19/04/03
: Encéphalogramme plat ?
Depuis
mon retour encéphalogramme plat avec Constance.
J'espérais
que cette semaine de séparation nous ferait du bien à l'un comme
à l'autre, j'espérais que nous aurions plaisir à nous retrouver.
Elle est toujours dans la fatigue, dans la dépression et le fait sentir
même si elle essaie aussi de faire bonne figure par rapport à nos
visiteurs. Je n'ai pas envie d'aller vers elle, elle n'a pas envie d'aller vers
moi. Lorsque je ne travaille pas pour le bureau, lorsque je ne montre pas Paris
à Ribère et Baladine, je me plonge dans mon ordinateur, mes textes,
mes diaristes.
C'était son anniversaire hier.
Je m'étais dit : surtout il ne faut pas que j'oublie, que je laisse passer
le jour. J'ai été acheter un gâteau puis un disque et un bouquin
à la Fnac. Je n'ai pas oublié mais j'avais seulement l'impression
de répondre à une obligation, d'accomplir un rite nécessaire.
J'ai du mal à écrire cela. Je m'effraie
de mes mots. Des mots qu'au demeurant je ne lui donne pas et que je balance sans
vergogne sur internet. Il me semble que les mots vont au-delà de mon ressenti
et de ma pensée, qu'ils accentuent, qu'ils déforment peut-être
et qu'ils figent. Les mots sont-ils des révélateurs ? Ou bien est-ce
qu'ils jouent leur propre partie ? Est-ce qu'ils construisent une image qui devient
partie prenante du réel, qui s'impose, qui se surajoute ?
Parce
que, tout de même, au moment où elle a soufflé les bougies,
où nous étions réunis autour de la table, Constance et moi,
Baladine et Ribère et nos deux gars, installés sur la terrasse,
dans cette belle ambiance printanière, dans l'odeur des jacinthes et des
lilas, c'était un bon moment, un de ces bons moments dont la vie est tissée
et que l'on aurait tort de ne pas apprécier. Aller acheter ce gâteau,
le partager, ce n'était pas seulement un rite, c'était aussi un
de ces petits actes qui rendent la vie avec les autres supportable, plus, appréciable.
Je me suis senti bien, tout simplement. Et bien aussi de cette présence
en face de moi de Constance qui souriait.
L'encéphalogramme
n'est pas tout à fait plat.
21/04/03
: Les heures de Pâques :
Hier,
dimanche de Pâques, nous avons raccompagné Baladine et Ribère
à leur train. Ils semblaient satisfaits de leur séjour. Pour moi,
il me semble qu'après les moments forts passés avec l'un et l'autre
pendant mon propre séjour, ici nous sommes restés plus lointains,
inscrits dans des rôles convenus : le couple de province qui visite Paris,
le couple parisien qui l'accueille. Baladine connaît déjà
bien Paris où elle a brièvement vécu en d'autres temps, où
elle vient souvent, quoique brièvement pour ses affaires ou pour voir sa
sur, jamais pour visiter, jamais " en vacances ". Ribère
lui a beaucoup moins l'habitude des villes et n'a presque jamais séjourné
à Paris. Ils ont aimé se promener dans les rues, monter au sommet
de la Tour Eiffel, faire une balade en bateau mouche mais en même temps
ils gardaient une certaine réserve, surtout Ribère. Les marches
dans les rues, au milieu de la foule et des véhicules, les épuisaient
bien plus vite que nous.
J'ai été surpris
qu'ils ne rentrent pas dans les enthousiasmes que nous voulions leur faire partager.
Par exemple nous les avons emmené à la Grande Galerie de l'Evolution,
je pensais que c'était le type de visite qui les passionnerait. Cela leur
a plu m'ont-ils dit mais ils se sont sentis vite oppressés. Ils sont passés
au milieu des animaux empaillés et entre les vitrines sans avoir tellement
envie de s'arrêter comme nous le faisons nous, en cherchant à lire,
à comprendre. Ils traversaient, ça leur suffisait bien. Comme s'il
y avait pour eux quelquechose de foncièrement morbide dans ce lieu fermé,
dans cette nature hors nature, dans ces animaux sortis du cycle de la vie. Sans
le partager j'ai compris ce qu'ils pouvaient ressentir.
Après
leur départ nous avons été chez la mère de Constance
pour fêter en famille le jour de Pâques.
