02/07/04 : Remis à demain…
Je n’ai pas écrit ce texte finalement,
ce texte pour parler à qui m’est proche.
Je le ferai plus tard, je profiterai des vacances,
peut-être, ce n’est pas la première fois que je
me dis que je vais renouer le dialogue, de façon volontariste
et puis chaque fois je passe à d’autres choses. Blocage
? Nécessité qui n’en est pas une ?
La semaine il faut dire a été moins
cool que je ne l’espérais, encore beaucoup de travail
et puis ces soirées encombrées de pots divers, repas
d’équipe, pot pour la mutation de l’un, le départ
à la retraite de l’autre. Ce rituel m’ennuie. J’y
participe pourtant. Parfois avec un certain plaisir mais toujours
fatigué quand même à devoir rester dans mon personnage
social, dans mes mots convenus. Je ne suis pas à proprement
parler dans la fausseté, après tout c’est moi
aussi ce type au milieu des autres qui fait des sourires de commande,
qui balance des banalités ou qui cherche plus ou moins laborieusement
des sujets de conversation qui le soient un peu moins mais ce n’est
pas mon moi le plus authentique or j’ai de plus en plus besoin
de l’avoir toujours avec moi ce moi authentique.
D’autres choses ont fait écran aussi.
Je me sens un petit retour de flamme vers le diarisme. Un message
reçu de quelqu’un que j’apprécie y a suffi.
Je parlais dans ma dernière entrée des mots «
écrits au miroir de moi-même, jetés aux inconnus,
au lointain inaccessible ». Ces mots vivent, cependant, les
inconnus ne sont pas si lointains, pas si inaccessibles. Du coup je
me suis pas mal replongé dans des lectures, j’ai repris
plusieurs diaristes que j’avais laissé de côté
depuis un moment, j’ai envie de reprendre certains dialogues
qui s’étaient amorcés ici ou là et qui
se sont éteints sans parler du dialogue avec ma nouvelle correspondante.
Ce soir même en rentrant du bureau j’ai été
faire un tour sur le marathon d’Obsolettres. Sympa, pas d’échanges
transcendants bien sûr dans ce genre d’occasion mais je
me suis bien amusé et puis il se crée avec ce site,
jour après jour, oui, comme une amorce de communauté...
Et maintenant je viens ici, écrire quelques
mots, Constance est à un dîner de collègues, les
garçons sont de sortie, je suis seul, tranquille, je me sens
plutôt bien à l’orée de ce week-end, sans
trop de questions dans la tête, décidé à
laisser venir des choses, si elles doivent venir, de quelque côté
que ce soit, sans anxiété et sans précipitation,
pour l'instant je vais prendre un bon bouquin et aller me coucher
non sans aller d’abord faire un petit tour dans ma boîte
à mail.
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06/07/04 : Attente:
Je suis au bureau. C’est assez calme enfin
après le stress des jours précédents pour que
je puisse écrire quelques mots pour moi-même.
Le week-end a été très chargé,
trop chargé. Samedi occupé de matérialités
pesantes, préparatifs d’avant les vacances, courses multiples,
démarches. Dimanche, visite à la maman de Constance,
après midi plan-plan, promenades entre les gouttes de pluie
et avec les cancans familiaux, le soir dîner d’anniversaire
chez une amie de Constance, pas n’importe lequel, un cinquantenaire,
je craignais un peu étant pièce rapportée dans
ce groupe mais finalement c’était sympathique, plutôt
simple et chaleureux. Lundi beaucoup de boulot encore, de tous ordres,
la baisse de régime de début juillet met du temps à
arriver cette année…
Mais dans ce temps suroccupé, par moments
il m’est arrivé de m’évader, petites échappées,
rêveries pour moi seul, attente d’un moment à venir...
Un moment que j’attends avec curiosité,
avec impatience mais aussi avec une pointe d’appréhension...
Pour la première fois je m’apprête à me
rendre à un rendez-vous avec quelqu’un que je ne connais
qu’à travers internet. C’est sans doute banal pour
beaucoup, pour moi c’est une grande première. Alors que
d’habitude on rentre dans l’intimité des gens peu
à peu, par bribe, à partir d’une appréhension,
d’un ressenti immédiat et global de la personne, ici
on se rencontre avec d’emblée une certaine image que
l’on s’est construite de façon peut-être
tout à fait fallacieuse, à partir de ce que la personne
a choisi de laisser voir d’elle et à partir de ce que
notre propre imagination a eu envie d’en construire. De là
sans doute doivent résulter bien des déceptions au moment
de la rencontre réelle.
