LES ÉCHOS DE VALCLAIR

 

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MOIS de JUILLET 2003 (1°quinzaine)

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01/07/03 : Paris quand même !

Ah, Paris, quand même !

Encore un déjeuner convivial de fin d'année ce midi. Nous étions dans un petit restau sympa du quartier Beaubourg. J'avais prévu de ne pas retourner au bureau après, j'ai donc pu flâner tout à loisir en sortant de nos agapes.

Le temps a changé et c'est un bonheur. Après toute cette chaleur, un peu de vent, de la pluie par intermittences, des nuages mouvants et de belles éclaircies cela faisait sacrément du bien.

Je suis resté un long moment sur l'esplanade devant Saint Eustache, profitant des lumières changeantes, m'abritant sous les arbres lors de brutales averses. Cela faisait assez longtemps que je n'étais pas venu dans ce secteur, cela devient un vrai jardin, avec de belles pelouses, des arbres qui ont bien poussés, des perspectives parfois surprenantes sur l'église, sur les vieilles maisons contrastant avec l'architecture moderne, sur les " tuyauteries " au loin du centre Pompidou. Finalement dans cet endroit si décrié en son temps s'est opérée une vraie alchimie entre jardins et bâtiments de styles si différents.

J'ai passé la Seine sur le Pont Neuf. Ciel superbe de contrastes. Tout noir, menaçant, à l'est, vers Notre-Dame, une belle déchirure au contraire vers l'Ouest, la statue d'Henri 4 éclatante de soleil et la pointe du Vert-Galant, lumineuse entre les deux bras du fleuve.

Et puis il y a les gens qui passent, toute cette humanité si diverse, ces visages que l'on croise le temps d'un instant, ces bribes de mots que l'on accroche au passage, toutes sortes d'histoires que l'on se plairait à imaginer.

Et puis il y a les femmes qui sont si souvent belles dans les habits légers de l'été, les jambes qui se montrent, les bras nus, les nombrils des demoiselles…

Souvent j'étouffe à Paris. J'ai envie de fuir. C'est vrai. Mais Paris, c'est cela aussi, ces bonheurs qu'il faut savoir prendre au vol.

Eva qui y revient a écrit une belle page là-dessus et je pensais justement à son texte pendant ma déambulation.

Le bus pour rentrer était bondé. Ça c'est autre chose. C'est l'autre versant de la vie parisienne. On était inhumainement serré, on était mal, on étouffait. Rien de tel pour casser la magie des moments qui avaient précédé. Et pourtant, même là, j'ai eu un petit moment de rêve. Il y avait assez loin de moi une fille vraiment superbe. Elle était presque entièrement masquée par les autres voyageurs et je ne voyais pas son interlocuteur avec qui elle semblait avoir une conversation tendre. Mais son visage à elle, strictement encadré par d'autres têtes, se détachait entre celles-ci, comme isolé du magma environnant, son profil, son sourire, les mouvements de sa bouche presque contre l'oreille de son compagnon sont restés ainsi un long moment juste dans l'axe de mon regard et c'était comme un rayon de lumière.

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03/07/03 : Se rencontrer ?

Évidemment dans mes promenades diaristiques de ces derniers jours je n'ai pu manquer de tomber sur des comptes-rendus divers du pique-nique de la Règle du Je.

Une bonne petite troupe de diaristes s'est retrouvée samedi dernier au Parc Montsouris pour se découvrir au-delà des mots, échanger et rigoler. Partant de l'un d'entre eux qui donnait les participants j'ai été voir ce qu'en disaient les autres, cela m'a permis de découvrir certains journaux que je n'avais encore jamais rencontrés, je me sens plus ou moins en empathie avec les uns ou les autres mais tous sont intéressants à un titre ou un autre.

Le monde est petit finalement. Le Parc Montsouris, c'est à deux pas de chez moi. C'est un endroit que je connais très bien et que j'ai beaucoup fréquenté surtout il y a quelques années quand les enfants étaient plus petits. Je me souviens de la promenade que j'y ai fait avec mon grand-père déjà très malade, la dernière fois qu'il était venu à Paris, nous avions fait lentement le tour du lac, je me souviens de la façon dont il jouissait de ce paysage tout simple que trop souvent on ne voit pas, les beaux arbres frémissants, les pelouses en pente douce, le miroir du lac troublé par l'agitation incessante des canards, conscient sans doute qu'il n'avait plus beaucoup de temps à vivre…

