MOIS
de Mai 2004 (1°quinzaine)
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01/05/04
: Bonheur d'Europe :
Autant le souligner, lorsqu'il y a des évènements
un peu exaltants, des évènements qui font vibrer. Ils ne sont pas
si nombreux.
L'Europe s'est élargie depuis hier minuit. On dira ce
qu'on voudra, que c'est une affaire de technocrates et de gros sous, que les situations
économiques et sociales sont trop différentes pour qu'un développement
harmonieux soit possible, que les délocalisations vont être favorisées
et les protections sociales mises à mal. Peut-être mais tout ça
importe peu. Ce n'est que l'écume, S'il doit y avoir des difficultés
passagères, elles ne sont rien à l'échelle de l'histoire.
De toute façon les ravages du capitalisme sauvage se jouent des frontières,
les délocalisations se font déjà et plutôt en Chine
et en Inde qu'en Europe centrale, l'Europe c'est au contraire l'espoir de peut-être
contrôler un peu plus, de réguler un peu mieux une évolution
du monde qui globalement parait plutôt effrayante avec cet abîme qui
se creuse toujours plus entre riches et pauvres, avec la fuite en avant des grandes
compagnies et de l'Imperium sur un fond de chaos qui s'accentue, avec ces extrémismes
et ce terrorisme qui se développent sans cesse, avec cette dégradation
accélérée de l'environnement et avec la crise climatique
qui se profile.
Il n'y a pas que du rationnel là-dedans. Il y a de
l'émotionnel aussi. Et c'est pour ça que ça me touche réellement.
C'est un prolongement de la chute du mur, c'est une réunification par delà
le siècle entier des deux moitiés d'un continent, qui renoue les
fils d'une civilisation commune dans ses diversités, lentement élaborée
malgré les guerres depuis le moyen age et à travers l'époque
moderne et qui avait connu un essor particulier dans le premier 18°siècle,
celui des cours cosmopolites et des philosophes des lumières voyageant
l'Europe.
Tout ça me redonne des grandes envies de voyage. Aller
faire le tour des nouveaux arrivants, pourquoi pas, se louer un motor-home pour
l'été et descendre par petites étapes et lentes digressions
des bords de la Baltique jusqu'aux rives de l'Adriatique, c'est un projet de vacances
sur lequel on devrait se pencher, voilà en tout cas une expédition
qui à moi me plairait bien !
Je connais peu l'Europe centrale. Plutôt
je la connais d'avant, de plusieurs voyages effectués avec mes parents
à la fin des années soixante, j'étais enfant mais j'ai de
forts souvenirs, et c'est pour cela sans doute aussi que ce voyage me plairait
tant. En fait c'est surtout en Roumanie que nous avions été plusieurs
années de suite..
Ma mère était née et avait
vécu ces années d'enfance dans ce pays où mon grand-père
était ingénieur dans les pétroles, elle ne l'avait quitté
définitivement qu'à l'approche de la guerre, lorsque la Roumanie
avait basculé dans le camp des puissances de l'Axe. Elle venait en France
pour les vacances, par de longs voyages en voiture ou par l'Orient Express et
j'ai été baigné aussi dans mon enfance de ses récits
de voyage, de sa nostalgie de la Roumanie et de la Mittel Europa. Elle avait gardé
là-bas des amis d'enfance. Au milieu des années 60, le régime
roumain, en délicatesse avec l'URSS, avait amorcé une légère
et très provisoire libéralisation, rendant possible la venue d'occidentaux,
indépendamment des voyages organisés. Nous y étions allés
deux étés de suite, nous avions fait le voyage en voiture par des
routes différentes, par la Yougoslavie, par la Hongrie, prenant notre temps.