Cette appréhension est d’ailleurs plutôt
banale chez moi, indépendamment de ce contexte internautique,
j’ai un vieux fond d’anxiété que je contrôle
sans trop de peine mais qui est là cependant chaque fois que
je suis confronté à du nouveau ou simplement à
de l’inhabituel, valable aussi bien quand je dois prendre le
train ou l’avion à travers l’angoisse d’être
en retard, quand je dois prendre la parole devant une assemblée
un peu importante, ou lorsque je suis amené à rencontrer
de nouvelles personnes.
Cette appréhension elle est là encore
plus lorsqu’une dimension affective peut être présente
et spécialement vis à vis des femmes, spécialement
lorsque ne peuvent s’exclure à priori que se nouent des
relations dans lesquelles la séduction et/ou le corps pourraient
advenir.
Dans le cas présent je rencontre quelqu’un
dont la personnalité me paraît étonnamment riche
mais aussi difficile à cerner, quelqu’un que parfois
je crois comprendre très bien et parfois pas du tout, quelqu’un
qui échappe aux catégories faciles et rassurantes.
Le tout est de ne rien attendre de particulier.
Le tout est d’être soi-même simplement, d’être
ouvert et à l’écoute. Il n’y a rien à
perdre vraiment sinon une image rêvée peut-être.
Mais pour les images et la rêverie il y a tout le reste, les
écrits, les livres, l’imagination justement.
Quand j’ai basculé ce journal sur internet
l’an dernier, je me suis demandé si j’allais avoir
envie de rencontrer des diaristes dans la vie réelle ou si
j’allais préférer avoir deux mondes bien étanches.
J’ai tenté de garder mes mots aussi proches de ce qu’ils
étaient lorsqu’ils n’étaient destinés
qu’à moi-même, mais j’ai bien senti certains
glissements déjà, certaines prudences que je n’aurais
pas eues, certains silences pour préserver l’anonymat
ou pour ne pas risquer de blesser même certains lecteurs inconnus
et lointains. Ces risques seront décuplés si je commence
à rencontrer des diaristes dans la vie réelle. Le journal
intime peut en être faussé, il peut se muer en autre
chose, devenir un outil de communication, de présentation de
soi de façon pas forcément innocente, où la sincérité
et la spontanéité pourraient être battues en brèche
par la volonté de construire une image.
Foin de ces considérations pour le moment,
j’ai bien envie de rencontrer ma diariste de ce soir, c’est
tout, et c’est ça qui compte.
Qu’en sortira-t-il, je n’en sais rien,
peut-être des silences et de la gêne, plus vraisemblablement
des mots partagés mais incarnés cette fois dans une
voix et un visage, dans une présence, peut-être, je l’espère,
une amitié et une complicité à construire, et
peut-être, sait-on jamais, des tendresses.
Nous verrons bien.
Mon rendez-vous est pour dans quelques heures maintenant.
Je regarde par la fenêtre de mon bureau en attendant de m’enfuir
d’ici, des nuages sont arrivés, le temps est moins beau
qu’il n’était ce matin, ça c’est dommage
pour jouir d’une fin d’après-midi à une
terrasse de café dans un beau coin de Paris...
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06/07/04 bis : Rencontre(s):
Bon voilà j’ai rencontré ma
diariste...
Je l’ai trouvé tout à fait sympathique,
d’un d’abord plutôt direct et simple. J’attendais
d’après l’image que je m’étais faite
à la lire quelqu’un de plus tortueux, d'un peu sulfureux
peut-être, joueuse de mots et de situations, capable de s'amuser
à l’idée de déstabiliser ou de manipuler.
Quelquechose de son mystère et de ce qui faisait son charme
lointain s’en est trouvé peut-être un peu affadi
mais en même temps je me sens à priori plus facilement
de plein pied avec elle, plus en confiance. Bien sûr je n’imagine
pas (heureusement) la connaître après à peine
de deux petites heures de discussion à bâtons rompus
mais enfin c’est l’impression première qu’elle
m’a donnée.