J'aurais pu passer là au même moment que les diaristes. Nous aurions pu nous croiser. Aurais-je deviné qui ils étaient à les voir, aurais-je attrapé au passage une bribe de leur dialogue ? Cela me fait drôle de penser qu'ils étaient tous là, si proches, en chair et en os, dans leurs paroles vives et dans les mouvements de leurs corps, déployés dans toutes leurs dimensions, au-delà de cette petite part d'eux-mêmes, assez abstraite finalement, que sont les mots qu'ils veulent bien nous donner…

Aurais-je eu envie de me joindre à eux ? D'un côté cela m'aurait fait envie. Qui sont-ils vraiment ? Qui sommes nous vraiment ? La curiosité m'aurait poussé. J'aurais eu peur aussi. Peur du décalage, peur de me sentir d'une toute autre planète malgré ce goût partagé d'écrire. Je sens qu'ils forment une sorte de petit clan par les habitudes d'échanges qu'ils ont entre eux sur les forums de la Règle du Je, par l'approche plutôt ludique qu'ils semblent avoir du diarisme, par le côté un peu potache de l'humour de certains d'entre eux, par leurs âges aussi peut-être, dans ou autour de la tranche des 25-30 ans.
Peut-être aurais-je aimé les suivre de loin, les observer, les écouter, être l'homme invisible au milieu d'eux ou la petite souris aux oreilles pointées, cachée dans l'herbe. Toujours mes vieilles tendances de voyeur !

Mais il me semble aussi que me retrouver trop brutalement au milieu de diaristes ce serait risquer de casser l'image que progressivement je suis en train de construire, une image qui est aussi ce que je choisis moi-même de mettre en eux. La réalité et l'idée que l'on se fait, voilà sûrement une source de déception dans une rencontre de diaristes, la personne réelle ne correspondant pas à celle que l'on s'est forgée. J'aime aussi qu'il reste une part de mystère, j'aime qu'elle se comble peu à peu comme dans un puzzle dont on rajoute les pièces au fur et à mesure, c'est un des charmes de la lecture des diaristes que cette découverte progressive que l'on fait d'eux.

J'imagine que j'aimerais sans doute rencontrer des diaristes mais plus tard après une longue approche. Et je crois que j'aimerais des rencontres de tête à tête, la première fois en tout cas, pour s'apprivoiser, se jauger, s'apprécier, avant de passer éventuellement à des rencontres de groupe forcément perturbées par des interactions multiples (perturbées mais pas en un sens péjoratif, je devrais dire plutôt complexifiées).

J'ai une autre objection, concernant plus directement l'écriture. Dés qu'on est lu, dès que s'instaure un minimum de relation avec des lecteurs même de loin il me semble que l'écriture en est affectée. Comment ne le serait-elle pas de façon bien plus importante par une telle rencontre ? Puisque évidemment ces diaristes rencontrés se liront, comment faire alors pour ne pas en tenir compte, pour rester dans la vérité des sentiments et du ressenti ? Comment ne pas se censurer, comment ne pas chercher à éviter telle phrase par peur de blesser, à produire telle autre par volonté de séduire ? Comment faire pour que l'écriture ne devienne pas avant tout une communication, le produit peut-être d'une stratégie ?

On pourrait se dire qu'après tout c'est légitime, que peut-être c'est le but, écrire comme moyen de se constituer un groupe d'affinités, de faire des rencontres et pourquoi pas une rencontre décisive. Mais alors c'est un autre projet.

S'agit-il d'écrire d'abord en direction des autres ou bien d'écrire pour soi et donner à lire de surcroît ?

Mais cette opposition trop tranchée n'a peut-être pas de sens. Peut-être l'écriture du diariste en ligne est-elle justement le produit de cette contradiction permanente, peut-être sa spécificité est-elle justement de rester autant que faire se peut en équilibre entre ces deux pôles contradictoires. Les deux aspects sont présents chez la plupart des diaristes, simplement le point d'équilibre n'est pas au même endroit chez chacun, certains privilégiant plutôt la communication, d'autres plutôt l'expression intime pour soi.

J'avais presque terminé cette entrée hier soir. J'ai réalisé vers onze heure et demie que j'avais un travail à préparer pour une réunion au bureau aujourd'hui. J'avais tout simplement oublié ce travail ! Ça m'inquiète un peu. Je me demande si je ne me laisse pas trop envahir par ce diarisme, je me fais penser à ces ados capables de s'enfermer dans des jeux vidéos ou dans des jeux de rôles au point d'en oublier le monde réel.