A
priori je n'aime pas trop ces grands rassemblements familiaux avec les frères
et surs de Constance, les nombreux cousins. Je suis mal à l'aise
avec le contexte religieux qui est censé le sous-tendre qui n'a pas de
signification pour moi et qui n'est guère présent sauf pour la mère
de Constance, Je me dis qu'on perd en général beaucoup de temps
en relations sociales superficielles auxquelles on participe par obligation ou
par habitude, par ennui ou par peur d'être seul. Je préfère
infiniment voir les uns ou les autres séparément, dans des conditions
où peuvent avoir lieu de vrais échanges.
Mais
il ne faudrait pas tomber non plus dans une sorte d'intégrisme de la relation
profonde et du moment riche au point de mépriser et de refuser ces occasions
simples de convivialité même si ne sont pas celles qui me conviennent
le mieux. Car après tout le moment n'était pas désagréable
et nous avons fait plaisir à la mère de Constance. Cela seul le
justifie.
Ce soir j'ai été au
cinéma avec Constance, nous avons été voir " The hours
". Je ne savais pas que ce film était si dur même si je savais
de quoi il parlait. L'aurais-je su, je n'aurais pas proposé à Constance
d'aller le voir, elle qui a si souvent des tendances dépressives et peut-être
aurais-je eu tort.
La dépression, la névrose,
le suicide sont sans cesse présents, donnant au film un caractère
presque continûment oppressant. J'ai été frappé par
le silence qui a suivi la fin de la projection. Habituellement les gans parlent,
s'agitent, commencent à se lever et à partir pendant le générique
de fin, là la salle n'a pas bronché avant que la lumière
ne se rallume, les gens se sont alors levés lentement comme s'ils avaient
été assommés.
J'ai vu sur l'écran
des regards que j'ai pu voir parfois dans les yeux de Constance, j'ai entendu
des mots qu'elle a parfois prononcés. Je me suis demandé alors quelles
identifications, quelles projections elle était peut-être en train
de faire, je me suis demandé si elle souffrait de ces images pas si loin
d'elle-même, violemment projetées sur l'écran.
En
sortant elle était secouée mais moins tout de même que je
n'aurais craint. Peut-être que toute la beauté qui entoure le film,
qui en est consubstantiel, beauté des images, beauté des êtres,
est ce qui le rend tolérable. Et qui rend acceptable aussi ce que le film
dit de terrible de la condition humaine. Passé le choc, ce film après
tout peut-être fera du bien à Constance et à quiconque le
voit.
La force du film vient de la maîtrise
de sa mise en scène, de la précision de sa construction et surtout
de la présence extraordinaire des actrices. Au début je trouvais
que tous ces jeux de correspondances entre les évènements et les
personnages à travers les époques étaient un peu sophistiqués,
un peu artificiels. Si on oublie assez vite cette sophistication et que finalement
on sa laisse porter, emporter c'est aux actrices qu'on le doit. Elles sont magnifiques
d'intrinsèque beauté, chacune dans avec son style différent,
mais magnifiques aussi par la qualité de leur jeu. Les rôles n'étaient
pas faciles. Ces personnages " border-line " auraient facilement pu
basculer dans le pathos et le ridicule avec un jeu un peu outré ou trop
uniforme comme on le voit souvent. Rien de tel ici. Par exemple chez Nicole Kidman
qui est vraiment particulièrement remarquable et qui n'a pas volé
son Oscar, on passe sans rupture, avec un parfait naturel, d'attitudes aux limites
de l'hystérie à de beaux et poignants regards voilés d'absence
Dans
les toutes dernières minutes, tout au fond du deuil, s'esquissent des sourires
émus, des gestes de tendresse. La vie continue. Les heures valent d'être
vécues.
24/04/03
: " L'amour, roman " :
J'ai
vraiment bien aimé ce livre et je profite de cet après-midi où
j'ai pu quitter le boulot un peu tôt pour revenir à lui et noter
les passages ou les phrases qui m'ont le plus marqués et pour pouvoir plus
tard les retrouver.
