LES ÉCHOS DE VALCLAIR

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MOIS d' OCTOBRE 2004 (2° quinzaine)

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17/10/04 : Comme un éclair :

Toute une semaine est passée et même le week-end, nous voici dimanche soir, tard, et ce n’est que maintenant que je viens vers mes mots.

J’ai été très pris au bureau. Je suis très loin de pouvoir réaliser mon envie de début d’année d’organiser mon travail en me laissant deux demi-journées de liberté. Il faut dire qu’en lien avec mon activité habituelle mais aux marges de celle-ci j’ai accepté une intervention dans la formation continue ce qui me plait mais me donne un boulot supplémentaire non négligeable. Contradictions : j’ai envie de souffler, d’avoir des espaces de respiration, et en même temps j’accepte des sollicitations qui me viennent de l’extérieur et que je pourrais refuser !

J’ai vu des films cette semaine et ce week-end, « Land of plenty », « Eternal sunshine of the spotless mind », « Salvador Allende », j’ai lu « Putain » de Nelly Arcand. J’aurais aimé écrire un peu là-dessus, dire les résonances diverses que ces films/livre ont eu en moi. Pas le temps. J’aurais aimé pour faire partager mes impressions et pour en forcer le souvenir en moi, pour pouvoir retrouver quelquechose de ces impressions premières plus tard, quand il ne me restera qu’un souvenir vague et parfois très trompeur, j’en ai fait l’expérience souvent à relire bien plus tard des notes écrites sur le moment. J’aime bien ça, cette confrontation du souvenir et de la trace au présent écrite jadis sur le papier. Cela dit je n’en valorise pas plus l’un que l’autre. L’écriture du moment peut être fallacieuse, piégée par un aspect minuscule, et la souvenance vague et trompeuse plus réelle parce que renvoyant à l’alchimie intime qui s’est faite en nous.

J’ai survolé les diaristes, mes favoris habituels et d’autres, que je suis en train de découvrir en ce moment, j’y ai trouvé des phrases qui ont fait écho, auxquelles j’aurais eu envie de réagir ici ou dans des courriers privés... Pas le temps, non plus.

Le temps… le temps…

Lorsqu’il semble disponible on le laisse passer sans en faire bon usage, le bon usage restant à définir, bon usage actif, bon usage passif, c’est selon, il faut des deux.

« Trop de temps tue le temps » écrit excellemment Eva dans son entrée du 1° octobre. Combien de fois n’ai-je pas ressenti cela, combien de fois ai-je « grillé mon temps » lorsque je crois en avoir, combien d’envies multiples, de vagues projets, qui sont là, mais auxquels je ne parviens pas à me mettre, et les heures passent, et la journée s’effrite, et la nuit tombe et demain est déjà là… J’en ai fait l’expérience bien des dimanches et cet été aussi, mon mal-être de vacances dont j’ai abondamment parlé avait beaucoup à voir avec ça.

Á se demander parfois si la vraie raison pour laquelle on remplit son temps d’obligations et d’activités extérieures n’est pas une façon d’écarter l’angoisse de se retrouver face à un vide, face à une liberté qui fait peur et qui demanderait, pour s’y sentir bien, une mobilisation qui vienne du plus profond de soi.

Ou à moins qu’il ne faille, ce qui serait encore autre chose, acquérir la capacité d’être de façon permanente dans l’instant et d’y être bien, même si l’on est face au vide. Ce qui m’est, en tout cas à ce jour, complètement inaccessible.

Moi je fais comme je peux, avec mes contradictions et ma dispersion, avec mes envies et mes projets, avec mes activités et mon temps bousculé, avec mes besoins de respiration et de suspens, c’est un équilibre à trouver, non pas un équilibre c’est plutôt une tension permanente, une ligne de crête sur laquelle il faut être, mais une ligne de crête toujours mouvante.

