LES ÉCHOS DE VALCLAIR

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MOIS de SEPTEMBRE 2004 (2° quinzaine)

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18/09/04 : Couple :

Ceci, hier, dans le métro...

Je reviens d’une réunion. La semaine a été chaude. Des problèmes imprévus de personnel m’ont obligé à jongler avec mes activités. Quand je pense que je m’étais dit que j’allais essayer d’organiser mon temps de travail en libérant deux après-midi ! J’en suis loin, je n’en ai eu aucune cette semaine et je reviens à la maison avec un dossier à voir ce week-end. Mais comme souvent dans ce sas entre deux moments et deux activités qu’est le métro, je laisse flotter mon attention et glisser mes rêveries...

J’ai remarqué ce couple sur le quai. Grands tous deux, la trentaine, lui cheveux bouclés mi-long, visage souriant, l’air amène, vêtu sans recherche dans un style décontracté, un bouquin à la main, elle, raide, très droite, visage fermé, cheveux tirés en arrière, un tailleur noir habillé mais à la jupe courte sur de longues jambes gainées de bas. Contraste saisissant qui tout de suite accroche mon attention. Ils montent dans la rame, ils ne se parlent pas, ne se regardent pas, c’est à se demander s’ils voyagent bien ensemble mais si, ils s’assoient côte à côte, elle glisse même son bras sous le sien. Je m’assoie en face d’eux. L’homme a ouvert son bouquin, « Le Parfum » de Suskind, il se penche sur le livre, s’absorbe dans sa lecture, elle, elle est simplement assise, elle se tient très droite, dans une immobilité totale du corps et du regard qui fixe le vide, droit devant elle. Le voyage dure longtemps. Sans aucun mouvement de leur part si ce n’est les pages que l’homme tourne de temps à autre. Ils semblent chacun extraordinairement fermés dans leur bulle, vis-à-vis de la rame qui les entoure mais entre eux aussi, il n’y a que ce bras qui les relie. Soudain à l’approche d’une station, ils se lèvent tous deux d’un même mouvement, toujours sans une parole, sans un regard. Sur le visage de la fille, tellement fermé jusque là, s’amorce une ombre de sourire qui enfin me la fait sentir vivante…

Qui sont-ils ? Quelle est leur histoire ? Quel est ce couple qui parait de l’extérieur tellement désaccordé ? Où s’est nouée leur improbable rencontre ? A quoi pensait-t-elle si concentrée sur elle-même ? J’aime à laisser aller ma rêverie, j’aimerais dévider jusqu’au bout la pelote de mon imagination, mais l’imagination se construit, il faudrait commencer à poser des mots et à partir d’eux le fil se déviderait plus loin. Mais je sais que ma rêverie n’est qu’une parenthèse, je n’y reviendrais plus, sinon dans ces quelques minutes que je prends pour écrire ces mots, pour fixer cette image insolite à défaut de la développer.

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19/09/04 : Trop beau !

Hier il faisait « trop beau ». j’ai presque honte d’écrire ça.

Quel ciel absolument bleu au dessus de notre terrasse où nous avons déjeuné ! Je me suis senti une terrible envie de campagne, de campagne profonde ou de forêt. Du coup tout ce que nous pouvions envisager à Paris me paraissait sans saveur. Vague envie de profiter des journées du Patrimoine mais il y a tant de lieux possibles, ça donne le tournis, je n’ai pas envie de choisir, vague envie de ciné mais pas envie de m’enfermer dans une salle close, il fait trop beau vous dis-je, trop beau !

Toujours cette pernicieuse façon de se dire qu’on serait mieux ailleurs que là où on est, occupé à faire autre chose que ce qu’on fait ! J’ai assez bien l’art de gâcher mes week-end avec ça…

Heureusement ça n’a pas duré. J’ai réussi à enfourcher mon vélo, je suis parti un peu au hasard vers les quais de Seine, j’ai été dans le Parc de Bercy qui est l’un des jardins parisiens que je préfère, il y a là sur une toute petite surface plein d’espaces et d’ambiances différentes, on peut y voyager dans un mouchoir de poche. En plus il y avait dans le parc et dans les rues avoisinant la Cour St Emilion un festival de bandes dessinées avec stands de signatures et animations diverses, foule jeune et branchée de passionnés, c’était plutôt sympa, il y avait des concours de déguisements, certains étaient assez somptueux et il y avait de bien jolies jeunes filles dans de bien sexy costumes. Plaisir ensuite d’une bière fraîche à une terrasse ensoleillée. Tout ça valait bien un bâtiment du patrimoine !

