01/10/04 : Beautés
:
Décidément je devrais prendre l’habitude
d’avoir toujours mon appareil photo avec moi. J’étais
vers Beaubourg, la Châtelet, la Seine, l’Ile de la Cité
en fin d’après-midi, il y avait une lumière vraiment
extraordinaire sur le fleuve aux eaux sombres mais miroitantes, sur
les découpes hardies des toitures de la Conciergerie dans un
contre-jour d’ombre et de lumière, puis sur la façade
de Notre-Dame, somptueusement éclairée, la blancheur
étincelante du calcaire sur un fond de ciel très noir,
très menaçant… J’ai beau connaître
ces lieux par cœur, je me surprends encore, quand je les parcours
et que le ciel complice les fait vivre d’une façon particulière,
à ressentir des moments d’enthousiasme, de ravissement
qui m’étonnent moi-même.
Je sortais du cinéma aussi et peut-être
que l’ambiance du film m’a mis dans un état propice
pour être réceptif à la beauté. J’ai
vu « la Niña Santa », l’humanité,
le monde, les lieux, qui y sont décrits y ont quelquechose
d’assoupi, d’étouffé, de glauque qui rend
d’ailleurs par moment le film plutôt ennuyeux mais, dans
cette ambiance délétère, se glissent, sans pouvoir
s’épanouir tout à fait, de la vie, de la beauté,
des désirs. Les corps s’expriment à travers des
manifestations d’hystérie au sens propre, l’acouphène
de la mère par exemple, à travers des gestes amorcés
et suspendus, des approches et des fuites. La sensualité naissante
des jeunes filles se tient sur une étroite ligne de crête
où se mêlent sans vraiment se distinguer aspirations
mystiques et pulsions des corps. Quoi de plus sensuel déjà,
dès la première scène, que ces visages empreints
d’attente, que ces yeux tournés vers le ciel, que ces
gorges et ces lèvres offrant les mots, que ces voix aériennes
? Encore une fois beaucoup dans ce film dépend des actrices.
La jeune Amalia est merveilleuse d’ambiguïté, d’ambivalence,
tout est dans son regard, dans son sourire. Elle sourit à moitié,
vraiment à moitié, une partie de son visage s’éclaire
plus que l’autre, c’est comme un sourire qui reste en
chemin, un sourire encore retenu, mais qui est là, qui dit
tout, et son visage, ses joues qui ont encore les rondeurs, le moelleux
de l’enfance, c’est un fruit, ce visage, un fruit qu’on
voudrait cueillir...
Diable, je me sens de plus en plus amoureux des
actrices, pas forcément de leur beauté pure mais du
trouble qu’elles savent créer lorsqu’elles expriment
d’un geste, d’une mimique toute une épaisseur de
vie et de désir !
Et sortant de là, cette lumière sur
Paris…
Le monde est affreux, violent, torturé, mal
barré pour demain, mais le monde est plein de beautés.
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03/10/04 : Nuit blanche
et journée au vert :
J’ai les yeux qui papillonnent. Pourtant j’allume
l’ordi, je viens faire un survol rapide de mes courriers, j’ouvre
word pour écrire quelques mots, je me demande un peu pourquoi
je le fais plutôt que d’aller m’affaler sur mon
lit avec un bouquin, est-ce une obligation que je me fais, dire que
je suis là, que j’étais parti mais que je reviens...
Hier soir bons moments dans la Nuit Blanche. J’ai
eu d’abord comme toujours un peu de gêne par rapport à
ce genre de manifestations, cela me parait artificiel, trop programmé,
trop organisé, allez, bon peuple, on vous donne des jours de
fête, comme on vous a donné la fête de la Musique,
maintenant on vous donne les Nuits Blanches, allez-y, éclatez-vous,
la ville paye pour vous et les sponsors multiples bien sûr dont
le nom apparaît sous chaque action. On a pris nos vélos,
on a déambulé dans la nuit, un peu au hasard, il y avait
des sollicitations partout, trop, on ne sait pas vraiment où
donner de la tête, c’est la société de consommation
et d’abondance culturelle, les choix trop nombreux créent
le stress, c’est un peu comme devant les magasins surachalandés,
comme dans le ventre de la FNAC face aux murs de livres, comme devant
mon écran face aux milliers de direction dans lesquelles je
peux partir de lien en lien A vrai dire, plus que l’abondance
de l’offre, c’est ma propre réaction face à
elle que je devrais mettre en cause, cette tendance à la dispersion
et au zapping qui n’est que la manifestation d’une inquiétude,
d’une peur de ne pas saisir, de ne pas m’emparer de tout
ce qui peut l’être. Se centrer sur quelquechose, s’y
concentrer, être dedans, pleinement, sans avoir l’œil
et l’oreille aux aguets pour saisir la prochaine sollicitation,
sans avoir la tête occupée du commentaire qu’on
pourrait en faire, sans être occupé du projet pour demain.