Bien sûr on avait été magnifiquement accueillis, je me souviendrais
toujours de notre première arrivée, les petites coupelles de confiture
de rose et le verre d'eau fraîche qu'on nous avait servies en attendant
que le café se fasse, l'excitation de tous, les larmes de joie de la vieille
dame, amie de mes grands parents qui n'espérait plus revoir des gens venus
de l'autre côté du rideau de fer
On avait voyagé ensuite
un peu partout en Roumanie, accompagnant les amis dans leurs propres vacances,
séjournant chez l'habitant dans le delta du Danube, dans des monastères
en Moldavie ou dans des refuges de montagne dans les Carpathes. Souvenirs magnifique
de vraies rencontres et vraie rencontre d'un pays ! Cette libéralisation
n'a pas duré, le régime s'est durci à nouveau, nos amis nous
ont fait savoir qu'il fallait même cesser de leur écrire, on s'est
quasiment perdus de vue, on a renoué quelques relations ces dernières
années mais ce n'est plus pareil, la génération de mes parents
est âgée, ma mère n'est plus là...
Je me suis
éloigné de mon sujet. Mais non justement. J'y suis en plein. C'est
sur ce terreau là aussi, surtout, que s'inscrit mon bonheur d'Europe.
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03/05/04
: Pourquoi l'angoisse un dimanche ensoleillé ?
Cela
arrive. Plus souvent qu'il ne devrait. C'est arrivé hier.
Une
journée somptueuse qui commence, un air doux et frais, le ciel parfaitement
bleu et une vague angoisse mauvaise au cur qui prend sa source dans l'éclat
même du jour.
Je vais très tôt au marché,
comme chaque dimanche, pendant que la maisonnée s'éveille doucement.
Je fais cela comme une corvée alors que ce devrait être un plaisir.
On n'a pas de projet particulier pour la journée. Vient l'échange
rituel : "Qu'est ce qu'on se fait de beau ?" On ne sait pas trop, il
y a des envies diverses qui traînent mais il y a aussi une fatigue rentrée,
pas d'énergie. Démarrer en douceur ? Peut-être mais on sait
aussi que c'est comme ça que les journées passent à rien,
laissant un goût d'amertume ensuite quand le soir tombe, que se profile
trop vite une nouvelle semaine qui commence avec son lot d'ennuis prévisibles
et d'obligations non souhaitées. Alors en moi se noue l'angoisse
Une
angoisse justement d'autant plus forte qu'il fait beau. S'il faisait gris, s'il
pleuvait, je me sentirais moins mal à ne rien faire, à traîner,
à cocooner, à vaquer à diverses activités dans la
maison, comme si alors je m'y sentais autorisé. Peut-être que je
pesterais contre ce mauvais temps, que je me sentirais déprimé par
le ciel bas mais ce ne serait pas très grave car il me serait facile d'imputer
cette baisse de régime à l'ambiance autour de moi, à des
facteurs extérieurs. Alors que là je me sens une espèce d'obligation
à bouger, à être tonique, à avoir une humeur qui soit
à l'unisson du temps qu'il fait, une obligation à en profiter, à
en jouir. Et si je n'y parviens pas, c'est moi alors, au profond de moi, qui me
sent responsable.
" Regarde, regarde, cette belle journée
qui commence, que vas-tu en faire, comment peux-tu oser ne pas te sentir débordant
de bonheur et d'énergie, tu te plains de ton temps pris, voici du temps
libre, et du beau temps libre de surcroît et le printemps qui éclate
de toutes parts et le soleil qui est là et le ciel bleu, et les journées
passent, et les printemps passent, et les années passent et ne reviennent
pas, et toi justement tu les laisses passer, tu ne cherches pas à tirer
d'elles toutes les promesses dont elles sont riches ".
Attitude
absurde. Puissante pulsion intérieure sur laquelle la raison n'a pas de
prise. Angoisse du vieillissement, angoisse de la mort derrière tout cela
sûrement, même si elle ne se dit pas. Mais qui empêche de vivre
le moment présent, pour lui-même, dans sa pureté, dans son
immédiateté, dans sa vacuité même, oui un moment vide
devrait pouvoir être un beau moment. Et qui pèse ensuite sur la mise
en uvre de projets et d'activités puisque le malaise qui se crée
est lui même paralysant, il peut alors se créer un cercle vicieux,
l'apathie se nourrissant de l'angoisse et réciproquement et c'est ainsi
sans doute que se délitent certains dimanches
Je
fais partie de ces gens qui ont besoin de prévoir, d'organiser. C'est un
peu épuisant et sans doute très dommage. Ce serait tellement plus
agréable de pouvoir fonctionner, au feeling, sur l'impulsion de l'instant,
en tout cas pour tout ce qui ne nécessite pas une organisation préalable,
mais je sais bien que j'en suis pas ou peu capable. Je voudrais progresser là-dessus
mais ce n'est pas facile, tout ça a trait à des modes de fonctionnement
profondément ancrés en moi et sûrement confortés depuis
des années par la dynamique de notre fonctionnement de couple, tous deux
sans doute nous y avons trouvé notre intérêt.