Je m’égare, porté par mes mots. Tant mieux finalement.
En commençant cette entrée je me sentais un peu forcé. Je me disais : voilà une entrée que je n’aurais pas écrite au temps de mon journal hors-ligne. Je serais passé par-dessus sans même y songer, si je viens ici ce soir c’est parce que j’ai des lecteurs et que sans me le dire je m’impose une régularité minimale, comme s’il y avait un espèce de contrat implicite entre moi et eux à partir du moment où j’ai commencé à mettre en ligne. Et puis non, finalement les mots ne sont pas restés formels, je me suis laissé entraîner par eux, c’est ça aussi le plaisir de l’écriture, ce plaisir de ce qui surgit à l’improviste …

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20/10/04 : Plongée arrière :

Oui, je reviens sur « Salvador Allende », le film de Patricio Guzman que j’ai vu dimanche. J’hésitais un peu à aller voir ce film. C’est une histoire que je connais, c’est une histoire triste, ça me rasait un peu d’aller voir ça et en même temps ça me tenait à cœur. Quand je vais au cinéma j’ai plutôt envie de partir loin, dans l’imaginaire, dans le romanesque ou dans le poétique, à priori je ne me sens pas motivé pour aller voir des documentaires, je me dis, à tort peut-être, qu’un documentaire ça vaut surtout pour la télévision mais le Chili quand même, le Chili de 73, je ne pouvais pas laisser passer ça.

Le film m’a plu, m’a ému surtout, par moment, à l’écoute de certains chants, face à l’ambiance de certains meetings. J’ai senti que mes yeux s’embuaient dans ces moments là. Pourtant j’ai désormais un certain malaise devant les foules unanimes, je sais trop bien comment cela peut tourner, dans le déni de l’autre, dans l’intolérance, je préfère les doutes aux certitudes affirmées, même là, en voyant ce film, je ressentais cette gêne, je ne supporte plus guère les slogans entonnés en cœur quels qu’ils soient. Le film est bien fichu même s’il peut paraître excessivement hagiographique à l’égard d’Allende, ou trop exclusivement centré sur lui. Mais c’est le parti pris du réalisateur qui en fait une part de sa propre autobiographie, il voulait montrer comment cette figure était devenue à ce point tutélaire pour lui. Et puis on a suffisamment insisté sur la faiblesse politique d’Allende, son incapacité à se doter des moyens de sa politique (l’ambassadeur américain interviewé le dit assez avec son cynisme rigolard et épanoui et hélas sa lucidité) pour magnifier aussi son intraitable volonté démocratique, qui, au-delà de l’échec immédiat et bien concret, reste porteur de valeurs à accomplir.

J’étais au Chili pendant l’été 73, j’étais alors un tout jeune militant, c’était pour moi une visite quasi initiatique, une entrée dans l’histoire en train de se faire ailleurs que dans notre Europe où s’épuisaient dans la groupuscularisation croissante les suites de Mai 68. Nous étions un groupe d’une trentaine de militants, coachés par une fraction de gauche au sein du PS chilien. Nous avons visité des usines, des fermes expropriées et reprises en main par leurs travailleurs, des poblaciones où se mettaient en place une organisation collective et des embryons d’autodéfense. Nous avons participé à d’innombrables marches et manifestations, à des meetings, à des rencontres et des discussions. Nous avions à l’origine un programme qui devait nous mener jusqu’au désert d’Atacama au nord et jusqu’à Puerto Montt au sud. La désorganisation des transports liée aux grèves des routiers était telle que nous n’avons pas poussé au-delà de Conception et que nous sommes restés l’essentiel du temps entre Santiago et Valparaiso. Nous étions dans l’enthousiasme et l’inconscience. Bien sûr il y avait les rumeurs de plus en plus insistantes sur le « golpe » en préparation, on dénonçait la politique d’Allende tentant d’amadouer l’armée pour désamorcer son opposition mais on était loin de croire à une si proche issue dramatique. On regardait défiler vaillamment les groupes d’autodéfense des usines et des quartiers, on s’enthousiasmait de leur organisation croissante, ils paradaient fièrement, et on criait notre appui « franceses solidarios del pueblo chileno…hasta la victoria siempre…etc…, le cœur gonflé de notre importance en tant qu’inébranlable soutien internationaliste. Mais ils paradaient avec des bâtons !

On est reparti en Europe dans tous les tous premiers jours de septembre. Je me souviens très bien du jour de notre départ, le haut responsable du parti socialiste qui nous a raccompagné et qui était un vice ministre dans le gouvernement, nous a tenu alors des propos complètement décalés par rapport à l’optimisme officiel, cela sonnait comme un testament, sa voix était embuée d’angoisse, il nous a dit : « adieu camarades, peut-être que nous serons morts bientôt… ». J’ai fugitivement pris conscience alors du drame qui se jouait (l’ai-je vraiment senti d’ailleurs sur le moment, où cela m’est-il revenu surtout à posteriori ? dans l’avion en tout cas l’ambiance était chaude, portée surtout par un groupe d’italiens, inépuisables chanteurs, avec lesquels on a revisité tous les classiques des chants révolutionnaires internationaux).

