02/06/05 : Fracture :
Insomnie encore cette nuit. Je me suis éveillé
avant l’aube avec quantité de pensées tourbillonnantes
dans la tête. Trop tard pour prendre un petit cachet et tenter
de me rendormir. Alors j’ai quitté la chambre portable
sous le bras et suis descendu pour tenter de mettre en forme les sentiments
et les réflexions qui m’ont beaucoup occupé ces
jours ci dans la continuité de ce fichu référendum...
Je l’ai mauvaise. Cela dit si tout cela n’était
pas si sérieux et lourd de conséquences on pourrait
en rire. Il y a de quoi au vu de l’actualité. Quelle
délectable comédie humaine. Sarko et Villepin dans le
même bateau, Chirac avalant son chapeau et plaçant l’ennemi
préféré au cœur du pouvoir. Quelle guignolade
! Ou quel opéra bouffe comme l’a bien dit Bayrou. La
cohabitation rocardo-mitterrandienne à côté apparaîtra
comme gentiment policée. Tout cela admirablement résumé
par le Plantu du jour. Villepin grandiloquent qui déclame un
poème, devant Chirac, un couteau planté dans le dos,
le petit Sarko derrière lui en vizir voulant devenir calife
à la place du calife. Le mirlitonesque poème dit ceci
:
« Ô toi, qui aimes tant batailler
Il te faudra tout assumer :
Et la France qui te boude
Et le retour d’Iznogoud »
Un bon dessin souvent en dit plus qu’un long
article.
Oui j’en rigole. Et je vais m’amuser
de la suite, je vais suivre les péripéties, les coups
de gueule et les coups bas, mais où tout cela va-t-il mener…
Car sur le fond il n’y a rien de drôle. Juste un constat
assez effrayant d’une fracture sociale qu’un certain président,
qui donc déjà, disait vouloir réduire en 1995.
Depuis elle s’est approfondie, il y a eu 2002, la conjonction
du vote protestataire de gauche dispersé sur quantités
de candidats et du vote protestataire d’extrême droite,
aujourd’hui il y a une même alliance de fait dans la conjonction
des deux non, c’est tout à fait exact de parler de «
réplique », au sens précis qu’a ce mot en
sismologie.
Je ne jette pas la pierre, sûrement pas, loin
de moi toute idée de mépris ou de discours du type :
« quels cons ces français », simplement je constate
qui oui cette fracture est bien là, de plus en plus nette,
de plus en plus évidente, recadrant les positionnements au-delà
même de ce qui est strictement politique.
Les grandes villes, leurs centres et les banlieues
bourgeoises, les diplômés de l’enseignement supérieur,
les bobos, les cadres, les vieux, c’est le oui. Les villes moyennes,
les banlieues, les campagnes, les couches populaires, les employés,
les ouvriers, les jeunes, c’est le non… La dichotomie
est spectaculaire et presque systématiquement vérifiée.
C’est cela qui est terriblement inquiétant, cette fracture,
ce décalage entre deux France qui communiquent de moins en
moins, entre lesquelles on se meut de plus en plus difficilement.
Ça m’a fait drôle en faisant défiler les
résultats, habituellement mon vote n’est pas celui du
Versailles ou du 16° arrondissement! Ça fait drôle,
drôle mais drôle-amer, ça me met mal à l’aise,
il y a là derrière toujours cette difficulté
à faire vraiment le deuil de mes engagements de jeunesse.
J’ai voté de façon conforme
à ce qu’induit la sociologie, cadre moyen de l’administration,
plus proche de la retraite que du début de carrière,
arrivé à un temps de la vie où la révolte
s’est émoussée même si l’indignation
est toujours là, installé dans mes meubles et mes habitudes,
travaillant et habitant à Paris, propriétaire de mon
appartement dans un quartier agréable, ne côtoyant pas
de violence dans mon environnement immédiat, avec des enfants
qui ont suivi ou suivent des cursus scolaires sans problème
dans des lycées dit de prestige là-haut sur la montagne…
Politiquement mon vote est juste il n’empêche qu’il
est aussi marqué socialement.
