17/02/03
: Retour :(20)
Nous voici rentrés
à Paris. Comme chaque fois je me sens vaguement déprimé à
retrouver la ville, notre appartement enserré d'immeubles, la perspective
de très vite reprendre le collier. Mais aussi, comme chaque fois, je suis
satisfait de retrouver mon petit monde familier, les journaux qui m'attendent,
mon ordinateur et cette fois bien sûr, impatient d'aller jeter un coup d'il
sur la Cev.
Oui, j'y suis, je suis bien enregistré désormais.
Je
regarde mon courrier Valclair. Aucun mail. A vrai dire le contraire aurait été
étonnant. Mais je me rends compte, par cette seule démarche, par
la vague attente que j'avais, que, même si je dis que je continue exactement
comme avant sans me préoccuper d'éventuels lecteurs, le simple fait
de me mettre en ligne induit l'attente de retours et d'interactions.
Je
vais faire un tour chez quelques uns des diaristes que je suis. Je les retrouve
avec plaisir mais encore une fois je ne maîtrise pas très bien ma
navigation: je me laisse entraîner au fil des liens vers de nouveaux sites.
Plaisir de la découverte mais aussi frustrations: aperçus trop rapides,
portes que l'on entrouvre à peine, mais comment faire autrement.
Je
jette un coup d'il aussi sur le forum de la Cev. Beaucoup d'interventions
sans intérêt (pour moi) mais aussi quelques questionnements sur lesquels
il me semble que j'aurais eu des choses à dire. Mais si je me lance là-dedans,
moi qui ai tant de mal avec le temps, comment ne serais-je pas très vite
débordé. Je passe donc mon chemin en me demandant comment font ceux
qui manifestement suivent à la fois de près de nombreux journaux,
écrivent beaucoup dans le leur, interviennent dans les débats diaristiques
et sans doute ont des correspondances privées par mail.
Il
me faut maintenant transcrire les notes prises pendant le séjour, actualiser
le site, intégrer le logo de la Cev sur ma page. Tout cela déjà
c'est du boulot, c'est une activité indispensable mais parasite par rapport
au temps consacré à l'écriture elle-même. Et, j'insiste
beaucoup là-dessus, je ne veux pas que tout ceci devienne envahissant.
Précisément parce que j'ai le sentiment que je pourrai me laisser
assez facilement happer, à mon corps défendant, au détriment
du reste de ma vie
19/02/03
: "Plateforme" :(21)
J'ai
terminé pendant ces vacances le livre de Michel Houellebecq, " Plateforme
".
C'est un livre qui ne laisse pas indifférent.
L'homme Houellebecq est profondément antipathique par ses déclarations
provocatrices, son cynisme affiché mais il est sûr qu'assez souvent
il vise juste, il y a derrière son cynisme une assez effrayante lucidité.
Il m'évoquerait assez un Céline au petit pied.
Le
narrateur, porte parole de l'auteur, est veule, amer, désenchanté,
il n'est pas accessible à la passion (p 30), il lis car " vivre sans
lecture c'est dangereux, il faut se contenter de la vie, cela peut amener à
prendre des risques " (p 92), il est cultivé par défaut ("
la culture me paraissait une compensation nécessaire au malheur de nos
vies " p 310). Mais cette veulerie n'est que l'effet sur un caractère
simplement médiocre du fonctionnement de la société occidentale
moderne dans laquelle la consommation déshumanisée est devenue la
règle. Les êtres écartelés entre les interdits inculqués
en eux par deux millénaires de christianisme et les sollicitations qu'induit
la société érotico-publicitaire sont profondément
perturbés, incapables " d'innocence sensuelle " (p 200) et de
relations vraies.
Ce personnage totalement négatif
perçoit par éclair qu'autre chose est possible pour l'humanité
: " comment avaient-ils fait pour donner à leurs statues de bouddha
une expression de compréhension aussi lumineuse ? " (p 83) Et la jeune
femme qu'il rencontre lui apporte soudain, parce qu'elle garde au fond d'elle-même,
malgré ses problèmes, malgré le travail qui est le sien au
cur du système marchand, une spontanéité, une fraîcheur,
une innocence de corps et de cur qu'il ne croyait plus possible, le sentiment
d'un bonheur possible.
Je ne trouve rien de particulièrement
scandaleux à ce bouquin. Le livre ne me parait pas présenter une
apologie du cynisme désespéré du narrateur, de la marchandisation
de la sexualité, du développement à grande échelle
du tourisme sexuel auquel on assiste au cours du récit. Il est plutôt
la description poussée à l'extrémité de leur logique
des tendances qu'induisent notre société et nos renoncements.
D'ailleurs
la catastrophe finale montre bien que tout ceci n'est qu'une impasse. Et il y
a quelquechose d'effrayant dans le caractère prémonitoire de ce
livre quand on pense à l'attentat de Bali, survenu après sa parution.
Ce
qui crée le malaise plutôt pour moi (mais qui fait l'intérêt
du livre aussi) c'est de me reconnaître, par certaines réactions,
par certains traits, par certaines tares, sous des formes évidemment et
heureusement atténuées, dans le narrateur. C'est en ce sens que
je dis que ce bouquin touche juste.