Ces
réflexions ne règlent rien. Mais dans l'immédiat elles m'ont
fait du bien tout de même, m'ont aidé à mettre un peu à
distance la sensation de malaise qui m'a accompagnée pendant la matinée
et m'ont permis de démarrer l'après-midi sur un meilleur pied.
Constance
n'a pas bougé, je ne sais pas si c'était de la déprime ou
un réel besoin de repos, je n'ai pas cherché à l'entraîner,
je suis parti me promener et j'ai été voir la belle expo "
Montagnes célestes ".
Paysages chinois. Les
montagnes et les rivières. Le tangible et l'intangible. Ce qui est et ce
qui passe. Tout ça sans doute pouvait me dire quelquechose en réponse
à mon anxiété du matin, il faudrait savoir se couler dans
l'instant et dans le lieu comme l'eau cascadante de rocher en rocher, comme la
brume mouvante au flanc des monts. Il n'y pas d'appréhension globale de
ces paysages, pas de point focal qui d'emblée structure le regard. Il faut
les suivre, notamment lorsqu'il s'agit de longues et étroites bandes de
parchemin, accomplir en eux une promenade, dans les pas de ces deux petits personnages
qui cheminent, passer ce village, s’arrêter un instant dans ce pavillon
en pleine nature, ouvert par ses quatre côtés sur l’air, la
lumière et les paysages, emprunter cette passerelle sur le torrent, longer
ce lac étale où glisse une barque de pêcheur, où s'aperçoivent,
minuscules points d'encre jetés sur le parchemin mais si évocateurs,
quelques troupes de canards
Ce sont des paysages humanisés, civilisés,
que l'homme a modelé avec maisons, villages, chemins, l'homme y est donc
présent, très présent, mais il est à la mesure de
la nature, inscrit en elle, ce n'est pas l'homme mesure de toute chose
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07/05/04
: Mais dans quel monde vit-on ?
Á
l'écoute de la radio chaque matin en prenant mon petit déjeuner,
à la lecture de la presse le soir, je ne peux m'empêcher d'être
de plus en plus souvent atterré.
Je me demande si
je ne suis qu'un vieux shnock qui ne voit que du négatif dans le monde
qui germe, qui s'angoisse face au futur parce que ce n'est plus son monde et que
ça le sera de moins en moins. Mes fils ne semblent pas partager mes angoisses,
ils sont bien dans leur peau, bien dans leurs études, portés par
elles, Taupin est en plein dans ses concours ces jours-ci, il en a marre de travailler
comme un forcené mais il vit aussi le plaisir d'une compétition
qui l'excite, exactement comme le ferait un match de foot et Bilbo se voit suivre
le même chemin. Mais pour après, s'interrogent-ils sur l'après?
Ils s'intéressent à la politique, à l'économie, semblent
à peu près conscient des grands déséquilibres du monde
mais ils n'ont pas l'air d'en être inquiets pour autant.