Et puis je ne suis pas vraiment satisfait de ce que j'ai écrit. Et je ne me suis pas fait plaisir en l'écrivant. C'est venu trop laborieusement. Tout le contraire de mes deux entrées précédentes qui ont coulé de source, sans hésitation ni repentir, sans doute parce qu'elles étaient plus descriptives et factuelles. Ici au contraire je n'ai pas cessé de reprendre, corriger, déplacer. Parce que mon premier jet me semblait trahir ma pensée, parce qu'en fait celle-ci n'était pas claire, parce que je tentais de l'élaborer en écrivant sans avoir le sentiment d'y parvenir. Work in progress !

J'en reste là pour le moment.

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05/07/03 : Entrée différée :

Ce matin j'ai écrit une entrée que j'avais dans la tête depuis une dizaine de jours. Je l'avais pensée, des mots m'en étaient venus mais j'étais trop occupé puis j'avais eu d'autres choses à dire, plus dans l'actualité immédiate, j'avais remis de jour en jour...

J'ai voulu l'écrire avant qu'elle ne se perde.

J'ai failli le faire comme s'il s'agissait d'un vécu d'aujourd'hui mais cette entorse quoique insignifiante à la vérité " historique " m'agaçait. J'ai pensé alors l'écrire comme un proche souvenir mais ça ne me convenait pas non plus. Finalement, même si la rédaction finale date d'aujourd'hui, je l'ai réintégrée dans le cours des jours, au moment où je l'avais pensée et la voici.

Ce retard, cette entrée en souffrance, ce fait de devoir rattraper le temps m'éclaire moi-même sur la façon dont le diarisme pénètre de plus en plus et un peu trop tous les aspects de ma vie. Chaque pensée un peu élaborée qui me traverse, chaque moment vécu sortant un tout petit peu du quotidien m'apparaît d'emblée comme de la " chair à texte ", immédiatement des mots me viennent par lesquels je voudrais en rendre compte, ceux-ci tendent à se surajouter au vécu du moment lui-même, à le colorer d'images, de souvenirs, d'idées, d'associations, qui sont une richesse sans doute mais qui sont aussi un écran pour la perception brute, immédiate.

Cela me fait tout à fait penser à la façon dont en voyage parfois on peut cesser de voir les paysages en direct, on ne les voit plus que par le canal de son objectif, que par les cadrages que l'on va en faire.

Je commence à vivre à travers le prisme de ce que j'en pourrais peut-être dire dans le journal et cela ne me plait pas du tout. C'est un danger que j'ai perçu d'emblée, je me souviens que je luttais déjà contre cette tendance dans mon journal papier, le passage en ligne n'a fait qu'exacerber cette tendance à vouloir, à défaut d'exhaustivité, au moins ne rien laisser passer de ce qui est jugé mémorable. Or l'habitude même du journal, le pli pris à l'écrire, conduit à percevoir de plus en plus de choses comme mémorables.

Il faut s'obliger parfois au silence, renoncer à l'entrée qui nous titille pour éviter le cercle vicieux d'un envahissement de plus en plus grand de toute la vie par le journal qui deviendrait alors non seulement part constitutive de la vie mais quasiment substitution à elle.

J'avais dans la tête quelques formules à propos de films vus ces dernières semaines, j'ai par exemple des envies rentrées de chroniques sur " Dogville " et sur " Va et Vient ". Mais je laisse aller, j'en reste à mes impressions premières mitigées de ces films, je ne cherche pas à les mettre en mots, je ne cherche pas à approfondir ces impressions, à les enrichir, à les fonder sur une réflexion. Je sais que du même coup je renonce à tenter de les retenir. L'impression ressentie persistera tant qu'elle le pourra puis elle s'effritera avec le temps, je la laisse s'éteindre. Tant pis…

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06/07/03 : L'art de rater mes dimanches :

C'est une de mes spécialités et franchement ça m'insupporte…

Je pense à la chanson de Gréco: " Je hais les dimanches ". mais justement je ne les hais pas, je les aime, je les attends avec impatience. Et je les vis d'autant plus mal, lorsque en raison de circonstances extérieures mais surtout de comportements imbéciles de ma part je n'en fais rien de positif.