Peu à peu quand même je suis entré
dans le plaisir de cette nuit, plus simplement, en laissant mes éternelles
interrogations au vestiaire, sensible à l’ambiance bon
enfant, au plaisir pur de la déambulation au milieu d’une
foule détendue et dans une nuit tiède encore qui donnait
envie de s’arrêter, de se poser sur un parapet pour regarder
couler la Seine, à une terrasse de café pour profiter
d’une bonne bière. Finalement le lieu, de ceux que j’ai
vu, que j’ai le plus apprécié, a été
le campus de Jussieu, devant les murs d’images, les installations
vidéos provenant du monde entier évoquant les lieux,
les situations, les hommes, sur des rythmes et à travers les
formes et les images les plus diverses. Curieusement on était
bien là justement au milieu des sollicitations multiples, en
suivant à la fois deux sinon trois vidéos très
contrastées. Mais cette multiplicité était le
sujet même, ce sont les effets de contraste qui faisaient la
force de ce qu’on voyait plus que la qualité ou l’attrait
de telle ou telle vidéo prise individuellement en nous mettant
au cœur à la fois de l’éclatement du monde
et de son unité paradoxale. Là nous sommes restés
longtemps et même nous y serions restés plus, si la perspective
de notre lever matinal du lendemain ne nous avait pas incité
à ne faire cette Nuit Blanche qu’à demi…
Car aujourd'hui on marchait, rendez-vous dès
neuf heures sur un parking de la forêt de Fontainebleau avec
la petite bande avec qui on randonne de temps en temps. En route…
Vivacité de l’air puis bonne chaleur comme un reste d’été,
montées et descentes continuelles dans les blocs de grès,
multitude des verts au-dessus de nos têtes, des verts qui commencent
à peine à passer, l’automne semble vouloir être
tardif cette année, des cavaliers isolés, carte à
la main, passent et repassent à la recherche de leur prochain
point de contrôle, il y a un rallye équestre dans le
secteur, beauté des chevaux surgissant entre les arbres, élégance
des ports et des allures, pique-nique et repos au sommet d’une
butte d’où se dégage la vue sur le moutonnement
de la forêt à nos pieds, reprise de la marche, les jambes
commencent à peser mais c’est jouissance que de sentir
cette bonne fatigue qui s’installe, la fatigue du corps en mouvement,
je dormirai bien ce soir…
J’étais loin. Loin de la préoccupation
de ces mots écrits, de ces mots arrêtés, loin
de la machine qui les envoie, comme bouteilles dans l’océan,
dans l’immensité d’internet mais près des
mots simples et tranquilles, des mots de tous les jours que j’ai
échangés avec mes co-marcheurs…
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04/10/04 : Des mots
jusqu’au ciel :
Ce soir j’ai un peu de temps alors je fais
retour vers mes mots, vers les mots des autres.
J’ouvre mon site, je fais les copier-coller
des pages que j’ai écrites sous word ces derniers jours,
je me relis, je fais quelques corrections mineures pour que le texte
se lise mieux, se tienne mieux. J’y passe du temps mais c’est
plaisir… Je file aussi vers les diaristes que je n’ai
pas lus depuis quelques jours, je déambule là aussi
comme dans Paris l’autre nuit, je fais de nouvelles découvertes
au hasard des pages et des liens. J’aime toujours ça,
découvrir de nouveaux morceaux d’humanité, même
si je ne sais trop quoi en faire une fois que je les ai découverts
car je sais bien que je ne pourrais aller les lire régulièrement.