Pourtant
je ne crois pas être passéiste. Je sais très bien que les
sociétés traditionnelles parfois présentées par certains
comme des âges d'or n'en étaient pas et que nos sociétés
avec leurs formes démocratiques aussi imparfaites qu'elles soient représentent
un vrai progrès. En plus j'ai une fascination pour les développements
scientifiques et technologiques, j'aime que l'homme cherche à connaître
toujours plus, à aller de plus en plus loin, à contrôler,
maîtriser, dominer la nature. Je sais que cela recèle des dangers,
que l'homme, qui reste ce qu'il est, se met dans une position d'apprenti sorcier
mais ça n'empêche, je suis fasciné, j'ai envie qu'on envoie
des engins de plus en plus loin dans l'espace, qu'on construise des accélérateurs
de particules gigantesques pour descendre au cur de la matière et
qu'on cherche à maîtriser la fusion thermonucléaire, qu'on
construise des moteurs à l'échelle des atomes et qu'on réalise
des puces informatiques d'une nature complètement nouvelle, j'aime qu'on
cherche à pénétrer les secrets du vivant et même, même
qu'on cherche à agir sur lui, bref j'aime que se développe cette
aventure scientifique fabuleuse.
Et je frémis en
même temps. Car le monde est si peu sage. Et ces forces libérées,
comment ne pas craindre que l'homme en fasse un mauvais usage ?
Je
feuillette mon journal. Pêle-mêle. Cet Irak dans lequel l'Amérique
ne cesse de s'embourber, cette honte des tortures qui achève de la déconsidérer
et nos démocraties avec, la fuite en avant complètement délirantes
de nos ministres portés par leurs seules compétitions personnelles,
ce second cimetière juif profané en une semaine, ces études
sur les dramatiques conséquences sanitaires de la pollution, 630 morts
dans un affrontement religieux au Nigéria (oui, 630 mais c'est en Afrique,
ça ne vaut donc qu'un quart de page dans le Monde et rien sur les ondes
!)
Comment ne pas s'effrayer ?
Bon
je sais il y a eu mon petit bonheur d'Europe, dont j'ai parlé l'autre jour
mais cela semble de tellement peu de poids par rapport à toutes ces charges
explosives qui s'accumulent.
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08/05/04
: Syllogisme simple :
Dans le prolongement
de ma réflexion d'hier soir sur la science et l'homme il m'est venu à
l'esprit un raisonnement simple et que je m'étonne de n'avoir jamais formulé
sous cette forme :
- La science décuple les possibilités
de l'homme.
- Les progrès de la science ne s'accompagnent pas d'un
progrès moral de l'humanité, il se trouvera toujours des hommes
pour utiliser à mauvais escient ces possibilités nouvelles.
- Donc
les conséquences de ces progrès seront négatives.
- Dans
ces conditions il serait sage et impératif que les recherches scientifiques
si belles en elles-mêmes et si riches de promesses qu'elles puissent être
par ailleurs soient interrompues.
C'est simple et
assez évident. Pour autant cela ne fera pas de moi un militant anti-science
(même si quelques moratoires ici et là sont bienvenus), je crois
que je préfère encore cette avancée incertaine, pleine de
périls, qui a toute chance de mener à des catastrophes à
une renonciation au désir de connaître. Je tente de me rassurer avec
des formules du genre: "le pire n'est pas toujours certain" et en me
disant que mon raisonnement n'est qu'un syllogisme et donc faux comme tout syllogisme
car il n'épuise pas la complexité du réel
Je
me dis aussi que de toute façon une telle suspension du désir de
connaître, de comprendre, de maîtriser est impossible, c'est une pulsion
intrinsèque en l'homme et c'est aussi cela qui fait la beauté de
sa condition.
C'était une réflexion "
du petit jour ", je me suis réveillé de façon intempestive
alors qu'il faisait encore nuit, je me suis levé en catimini et me suis
collé devant l'ordinateur. Il pleut. Il vente. Ce ne sera pas l'angoisse
du dimanche ensoleillé ce week-end ! Par la fenêtre je vois la terrasse
toute constellée des minuscules fleurs blanches et violettes des lilas
qui ont beaucoup souffert cette nuit. Ils passent déjà, il me semble
que cette année j'ai à peine eu le temps de les voir et que j'ai
moins su jouir de leur floraison.
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09/05/04
: " Légendes ":
Et
la pluie, la pluie tout le week-end...
Je n'ai quasiment
pas bougé ce qui est rare pour moi, habituellement je ne supporte pas trop
de rester à la maison quel que soit le temps, j'ai fait du cocooning.