Une semaine après, nous avons suivi le drame, à la radio et dans les journaux, atterrés, tous les contacts avec nos camarades brutalement interrompus nous n’en savions pas plus que ce que disait la presse, nous scrutions les photos des stades remplis de militants arrêtés, cherchant des visages connus et de fait nous avons en effet reconnu ou cru reconnaître un de nos camarades dans un petit coin du stade.

J’ai revu une fois, quelques années plus tard, le camarade ex-ministre, il avait pu rejoindre la France après des années d’emprisonnement et de galère, c’était un vieil homme brisé mais qui parlait encore de son espoir, j’ai passé une après-midi avec lui, je ne sais plus trop comment ça c’était fait, je me souviens seulement qu’outre de longues discussions, nous avions écouté, Beethoven, la Neuvième et l’Hymne à la Joie et qu’il s’était mis à pleurer en l’entendant...

J’ai des disques ramenés de là-bas. Je me suis séparé peu à peu de presque tous mes disques vinyl, écoulés dans des brocantes ou donnés à des amateurs. Pas ceux-là. Je les garde précieusement. Je ne les écoute pas. Ma platine tourne-disques est hors service depuis des années. Mais ils sont là. Quilapayun, Angel Parra, Victor Jarra, (celui dont les militaires ont d’abord écrasés les doigts pour qu’il ne puisse plus jouer de guitare avant de finalement l’abattre), l’oratorio révolutionnaire Santa Maria de Iquique et le festival de musique populaire de Santiago de mars 73... Tiens, ça me prend, l’envie de les réécouter…

J’ai un film aussi, un film super huit. A l’époque je n’avais pas d’appareil photo, du coup, vu l’occasion, j’avais emprunté, non sans pas mal de résistance de sa part, la caméra de mon père, j’ai une petite demi-heure de pellicule, des paysages mais aussi quelques images qui font partie de l’histoire, des manifs, les jeunes français sous leur banderole, avec leurs têtes qui détonnent au milieu des visages glabres et bruns, nous avec nos barbes et nos cheveux longs et puis ces trois petites ouvrières qui viennent tripoter en éclatant de rire les longues boucles blondes de l’extraordinaire chevelure de mon copain J.C…

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25/10/04 : Lupin :

J’ai été voir « Arsène Lupin. ». La bande annonce m’y avait incité comme mes souvenirs de lectures d’enfance. J’ai été lupinophile passionné pendant mes premières années de collège, on m’avait offert en sixième un volume puis, au vu de mon enthousiasme, toute la collection des « Lupin blancs ». Je les ai encore : d’épais volumes reliés toilés décorés sur la couverture par des illustrations reproduisant en miniature les couvertures des éditions originales : c’étaient les seules images de ces volumes austères mais elles suffisaient à me faire puissamment rêver à celles des histoires que je n’avais pas encore lues et à m’en rendre impatient. Je les avais retrouvés déjà à l’occasion de ma lecture de « Légendes » de Winckler et les avait déjà évoqués ici.

Au cinéma je m’étais régalé avec « Le mystère de la chambre jaune » qui retrouvait il me semble l’esprit de ces polars belle-époque mais ici totale déception. Je n’ai pas retrouvé mon Lupin, le personnage ludique, élégant et charmeur, apparaissant et disparaissant, artiste du déguisement, piégeant habilement ses adversaires, dérobant les riches et les corrompus. Lupin ici, certes au début de sa carrière, n’apparaît pas maître du jeu, ballotté qu’il est entre ses amours et piégé par des conflits intérieurs aux vagues relents oedipiens puisque le "grand méchant" est son propre père. L’histoire est boursouflée, mêlant des éléments issus de plusieurs épisodes, les rebondissements finissent par lasser, le grand-guignol passe mal, les acteurs dont, au vu du casting, j’attendais beaucoup, déçoivent.