Fabius a-t-il bien joué ? Incontestablement
il a senti l’ampleur de la crise de défiance, il s’est
positionné de façon à pouvoir éventuellement
tirer les marrons du feu. Il a joué à quitte à
double, le oui l’aurait emporté, il aurait été
définitivement cramé. Là ce n’est plus
pareil. Il est en situation de jouer un rôle dans une recomposition.
Le calcul au fond ressemble dans un contexte très différent
à celui qu’avait fait Mitterrand, en s’agrégeant
le PC pour pouvoir ensuite l’affaiblir. J’imagine que
Fabius en faisant glisser un peu plus à gauche le curseur espère
pouvoir à terme diriger une coalition qui aille de lui-même
aux marges de l’extrême gauche. Ça a très
peu de chances de marcher. Et pour l’instant ce qui est clair
c’est que la seule force qui avait une petite chance de pouvoir
faire pièce à Sarko est durablement éclatée.
Mais ce qui m’exaspère au-delà de ces considérations
politiques franco-françaises c’est d’avoir pris
l’Europe en otage dans cette histoire, le calcul politicien
est au détriment de l’Europe, de l’avancée,
même mineure, que constituait le traité. (D’ailleurs,
tiens, l’Europe on n’en parle plus tant que ça
maintenant dans les commentaires sur le vote). Habile, Fabius ? Peut-être
mais il y en a marre aussi de ces habiletés là, c’est
de ça aussi que souffre profondément la politique.
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04/06/05 : Hésitations :
Encore une fois je m’éveille trop tôt,
avec une sensation vague d’anxiété devant cette
journée qui commence. Pas de programme prévu d’avance,
ce pourrait être une chance. Mais que sera cette journée
? Que vais-je y mettre ? Il n’y a rien qui s’impose, rien
qui me porte.
Je vais préparer rituellement le petit déjeuner,
café, jus d’oranges, bol de céréales, tartines,
l’absorber sans trop y penser alors que parfois je sais en faire
une fête puis je me mettrai en route pour les inévitables
courses du samedi matin que je tiens à faire tôt avant
que n’arrive la foule. Tout ça sans grande énergie.
Constance elle va s’éveiller lentement, elle n’est
pas sur les mêmes rythmes que moi le week-end.
Et après… J’ai été
très pris cette semaine, trop, absorbé par mon travail
professionnel à la fois très envahissant et que je perçois
de plus en plus comme très éloigné de mes véritables
envies, très absorbé aussi par cet investissement que
j’ai eu à l’approche de ce référendum,
par l’importance que je lui ai accordé, par l’amertume
que je ressens à son résultat, par l’inquiétude
que j’ai de ses conséquences. Alors cette grande plage
de temps libre qui s’offre qu’en faire ?
J’ai mille envies et mille fils à tirer.
Je ne sais pas par lequel commencer. D’où il résulte
parfois que je finis par passer de longues heures sans me mettre à
rien, à zapper sans efficacité d’un des mes intérêts
à un autre...
J’ai envie d’écriture, plusieurs
idées de nouvelles qui se bousculent, certains thèmes
aussi dans les ateliers d’Obsolettres
auquel j’aimerais contribuer, j’ai envie de rénover
complètement mon site et de le rendre plus interactif, plusieurs
livres en lecture en même temps, de grands rangements de printemps
qui s’imposent, des points qu’il faudrait que j’ose
éclaircir avec Constance. Oui peut-être est-ce cela surtout,
des choses à clarifier dans ma vie, un équilibre nouveau
à trouver entre diverses facettes de ce que je fais et de ce
que je suis... Et comme souvent quand je ne sais pas par où
commencer je viens à ces mots ici, ce n’est sans doute
pas ce que j’avais de mieux à faire !
Lacis des envies que j’ai et des obligations
qui s’imposent à moi ou que (surtout) je m’impose...
Il me semble qu’il me faudrait un peu de légèreté...
J’ai besoin d’air, de vent, de marche, de rire, de me
mettre un peu à distance de ces nœuds qui m’encombrent.
Je pense à un petit voyage que je vais faire un prochain week-end,
il me fera du bien je crois…
Pour le moment je vois que le jour maintenant s’est
franchement levé et qu’il a l’air de vouloir faire
beau. Il y a ce week-end une opération jardins avec certains
endroits qui sont ouverts exceptionnellement, je vais jeter un coup
d’œil au programme et essayer de glisser aussi dans ma
journée une petite excursion cycliste avec Constance vers certains
de ces lieux.