En soirée j’ai retrouvé Constance au cinéma. Nous avons vu « Carnets de route » évoquant le voyage épique du jeune Che Guevara et de son copain à travers l’Amérique du Sud des années 50. Le film est un peu long et, surtout sur la fin, dans les séquences à la léproserie, le réalisateur en fait trop, cela devient lourd et tourne à l’imagerie doucereuse. Mais la prise de conscience progressive est bien amenée, il y a des scènes très fortes, notamment celles avec le couple de mineurs. Mais je l’ai aimé aussi surtout par ce qu’il évoque de particulier pour moi. Guevara a été un des phares de mon adolescence (et non simplement une icône comme il l’est devenu maintenant). Et j’ai revu des lieux où j’ai voyagé il y a bien des années (les funiculaires décatis de Valparaiso, Cuzco, le chemin qui permet d’atteindre le Machu Pichu en quatre jours de marche, le bivouac juste avant le site, l’arrivée par en haut sur les ruines, dans le petit matin, et leur visite alors qu’elles sont désertes, avant l’arrivée des trains et des cars amenant le gros des touristes par la vallée : c’est un de mes souvenirs de voyage les plus forts).

Aujourd'hui grand beau temps encore et journée casanière mais tout à fait bien vécue. Repas de dimanche des familles comme on n’a plus l’habitude d’en faire. C’est qu’on n’a plus Taupin dans le quotidien, alors le repas de dimanche lorsqu’il est là devient une occasion. Rosbeef, , frites et salade verte, rien que du banal, mais rosbeef bien croûté et très saignant à l’intérieur, frites vraies de vraies, pommes de terre qu’on épluche soi-même et double plongée dans la friteuse, une bonne bouteille de Médoc là-dessus, que demande le peuple…

Après ça sieste en bouquinant sur le lit « La Reine du Silence » de Marie Nimier, et par le vélux entrouvert, au-dessus de moi, le ciel de Paris...

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23/09/04 : Décompression :

Ce soir je décompresse. Je n’ai pas dîné encore. J’attends Constance qui est au cours de yoga. Je sirote un verre de Bordeaux en grignotant, j’ai allumé l’ordi, je vais dans mes mots et puis je vais aller dans ceux des autres que je n’ai pas eu le temps d’aller lire tous ces derniers jours. J’ai mis de la musique, assez fort. Une musique qui claque, brillante, pas très intérieure sans doute mais c’est le genre de choses dont j’ai envie ce soir, « Le songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn, version Klemperer, j’adore, particulièrement les parties avec voix et cœur, ça m’emporte… Tiens, tout à coup d’évoquer la musique que j’écoute en écrivant, ça me fait penser à Sylvia, ça fait longtemps qu’elle ne nous a pas donné de ces nouvelles cette chère diariste mélomane…

Je ne sais pas comment je fais. Je me sens totalement débordé au bureau. Il y a des facteurs objectifs mais pas que ça peut-être, je me demande si je ne travaille pas plus lentement qu’avant, si je ne me fais des montagnes de collines très modestes, si je ne deviens pas un peu trop perfectionniste. Moi qui voulais prendre un peu de distance cette année ! Enfin j’ai terminé un gros dossier et puis la semaine prochaine ça devrait aller un peu mieux, je devrais avoir une nomination pour le personnel qui me manque. Demain, c’est sûr, je me prends mon après-midi, balade et ciné au programme. Pourtant je ne suis qu’un fort modeste cadre de la fonction publique, avec des horaires de fonctionnaire, ma charge reste modeste par rapport à ce que vivent les cadres du privé mais quand même je trouve que c’est trop, que ça m’envahit…

Je n’ai pas grand-chose à dire apparemment. Juste dire le plaisir de ce petit moment à moi, d’être venu allumer l’ordinateur pour moi et pas pour les autres, d’avoir rouvert mes notes, d’avoir écrit ces quelques mots…

Et cette musique toujours qui explose dans mon dos, merveilleuse, et suffisamment connue pour que je puisse être à la fois dans l’écoute et dans les mots que j’écris.