Je
me suis lancé dans divers travaux d'écriture, pour moi-même
et pour le boulot, j'ai réparé avec Constance un rideau de velux
qui était cassé (exploit : je suis un épouvantablement mauvais
bricoleur !), j'ai aussi avancé un peu quelques travaux en lien avec l'activité-dont-je-ne-veux-pas-parler
et puis j'ai bouquiné, pas lu sur l'écran de mon ordinateur, non,
j'ai bouquiné un vrai livre dont j'ai tourné une à une les
pages, allongé en plein après-midi sur mon lit, avec ma bonne grosse
couette qui me recouvre à moitié, avec le ciel tout gris au-dessus
de ma tête, avec le bruit régulier de la pluie qui tambourine sur
le velux.
J'ai terminé "Légendes"
de Martin Winckler. Dans l'ensemble ça m'a assez plu. J'aime bien cette
façon d'intégrer dans les souvenirs les uvres que l'on a lues,
les films que l'on a vus, à travers la façon dont ils nous ont marqués,
dont ils font trace en tout cas jusque dans le présent. J'aime que soit
posé d'emblée que lorsqu'on écrit le passé on l'écrit
toujours depuis le présent, sans se cacher qu'il y a des amnésies,
des souvenirs incertains, de faux souvenirs pour ne pas dire des souvenirs-écrans,
c'est une évidence mais c'est bien de le redire pour se garder des illusions
que l'on peut avoir sur la véracité, l'exactitude des récits
autobiographiques que l'on construit. J'aime bien la façon dont il travaille
l'écart entre le souvenir et la trace conservée et retrouvée
(photos, lettres, pages de journal écrites sur le moment), l'épaisseur
de la vie c'est ça, c'est chaque moment tel qu'il a été vécu
et tel qu'il est perdu et toutes les strates de souvenirs à travers lesquelles
ce moment a pu revivre à différentes périodes de notre vie.
J'aime cette formule qui clôt la quatrième de couverture "le
souvenir des fictions se mêle indissolublement à la fiction des souvenirs".
Je
me retrouve bien dans cette interrogation "est-ce que quand j'écris
je suis fidèle à ce que je veux écrire ?" (p 50), je
la partage complètement, c'est toujours mon souci et c'est pourquoi j'ai
tant de mal à écrire vite : chaque fois que j'ai écrit un
paragraphe et que je le relis je me demande si mes mots disent bien ce que j'ai
dans la tête et souvent ce n'est pas le cas, alors j'essaie de reprendre,
non pas pour écrire mieux, non pas pour faire de la "littérature",
simplement pour être plus juste, plus proche de moi-même, c'est en
ce sens que je pense qu'une écriture travaillée peut être
plus authentique, plus vraie qu'un premier jet censé pourtant être
plus spontané.
Et je trouve très vraie cette
formule aussi :"la fiction protège de l'affliction" (p 83).
Quelques
évocations font tilt et réveillent en moi mes propres souvenirs
:
La collection Nobel (p 113): mes grands parents m'avaient
offert ça pour mon bac, ils y voyaient sans doute un beau gros cadeau,
respectable et culturel, qui ferait bien dans une maison, c'était un peu
une façon de commencer à me monter mon ménage, en fait je
ne les ai jamais eus chez moi, je n'en ai lu que quelques uns à l'occasion
de vacances, ils sont toujours dans la maison de mes grands parents que nous avons
pu garder, où nous allons parfois passer quelques jours, il m'arrive alors
d'en lire ou d'en parcourir un avec une pensée pour les chers vieux et
de trouver du plaisir à découvrir des auteurs souvent inconnus et
bien passés de mode.
Les Lupin blancs (p 223): ah
quelle passion j'ai eu pour eux, je les ai lus je pense en 6° et en 5°,
je me souviens notamment de quelques jours de grand bonheur lors d'une maladie
infantile, rester dans mon lit, chouchouté, à l'abri de tout, uniquement
occupé à dévorer les aventures de mon héros, je me
souviens aussi de la tête effarée de ma prof de français,
une petite dame très vieille France dont j'étais le chouchou, lorsque
je lui ai remis ma rédaction dans laquelle il s'agissait de justifier le
choix de notre héros préféré et où j'avais
évidemment choisi Lupin, elle a eu un léger haut de corps et pour
une fois je n'ai pas eu la meilleure note
Ces bouquins là, ils sont
à la maison et mes fils les ont lus je crois avec à peu près
autant de passion que moi.