J'ai repensé
aussi à l'occasion de cette lecture au débat à propos de
la prostitution entre prohibitionnistes/abolitionnistes et réglementaristes.
J'ai lu là-dessus un échange que j'ai trouvé très
intéressant dans Télérama entre Françoise Héritier
et Marcella Yacub. Je ne sais si c'est à priori une position d'homme mais
je me sens résolument réglementariste : la position abolitionniste
me parait parfaitement hypocrite et irréaliste : elle ne peut générer
me semble-t-il qu'un développement accru des mafias comme elle cela avait
été le cas avec l'alcool dans l'Amérique des années
30. Et même dans l'hypothèse où une politique abolitionniste
pourrait aboutir serait-ce pour autant souhaitable ? A moins de vouloir abolir
les relations marchandes dans tous les secteurs de la société. Ce
qui n'est pas, c'est le moins qu'on puisse dire, le chemin vers lequel s'engage
la société. Car sinon pour quelle raison faudrait-il mettre à
part la sexualité ? Ce qu'il faut c'est lutter contre l'esclavage que les
proxénètes font subir aux femmes qu'ils prennent sous leur coupe.
Quant au problème de la dominance masculine qu'exprime jusqu'ici la prostitution,
ce serait plus, comme le fait remarquer Marcella Yacub, par l'existence et la
banalisation de clientes pour ce genre de services que s'établira l'égalité
entre hommes et femmes. Serait-ce une bien triste et régressive égalité
? Ce n'est pas sûr. Le don gratuit, l'échange mutuel sont évidemment
toujours préférables mais enfin lorsque ceux-ci se révèlent
impossible pourquoi s'interdirait-on, sur ce seul terrain, un recours à
des services marchands dès lors qu'ils s'effectuent dans la transparence
et le respect mutuel.
Au-delà de ces considérations
théoriques il y a aussi évidemment mes propres difficultés
actuelles sur ce plan, les impasses de mon couple, le silence des corps et du
cur qui s'est insidieusement installé entre nous. Même s'y
je ressens le besoin de retrouver un épanouissement sensuel, je me sens
tout à fait incapable d'avoir recours à une intervention extérieure
et tarifée, j'ai l'impression que ce ne pourrait être que le fiasco
ou du moins un échange perçu comme forcément sordide, trop
de résistances en moi s'opposent à ce que je puisse vivre cela comme
je me dis que cela pourrait être, devrait être. Alors, dans les mots,
je me dis que je souhaiterais que cela soit simple même si tout en moi fait
que c'est infiniment compliqué.
21/02/03
: Redoux et mélancolie:(22)
Bonheur
tout simple de marcher dans le soleil et de pouvoir déboutonner son manteau
: le brusque redoux qui ne s'est pas accompagné comme souvent de l'arrivée
d'une perturbation l'a permis. Je n'ai pas travaillé cet après-midi,
je me suis promené, j'ai marché dans Paris puis au Parc du Luxembourg.
Je voulais voir l'expo Modigliani. La foule qui faisait la queue tassée
sur le trottoir de la rue de Vaugirard m'en a dissuadé. Voir une exposition
dans ces conditions me devient de plus en plus incompréhensible bien que
je l'ai eu fait bien des fois, maintenant tous ces gens qui attendent serrés
les uns contre les autres, progressant à tous petits pas, me paraissent
parfaitement incongrus. L'expo va se terminer dans quelques jours, je l'aurais
ratée, tant pis, quelle importance
Je préfère de loin
aller m'asseoir sur un banc du jardin, regarder le ciel, les gens qui passent,
jouir de ce temps presque printanier
Et j'ai
bien besoin de cela, de ce plaisir simple qui me réconcilie un peu avec
moi-même. Pour le reste ce n'est pas la gloire. Je me sens mal au bureau,
je ne parviens pas du tout à faire ce que j'avais programmé pour
cette semaine, je vois avec angoisse les tâches qui s'accumulent, je sens
que ferais tout à la dernière minute, mal et dans l'urgence. Je
vis bien plus mal que je ne l'imaginais d'avoir été écarté
du poste que je souhaitais pour l'an prochain : ce que je fais déjà
si laborieusement cette année je sais désormais que je devrais le
reprendre à peu près dans les mêmes termes demain. J'en suis
saturé d'avance. Et je crois aussi que je digère mal le déni
de confiance de mon supérieur hiérarchique qui a poussé une
autre que moi alors même qu'il m'avait laissé entendre tout le bien
qu'il pensait de moi. Tout ça casse sérieusement la motivation !
Et j'ai du mal à mettre tout ceci à distance, comme je devrais
C.
oscille sans cesse au bord de la dépression. Et comme moi-même je
ne suis pas en ce moment un foudre d'enthousiasme et de joie de vivre on comprend
que l'ambiance ne s'améliore pas. C'est elle au départ qui voulait
m'entraîner à cette expo Modigliani mais aujourd'hui finalement elle
ne s'en sentait pas l'énergie. Dirais-je que je me sentais presque soulagé
de partir me promener seul ?
Arrêtons là.
Je voulais partir dans l'évocation de mon petit bonheur de l'après-midi
et voilà que je bascule dans des jérémiades qui n'apporteront
rien !