Je les rajoute dans mes favoris, je les inscrits au coin de ma page
d’accueil, il y en a trop mais ça ne fait rien, je témoigne
seulement par là que ce sont des personnes qui ont quelquechose
à dire, qui le disent avec des mots qui, une fois au moins,
m’auront touchés. On se rend compte qu’il existe
au-delà des regroupements officiels des sous espaces virtuels,
des sortes de cercles implicites, informels entre diaristes. Au sein
de ces mini entités souterraines les liens renvoient des uns
aux autres, les entrées parfois se répondent, les mêmes
personnes se commentent mutuellement. Alors parfois, quand par le
biais d’un diariste que l’on fréquente régulièrement,
on rentre chez quelqu'un qui navigue plutôt dans un autre cercle
on peut découvrir d’un seul coup tout un pan de diaristes
jusque là inconnus. C’est ce qui m’est arrivé
en allant chez Samantdi
que je connaissais pas et où j’ai trouvé des mots
sensibles. Sur ses pages, parmi les personnes qu’elle cite et
commente, dans les dialogues qu’elle entretient, j’ai
trouvé des tas de liens vers des personnes non citées
chez les diaristes que je fréquente plus régulièrement
et qui m’ont mené vers des sites qui, pour certains,
sont très dignes d’intérêt. Je me dis que
ce serait amusant (quoique farfelu et vain) de réaliser une
sorte de carte du web diariste, une topologie avec la position des
uns par rapport aux autres, certains centraux ici et marginaux là-bas
et d’autres occupant une position inverse ou simplement différente,
une carte évidemment qui serait mouvante, avec des liens qui
se créent, des liens qui se brisent, des sites qui apparaissent
et disparaissent. Il n’y aurait pas de centre bien sûr
mais des zones où la concentration serait plus forte, où
les liens seraient plus serrés. Ce serait comme un ciel avec
des voies lactées et des nébuleuses et avec de vastes
espaces moins chargés où brillent des astres moins reliés.
Et ce serait un ciel mouvant avec des étoiles qui s’allument
qui clignotent et s’éteignent, comme une diaprure en
constant mouvement, un ciel comme est le ciel en fait s’il nous
était donné de le contempler suffisamment longtemps,
un ciel comme on peut le voir dans une séance de planétarium
où sont simulés sur quelques minutes les changements
du cosmos dans l’épaisseur des millénaires.
Jusqu’à quelle rêverie je me
suis laissé aller…
Pas étonnant, je suis venu me réfugier
là, ce soir, de pages en pages, dans l’immense espace
d’internet qui est aussi ce tout petit coin du monde, ma chaise,
mon écran, la maison paisible, les rideaux tirés, j’ai
mis le monde et ma journée réelle qui a été
particulièrement stressante entre parenthèses, et je
me laisse aller à voguer ailleurs, dehors, tout en étant
dans mon abri, dedans…
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05/10/04 : Hallucinant !
Oh ce n’est qu’une toute petite nouvelle
et qui ne pèse en rien dans la vie du monde. (quoique, avec
le paradoxe de l’aile de papillon, sait-on jamais…) Mais
digne quand même de figurer en première page du Monde
dans ce pavé central que je lis en premier et qui est réservé
à de petites nouvelles souvent d’apparence farfelues
ou anodines mais pleines de sens.
Deux inspecteurs généraux de l’éducation
nationale ont cherché à casser une de leur collègue
en s’introduisant sur son ordinateur et en écrivant des
faux mails signés d’elle ! Quelle dérision ! De
quelle haine devaient-ils être aveuglés, obnubilés,
issue de quels conflits de pouvoir ou de préséance pour
en arriver à de pareilles extrémités ? Ce sont
des comportements qui chez des collégiens vaudraient conseil
de discipline et leçon de morale appuyée avec beaucoup
de grands mots ronflants. La justice a décidé qu’un
rappel à la loi suffisait ! Magnanime justice pour les puissants
! Des procédures disciplinaires sont, parait-il, mises en oeuvre
au ministère mais sans qu’on sache à quoi elles
aboutiront vu la lourdeur du mammouth, les jeux des groupes de pression,
les considérations politiques inévitables à ce
niveau. Le rapport au pouvoir est pathologiquement sensible chez certains
au point qu’ils en perdent le sens commun. Je navigue pour ma
part dans les niveaux moyens de la hiérarchie de cette grande
maison ( !) et bien sûr j’entends parler ici et là
de conflits du même acabit qui, sans aller jusqu’à
de telles extrémités, bloquent ou grippent la machine.
Chaque fois que je m’en rends compte, chaque fois que je m’aperçois
que tel débat de fond, telle considération de haute
volée s’explique en réalité par les intérêts
personnels minuscules des uns ou des autres, je tombe de haut. Indécrottable
naïveté ? Ai-je une vision encore trop optimiste de l’humanité
? Une vision trop déférente et respectueuse du haut-fonctionnaire
moyen et du sens du service public supposé le caractériser
? Peut-être ! Bien sûr je ne généralise
pas, il y a des types excellents et dévoués «
là-haut » et aussi beaucoup d’incapables ou d’inadaptés
définitifs « en bas ». Les hommes ont leur part
évidemment mais le système aussi dont le moins qu’on
puisse dire est qu’une gestion efficace des ressources humaines
n’est pas son fort entre règles statutaires désuètes,
puissants corporatismes et lobbying divers. (Voyez là-dessus
Camille qui écrit
du point de vue de l’utilisatrice des choses hélas tout
à fait justes et équilibrées dans son entrée
du 2 octobre).