La découverte du flash-back
au cinéma (p 130): j'ai eu la même expérience, cela a été
comme une illumination, je comprenais des tas de choses qui m'étaient restées
mystérieuses jusque là dans d'autres films ou dans des livres, j'avais
l'impression d'accéder tout à coup à une troisième
dimension, oui c'était bien cela, le temps rentrait dans la partie, mon
esprit n'était plus esclave du déroulé linéaire du
texte ou des images, il pouvait faire le pont entre les évènements,
aller en avant, en arrière, combler s'il le fallait les trous de la narration
et les ellipses. C'était au grand Rex et c'était "Babette s'en
va en guerre". Je ne sais plus s'il y a, à proprement parler, des
flash back dans ce film, ce que j'ai perçu en tout cas pour la première
fois c'est que la temporalité pouvait s'inscrire de bien des façons
dans un récit. Je ne me souviens de presque rien d'autre, juste de ça,
de mon sentiment d'euphorie, vers le milieu de la projection, quand tout à
coup j'ai compris
Ce sont quelques exemples parmi
d'autres. Il faut dire qu'il y a aussi beaucoup de pages auxquelles j'ai eu du
mal à accrocher, nos cultures ne sont pas les mêmes, je n'ai pas
été marqué par la science fiction, par les comics ou les
séries télé quand j'étais ado, cette façon
que Winckler a de présenter ses uvres fétiches, ses mythes
personnels de façon très détaillée et très
systématique, comme une recension dont il ne faudrait rien oublier m'ennuie,
comme son récit trop étiré de son expérience américaine.
Je
ne crois pas à vrai dire que cet intérêt moindre vient du
fait qu'il évoque une culture que je ne partage pas. Je ne partage pas
plus avec lui la culture juive, je n'ai pas eu du tout le même rapport avec
ma famille, or les pages qu'il consacre à ces sujets vers le milieu du
livre sont parmi les meilleures et sont celles qui m'ont le plus touchées
(chapitres sur la Bar-Mitzvah (p 273), sur les rituels (p 321), sur la complicité
avec Ange (p 332), sur les secrets de famille (p 341)
C'est que là
il sort du particulier et il parle, à partir de son expérience,
de questions générales qui nous concernent tous, le rapport à
la culture familiale, le rapport au père
En
fait je me demande si ce caractère un peu étiré du bouquin,
son écriture un peu lâche ne vient pas simplement de son mode de
composition feuilletonesque puisque ce livre, même s'il a été
pensé d'abord, n'est que la mise bout à bout d'interventions produites
journellement par Winckler sur le site de son éditeur et auxquelles il
s'est interdit de toucher au moment de la publication en volume. Sans doute n'aurais-je
pas perçu ces textes de la même façon si je les avais lus
au jour le jour comme un "work in progress".
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11/05/04
: Parc de Bercy :
Ce matin dès
huit heures j'étais au bureau. J'avais beaucoup de travail, des textes
à écrire, de la saisie sur ordinateur, des mises à jour sur
un site internet. J'ai passé toute la matinée à ça
et j'y ai chopé une bonne migraine.