Nous étions bien, il faisait délicieusement
bon, le soleil était revenu avec une belle lumière du
soir, éclairant les bâtisses patriciennes de l’Ile
Saint Louis et le chevet de Notre Dame. Après l’avoir
quittée je suis remonté tranquillement jusqu’à
la maison à pied, profitant de cette douceur du soir. En chemin
je me suis demandé si je n’aurais pas dû proposer
que nous dînions ensemble si elle était libre, pour prolonger
un peu la rencontre mais non, je préfère qu’il
en soit ainsi, que nous restions pour l’instant à ce
niveau de la découverte, juste une porte entrebâillée.
Curieusement j’ai fait ensuite une autre rencontre,
une presque rencontre plutôt, sur l’Avenue des Gobelins,
j’ai croisé une femme dont le visage me disait avec force
quelquechose, elle marchait main dans la main avec son compagnon,
je me suis arrêté tentant de la remettre, et ça
m’est revenu d’un seul coup, c’était, je
crois, une fille que j’avais bien connu pendant une très
brève période, quelques mois, il y a plus de vingt ans,
nous étions collègues et un peu plus, nous avions milité
ensemble, peut-être même avions eu un peu d’attirance
mutuelle sans que ça aille bien loin. Je l’avais très
vite et totalement perdue de vue, elle avait changé de région
et je pense même qu’elle a dû changer d’horizon
professionnel. Est-ce bien elle ? Son visage a changé, beaucoup,
elle s’est empâtée, beaucoup, ce n’est plus
la même, et pourtant peut-être oui, sans doute oui, c’est
la même personne. J’ai hésité un instant
à lui courir après, à me planter en face d’elle,
à lui demander pour en avoir le cœur net, je ne l’ai
pas fait, par manque de réactivité, par tendance exacerbée
à l’hésitation, je ne sais pas si je le regrette,
oui, je le regrette…
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08/07/04 : Vacances
en vue:
Je ne les sens pas bien, finalement, ces vacances
qui arrivent…
Je me suis éveillé aux aurores encore
ce matin avec cette pensée dans le crâne.
J’ai très envie de partir, ça
oui, et vite, envie de retrouver notre coin de Bretagne, envie de
plage, de mer et de ciel, envie de campagne et d’arbres, envie
de longues marches sur le sable, envie du mouvement de la mer, de
vagues et de marées, envie d’air tonique qui régénère,
envie de changement de rythme, de mise à distance…
Mais j’avais envie d’autre chose aussi.
Envie de voyages, de découvertes, d’aller vers des lieux
que je ne connais pas, j’ai eu ce rêve par exemple de
faire un grand tour au long de la nouvelle frontière de l’Europe,
aller des rives de la Baltique aux Balkans(ou l’inverse) mais
je n’ai rien fait pour essayer de le concrétiser. Envie
aussi de me retrouver un peu avec Constance, d’être seul
à seul, d’être face à face or les conditions
ne vont pas s’y prêter facilement, nous sommes dans un
petit appartement, il y aura du monde tout le temps, les projets de
Bilbo avec ces copains n’ont pas aboutis, du coup il va venir
avec nous et sa bande viendra camper dans le secteur, Taupin sera
là avec sa copine aussi, il viendra un peu plus tard quand
il aura terminé les oraux et qu’il commencera à
y voir clair dans les résultats, on lui a loué un petit
appart pas très loin du nôtre. Ensuite nous allons passer
une semaine avec la maman de Constance, là encore on va se
retrouver avec quantité de famille. Ce n’est pas que
je n’aime pas ça, un peu, un moment, mais là il
n’y aura que ça, il y manque un temps, un espace qui
ne serait qu’à moi ou qu’à moi et Constance.
Je vais partir avec beaucoup de lectures, des bouquins
engrangés dans l’année et dans lesquels je n’ai
pas eu le temps de me plonger, avec des idées d’écriture
aussi, j’ai une fiction sur le feu, enfin dans les limbes plutôt,
je n’en ai pas encore écrit un mot, mais le scénario
se met en place dans ma tête, peu à peu. Aurais-je l’envie,
la disponibilité (non pas de temps, ça je l’aurais
évidemment mais la disponibilité d’esprit), les
conditions matérielles pour m’y mettre vraiment ?