Plus tard… Finalement la journée ne
s’est pas passée comme je l’attendais. Dans la
matinée je m’y suis mis, j’ai pas mal écrit
et réussi à faire quelques uns des rangements que je
me proposais. Le temps a changé, le ciel s’est chargé
de nuages menaçants, on n’est pas parti en exploration
vers les jardins, on s’est ouvert une bouteille pas mauvaise
à midi sur un pique-nique amélioré pris à
la maison, l’après-midi je me suis installé sur
mon lit avec une bande dessinée ce qui ne fait pas partie pour
moi des lectures les plus courantes.
Je me suis plongé dans « Le vol du corbeau
» de Gibrat, évocation du Paris de l’occupation,
avec de belles images de la ville, de ses toits, de ses rues, de ses
quais et de ses ponts (cela se passe en partie sur une péniche)
bourrées de détails réalistes et très
évocateurs, tout ça superbement dessiné et mis
en cadre, l’art de la BD c’est beaucoup un art du cadrage,
et puis la demoiselle qui est l’héroïne est bien
jolie à regarder… Je me suis endormi au milieu du deuxième
tome, non par ennui mais parce que j’avais vraiment sommeil.
Une petite sieste ce n’est pas désagréable…
Ensuite je suis parti au cinéma, Constance
ne m’a pas accompagné, elle aussi, disait-elle, croulait
sous les choses à faire à la maison, je n’ai pas
été loin, au bout de la rue pour voir « Million
dollar baby ». Moi qui avais envie de légèreté
c’était un peu raté, ce n’est pas un mauvais
film, mais pas précisément gai et léger, la fin
s’étire avec un peu de complaisance et en cherchant à
faire pleurer Margot. Comme souvent dans ces grosses machines hollywoodiennes,
on y va avec de gros sabots. Mais le récit est efficace et
bien mené, l’image est belle, toujours dans des couleurs
froides, celles de la nuit, des salles de boxes et des rings, celles
aussi d’une certaine Amérique de la pauvreté et
des bas quartiers des villes. C’est très bien joué
par Clint Eastwood et surtout par Hilary Swank, vraiment remarquable,
très physique, dont le visage, le corps tout entier sont capables
de passer en un souffle d’une douceur de petite fille fragile
à la violence, à l’énergie concentrée
et explosive de la combattante.
Donc journée un peu plan-plan mais pas si
mauvaise au final. Il en faut…
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06/06/05 : Tonique
mais…
Je me suis senti sérieusement plus tonique
ces deux derniers jours…
Hier dimanche j’ai écrit sans trop
de peine à la fois quelques pages d’une nouvelle et quelques
pages aussi de mon projet de service que je dois avoir prêt
pour demain. Belle hétérogénéité,
j’ai réussi non sans mal à m’inscrire un
tant soit peu dans les deux démarches, ces deux textes n’ont
strictement mais alors strictement rien à voir mis à
part le fait d’être tous deux constitués de mots,
je vous laisse juge de celui que j’ai abordé avec le
plus de plaisir…
En fin de matinée pour faire un break j’ai
enfourché mon vélo et filé sous un ciel menaçant
vers la Seine. J’ai pris les quais-plaisir du dimanche, la voie
sur berge sans voiture, une balade que j’adore surtout dans
cette partie qui est ma préfére, sur la rive droite
entre Arsenal et le Pont Neuf, là où l’on pédale
en longeant les îles. Je me suis rendu aux Tuileries ensuite,
j’avais entendu dire qu’il y avait une présentation
particulière dans le cadre de la journée des jardins.