Et ça
ne s'est pas arrangé dans l'après-midi. Je n'étais plus bon
à rien, du coup j'ai laissé tout en plan, je me suis autorisé
un départ anticipé et j'ai été me promener
Il
faisait beau, plus exactement le temps achevait de se lever, avec un ciel étrange,
un peu irréel, encore occupé de brumes et de brouillards laborieux
à se dissiper. L'air était bon ce qui se fait de plus en plus rare
à Paris, en général beau temps rime avec pollution mais là
ce n'était pas le cas, l'air a été secoué, lavé
par trois jours de pluie et de vent et les saloperies n'ont pas encore eu le temps
de nous retomber sur le nez. J'ai marché longuement et me suis retrouvé
dans le Parc de Bercy. Parmi les jardins récents de Paris c'est à
mon avis le plus réussi, il n'est pas très grand mais il offre des
espaces très variés et conserve des traces du passé, de grands
platanes qui étaient là bien avant le parc, qui bordaient les allées
de l'ancienne halle aux vins, quelques entrepôts et pavillons de cette époque,
des anciennes voies pavées où passaient les carrioles des pinardiers
et même quelques rails. Il y a de petites collines artificielles, des rideaux
de verdure tortueux qui cassent ou ouvrent des perspectives, des bassins et des
fontaines où s'ébrouent des canards, des massifs de fleurs superbes
à cette saison, la présence de la Seine tout près, visible
si l'on monte sur la terrasse surélevée qui domine la circulation
des quais et d'où partira bientôt la passerelle qui reliera Bercy
au quartier de la Nouvelle Bibliothèque. Il y a le calme de ce milieu d'après-midi
de semaine, de rares promeneurs, quelques papis et mamis paisibles sur les bancs,
quelques amoureux qui se bécotent sur les pelouses, les jardiniers au travail,
l'odeur de l'herbe fraîchement coupée, et moi qui me suis enfui...
Comme j'aime ces petits moments imprévus volés à la routine
du boulot !
Ma douleur peu à peu s'est faite moins
présente puis s'est effacée tout à fait. Je suis rentré
tranquillement. J'ai même failli me faire un petit ciné au passage.
Mais non, on dîne tôt ce soir puis on conduit Taupin en grande banlieue,
à son hôtel, à proximité du centre d'examen où
il va concourir toute cette fin de semaine pour l'X, le plus convoité de
ses concours. Et, le pauvre, il remet ça dimanche, oui dimanche, car des
copies ont été perdues au concours des Mines, une épreuve
a donc été annulée, 3500 personnes vont devoir recomposer
! Moi qui me plains parfois de mon rythme de travail, à côté
de lui je me sens presque en préretraite !
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12/05/04
: Bouddhisme :
Je viens de voir
" Printemps, été, automne, hiver
et printemps ",
un beau film qui raconte en cinq tableaux calés sur le déroulement
des saisons, la vie et l'initiation, de l'enfance à l'âge adulte,
d'un moine bouddhiste auprès de son vieux maître dans un petit monastère,
isolé en pleine nature dans les montagnes au milieu d'un lac. Les images
sont belles, on flotte au gré des saisons et des temps de la vie, on suit
avec le personnage un beau chemin initiatique.
La deuxième
partie surtout est superbe, la naissance de l'attirance et du désir, la
force de la vie en fait, y est magnifiquement montrée, la troisième
aussi est très belle et très forte qui voit la confrontation violente
(et souvent drôle) du monde de l'intérieur et du monde de l'extérieur
puis l'holocauste paisible du vieux moine. La quatrième démarre
bien avec ces merveilleuses danses du corps sur fond de neige et de glace mais
ensuite ça se gâte et la fin colore l'ensemble du film en l'explicitant
dans un sens qui me déplait profondément.
Cinématographiquement
d'abord, la légèreté fait place à la lourdeur, on
s'ennuie pendant cette lente montée expiatoire ponctuée en plus
de flash-back appuyés et inutiles sur la cruauté de l'enfant, on
avait compris, merci. Mais c'est sur le fond surtout que cette fin me gêne
par ce qu'elle révèle de malsain dans cette philosophie bouddhiste
de laquelle on a peut-être en Occident une vision souriante, ouverte, simplement
compassionnelle, sans doute bien édulcorée. Je comprends très
bien la démarche du maître au début, qui ne gronde pas, qui
fait simplement vivre à son élève ce que lui-même a
fait subir par simple jeu et sans cruauté particulière à
des créatures vivantes, le poisson, la grenouille, le serpent. Et l'enfant
le perçoit très bien. Son cur est touché comme en attestent
ses pleurs de désespoir au moment où il retrouve les animaux morts
ou moribonds, la leçon donc a porté, le cur est purifié.
