19/11/04 : Petit matin :
J’aime bien les petits matins spécialement
ceux comme celui là, frais, légèrement venté,
tonique. Je pars de la maison alors qu’il fait encore nuit,
la vie démarre doucement, le jour se lève lentement,
je profite à plein des vingt à vingt-cinq minutes de
marche qu’il me faut pour rejoindre mon bureau. J’aime
bien varier mes itinéraires. Il n’y en a pas tant que
ça mais que je prenne une rue ou une autre l’ambiance
n’est pas tout à fait la même. Je traverse un quartier
paisible, avec des placettes tranquilles, des maisons individuelles,
des jardinets aux faux airs de province mêlées bien sûr
à beaucoup d’immeubles plus récents, parfois au
contraire je prends la grande avenue, plus bruyante et animée.
Je me sens bien à cette heure là,
j’ai un plaisir tout simple, immédiat à cette
marche, sans vain questionnement. Peut-être parce que je sais
où je vais, je sais ce que je fais, tout ça est bien
cadré, une petite demi heure mais pas question de s’échapper
au-delà et de se poser les questions parfois débilitantes
du temps libre : où s’échapper, pourquoi, vers
où…
J’ai de l’énergie en moi, de
l’allégresse même. Je ne sais pas siffler, si je
savais je crois bien que je siffloterai en chemin.
Je vais au bureau pourtant et j’aime bien.
J’arrive là le premier, à huit heures alors que
mes collègues n’arrivent qu’à neuf heures,
tout est calme, j’ai l’esprit libre, clair, pas de stress,
j’avance vite dans ce que j’ai à faire, je prends
connaissance du courrier, je rédige rapidement des réponses,
j’organise le reste de ma journée.
Bon, ce n’est pas toujours comme ça,
aujourd’hui est une journée calme, tellement calme que
je prends même le temps d’écrire ces mots au bureau,
ce qui est bien rare. C’est vendredi, je ne travaille que ce
matin, la perspective de ma liberté de tout à l’heure
contribue à mon état d’esprit.
Mais quand même il n’y a pas que ça.
Je ne déteste pas tant mon travail que je ne le dis parfois.
Par moments il me stresse, m’envahit, m’étouffe
mais lorsqu’il est sous contrôle ça va, je l’aime
bien. Est-ce que je l’aime bien ? Pas vraiment. Disons que j’apprécie
ce qu’il m’apporte, cet élément de structuration
de mon temps, ce temps pris finalement rassurant face à l’angoisse
du temps libre dont on craint trop qu’il soit du temps vide,
ce temps libre pourtant si vivement, si ardemment désiré.
Contradictions ? Évidemment, un tissu de
contradictions ! Ce tissu de contradictions dont je suis fait...
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23/11/04 : Se mettre
à distance, peut-être…
J’ai du mal avec mon écriture et avec
ce site en ce moment. J’ai écrit et même beaucoup
mais des choses que je n’ai pas envie de mettre en ligne. Mais
du coup j’ai du mal à venir écrire ici, j’ai
l’impression que ça perd une partie de son sens. Et j’ai
la tête farcie par mes mots, mots pour les uns, mots pour les
autres, mots pour moi-même, mots à donner ou mots à
cacher. Je ne sais plus où j’en suis par rapport à
eux, ils m’envahissent, ils se mettent à faire écran.
Où est alors ce qui est, ce qui devrait être, la condition
première, la condition sine qua non : le plaisir d’écrire.
Il a eu tendance à s’évanouir ces derniers jours,
ce qui n’a m’a pas empêché d’écrire
pourtant mais un peu comme l’alcoolique que l’addiction
pousse à se resservir alors même qu’il ne le veut
pas. Non, je n’en suis pas tout à fait là mais
enfin mon rapport à l’écriture en ce moment n’est
pas satisfaisant, pas harmonieux.
J’ai lu ça quelquepart l’autre
jour : « un des plus grand pièges, sinon le plus grand,
quand on tient un journal en ligne est la propension à penser
à tout ce qui arrive en se demandant si on doit écrire
à ce sujet et comment. »
Ce peut être vrai déjà pour un diariste classique
et j’avais ressenti cela autrefois (comme avec la photo : je
vois quoi, le paysage réel où ce que je suis en train
de tenter d’en cadrer dans ma petite boîte ?) mais il
est sûr que ça s’accentue beaucoup avec la mise
en ligne, en tout cas lorsque apparaissent des interactions avec la
vie réelle ou lorsque l’anonymat semble se fragiliser.
Donc je crois que je vais mettre mes mots à
distance pour un moment.