Ces comportements minables ne mériteraient
que le rire et un souverain mépris. Sauf que, et c’est
là que la pilule devient très difficile à passer,
dans le même temps on est assailli de pressions pour faire des
économies, pour améliorer la « productivité
», les moyens que les services publics peuvent mettre à
disposition de leurs usagers ne cessent d’être réduits.
Et pendant ce temps, là-haut, il y a des hiérarques
grassement payés qui consacrent leur temps et leur énergie
à leurs guerres picrocholines !
Dur pour ceux qui essaient d’y croire encore
un peu à ce fichu service public !
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09/10/04 : Automne
:
Journée d’automne calme, douce, humide,
une journée qui donne envie de cocooner, de se mettre sous
la couette, avec un bon livre, en écoutant la pluie battre
le velux au-dessus de soi. C’est le début des jours sombres,
des jours maison, on n’en est pas encore saturés, alors
oui, ils peuvent être agréables, moments doux où
l’on est auprès de soi, après les activités
trop fébriles et les stress de la semaine.
Ce matin je me suis replongé dans des tas
de vieilles lettres. Il y a quelques jours de cela, j’ai repensé
à une amie ancienne, les hasards de lectures diaristes m’ont
fait tomber sur des textes qui parlaient de nos rapports aux gens
d’autrefois, aux gens perdus, aux gens qu’on croyait oubliés.
Du coup cela a relancé la machine chez moi, cette pensée
qui aurait pu n’être que passagère a pris plus
d’ampleur et de persistance, j’ai été me
promener dans mon passé, avec tendresse, avec une mélancolie
douce bien accordée aux couleurs du ciel. Et j’ai écrit
même quelques mots sur cette histoire revenue que j’ai
envoyé chez Obso.
Taupin est venu nous voir. Nous avons eu ce plaisir
d’aller au cinéma avec lui. Ce sont des choses qui ne
se produisent pas tellement avec les ados, ils préfèrent
aller de leur côté avec leurs copains, d’ailleurs
c’est ce qu’a fait Bilbo qui n’est pas venu avec
nous, mais Taupin c’est différent, maintenant qu’il
n’est plus ici dans le quotidien il reprend plaisir à
partager des moments avec nous et c’est une joie.
Nous avons vu « Comme une image », le
dernier film d’Agnès Jaoui. C’est un film dur,
pas très encourageant sur la nature humaine c'est le moins
qu'on puisse dire. Derrière les gags et les grimaces, on rit
mais on rit jaune, le film montre comme il est difficile d’être
soi-même, sans subir justement la dictature des images. J’aime
bien les idées que le film véhicule, c’est bien
enlevé, plein de dialogues brillants, mais ça m’a
un peu déçu quand même, la démonstration
est un peu lourde, appuyée, caricaturale, il me semble qu’il
n’y a pas là la finesse du « Goût des autres
», le précédent film de Jaoui. Et j’en reviens
à ma marotte à propos des acteurs. Un personnage prend
une autre dimension lorsqu’on sent passer chez l’acteur,
une épaisseur humaine, une complexité, un mystère
qui ne se résument pas à quelques traits facilement
identifiables, ici il n’y a pas ce supplément d’humanité,
Bacri fait du Bacri, Jaoui du Jaoui, Marilou Berry, quelle que soit
sa performance, se résume à cette jeune fille mal à
l’aise avec son corps, en mal d’amour et de reconnaissance
paternelle. Oui décidément les personnages se résument
trop facilement.
Ensuite Taupin a filé à son dîner
de classe où il va retrouver ses condisciples de l’an
dernier aujourd'hui dispersés dans quantité d’écoles
différentes. Constance et moi, on est rentrés à
la maison, bras dessus bras dessous, comme un vieux couple que nous
sommes, on s’est fait une petite dînette en face à
face agrémentée d’une bonne bouteille, maintenant
Constance est occupée à téléphoner à
ses sœurs et à des copines et moi je suis venu ici retrouver
mes mots, plutôt paisibles et sereins ce soir…