus d’ampleur
qu’une fois encore c’est une zone de pauvreté qui
est frappée, là où les infrastructures d’information
permettent moins qu’ailleurs de réagir vite et de se
protéger, là où les secours sont plus difficiles
à organiser, où inévitablement compte tenu des
conditions sanitaires, de la pauvreté ambiante des dégâts
supplémentaires interviendront quelle que soit l’aide
internationale, des pénuries, des épidémies qui
rajouteront les morts aux morts.
La catastrophe est une chose, elle a tué
et détruit beaucoup en un temps très bref mais je suis
sûr que si l’on faisait le compte des morts, jour après
jour, au long de l’année, du fait de la pauvreté,
de la sous alimentation, des pénuries d’eau potable,
du mal-développement, on arriverait sans doute à des
chiffres bien plus considérables que ceux du drame des tsunamis.
On va donner notre obole, comme beaucoup, dans ces jours sombres,
mais ce sera le geste d’un instant, cela ne règlera rien
au reste, au malheur quotidien, aux tensions d’une autre sorte
dont les causes sont très humaines celles-là et qui
ne cessent de s’accumuler dans cette gigantesque cocotte minute
qu’est le monde.
Et pourtant il faut essayer de se souhaiter la bonne
année quand même, de porter en soi du positif, d’éclairer
à notre toute petite échelle, ce qui peut l’être.
Ce soir nous faisons une réunion de famille
en assez petit comité, nous quatre, l’amie de Taupin,
ma sœur et son fiston, mon père, la mère de Constance.
Je préfère cela aux grands raouts. Nous mangerons des
choses bonnes mais nous éviterons la surcharge et le gâchis.
Des œufs mimosa au crabe avec une coupe de champagne, une volaille
toute simple mais de bonne qualité, un très bon bourgogne,
un dessert simple mais que nous aurons eu à cœur de préparer
nous-mêmes, et cela suffira. Des échanges de cadeaux
sans excès. De la chaleur entre nous. Voilà ce qui compte.
On va dîner assez tôt puis les jeunes
nous quitterons pour aller à des soirées avec leur copains.
Et sans doute nous nous coucherons tôt, après nous être
souhaités de bonnes choses pour l’année qui commence.
Je me les souhaite à moi-même d’abord
car charité bien ordonnée comme chacun sait…
Je souhaite que le monde n’aille pas plus mal et qu’aucun
vrai malheur ne m’atteigne.
Carpe diem, devant les petits bonheurs de chaque jour, que je sois
capable de les accueillir dans l’allégresse, que je mette
à leur juste place qui n’est pas grande (qui n’est
grande plutôt que de l’importance que je leur donne) mes
petites contrariétés intimes.
Et que j’aie la paix du cœur, les mains ouvertes…
Et que je fasse bon accueil à ce qui adviendra...
Et je vous en souhaite tout autant…
Á toutes et tous. Á vous que je connais
par vos mots et qui me connaissent par les miens, à vous avec
qui des échanges se font, même espacés, même
lointains et avec qui peu à peu se forge quelquechose, comme
une amitié en pointillé, étrange, distante, improbable,
mais qui compte je crois. Á vous aussi qui croisez mes mots
en silence mais chez qui peut-être une fois ou l’autre
ils font écho, et à vous encore, passants épisodiques
ou accidentels, à vous que le hasard peut-être aura mené
aujourd'hui sur cette page.
Á toutes et tous, du fond du cœur…