Mais j'ai du mal à écrire,
à me concentrer : on va et on vient autour de moi, les garçons,
Constance qui devait sortir mais ne se décide pas à partir, qui
descend, remonte, farfouille parce qu'elle a oublié quelquechose. Je travaille
sur " des textes ". Chacun connaît à la maison mes lubies
écrivassières mais je suis mal à l'aise parce que ce que
j'écris c'est justement ce journal intime, ces pages pour mon site censé
resté secret. Alors j'écris trois lignes, je bascule sur autre chose
si l'on vient, j'y retourne
Ça ne va pas du tout. Je perds mon temps
et je me sens mal parce que je suis dans le non-dit, que j'en ai une vague culpabilité
et que je trouve cela ridicule de me sentir à mon âge comme un petit
garçon pris en faute lorsque mon fiston vient jeter un coup d'il
par-dessus mon épaule. Ce serait un luxe, d'avoir une chambre à
soi. J'y pense de plus en plus souvent. Un lieu très proche mais vraiment
séparé de l'appartement familial où je pourrais me retirer
quand j'en ai envie, j'aimerais cela. Le coût me dissuade et je ne réfléchis
pas plus avant mais l'envie est bien là
Mais
revenons à Camille Laurens.
J'aime bien d'abord
son mode d'écriture qui me correspond assez bien qui mêle et tisse
ensemble récits d'événements, réflexions personnelles,
références littéraires : c'est assez proche au fond de ce
qu'on peut trouver dans certains journaux d'écrivains, même si ici
il y a une progression très construite et un thème structurant,
l'amour et ses variations.
J'aime la façon
dont le temps de l'écrivain, née en 1957, est inséré
dans le temps historique, avec les références au Grand Siècle
et à la Rochefoucault, avec les récits concernant les femmes qui
l'ont précédée, son arrière grand'mère Sophie,
née en 1889, sa grand'mère Marcelle née en 1909, sa mère
Simone, née en 1935. Ainsi s'affirment des permanences mais s'expriment
aussi des différences. Les vies passées sont des documents, de minuscules
documents pris isolément mais qui constituent la trame d'une certaine Histoire,
celles des murs et des mentalités.
Evidemment
ce bouquin pose aussi de façon cruciale la question du public et du privé,
jusqu'où a-t-on le droit, pour ses besoins propres et pour les besoins
de son uvre de donner en pâture au public l'intimité de ce
qui n'est pas soi ? En plein conflit conjugal son mari a porté l'affaire
devant les tribunaux, il a été débouté, j'aime autant
pour mon plaisir de lecteur mais en même temps je comprends très
bien qu'il ait pu se sentir choqué. Moi, qui déjà me sens
gêné de mettre Constance en ligne pour de rares lecteurs ! Mais je
pense aussi à la petite fille : N'est-ce pas rajouter au trouble que provoquera
inévitablement en elle la séparation difficile de ses parents que
de mettre tout cela dans un livre ?
Voici quelques
citations parmi d'autres :
L'amour révèle, l'amour permet de
se trouver : une alchimie entre " ses mots, vos corps et ton nom " "
en te faisant l'amour il venait de te rendre ton identité, avec toute la
bizarrerie de ce mot qui veut dire à la fois ce qui est semblable, ce qui
est unique " (p 84) ; " j'ai pensé qu'on pouvait le dire comme
cela : dans son lit je me retrouve
"
" En frayant avec J.,
tu te frayais un chemin, vers ou, vers quoi, c'était vague, était-il
l'outil ou la destination, la route ou l'horizon, ami, ennemi, obstacle ou clairière
tu ne savais pas au juste et parfois cela te faisait peur, il y avait de la frayeur
aussi, de l'effroi, mais tu en étais sûre, tu frayais ta voie, frayée
comme un chemin qu'on ouvre, tu ouvrais une route en toi, comme on abat des arbres.
" (p 133-134) ;
L'amour qui passe du lit conjugal aux lits jumeaux : "
comme si le désir amoureux était voué de toute éternité
à cette mutation lente et irréversible qui transforme l'amour en
compagnonnage quand ce n'est pas en voisinage et à l'issue de laquelle,
si tout va bien, les époux se métamorphosent, comme leurs lits,
en jumeaux restés proches " (p 110) ;
Se crée chez les vieux
couples une espèce de " consanguinité acquise par le mariage
" :" Nous restions corps distant et âme sur, âme secrète
et corps fraternel
Il était devenu un familier, un intime, nous avions
les mêmes souvenirs et pas d'avenir " (p 135) ;
L'amour et l'amour
propre pour la Rochefaucault (p 144-146) (p 250-255)
" Ainsi était
ma mère proche et lointaine, attentive à l'ailleurs, obscure clarté.