J’ai encore beaucoup de boulot au bureau finalement,
même pour ces deux jours qui sont les derniers. Réunion
de bilan avec les chefs et repas de collègues aujourd'hui,
réunion encore demain avant que je ne mette quant à
moi la clef sous la porte pour un bon mois. Hier c’était
plus calme. J’ai eu à un moment le sentiment que je n’avais
rien à faire. Alors je suis parti en pensée, ce qui
est plutôt rare pour moi quand je suis au bureau. J’ai
écrit quelques lignes pour un atelier d’Obso,
j’ai été me promener chez les diaristes, histoire
d’en prendre un bon bain, avant de m’en sevrer puisqu’en
vacances je n’aurai pas de connexion. Ce n’est qu’en
partant le soir que je me suis souvenu que j’avais une tâche
à accomplir, qui était de tester différentes
hypothèses de répartition des tâches et de fonctionnement
d’équipe à la rentrée, j’avais même
fait préparer des tableaux par mon secrétariat pour
cela, ce n’est pas que je n’ai pas eu envie de le faire,
non, même pas, c’est tout simplement que, pfuit, ça
m’est complètement sorti de l’esprit, je n’y
ai tout simplement plus pensé. Je n’en reviens pas. Décidément
quand on a envie de tirer un rideau, d’oublier, l’inconscient
fait bien les choses !
Dans ma promenade diariste, lisant les uns et les
autres, je me demandais, effet sans doute de ma rencontre de mardi,
si j’aurais envie de rencontrer tel ou telle dans la vie réelle.
J’ai l’impression que l’espèce de barrage
mental que je m’étais fait à l’idée
de rencontres internautiques sous mille prétextes (préservation
des images des personnes construites à partir de leurs mots
et de mon imagination, préservation de l’anonymat, préservation
de l’écriture intime telle qu’en elle-même,
etc… ) est en train de céder avec la facilité
d’une muraille de sable sous l’assaut d’une vague.
La lecture du compte-rendu du dernier pique-nique rdjiste m’a
même fait me dire « après-tout pourquoi pas, pourquoi
pas même ça ? » Au-delà de l’esprit
potache, il y a là des gens qui ont l’air intéressants.
Si l’on met en ligne c’est bien pour créer des
interactions. Le plus haut niveau de l’interaction c’est
bien la rencontre réelle. La mise en ligne mène à
la rencontre sinon au bout d’un moment le sens même de
cette mise en ligne s’épuise. Quel revirement par rapport
à mon état d’esprit du 27 juin où je me
sentais plutôt dans un processus d’éloignement
accéléré du diarisme, pas loin de l’idée
d’arrêter. Non, je n’en ai pas fini de cette expérience.
Mais où en suis-je par contre de ma lettre
à Constance, de cette envie de parler avec elle ? Remise à
demain, disais-je, demain est passé et repassé, remise
oui mais à quand, remise encore une fois, car ce n’est
pas la première, l’envie s’en est délitée
avec tant de facilité… Il y aura du monde certes dans
notre Bretagne mais tout de même il y aura aussi forcément
des promenades seul à seule, ne serait-ce que nos marches rituelles,
le long de la plage, après le dîner, à la nuit
tombée, alors oui, il faudra, il faudrait…
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10/07/04 : Douloureux
!
Je me couche.
Je m’installe pour ce qui est un de mes grands plaisirs, une
fois la journée finie, étendu sur mon lit, prendre un
vrai bon livre dont les pages se tournent.
Je suis fatigué, trop, et comme souvent en ce moment, au bout
d’à peine deux ou trois pages je sens mes paupières
qui s’alourdissent, mes yeux se ferment, je sens que je m’endors…
Constance à l’autre bout de la pièce,
installée à son bureau, est occupée à
ses rangements.
D’après ce que j’ai compris elle a fait ça
pendant une bonne partie de la journée. Et elle continue, elle
continue…
Dans mon demi-sommeil je l’entends gratter sa paperasse, déplacer
des dossiers, froisser les feuilles qu’elle jette…
J’ouvre un peu les yeux, je l’observe.
Elle prend chaque papier, elle le lit avec méticulosité,
elle l’écarte ou le conserve, elle fait tout cela avec
une lenteur extraordinaire, elle est figée, le visage crispé,
l’air revêche, ses petites lunettes posées sur
la pointe de son nez lui donnent l’air de l’instit vieillissante
qu’elle est.