Enfin peut-être …
Tout aussi bien dès demain l’envie peut m’en revenir,
une anecdote, un évènement, une réflexion peut
s’imposer d’elle-même, donner envie et plaisir à
dire pour soi et pour les autres, on verra…
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27/11/04 : Gris :
Finalement je ne suis pas resté bien longtemps
absent. Revoilà des mots déjà !
Tout est plutôt gris en moi en ce moment,
très gris. Gris à l’image de ce temps de fin d’automne
qui pèse sur Paris. Mais c’était gris jeudi aussi
où il faisait un temps superbe, où j’ai marché
au bord de la Seine dans une belle lumière déclinante,
où j’ai vu un rouge et somptueux soleil, à peine
nimbé d’une légère brume, plonger derrière
les toits entre Orsay et Tour Eiffel. Gris quand même ! Je ne
me sens pas bien. Je ne sais pas où j’en suis, je flotte
dans l’indétermination, je ne sais pas quelle direction
prendre, je ne sais pas s’il y a une direction à prendre.
Je retiens un peu ma plume qui pourrait être
plus prolixe. Je ne sais plus le statut de mes mots. Exploration de
moi ? Souvenirs engrangés mais pour quoi en faire ? Velléités
de communication ? Mots écrans ? Mots substituts? Mots prétextes
à ne pas agir ? Je ne sais plus s’ils me font du bien
ou s’ils me font du mal.
Mais je n’agis pas plus pour autant quand
je les retiens. J’occupe du temps. Une expo, un film ces derniers
jours. Pas de mauvais moments en soi mais rien de fort. J’étais
là, au spectacle, c’est tout. Je les ai vécus
comme un divertissement, presque au sens de Pascal, rien de plus.
Et je zappe beaucoup dans les mots des autres. Des anciens bien connus
et des nouveaux que je découvre. C’est facile ça
de se laisser aller à suivre les mots, facile et passif, presque
autant que de se coller devant la télé et d’absorber
les images qui passent, plus facile même qu’écrire
et plus facile que parler et plus facile qu’agir. Des mots qui
me sont proches parfois et en même temps très lointains.
Des mots en tout cas pas une parole...
Il n’y a guère que ce qui se passe
en Ukraine qui m’émeuve vraiment. J’aime bien cette
révolution, puissante et calme, sans grands mots et sans violence.
Je sais que ce n’est pas forcément simple, il n’y
a pas d’un côté les bons démocrates pro-européens,
de l’autre les méchants autoritaires pro-russes, il y
a aussi une vraie fracture culturelle entre les deux parties du pays.
Mais ce mouvement va dans le bon sens, j’admire et me sens vibrer
à l’unisson, non sans une pointe de regret à sentir
l’impossibilité pour moi de me trouver à nouveau
porté par un grand mouvement collectif.
Ces mots écrits finalement m’ont faits
du bien. Je suis dans mes mots. Ils me disent bien. Ce n’est
pas toujours le cas. Parfois on écrit des pages et des pages
et on a l’impression d’être à côté
de la plaque, d’être trahi par les mots, pas ici, dans
ces quelques lignes il y a bien ma couleur du moment et me relisant
j’en suis content, un peu apaisé, un peu rasséréné.
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29/11/04 : Anniversaires
à rallonge :
Hier il y avait « anniversaires » chez
une de mes belle-sœur. On a l’habitude dans cette famille
de fêter ensemble toutes celles et tous ceux qui ont pris un
an ou s’apprêtent à le prendre entre mi octobre
et mi décembre. On est plusieurs dans ce cas, de plusieurs
générations différentes. Pour chacun il y a le
gâteau avec les bougies à souffler, les éclairs
de flash de photos désespérément répétitives,
les cadeaux à déballer, les remerciements et l’enthousiasme
de commande à manifester. Je supporte de moins en moins. Et
rétrospectivement je me dis qu’une part de mon malaise
de ces derniers jours tenait à l’attente de cette festivité.
Ou plus exactement à mon sentiment de ne pas avoir envie d’y
participer sans oser le dire, à mon incapacité à
faire le choix clair de suivre mon ressenti, à oser être
authentique avec moi-même et vis à vis des autres.
Sans doute le malaise tient-il aussi à l’angoisse
face aux années qui passent, au vieillissement que je sens
venir. Toutes sortes de petites marques, sensibles depuis longtemps
sans doute se mettent à faire signe ensemble, commencent à
dessiner un autre corps, marquant un passage que je ne peux refuser:
ces petites rides qui marquent le coin de mes yeux, ma chevelure moins
épaisse, ma marche moins rapide, mes articulations moins souples…
A cela je ne pourrais rien, il serait temps que j’arrive à
l’accepter en profondeur. Mais mon malaise au-delà de
ça vient du côté rituel de ces anniversaires familiaux
et cela par contre je serais en droit si je le voulais de ne pas le
subir.