Ni de face, ni de dos, j'ai eu une mère de profil " (p 164) "
" L'amour ça ne rime pas avec toujours. Ça rime avec encore
" (p 154 "
" Je viens d'une lignée de femmes à
la fenêtre, toujours occupées à attendre l'amour
Aimer
vraiment une femme peut-être est-ce seulement l'accompagner dans son attente
" (p 218) Chez les hommes l'équivalent c'est le rêve de la femme
d'à côté, la femme d'en face, celle qu'on n'aura pas.
"
Il n'y a pas d'amour, il y a des moments d'amour " (p 246). Mais le temps
c'est de l'amour, les mots d'amour, eux, se conservent (p 260).
Evidemment
les mots que j'ai notés ne sont pas forcément les plus forts ou
les plus beaux. Ce sont ceux qui m'ont le plus parlé, qui ont fait écho,
ceux qui parlent du couple qui s'épuise et d'un amour neuf, de l'émotion
qui peut revenir, d'un rapport aisé au corps et à la sexualité
: " je vis, c'est tout, on est vivants " (p 117) lance-t-elle à
son mari au cours d'une dispute à propos d'une infidélité.
Tout
est là peut-être, ce qui me fascine chez cette femme, c'est cette
vie qui est en elle, cette faculté d'accueillir ses émotions, sa
liberté de corps et de cur. Elle me fait rêver aussi parce
qu'elle est une image de ce que je ne suis pas. Ce qui ne veut pas dire que sa
part est forcément la meilleure mais je ne peux m'empêcher d'avoir
devant cette facilité d'être dans son corps un petit peu d'envie.
J'ai
lu aussi ces derniers jours un petit bouquin plutôt médiocre "
C'est une maison bleue " qui raconte le retour à la maison où
elle a vécu jadis enfant et adolescente dans un milieu hippie de Maya parisienne
de quarante ans en train de séparer de son mari : redécouverte du
passé et de lourds secrets de famille se succèdent tandis qu'elle
vit un nouvel amour avec un ami d'enfance retrouvé : c'est plein de poncifs,
l'écriture se veut assez littéraire mais n'évite pas formules
banales et clichés et puis le dénouement est assez tiré par
les cheveux. Mais j'ai eu envie d'en parler parce que quelques pages sonnent juste
et m'ont touchées. Maya en retrouvant l'amour rajeunit et retrouve sensations,
gestes et émotions de son adolescence :
"
Elle a changé. Non pas à cause des nouveaux reflets blonds de ses
cheveux ni de sa peau bronzée. Non c'est d'être caressée,
empoignée, aimée qui redonne à Maya cet éclat perdu
(p.183)"
Et retrouvant le lit conjugal désormais déserté
elle dit, après cette redécouverte de l'amour et alors qu'elle retrouve
la mémoire du corps de son mari sous la couette. " Pourquoi ai-je
accepté si vite qu'il ne me touche plus ? Pourquoi ai-je moi-même
renoncé à insuffler une nouvelle vie à son désir éteint
? C'est cela le plus effrayant : nous n'avons rien tenté pendant ces trois
ans pour nous restituer l'un à l'autre. " (p 189)
C'est
encore le même sujet n'est-ce pas ? Quand je parle de mes lectures je parle
de moi.
30/04/03
: Insomnie coriace :
Je me
suis réveillé sur le coup de deux heures alors que je m'étais
endormi après minuit et je sens qu'une coriace insomnie est en train de
s'installer : parce que j'ai une journée chargée et difficile au
bureau demain avec plusieurs réunions importantes, parce que j'ai l'angoisse
de ne pas me réveiller correctement si je me rendors d'un sommeil lourd,
comme c'est souvent le cas, aux petites heures du matin, peu de temps avant que
mon réveil ne sonne... Ainsi l'insomnie se nourrit de la peur de l'insomnie,
du " comment je vais faire demain, je n'aurais pas les yeux en face des trous,
je vais tout rater de ce que j'ai à faire
"
Réaction
débile ! L'expérience me prouve que je ne suis pas systématiquement
moins performant après une nuit très réduite. Et même,
le serais-je, ce n'est pas si grave : la terre n'en tournera pas différemment,
je ne perdrais pas le contrat du siècle, ma " carrière "
n'en sera pas affectée
On attribue parfois une importance démesurée
à ce que l'on fait. Ou plutôt on invente cette importance objective
pour se cacher des enjeux qui sont d'une autre nature : la bonne image de soi
que l'on veut donner, l'envie d'être apprécié et reconnu.
Toutes choses qui ne valent pas de se mettre martel en tête !