Je découvre un enclos sous bonne garde présentant parait-il
des « jardins éphémères »: les organisateurs
avaient le front de faire payer dix euros pour entrer dans cet espace
minuscule. Je n’y ai pas été non par pingrerie
mais parce que je trouve cela scandaleux en une journée censée
être de promotion, de découverte, d’ouverture et
alors que tout cela est aussi sponsorisé par des marchands
divers occupant l’espace et mêlant leurs activités
commerçantes à la présentation des jardins. Alors
j’ai fait comme d’autres, j’ai longé l’enclos
en glissant chaque fois que je le pouvais mon œil à travers
les interstices de la palissade installée là justement
pour qu’on ne puisse pas voir sans payer. Sans doute, à
ce que j’ai pu entrapercevoir, y avait-il quelques belles réalisations
mais tant pis l’esprit dans lequel c’était fait
ne me fait pas regretter de ne pas y avoir été.
Je me suis promené ensuite dans le jardin
des Tuileries lui-même et j’y ai fait une découverte...
J’avais été frappé depuis quelques temps
par l’existence au milieu du jardin d’un grand tronc couché
au milieu d’un carré d’herbes non entretenu très
surprenant dans ce jardin à la française si léché.
Je me demandais vraiment pourquoi on le laissait là. Et bien
j’ai découvert qu’en fait d’arbre il s’agissait
d’une sculpture en bronze comme il en est d’autres dans
certains autres carrés de ce jardin qui devient ainsi une sorte
de musée en plein de sculptures contemporaines. Je suis resté
tout stupéfait de ma méprise, chapeau pour l’imitation,
j’ai été ravi d’observer l’arbre bronze
sous toutes les coutures, en méditant sur le rapport entre
l’art et le réel, entre le réel et l’illusion.
C’est « l’arbre aux voyelles » de Guisseppe
Penone, titre mystérieux là aussi, je n’ai pas
la moindre idée de sa signification.
J’ai abordé ensuite les Champs-élysées,
j’ai vite dû mettre pied à terre dans la foule
agglutinée autour des animations sportives multiples mises
en place sur toute la longueur des Champs pour promouvoir la candidature
de Paris aux jeux olympiques. Je me disais que ce serait amusant de
cheminer là-dedans, j’ai vite été lassé,
dans ce genre d’occasion on ne voit rien vraiment, on est baladé
dans le maelström de la foule, c’est un peu le syndrome
de Fabrice à Waterloo, et on est d’autant moins à
l’aise pour se déplacer que l’on tente de pousser
un vélo devant soi. Mais c’était agréable
par contre, une fois sorti de la foule, de jouir d’une promenade
cycliste dans les vastes avenues alentour fermées à
la circulation pour l’occasion.
J’ai traversé la Seine. Je me suis
arrêté rue de Grenelle, à l’hôtel
de Noirmoutier, résidence du préfet de région,
bâtiment et jardin ouverts exceptionnellement à l’occasion
de cette journée des jardins. Peu de visiteurs à l’heure
où j’y suis passé. Havre paisible entre les immeubles.
Ce jardin n’a rien d’exceptionnel mais je me suis assis
un bon moment dans cet endroit qui semble tout à fait hors
du temps, hors de la ville, faisant un contraste violent avec la foule
des Champs. J’ai regardé les grands arbres, les massifs
de fleurs bien entretenus, la pelouse, les lignes classiques de la
belle demeure aristocratique du 18°, le coin de ciel au-dessus
de moi et j’étais parti en imagination vers cette France
d’avant…
Rentré à la maison j’ai retroussé
mes manches et nous avons avec Constance enfin rangé et débarrassé
notre cave. Constance pratique la poterie. Depuis longtemps elle rêvait
de compléter ce qu’elle fait dans un atelier du quartier
par une activité à la maison même. Le matériel
est acheté. Restait à dégager suffisamment d’espace
ce qui n’a rien d’évident et oblige à certains
choix déchirants dans ce qu’on garde et dans ce dont
on se débarrasse. Enfin voilà, c’est fait.
Ce matin au bureau j’ai continué sur
ma bonne lancée. J’avais l’énergie et la
concentration qu’il fallait pour clore mon projet de service
sans traîner. Enfin plutôt pour terminer la mise en forme
de mes propositions qui doivent être discutées demain
avec l’équipe et qui le seront ensuite ailleurs avec
les chefs. Tout ça n’est que l’amorce, courage
pour demain et pour les inévitables tensions et polémiques
entre les gens que je sens venir. L’art est de trouver les mots
pour que ça passe des deux côtés. Et surtout pour
que ça ait au moins quelques effets, que ça ne reste
pas totalement lettre morte ou langue de bois. Donc c’est fait,
et rapidement, je m’en étonne moi-même. Du coup
je me suis libéré l’après-midi et sous
une pluie battante j’ai rejoint la maison avec l’idée
de passer de nouveau dans les occupations qui font l’autre côté
de ma vie.