Je voudrais lui dire de s’arrêter ou
de faire ça autrement, avec de la vigueur, avec de l’énergie,
avec du mouvement, lui dire de ne pas s’appesantir. Je sais
qu’il ne faut pas. Elle supporte très mal toute suggestion
par rapport à une activité dans laquelle elle est engagée,
elle me dirait « tout le monde me bouscule, tout le monde sait
mieux que moi comment je dois faire, je ne peux jamais faire comme
je veux, à mon rythme » et elle s’emporterait.
Je m’abstiens donc.
Il me semble que ses gestes se font encore plus
lents, comme si elle décrochait pendant un moment dans une
rêverie, dans une absence entre chacun d’entre eux. Est-ce
que cette lenteur fait partie de sa maladie ? Sûrement, elle
en est même un des symptômes les plus perceptibles, les
plus exaspérants pour l’entourage.
J’attends maintenant, chacun des bruits que génère
son activité, noyé entre des plages de silence, comme
on attend la goutte d’eau qui tombe du robinet mal fermé,
avec exaspération, presque avec rage.
Je la déteste.
J’ai mal à penser cela, j’ai mal à l’écrire.
J’ai mal au ventre, je sens qu’une crise d’aérophagie,
manifestation dont je suis coutumier quand je suis très tendu
ou stressé est en train de se déclencher, plus même,
j’ai le coup de poing sur l’estomac, une barre douloureuse
au milieu du corps.
Elle arrête enfin son manège, elle vient se coucher près
de moi, en silence, je n’ouvre pas la bouche moi non plus, elle
s’endort très vite.
Moi je suis complètement réveillé maintenant,
tournant mes idées noires.
Je rallume, je prends mon petit carnet de chevet et je trace ces mots.
Puis, cela fait, je reprends mon livre, je vais tenter de m’enfuir
dans les mots des autres en attendant de me laisser rattraper par
le sommeil…
Et ce matin je retranscris tout ça sur l’ordinateur.
Vais-je poster ? Je me sens mal à l’aise, ai-je le droit
d’envoyer aux quatre coins du web de tels mots à propos
d’elle, même si personne ne la connait. Et puis, c’est
une vision si partiale, si partielle d’elle et de nous, générée
par l’exaspération et qui fait abstraction de tout le
reste, de toute notre histoire commune, de toutes les qualités
qui font que je l’aime et que notre compagnonnage traverse le
temps.
Mais ces mots quand même, je les ai pensés, je les ai
écrits, ces mots noirs de la nuit, ils sont une réalité
aussi, ils font partie du tableau, ils sont un cri que je ne veux
pas garder qu’en moi.
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11/07/04 : Déboires
technologiques et deux beaux sourires :
D’après les fabricants, d’après
les pubs et les marchands c’est toujours simple, ça marche
toujours et ça ne peut que nous simplifier, nous alléger,
nous embellir la vie. Quelques clics et c’est fait, votre nouveau
matériel est installé, prêt à fonctionner.
Ça c’est sans les aléas et des
aléas, finalement il y en a beaucoup !
Il faut dire qu’on a fait assez fort ces jours
derniers dans l’achat de nouveaux matériels. Un ordinateur
pour Taupin qui va cesser de partager le mien, un appareil photo numérique,
je me suis décidé à y passer tout en gardant
précieusement mon vieil argentique au cas où, un disque
dur d’appoint parce que je commence à saturer ici et
deux nouveaux téléphones portables parce que Constance
s’est fait voler le sien la semaine dernière (un incident
de plus qui a pesé sur le climat du moment) et parce que moi
aussi j’y passe alors que jusqu’alors j’avais fait
de la résistance.
Hier on a installé tout ça, et bien
on s’en est vu ! Je passe les détails mais on a dû
rendre un des matériels après beaucoup d’agacement
à tenter de l’installer sans comprendre ce qu’on
faisait mal, finalement il y est apparu qu’il y avait un défaut
de fabrication, on a passé deux heures avec la hot line de
Free, entre les attentes et les conseils plus ou moins éclairés
du technicien pour parvenir à configurer correctement la connexion
internet pour Taupin alors que là aussi c’était
censé être simple, évident, il suffit de glisser
votre cd dans l’appareil, de suivre les instructions…
oui, quand ça marche !
Avec tout ça on remet notre départ
d’un jour, on pensait partir ce matin, ce sera demain.