Voilà Constance qui rentre. Je vais descendre dîner avec elle. Et tout à l’heure promenade sur le net et chez les diaristes…

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26/09/04 : Petit parcours critique :

J’ai terminé le livre de Marie Nimier « La reine du silence ». J’ai eu l’occasion de m’apercevoir une fois de plus que les conditions dans lesquelles on lit interviennent de façon décisive dans l’appréciation que l’on peut avoir d’un bouquin et de l’image qu’on en gardera. J’avais lu le week-end dernier presque les trois quarts de ce livre, à la suite. Avec une impression mitigée, je trouvais l’écriture un peu lâche, trop au fil de la plume, intégrant des séquences sans nécessité et j’étais surpris de l’accueil enthousiaste largement partagé qu’il a reçu. Je l’ai ensuite laissé en plan quelques jours, occupé par d’autres lectures. Je ne l’ai repris qu’hier. Je me suis senti plus touché, ému, concerné. Et comme j’avais un peu perdu le fil, j’ai refait quelques plongées en arrière, j’ai relu certains passages. Et tout a commencé à s’articuler avec force. Rien ne me semblait plus gratuit. Tout concourait à faire surgir du sens. J’ai l’impression que si j’avais terminé le livre sur ma lancée je n’aurais rien perçu de tout cela et serait resté déçu.

Ce qui rend le livre très vivant c’est que le mouvement de l’écriture suit le mouvement même de la quête de Marie vers son enfance et vers son père. Elle s’efforce de retrouver le passé mais elle raconte aussi ce qu’induit ce surgissement du passé dans le présent. Des faits, en s’éclairant mutuellement au fil de la quête, se font signes. Il peut rester des zones d’ombre, des choses qu’elle ne saura jamais, par exemple que s’est-il vraiment passé le jour de l’accident, mais l’ensemble s’éclaire. Elle comprend mieux le lien qu’elle-même entretenait avec ce passé sans le savoir et à quel point avait pesé sur elle l’absence du père, non tant parce qu’il était mort que parce que, vivant, il n’avait accordé que peu de place à la petite fille, soit la rejetant, soit l’ignorant, soit, au mieux, en faisant d’elle sa « reine du silence ». Sa propre tentative de suicide restée mystérieuse à ses propres yeux (p 106-110) s’éclaire alors puisqu’elle devait « se tuer pour se taire » (p 146). Plus prosaïquement s’expliquent ses rapports difficiles à la conduite automobile. Des « coïncidences » ou des récurrences transgénérationnelles étonnantes se manifestent qui passionneraient les psychogénéalogistes. Un lien improbable mais fort quoique ténu et finalement avorté, la lie avec le fils de la jeune femme qui était dans la voiture de Nimier au moment de l’accident et qui est morte en même temps que lui : elle et lui sont fils de cette absence.

Au fur et à mesure que le livre avance tout cela s’agence, le dessin général apparaît même s’il manque des pièces au puzzle, il peut se construire pour Marie une acceptation de ce père tel qu’il fut et donc, malgré la douleur, un apaisement devient possible, c’est elle, Marie, finalement qui surgit des limbes, elle que l’on sent très proche, très vivante, et c’est pourquoi le livre est émouvant, c’est pourquoi ces mots qui m’avaient d’abord paru plats sont finalement si forts.

 

Je me suis fait aussi une ventrée de cinéma ce week-end.

J’ai vu « Clean » qui m’a un peu déçu, j’ai trouvé ça justement trop « clean », trop prévisible, les personnages manquent d’ambiguïté, d’épaisseur, ils ne sont que l’illustration d’une thématique, s’en sortir pour la jeune femme et retrouver son fils, accepter la situation et accepter de se détacher de l’enfant pour le grand-père, d’où un jeu des acteurs qui ne m’a pas paru mériter tous les éloges qu’ils se sont attirés, il me semble en particulier que le grand-père surjoue de façon peu convaincante.

De ce point de vue, j’ai beaucoup plus apprécié « Exils », je trouve que là au contraire les personnages sont vraiment incarnés, il reste en eux une part de mystère, c’est ça justement qui fait leur vérité, à travers leur visage, leur voix, leur corps passent des choses qui ne sont pas explicitées mais qui sont fortes, la fille en particulier rayonne d’une extraordinaire présence. Elle est étrange, parait un peu folle, dans sa façon de danser au matin dans le camp de gitan déserté, quelle sensualité dans cette magnifique scène de gourmandise et de désir dans le verger. Et pour le garçon quelle émotion dans la visite de l’appartement de ses parents au milieu des photos préservées du passé et avec cette rencontre avec les femmes arabes qui ne le connaissent pas et le consolent comme des mères. Le film n’est pas parfait, il y a des longueurs, on a l’impression que certains passages sont une illustration sonore obligée et la scène finale de la transe thérapeutique est vraiment interminable. Mais ces défauts comptent peu par rapport à ces présences, c’est ça que j’aime avant tout au cinéma, la présence incarnée des acteurs qui portent le film avec tout ce qu’il ont en eux-mêmes d’unique et de particulier.