Je m’étais dit, tiens, ce moment volé,
(volé ? à qui je me demande, j’ai fait ce qu’avais
à faire, bravo à moi si j’ai été
plus vite que je pensais) ce sera un moment idéal pour tenter
d’apprivoiser dotclear, pour commencer à me lancer dans
cette rénovation de mon site dont j’ai de plus en plus
envie. Me voilà donc avec mes bonnes résolutions. Je
vais télécharger. Je vais essayer de voir comment ça
marche. Tout ça me fait un peu peur, à moi qui ne suis
qu’un total et peu rapide autodidacte informatique. Allons-y,
allons-y… Courage… Et bien rien n’a l’air
de marcher, je ne trouve même pas la page qu’il faut,
mais que se passe-t-il donc… Je sens mon énergie et ma
tonicité qui s’émoussent... Enfin, ça y
est, je sais, en allant voir le petit dotclear illustré j’apprends
que justement depuis hier le serveur de dotclear ne fonctionne pas
! Bon sang pourquoi justement aujourd'hui, c’est un fait exprès…
Voilà c’est ça pour moi l’informatique,
il y a comme une espèce de petit dieu malicieux qui fait qu’au
moment précis où je suis enfin décidé
à quelquechose, pfuit, justement là, ça ne marche
pas !
Alors voilà, du coup je me suis mis à
raconter mes journées d’hier et d’aujourd’hui,
ça vous vaut cette longue entrée qui, à la relire,
ne me parait pas bien palpitante mais voilà c’est écrit…
Allez je poste, je ferme, je prends mon journal
et à plus tard, dotclear, peut-être…
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09/06/05 : Ici et
là :
Il est six heures et demi du soir. Je viens de rentrer.
Il fait encore bon. Je me suis installé sur la terrasse, j’ai
parcouru le journal plutôt rapidement, j’ai sorti l’ordinateur
et je rejoins mes mots avec plaisir, air frais, coin de ciel bleu
entre les immeubles et les feuillages, mélange d’odeur
de verdure et de chèvrefeuille doublé d’effluves
culinaires aux relents d’ail descendues d’une fenêtre
du voisinage, un merle qui siffle avec ardeur dans les branches de
l’érable de notre voisin, si ce n’est pas du bonheur
ça…
Bilbo bosse dans sa chambre, une fois n’est
pas coutume. Il gratte des fiches pour son bac de français.
C’est demain, il fait exactement ce qu’on lui avait dit
de ne pas faire, nos bons conseils parentaux de réviser à
l’avance et de se détendre le dernier jour n’ont
eu aucun effet. Il vient me questionner sur certains mouvements littéraires.
Je suis content de lui répondre, mieux vaut tard que jamais,
et puis ça fait plaisir de sentir qu’il peut encore avoir
besoin de ses vieux parents de temps en temps. Et c’est une
façon de se créer une connivence aussi. Il n’a
pas trop travaillé c’est le moins qu’on puisse
dire mais au moins il a l’air parfaitement détendu, pas
du tout stressé et même plutôt excité et
content de cette première véritable épreuve scolaire.
Faisons confiance !
Moi j’ai passé une drôle de journée
pleine de contrastes. A quelques stations de métro de distance
que le monde est différent ! Le matin réunion au centre
de Paris. Je vais déjeuner avec quelques collègues dans
un bistrot de la rue Montorgueil. Soleil plaisant, les gens sont dehors
en foule, les terrasses regorgent de monde, cette rue n’est
qu’une succession de cafés, bistrots, restos complétée
de quelques commerces alimentaires de bon aloi ! Des noms qui ravissent
et qui s’inscrivent dans l’histoire de Paris, l’Escargot
Montorgueil, le Rocher de Cancale… Comme un souvenir des Halles
d’un autre temps et du ventre de Paris. En fait ce ne sont plus
les mêmes mondes mais tout de même il en reste comme une
réminiscence… Je serais bien resté à lézarder
à une terrasse au soleil...