Mais tout de même en rentrant et malgré cette déception ou à cause d’elle peut-être j’ai été rechercher « mes Lupin » sur les étagères de Bilbo, puisque c’est lui qui en a été le dernier lecteur après son frère. Voilà des bouquins qui auront vécus au moins, qui auront été lus et relus ! J’ai repris « La Comtesse de Cagliostro » justement, j’en ai déjà avalé une centaine de pages et je me régale, je retrouve il me semble mes sensations d’autrefois, c’est bien le film qui est raté, ce n’est pas moi qui ai perdu tout esprit d’enfance ! On part demain, profitant de ce que j’ai quelques jours de vacances, pour se mettre au vert chez des amis à la campagne, j’embarque ces bouquins bien sûr, lecture adaptée sous la couette ou devant le feu de bois, si le temps comme cela menace, est un vrai temps triste de Toussaint…

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31/10/04 : Il pleut, il pleut…

Nous avons consacré cette semaine de vacances à visiter trois séries d’amis dont les maisons permanentes ou résidences de vacances sont relativement proches, dans le Haut Vivarais pour l’un, dans le sud de l’Ardèche pour une autre, dans le Gard pour un troisième…

Zapping de lieux, de maisons, d’ambiances, de personnes. J’aime assez cela, ce mouvement permanent, ce nouveau offert par chacun de nos sauts de puce, j’étais content aussi de revoir certaines personnes pas vues depuis longtemps. Mais c’est un peu frustrant aussi, à peine a-t-on le temps de se familiariser avec les lieux, à peine a-t-on le temps de retrouver les personnes que déjà l’on repart…

On espérait aussi, grâce à cette descente vers le sud, profiter encore avant l’hiver d’un peu de soleil et de temps doux. Sur ce plan c’est raté. Je crois bien que partout ailleurs en France il fait meilleur que sur ces rebords orientaux du massif central soumis ces jours ci aux tempêtes et aux orages !

Pour le moment je suis assis devant la fenêtre ouverte, mon cahier de notes ouvert devant moi et je regarde : Ciel gris uniforme, stries verticales et serrées de la pluie, branches tourmentées de l’arbre de Judée planté sur la terrasse, au-delà le terrain avec ses jeunes arbres, deux oliviers, quelques pins, un cyprès, au bout du jardin le petit muret de pierres sèches, au-delà la vigne puis plus loin encore la colline boisée…

Je rêvasse. Je ne sais pas trop si je me sens heureux ou triste. Un peu mélancolique. Je me pose des questions sur ma vie. Trop de questions comme toujours. Me reviennent des envies de campagne, de vie dans un lieu comme celui-ci, avec des rythmes différents, avec cette nature proche. Même par ce temps épouvantable, j’ai l’impression que je pourrais m’y faire.
Je n’ai pas du tout envie de rentrer à Paris, de retrouver mon travail, mon cadre et mes relations habituelles.

J’ai lu pas mal, compensation à ce temps pourri. « Blog story », une introduction à ce monde des blogs que je fréquente par ailleurs dans mes promenades diaristes. Je réalise à quel point c’est un vaste secteur d’internet dont je ne connais qu’une toute petite province, je réalise aussi tout ce que peuvent apporter les outils de blogging au point de me demander si je ne vais pas moi aussi choisir d’en utiliser un. Ils font gagner du temps par l’automatisation de tâches que je réalise moi manuellement et laborieusement, ils offrent des fonctionnalités bien plus puissantes de communication, d’archivage et de repérage mais je résiste aussi, j’aime bien mon petit coin artisanal, tout à fait à moi, où je me sens complètement chez moi.

J’ai lu aussi « La jeune fille à la perle » de Tracy Chavalier, un beau récit, l’histoire racontée à la première personne d’une servante chez le peintre Vermeer, on voyage dans le temps et dans l’espace, loin des blogs et de mon présent, ça fait du bien la littérature qui vous amène ailleurs, dans ces Pays-Bas du 17° siècle, dans un atelier d’artiste, dans l’esprit d’une jeune femme intelligente et courageuse de ce temps et de ce lieu tel que l’a pénétrée et réinventée l’écrivain. Cette capacité à se glisser dans une personne et dans un temps me fait un peu penser à Yourcenar, même si c’est ici avec moins de brio et j’envie ces écrivains qui ont cette capacité de recréer des mondes.

Enfin j’ai lu « Soie » d'Alessandro Baricco un texte que j’ai trouvé magnifique dans sa retenue, plein de poésie et de force, il décrit un destin vu de loin, sur un ton de parfaite objectivité, si ce texte avait une couleur, dit son auteur, ce serait le blanc, il ne cherche pas du tout à rentrer dans la boîte noire des émotions et des motivations du personnage dont il décrit la vie mais cela va loin, bien au-delà de l’histoire d’un inhabituel voyageur de commerce du 19° siècle qui transporte des œufs de vers à soie entre un Japon mythique et les ateliers du sud de la France, cela évoque la condition humaine, l’amour, l’absence, le rêve qui fait vivre et qui permet de survivre...



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