Je ne me sentais pas très bien englué
dans toute cette technologie. Les notices techniques absconses quand
elles ne sont pas totalement illisibles, les blocages imprévus
et inexplicables, les plantages et les redémarrages, le clignotement
pervers des écrans, les allées et retour à la
Fnac et les attentes au téléphone, tout ça me
sortait par les yeux à la fin de la journée, et j’ai
eu le sentiment tout à coup, d’être envahi par
les machines, d’être dépendant d’elles, leur
esclave plutôt que leur maître. C’est notre temps
précieux bouffé par elles et notre liberté restreinte,
loin des publicités mirifiques...
Bien sûr on l’a un peu cherché
avec cette razzia de nouveautés. On aurait dû s’y
attendre un peu. Mais enfin un matériel neuf sur cinq à
l’achat à remplacer d’emblée et un autre
avec un problème d’installation ne dépendant pas
de nous, cela fait quand même beaucoup. En dehors même
de ça, dans le quotidien, quand ça tourne à peu
près il y a quand même bien souvent des petites difficultés
qui font que la maintenance, le matériel, la préparation
et l’organisation prennent le pas sur le contenu. Internet c’est
génial mais parfois la connexion coince, d’autre fois
on est en plein travail et l’ordi se met à fonctionner
avec une lenteur inexplicable quand il ne plante pas, tout ça
sans parler de la chasse aux virus, bref que de temps, que de temps
avalé à rien…
On est à peu près arrivé à
nos fins au bout de cette journée high-tech mais j’en
suis sorti avec l’impression de m’être alourdi,
encombré, d’être un peu plus cerné par les
machines.
Alors tiens, pour aérer, j’ai envie
de raconter cette petite anecdote de l’autre jour, une petite
saynète du métro comme il en est beaucoup pour qui sait
regarder.
C’était vendredi. Je rentrais de ma
dernière réunion, c’était l’exact
moment du début de mes vacances. Une jeune femme jolie, plutôt
simple et sobre, est assise avec son livre sur le quai attendant le
métro. Un grand beau noir au regard doux s’assoit à
côté d’elle, lui dit quelquechose, elle ne dit
rien mais très vite elle sourit. La rame entre dans la station.
Ils montent dans le métro, s’assoient côte à
côte sur deux strapontins, moi je suis assis en face. Ils se
vouvoient, l’homme n’a pas le ton de la drague désagréable,
simplement ils conversent, autant que je puisse en juger d’après
les bribes que je capte, il est question de la publicité dans
le métro, lui est plus volubile, elle plus réservée
mais ils sourient tous deux. Ils descendent à la même
station, ils prennent manifestement des directions différentes
mais j’ai le temps de les voir échanger leurs adresses
tandis que le métro dans lequel je suis resté redémarre.
Tout ça, entre Gambetta et République, trois ou quatre
stations seulement, pas mal de créer de la relation en si peu
de temps ! Je suis admiratif. J’ai toujours été
un peu envieux, indépendamment même de l’aspect
drague que cela peut comporter, de ces gens capables si facilement
de rentrer en contact, de nouer conversation avec des inconnus, de
s’ouvrir en fait, de se lier peut-être…
Il n’y a pas besoin des machines pour ça
!
C’était une scène simple, toute
naturelle en fait mais pas si banale en réalité, les
gens sont habituellement tous tellement dans la réserve, dans
la fermeture, j’ai senti un sourire me venir, à moi aussi,
à les observer, même s’il y avait aussi en moi
une pointe de regret à ne pas être capable de fonctionner
de pareille façon. Oui c’était rafraîchissant
et ça m’a mis un peu de légèreté
dans le cœur.
Le temps est plutôt mauvais ces jours ci pour
un début juillet. Beaucoup de nuages, de la pluie, mais aussi
des éclaircies, plutôt brèves, chahutées
par le vent, mais alors avec un soleil assez généreux.
Je suis à l’unisson. Beaucoup de nuages en moi mais aussi
des coins de ciel clair.