Mais non je dois me hâter, je dois rejoindre
le Châtelet et le RER pour filer en banlieue.
En fait je vais à Vitry, chez le distributeur
auprès duquel nous devons nous fournir pour comparer de visu
les divers matériels et mobiliers que je dois faire acheter
pour rééquiper le service après sa transformation.
Vitry en fait je connais. J ai exercé dans ce secteur au début
de ma carrière mais ça fait pas mal d’années
que je n’y ai pas remis les pieds. Cela donne donc en plus à
mon excursion un petit côté pèlerinage. Mais là
où je vais ce n’est pas la ville vraiment. C’est,
entre les emprises de la SNCF et la Seine, un espace sinistre qui
il y a vingt ans était le lieu d’industries en déshérence
(déjà! la désindustrialisation ça ne date
pas d’hier), d’entrepôts à demi abandonnés,
de friches, d’habitats plutôt misérables, de quelques
immeubles décatis, de pavillons de bric et de broc. Tout ça
a été modernisé sans pour autant devenir plus
gai, il y a maintenant ici des entrepôts et des centres de distribution
aux couleurs claires et aux lignes design. Mais c’est toujours
un bout du monde et pas du tout adapté d’ailleurs à
un déplacement pédestre. Je n’avais pas fait attention
aux distances qui sont assez grandes. Je ne croise quasi personne
d’ailleurs. Quel no man’s land…
J’arrive là où je devais aller.
Pour tout « showroom » comme on dit maintenant prétentieusement
je découvre une salle où les éléments
sont entassés sans aucun effort de présentation et pour
commerciale j’ai droit à une secrétaire plutôt
revêche que j’ai l’air de déranger prodigieusement.
Je vais, je viens, je compare les modèles, j’essaie d’imaginer
en situation, elle me suit en me couvant d’un œil soupçonneux
et en répondant de façon vague à mes questions.
Tout à coup le caractère surréaliste de la situation
me frappe, qu’est-ce que je fais là, au fond je me fiche
totalement de savoir s’il vaut mieux le modèle machin
ou le modèle truc, je suis là mais où suis-je…
Je reviens vers la gare. Il est encore tôt
mais je n’ai pas vraiment le temps de repasser au bureau, alors
je me balade un peu dans l’ancien centre, ici c’est plus
agréable, rues plus commerçantes, petits immeubles,
pavillons en meulière, jardinets parfois bien fleuris d’où
montent des parfums de rose, tout ça sous un soleil qui égaie.
J’essaie de retrouver des sensations du temps où j’ai
travaillé par ici, peu de choses remontent, tout ça
ne m’évoque plus rien contrairement à d’autres
endroits retrouvés après de longues absences, c’est
sans doute qu’ici je n’ai rien vécu de particulièrement
marquant, c’est une page lisse et plutôt plate de mon
passé…
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12/06/05 : Masques
:
Pas facile. Belle journée, étincelante
de beau soleil dès le matin. Tensions palpables à la
maison cependant, dès le lever Constance ne parait pas très
bien, elle est de mauvaise humeur et quelques mots partis peut-être
un peu vite de ma part suscitent une réaction disproportionnée
de la sienne. C’est comme ça parfois que peuvent se construire
des affrontements débiles, à partir de broutilles, qui
en fait ne sont que des prétextes. Je n’ai pas repris,
j’ai laissé filer, ce que sais c’est que moi j’ai
envie de profiter de ce beau dimanche, pas de m’enferrer dans
des discussions.
A peine le dîner terminé j’ai
pris mon vélo et suis parti me promener. Elle n’a pas
souhaité venir prétextant qu’elle était
débordée. Je sens bien que si j’avais insisté
un peu, pris sur moi d’avoir la patience de l’attendre
le temps qu’elle se décide, sans doute serait-elle venue
et au final ça lui aurait fait du bien. Mais je n’ai
fait aucun effort. Pas envie. J’ai préfèré
partir seul, tranquille, totalement maître de mon rythme. Je
ne sui pas ours pourtant. Je préfère partager. Mais
partager vraiment. Enfin je n’insiste pas ce n’est pas
le propos.