Même impression avec Valéria Bruni Tedeschi dans « 5 fois 2 » d’Ozon. Elle est impressionnante. Elle passe formidablement bien dans des scènes pourtant périlleuses, pas évident par exemple de faire passer la rencontre sexuelle rageuse et déplaisante d’un couple venant de divorcer sur fond d’amour passé, de détestation et de rancœur. Elle y parvient. Stéphane Freiss l’homme du couple me parait moins convaincant, plus plat mais peut-être est- ce aussi qu’Ozon ne souhaitait pas donner le beau rôle à cet homme, malheureux certes mais foncièrement déplaisant et cela tout au long du film (le frère homo parait plus humain, plus vivant). Un film glaçant dans l’ensemble. Les rapports humains sont voués à l’échec. Le silence et l’incommunicabilité règnent même quand on croit parler. J’ai senti quelquechose de bergmannien dans ces personnages radicalement solitaires. Á aucun moment il n’y a de véritable allégresse dans le film, et ce n’est pas seulement parce qu’il est plombé par son déroulé inversé, depuis le divorce jusqu’à la rencontre amoureuse marquant ainsi que le destin de l’amour est bien son échec. Les signes que cela ne marchera pas sont présents dès le mariage, dès la rencontre, indépendamment même du fait que l’on connaisse la fin, et le coucher de soleil romantique sur lequel se clôt le film est d’une redoutable ironie. Bref on sort de là pas vraiment requinqué même si on a admiré. Mais il est fort quand même cet Ozon, d’arriver à faire des films dans des registres aussi différents et à y être également convainquant!

 

Et puis m’est revenue une image d’il y a quelques jours.

Dans la rue une fille m’a dépassé, une ado ou en tout cas une très jeune femme, robe courte et flottante, bas résille rouge, jolie fille, un look, elle marchait vite, je l’ai regardée s’éloigner devant moi, et puis tout à coup, elle s’est mise à faire des entrechats, sur le trottoir d’abord, puis ensuite, sur la rue entre deux flots de voiture. Son mouvement avait beaucoup de grâce, elle saluait de la main à gauche, à droite, son visage s’éclairait d’un sourire radieux mais lointain ou plutôt adressé on ne sait à qui, au monde en général, à elle-même dans sa bulle. Je me suis retrouvé à sa hauteur, je la regardais sans trop oser, elle m’a dépassée de nouveau, bondissante, virevoltante. Je me disais « elle est givrée celle-là » et en même temps j’aurais aimé marcher derrière elle, lui demander d’où venait sa joie. Je suis arrivé à la Poste où je me rendais, j’ai eu la vague tentation de la suivre, juste pour voir comment elle allait continuer son manège, mais, trop sage une fois encore, je ne me suis pas détourné, j’ai été chercher ma lettre recommandée, un vague sourire aux lèvres, un sourire amusé mais un peu condescendant aussi : « il y en a qui en tiennent vraiment une couche ! ». Et maintenant, ce soir, après le film, me frappe la ressemblance dans le mouvement, dans l’attitude, avec la fille d’« Exils », or de celle-ci j’ai admiré la spontanéité, et celle-là, que j’ai croisée dans la vraie vie, je la tiens pour demi-folle ! Elle l’était peut-être, peut-être pas, peut-être était-ce simplement une jeune femme capable d’être dans l’immédiateté de ses émotions, capable de les exprimer sans souci du regard des autres et du qu’en dira-t-on. Mon regard à moi a d’abord été ce regard social, normatif, rationnel même si s’y est glissé une pointe d’attrait sinon d’envie pour la fantaisie, la liberté qui s’exprimait. Tout ça je ne l’ai pas vu sur le moment, c’était juste une petite saynète de la vie urbaine comme il en est mille autres et à laquelle je n’aurais plus pensé, l’actrice d’« Exils » m’y a ramené, j’aime cela quand un personnage de film, tout à coup, bien au-delà du spectacle que j’ai consommé, s’invite dans le concret de ma vie, y infuse une pensée, un sentiment, une rêverie.

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30/09/04 : Intime mais pas trop :

Sur le blog d’Alain Rêveur je tombe ce soir sur un texte et des commentaires d’il y a quelques jours (le 25 septembre) sur un sujet qui m’arrête parce que justement il me pose question en ce moment, c’est un point sur lequel j’évolue. J’ai rajouté mon propre commentaire sur le blog et maintenant je reprends ça ici en le développant un peu.