Allez, demain, nous partons. Ça ne peut quand
même que faire du bien…
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14/07/04 : Tendu :
Ces deux premiers jours ne se sont pas très
bien passés. Il faut que je trouve mes marques. Je suis de
plus en plus convaincu que ce choix de vacances n’était
pas ce qui me convenait cette année, ce non-choix plutôt,
j’ai laissé faire, je n’ai pas tellement cherché
à avoir voix au chapitre, ça c’est fait comme
ça, déterminé par des éléments
extérieurs, la semaine où Bilbo reçoit ses copains,
cette autre la semaine que l’on s’est fait un devoir d’aller
passer avec la maman de Constance sans qu’il y ait eu pourtant
aucune obligation formelle, la rencontre familiale prévue à
la mi-aout dans les Alpes, tout ça a balisé le mois
d’une façon telle que le plus simple consistait à
venir se poser ici, sans réfléchir plus que cela à
de vraies envies.
J’adore cet endroit, habituellement il m’apaise,
m’invite à la sérénité. C’est
parce que je sais cela aussi que sans doute je n’ai pas plus
bougé quand s’est dessinée la perspective d’y
passer l’essentiel de nos vacances. Mais pour le moment je suis
loin de cet apaisement. Je me sens terriblement tendu, nerveux, trop
vite agacé par la moindre contrariété qui se
présente.
Je me suis senti mal pendant le voyage, la route
m’a paru fastidieuse et fatigante, j’ai horreur de ces
parcours autoroutiers avec la voiture surchargée, avec l’arrêt
pique-nique obligé sur l’aire de service, ces parcours
où l’on bouffe du kilomètre et qui n’ont
qu’un seul but, celui d’arriver. Mais cette fois, ça
m’a pesé plus encore que d’habitude, j’aurai
voulu me retrouver là-bas, léger, d’un saut rapide
d’avion ou de TGV ou bien, en voiture, j’aurais voulu
être occupé à musarder sur des routes inconnues...
Ce voyage c’était rouler parmi les
autres, perdu au milieu des familles, des caravanes, des mobil-home,
dans ce fleuve roulant issu des quatre coins de l’Europe, dans
la masse des « juilletistes », comme ils disent, on fait
partie du troupeau des migrants saisonniers, je déteste me
sentir partie du troupeau.
Enfin nous avons humé l’air dès
notre arrivée, ouvert notre petit appartement, regardant de
nos fenêtres la campagne alentour, l’inexorable progression
des lotissements (ce grand terrain vide entre la maison et la plage
est en cours de « viabilisation », la route est déjà
tracée, les 14 parcelles délimitées, c’est
sur ce terrain que les garçons allaient il y a peu d’années
avec leurs copains faire de grandes parties de foot dans l’herbe,
nous jetions sur eux un œil de temps en temps par la fenêtre
et les appelions à grands cris et avec de grands mouvements
de bras quand le dîner était prêt, ici comme partout,
la nature, les espaces libres reculent…). Nous avons fait ensuite
un petit saut sur la plage, profitant d’une jolie éclaircie
qui n’a pas duré, trempant juste le bout de nos pieds
dans l’eau qui nous a paru très froide.
Nous avons fait hier et aujourd'hui quelques unes
de nos promenades rituelles, le port, la pointe, la plage à
pied par le chemin des douaniers, le tour en vélo traditionnel
par le polder et le chemin qui suit la côte, jusqu’au
bout de la langue de terre qui prolonge la plage, formant presqu’île
entre la mer et une anse qui s’enfonce profondément dans
le pays entre prés et fôrets…
Le temps n’aide pas. Il fait gris, il ne fait
pas chaud, l’eau est glaciale, pour l’instant je ne me
sens pas capable de me baigner. Ce n’est pas du tout la situation
extraordinaire de l’an dernier, les plages bretonnes étaient
l’un des rares points de France où la canicule a eu du
bon. Mais pour autant ce n’est pas l’essentiel, j’aime
la Bretagne, y compris par les temps couverts, sous le vent et sous
les grains, le paysage est beau dans ses nuances de gris, avec ses
éclats de soleil lorsqu’il se décide à
percer. Non c’est moi qui plus fondamentalement n’adhère
pas, n’entre pas dans mes vacances telles qu’elles s’ouvrent
cette année.
J’ai fini « W ou le souvenir d’enfance
» de Perec. C’est un livre qui m’a intéressé
mais ni passionné, ni séduit, ce n’est pas le
genre de livre dont je suis sorti regonflé (parfois même
des livres très durs, très noirs me font cet effet,
tout simplement parce qu’ils sont beaux), bien au contraire,
sa lecture a contribué à mon sombre état d’esprit.