J’ai été au musée Jacquemart
André voir la présentation de masques issue des collections
Barbier-Mueller. J’ai toujours aimé les masques et toute
la thématique qui va avec. Être soi, créer une
image de soi, jouer des images, je est un autre, comment se réconcilier,
comment finalement être soi au-delà des images et des
masques… Mais peut-être y suis-je spécialement
sensible en ce moment où je m’interroge sur des questions
autour de l’identité, de l’anonymat, du masque
à propos de ce site même.
L’originalité de l’exposition
est que les masques sont regroupés non selon une approche géographique
ou thématique mais plutôt selon une approche sensitive
ou poétique. C’est Michel Butor qui a fait le classement,
créant treize catégories de son invention : «
chœur des compatissants », « chœur des hilares
», « chœur des méditatifs », «
chœur des furieux » etc… Et il a écrit à
propos de chacun des masques un court poème évoquant
ce qu’il en perçoit. Magnifique idée. Malheureusement
la présentation ne s’y conforme pas complètement.
Les pièces ne sont pas regroupées selon les catégories
de Butor, quelques unes seulement offrent le texte en regard. En fait
seul le livre catalogue présente l’intégralité
de la démarche et c’est bien dommage. On a l’impression
que l’exposition a été faite d’après
le catalogue et non l’inverse. C’est le livre qui est
premier, l’exposition en est une sorte de succédané.
Bref cela pousse à se procurer le livre. Est-ce le but ? Je
ne sais mais en tout cas je ne l’ai pas acheté. Toujours
la même question. Acheter, oui, un livre de plus, mais pourquoi
? Pour le plaisir de l’instant ? Pour avoir encore un de plus
de ces « beaux livres » que l’on feuillette distraitement
quelque temps puis qui vont s’accumuler sur les étagères
(et de plus en plus difficilement mes murs commencent à saturer)
? Il faudrait être sûr de vraiment prendre le temps de
regarder profondément chaque photo, de lire et relire chaque
poème en regard, de s’en imprégner, de voir si
la synergie se fait en soi ou si d’ailleurs d’autres images
et d’autres mots surgissent de soi, pourquoi pas, ce serait
passionnant. Mais le temps, le temps toujours…
J’en ai profité ensuite pour refaire
un tour dans le Musée Jacquemart-André. J’adore
ce musée. Parce qu’il y a quelques belles œuvres
mais surtout parce que ce n’est pas seulement un musée,
c’est une demeure. On y sent l’esprit de ceux qui ont
vécu ici, qui ont choisi de se constituer une collection complètement
éclectique et de l’organiser de la façon dont
ils l’ont faits. C’est cela qui fait le charme du lieu;
ce « de tout un peu », qui fait passer d’une époque
et d’un genre à l’autre, chaque pièce à
son ambiance, il y a le magnifique musée italien, la bibliothèque
riche en peinture flamande, le fumoir, il y a les tableaux mais les
meubles aussi et tous les objets, il y a l’escalier d’honneur
donnant sur le jardin d’hiver sous sa verrière avec la
magnifique fresque de Tiepolo rapporté d’une villa des
bords de la Brenta, il y a le salon de musique où justement
ce dimanche après-midi pendant que je visitais un trio de cordes
jouait. J’étais à l’étage, sur la
galerie qui court justement autour de ce salon de musique, je me suis
arrêté tout le temps du concert bien entendu, c’était
superbe là encore de se laisser porter dans l’ambiance
du temps où cette maison vivait.
Je suis rentré par les larges avenues des
« beaux quartiers » paisibles le dimanche mais je me suis
arrêté un moment aussi le long du bassin du trocadéro.
Pas très paisible pour le coup par là, entre rollermen
en pleine action, touristes se mitraillant dans l’axe de la
tour Eiffel et gamins jouant dans le bassin mais c’était
gai, festif, estival…
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15/06/05 : Trop occupé
!
Encore une journée bien pleine, trop pleine.