Je n’ai pas de mauvaises relations avec la
famille de ma femme. Il y a, comme c’est normal, des personnes
avec lesquelles je suis plus spontanément en sympathie qu’avec
d’autres mais chaque fois que j’ai eu l’occasion
d’en rencontrer dans des réunions plus restreintes, au
cours de sorties communes ou même à l’occasion
de semaines de vacances passés ensemble, il y a eu des échanges
véritables. Pas là. Je suis sûr que je ne suis
pas le seul à vivre ce genre de rencontre artificielle comme
un pensum mais personne ne le dit, par peur de déplaire à
ceux qui y sont attachés et par conformité à
l’habitude.
Il y a un certain malaise à gérer
les cadeaux aussi. Inévitablement la moitié de ce que
je reçois, sans me déplaire, ne me fait pas vraiment
plaisir. Faudrait-il que je passe à la wish-list ? Peut-être.
Jusque là j’ai tendance à m’y refuser parce
que j’ai l’impression dans ce cas de solliciter alors
même que j’affirme ne pas souhaiter trop de cadeaux. Mais
ma position est ambiguë. J’aime aussi avoir des cadeaux.
Mais des cadeaux spontanés, pas liés forcément
à une échéance particulière. Certains
présents, pas du tout attendus, ne correspondant pas à
priori à mes goûts ou à mes intérêts
m’ont fait un immense plaisir. Parce que le don était
l’expression d’un sentiment vivant. Présent et
pas cadeau, ce n’est pas un hasard si ce mot m’est spontanément
venu, présent, présence, attestation d’une vraie
pensée pour l’autre dans le moment où se pense
le don : C’est « j’ai vu ça, ce bouquin,
cette musique, cet objet, j’ai pensé à toi, je
me suis dit que ça c’était pour toi » très
différent du « ah, c’est l’anniversaire de
Machin, qu’est-ce que je vais pouvoir trouver à lui offrir
?».
Le moment chez ma belle-sœur n’a pas
été mauvais, c’était un moment un peu plat,
un peu creux, un peu vide, je suivais le mouvement, j’étais
là comme j’aurais pu être ailleurs, par pusillanimité
une fois de plus, je n’étais pas à moi-même
autant que j’aurais pu l’être, que j’aurais
voulu l’être et c’était cela, cette faiblesse
du moi, plus que tout autre chose, qui pesait sur mon moral.
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30/11/04 : Transparent ?
Est-ce un rêve qui a un sens un peu trop lumineux
pour être honnête ? Je ne sais pas. Je ne me suis pas
réveillé en plein dedans comme d’habitude, il
m’est revenu un peu après, par quelques images pas très
nettes, au milieu de tas d’idées pas très gaies
que je tournais dans ma tête avant de me lever. J’ai dû
me concentrer pour essayer de le rattraper, qu’y ai-je donc
mis de construction à posteriori ?
Je suis en autobus, je vas au Musée du Louvre,
je suis seul je crois, me voici devant l’entrée, seul
toujours, mais avec le sentiment que Constance et moi pourtant ce
soir là sortions ensemble : avons-nous manqué notre
rendez-vous ? nous sommes nous perdus en chemin ? Je déambule
dans les salles du musée. Et tout à coup je l’aperçois.
Elle est assise dans un coin et elle pleure bruyamment, deux personnes
compatissantes sont penchées au-dessus d’elles, l’écoutent
et tentent de la rasséréner. (Et ça c’est
l’image incontestable, forte au milieu du rêve, celle
à partir de laquelle s’est faite la reconstitution).
J’entends sa voix, à travers ses sanglots : « il
marche toujours un km devant moi, il ne m’attend pas, il ne
regarde pas où je suis… » Je suis mortifié
peut-être parce que je ressens ce qu’a de juste sa critique
mais agacé et furieux qu’elle se donne ainsi en spectacle.
Je fais celui qui ne la connaît pas, je traverse la salle le
plus vite que je peux en tentant de me cacher à son regard.
Elle ne me voit pas en effet, elle est trop absorbée. Je m’éloigne
soulagé, dans la salle suivante je ralentis mon pas, va-t-elle
me rejoindre ensuite, elle n’arrive pas mais là-dessus
le rêve se perd. Et je ne parviens pas à savoir si dans
le rêve j’espérais que finalement elle allait me
rejoindre ou si dominait la satisfaction qu’elle ne le fasse
pas…