Ici s’opère une espèce de glissade déprimante,
que facilite ce ton neutre, distancié, entre les souvenirs
absents ou précaires des pages autobiographiques et le récit
fictionnel qui les double, récit qui se déshumanise
progressivement, passant d’un voyage attendu mais qui ne sera
jamais raconté à une description d’entomologiste
d’une société folle, aux aspects de plus en plus
monstrueux à mesure qu’on avance et que se précise
la métaphore de plus en plus transparente, de plus explicite
de l’univers concentrationnaire nazi.
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15/07/04 : Angoisse :
Ça ne va pas mieux. Pas mieux du tout. Cette nuit je me suis
éveillé taraudé d’angoisse. Sensation d’étouffement,
de murs dressés autour de mes jours ici, impossibilité
à voir une solution satisfaisante, rester ici, entrer enfin
dans le plaisir, je m’en sens incapable, partir, rentrer à
Paris, mais ce serait pour faire quoi, essayer d’aller voir
certains amis en province qui nous avaient proposé que l’on
passe chez eux mais je n’ai pas envie de créer une crise,
de désorganiser tout ce qu’on a mis au point avec les
garçons, avec la maman de Constance… Alors je vais laisser
faire, je vais laisser couler les jours mais je me dis et me répète
au fond de mon lit douloureux « ce sont des vacances ratées,
faisons un trait, biffons-les de mon esprit, ce sera mieux la prochaine
fois, je ne tomberais pas dans le même piège, laissons
passer les jours, ils passeront bien assez vite, c’est même
cela qui est le fond de l’angoisse, les jours qui passent, les
années qui passent, le temps compté et moi je suis là,
j’y suis et je n’y suis pas…» J’ai tenté
de lire, je n’y suis pas parvenu, il n’y a qu’une
solution, j’ai pris un somnifère, dormir, dormir, sortir
de cette angoisse, demain de toute façon, ça ira un
peu mieux, je sais par expérience, avec le jour ça ira
moins mal…
Oui bien sûr, ça va moins mal. Les affres de la nuit
se sont dissoutes. Je me suis remis en mouvement, cahin-caha, j’ai
repris les quotidiennetés. J’ai été cherché
le pain et les croissants frais à la boulangerie d’un
coup de vélo mais sans le plaisir que me confère habituellement
cette petite sortie matinale. Nous avons été marcher
sur la plage Le temps ne s’est pas amélioré. Ce
n’est pas un temps breton. Le ciel est gris, immobile, il n’y
a pas de vent, la lumière blanche est fatigante, il ne fait
pas chaud et pourtant il fait lourd. Nous avons été
porter un de nos vélos mal en point à réparer.
Nous avons pris un pot sur le port avec des amis que nous avons ici,
le moment n’a pas été désagréable.
Mais je ne parviens toujours pas à l’apaisement intérieur,
au contentement, à entrer sans restriction, sans arrière-pensées
dans les plaisirs immédiats de l’instant. J’ai
toujours ce sentiment d’être ici et de n’y être
pas, les tensions intérieures sont toujours là, l’inappétence,
la difficulté tout autant à faire quelquechose, à
me mettre en route qu’à me supporter dans l’inaction
et le repos. J’avais la volonté d’écrire,
avec même quelques idées très précises
dans la boîte mais je ne parviens pas à m’y mettre.
La seule chose qui sort ce sont ces quelques lignes, est-ce que cela
en vaut la peine, n’est-ce pas encore retourner le couteau dans
la plaie, je ne suis pas non plus dans le plaisir en écrivant
ici…
Il n’y a qu’un bref moment où j’ai eu le
sentiment d’entrer enfin un peu dans l’instant. Ce matin,
marchant le long de la plage, les pieds dans l’eau, je me suis
senti investi dans la sensation, mes chevilles, mes mollets d’abord
violemment enserrés par la mer trop froide puis l’habituation
progressive, la détente qui survient, une forme de bien-être
qui remplace la douleur, mon avancée un peu plus loin dans
la mer, l’eau jusqu’aux genoux puis jusqu’au milieu
des cuisses, le retour sur le sable, sa douceur, sa tiédeur
lorsque je m’y pose...
Je voudrais tant que ce ne soit qu’un avant-goût, que
ces moments se multiplient, que s’éloignent les ombres
du mal-être.
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