Ça sature pas mal au boulot, complètement même,
cette année plus que d’autres ça me monte à
la gorge. C’est que j’ai aussi développé
beaucoup d’autres intérêts et que ce sont ceux-ci
peut-être qui rendent plus difficile à vivre mon quotidien
professionnel. Cet après-midi j’ai pu sortir tôt
du bureau mais j’avais mille choses à faire dans l’ordre
matériel. Demain s’annonce particulièrement surbooké
d’autant que je m’échappe dès vendredi matin
pour un week-end d’aération montagnarde et de rencontre
avec une chère diariste de là-bas...
Du coup j’ai renoncé à une sortie
que j’avais prévue ce soir, j’ai absolument besoin
de respiration, être avec moi, tout simplement, paisiblement,
lire un peu tranquillement quelques uns de mes diaristes favoris que
je n’ai pas visité depuis longtemps, aller leur faire
peut-être un peu la causette, venir ici ne serait-ce que pour
ces quelques mots, me coucher assez tôt avec un bon livre.
Je n’ai pas amusé le terrain cet après-midi
dès la sortie du bureau. Je me suis occupé de mes billets
de train puis j’ai été acheter un nouvel appareil
photo. Un nouveau joujou ! J’avais acheté l’an
dernier un premier appareil numérique pas trop cher pour tester
mon goût pour cette nouvelle façon de faire de la photo.
J’ai été convaincu, j’apprécie la
souplesse que cela donne tant pour faire les photos que pour les exploiter
et les partager ensuite. Mais je regrettais bien sûr la qualité
de mon reflex, la netteté de la visée, l’amplitude
de son zoom. J’ai acheté donc un presque réflex,
ils appellent ça un bridge, j’ai commencé un peu
à le prendre en main. Évidemment tout ça c’est
encore de l’encombrement matériel en plus, des câbles,
des logiciels à installer, quelques petites prises de tête
en perspective. Je sais bien ! Je sais bien tout ce que les objets
et la technique ont d’envahissant. Je sais bien qu’il
serait préférable peut-être d’apprendre
à s’en passer ou du moins à se limiter dans la
course au neuf, au plus performant mais bon… En plus j’ai
un prétexte. J’ai promis à Taupin qui n’avait
pas encore d’appareil de lui donner mon premier numérique
pour le séjour qu’il s’apprête à faire
en Afrique et là précisément son départ
approche à grand pas.
Il est là justement Taupin, il vient de revenir
pour quelques jours à la maison, on n’a pas si souvent
l’occasion de le voir. Il a rendu sa chambre à l’Ecole,
il est revenu avec tout son déménagement (modeste, deux
valises de vêtements, quelques piles de livres et de disques,
son ordinateur) mais il est très pris par les préparatifs
de son départ entre achats de matériel, vaccinations,
réunions de préparation, contacts avec diverses ONG
avec lesquelles il collabore pour son projet. C’est cela aussi
qui m’a donné envie d’être à la maison,
profiter un peu de cette présence partagée. Constance
aussi semble plutôt en meilleure forme, tonique, gaie, toute
contente parce qu’elle vient de recevoir le tour de potier qui
a été son cadeau collectif d’anniversaire, il
a été installé à la cave et elle veut,
nous a-t-elle dit, nous faire une petite démonstration ce soir,
nous descendrons la voir tous ensemble.
L’un dans l’autre je ne vais pas me
coucher si tôt que ça !
Il y a tout autre chose que je voulais dire : l’actualité
dans l’ensemble est fichtrement grise. De partout les nouvelles
sont plutôt décourageantes mais heureusement au milieu
de tout ça tout de même, il y a eu les sourires de Florence
Aubenas. En soi bien sûr ce retour et cette libération
sont une joie pour n’importe qui. Mais il n’y a pas que
cela. La force de vie et de caractère qui crèvent l’écran
dans chacune des interviews nombreuses qu’elle a données
hier et aujourd’hui offrent bien plus que du soulagement. Je
ne sais si c’est l’exaltation de la libération,
si il y aura après un contre-coup dépressif comme le
laissent entendre certains psychologues, je ne sais pas mais je ne
crois pas, je sens en elle une telle force, une puissance de vie si
profondément ancrée, bien plus puissante que l’horreur
de l’environnement matériel et psychologique qu’elle
a subi et qui me laisse subjugué d’admiration. Florence
fait du bien à tous ceux qui la regardent. Chapeau !