Cela donc aurait dû s'arrêter là. Or il n'en est rien, le maître
affirme que la faute poursuivra l'enfant sa vie durant comme il affirme que le
fait plus tard d'avoir cédé à son désir pour la jeune
fille le mènera au désir de possession exclusive puis au meurtre.
Et c'est ce qui se passe. On a donc l'impression de retrouver un peu La Faute
Originelle de nos religions judéo-chrétiennes et on ne s'étonne
pas alors de retrouver aussi à sa suite culpabilité, mortification,
expiation toutes choses que je croyais étrangères au bouddhisme.
On dira peut-être que c'était son karma et
qu'il avait à vivre cela, que c'est ainsi, que les cycles se perpétueront
et se répèteront de réincarnations en réincarnations
jusqu'à la délivrance finale. Peut-être que je n'y comprends
rien mais en tout cas tout ça ne me plait pas, mais pas du tout.
Toutes
les religions portent en elle des aspects négatifs y compris celle-ci.
Elles ont toutes des choses à nous apprendre, un regard peut-être,
une interrogation, un souci du spirituel qui est indispensable pour vivre bien,
de façon vraiment humaine.
Et dans cette philosophie
là (je dis philosophie justement, pas religion) il y a plus que dans d'autres
une façon d'aborder la vie qui peut aider, permettre des questionnements
personnels enrichissants. Je me fais les mêmes remarques souvent après
les cours de yoga, j'aime les causeries avec le prof qui précèdent
les exercices, je n'y ai pas qu'un intérêt de curiosité, je
m'y investis réellement et cela me fait avancer je crois mais il faut en
prendre et en laisser, il faut savoir garder sa distance.
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15/05/04
: Coup de cafard :
Ce serait quoi
le bonheur ?
Quoi d'autre qu'un quotidien paisible et terne, quoi d'autre que
la simple absence de malheur et de douleur ?
On dira, c'est déjà
très bien, il y a tellement de malheur et de douleur partout. Contente-toi
!
Mais pour moi, au-delà de ça, ce serait quoi le bonheur ?
Une
légèreté peut-être,
Une simplicité de cur
et d'esprit,
Une adhésion immédiate au moment qui passe,
La
tête vidée de toutes les questions qui m'encombrent,
De trop de
projets que je me donne et auxquels je m'oblige.
Car j'ai
eu justement une journée de travers aujourd'hui, j'ai commencé mille
choses, je n'en ai terminé aucune, je n'avais pas d'envie profonde, pas
d'énergie, j'ai lu un peu, j'ai tenté d'écrire, j'ai essayé
de travailler un peu pour le bureau, j'ai zappé sur internet, tout ça
sans conviction.
Je suis sorti finalement en fin d'après-midi,
j'avais la tête comme un pot, j'ai marché, marché beaucoup
mais sans trouver le réconfort habituel. Je me suis retrouvé au
Parc Montsouris. Je me suis assis sur un banc au soleil, devant le lac, j'ai sorti
le petit carnet où j'écris ces mots. Les oiseaux s'en donnent à
cur joie, les pigeons roucoulent, c'est la saison des amours, de jolies
jeunes filles passent accrochées à leur téléphone
portable, des amoureux se tiennent par la main ou s'embrassent, de jeunes parents
jouent avec leurs enfants, une noce profite des belles couleurs du soir pour se
faire photographier : tous ces petits spectacles qui d'habitude me réjouissent
ce soir m'agressent. J'ai mal à ma jeunesse passée, j'ai mal à
mes enthousiasmes oubliés, j'ai mal plus que tout peut-être à
l'amour vibrant, à l'amour amoureux que je ne connais plus. Est-ce que
tout ça c'est fini ?
Il y a même mon stylo
qui me lâche, je m'exaspère un moment à essayer de gribouiller
puis m'arrête, je vais rentrer, je finirais tout à l'heure devant
le clavier.
Demain on fait une grande randonnée,
je vais m'y donner à plein, je vais fatiguer mes jambes et peut-être
que ça va me vider un peu la tête de son trop plein. J'en aurais
besoin !
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