Les questions en gros c’était jusqu’où peut-on aller dans la mise en ligne de l’intime, peut-il y avoir un journal en ligne vraiment intime, peut-on même communiquer à quiconque ce journal intime où doit-il être détruit avec soi, y a-t-il des éléments qui sont à ce point intime qu’aucun journal ne peut les accueillir, etc, etc, bref des questions qui sont aussi les miennes.

Le journal intime, je crois, comme l’écrit Alain, que c’est d’abord un dialogue de soi à soi. C’est ça qui fait sa force, son intérêt pour celui qui l’écrit. Mais c’est un dialogue parfois piégé, il est assez fréquent qu’on tourne en rond, qu’on passe et repasse dix fois sur le même nœud sans réaliser justement que c’est un nœud, qu’il y aurait là peut-être quelquechose à gratter. Le journal alors peut assez facilement être un alibi à une parole qu’on n’ose pas ou qu’on ne parvient pas à mettre en jeu avec d’autres, que ce soit avec des proches ou avec un analyste.

Le mettre en ligne c’est alors une première façon de confronter ce dialogue de soi à soi avec une parole tierce. Parfois je me dis que si j’ai commencé à mettre en ligne c’est un peu parce qu’au fil des ans le dialogue s’est éteint dans mon couple, que parmi mes amis il n’y en a pas avec lesquels je vais au fond des choses (si, une, à l’autre bout de la France et que je vois rarement et avec qui chaque fois c’est passionnant). Peut-être aussi ai-je mis en ligne par (pâle) substitution à une analyse, démarche dont j’ai par moments ressenti le besoin, que j’ai eu envie de faire aussi à d’autres moments plutôt par curiosité mais que finalement je n’ai jamais entreprise soit que je n’en ai pas eu suffisamment besoin, soit que mes compromis intimes aient été finalement suffisamment acceptables pour que j’ai trop peur de risquer de les remettre en cause. Et c’est vrai, cette mise en ligne est passionnante par les échos que je suscitent, par les éclairages que les autres peuvent m’apporter, je sens que mon journal en devient vivant par la vie qu’indirectement les autres lui influent. (Tiens, échos, ce n’est pas un hasard, le titre même que j’ai donné à ce journal, peut-être sans en percevoir d’emblée toutes les implications, avec ce double sens d’écho, l’écho que je donne, ce qui me revient en écho).

Cette mise en ligne d’éléments parfois très intimes est rendue possible par l’anonymat. Le tiers c’est une entité lointaine, abstraite qui ne me connaît pas, qui ne connaît pas les autres protagonistes que je peux donc évoquer avec assez de liberté. Parfois tout de même j’en ai une certaine gêne, parler d’autrui dans son dos me met un peu mal à l’aise (d’autrui ? allons, soyons clair, de Constance !) mais je me dis que ça ne porte pas à conséquence puisque nul ne me connaît, nul ne la connaît. Sauf qu’au fur et à mesure que j’avance je me rend compte que l’anonymat est fragile, toujours menacé . Et par ailleurs les internautes avec lesquels je dialogue s’individualisent peu à peu, sortent des limbes, deviennent des personnes avec qui les échanges se développent, que je peux même avoir envie de connaître « en vrai ». Donc la vie réelle, aujourd'hui et maintenant, s’invite dans les mots, et donc je dois mettre des limites dans ces mots, par prudence pour moi, par respect pour les autres.

Mais où mettre cette limite ? Intime mais pas trop, j’aime bien cette formule, c’est tout à fait là où j’en suis, je n’ai pas de solution, je suis sur une ligne mouvante, évolutive, qui me met parfois mal à l’aise, je veux rester dans l’intime, ça ne m’intéresse pas de pondre des chroniques désincarnées, de faire un simple journal extime comme disait l’autre (Tournier je crois), ça m’agace lorsque écrivant je ne vais pas tout au bout de ce que j’avais envie de dire, que je retiens ma plume, ce n’est pas sans contradiction d’écrire sur cette limite. Ma règle c’est de rester absolument véridique, pas un mot que je ne pense pas, préférer le silence, ne pas éditer l’entrée si je sens que je glisse trop vers des termes affadis ou édulcorés. Equilibre pas facile à trouver mais expérience passionnante entre moi, mes mots et les autres et que, plus que jamais, j’ai envie de continuer.

 

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