Une petite contrariété et hop, c'est parti, plutôt que de passer à autre chose je m'enferre, je m'installe dans un comportement d'échec. En l'occurrence ce matin un logiciel qui plante sur un travail que je faisais pour le bureau, (et peut-être a-t-il planté parce que j'ai fait un peu n'importe quoi, j'ai voulu aller trop vite, agacé de devoir travailler à la maison pour le bureau) des données perdues, ma volonté de tout reprendre tout en m'énervant de plus en plus et donc en parvenant de moins en moins à aboutir, l'heure qui tourne, les autres projets, plus agréables ceux-là, du week-end que je compromets par mon acharnement imbécile et contre-productif, mon énervement palpable que Constance ne supporte pas, la tension qui monte entre nous, la dispute qui menace…

Nous avons raté la séance de ciné à laquelle nous avions prévu d'aller. La seule issue qui m'est restée a été d'aller me défouler par une longue marche tout seul dans le quartier. Pas fier de moi ! M'en voulant de m'être laissé enfermer encore une fois dans ce genre de processus. Me questionnant sur la récurrence trop fréquente de ces situations. Me questionner sur le pourquoi et le comment ne m'amène à rien, je connais trop bien le processus. Mais pourquoi, pourquoi diable, ne puis-je rien contre lui, pourquoi alors que je sais parfaitement comment cela va se passer et ce qu'il conviendrait de faire, pourquoi alors que dans ma tête tout est clair la pulsion mauvaise est-elle la plus forte, pourquoi est-ce que je ne parviens pas à mettre le hola, à briser le cercle…

Toutes proportions gardées c'est le bourreau de soi-même, l'héautontimorouménos de Baudelaire!

Je me suis retrouvé dans le Parc Montsouris. Là j'ai repris peu à peu mon calme et retrouvé une vision plus sereine des choses. Je me suis installé sur une des pelouses qui dominent le lac, j'ai regardé la vie tout autour de moi, les familles en balade, les amoureux qui s'embrassent, les arbres et le ciel. Il y avait un type qui chantait dans le kiosque à musique, c'était très mauvais et ringard au point d'en être touchant. Il y a eu à un moment les notes ténues de la cloche du théâtre de guignol. J'ai repensé à la dernière balade faite ici autrefois avec mon vieux grand-père et je me suis dit que je n'avais pas le droit de me laisser aller à une telle appréhension négative de la vie. J'ai pensé aussi au personnage dérisoire et pathétique du vieux Joao Vuvu de " Va et Vient " installé dans le parc sous son arbre, finissant sa vie dans les rêveries, tentant de s'amuser encore de la comédie du monde et de la sienne propre, prenant ses petits plaisirs là où il le peut…

Finalement on a été au cinéma en soirée. La journée s'est mieux terminée qu'elle n'avait commencée. On a vu " a good girl ", un bon film porté par d'excellents acteurs mais qui décrit une réalité glauque, des vies étriquées dans l'Amérique profonde, de quoi conforter normalement notre capacité d'apprécier à sa juste valeur ce qui à nous est donné… Pourquoi est-ce si difficile ?

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08/07/03 : Ouf !

Voilà j'en ai fini ce soir avec tout ce qui dans mon travail relève des réunions institutionnelles, avec tout ce qui s'inscrit dans les convivialités formelles et artificielles. J'ai encore trois jours de travail et j'ai beaucoup de choses à faire mais c'est comme si j'étais déjà en vacances. Je n'ai plus personne sur le dos, plus personne avec qui devoir me montrer sous mon meilleur jour, plus personne à qui devoir faire des sourires de commande.

Je peux me laisser aller à être moi-même, juste essayer de faire aussi bien que possible ce que j'ai à faire simplement en fonction de l'idée que je m'en fais et non vis-à-vis des supérieurs hiérarchiques ou des " chers collègues ".

Rarement j'ai vu arriver les vacances avec autant de soulagement. Souffler. Décompresser. Prendre du champ. Par rapport au boulot mais par rapport au reste aussi, porter un regard sur mes relations de couple dans un autre contexte, hors des routines quotidiennes, réfléchir avec un peu de recul à mes activités d'écriture, à la place croissante qu'elles ont pris dans ma vie. Pour l'instant j'ai l'impression de deux mondes qui se côtoient, la vie de l'écriture, " la vie sur terre ", dans lesquels j'avance parallèlement mais en ayant le sentiment de deux mondes foncièrement étrangers l'un à l'autre même si mon écriture est pourtant le reflet fidèle de ma vie. Comment ne pas se percevoir comme clivé entre le moi social et un hypothétique moi plus authentique qui se chercherait dans l'écriture ? Comment aller vers l'harmonie entre les diverses facettes de soi, comment percevoir l'unité sous-jacente ? Ou plutôt comment vivre selon ce que l'on est vraiment ?

Mais la prise de champs des vacances c'est peut-être aussi de simplement se poser moins de questions.

Se laisser aller à vivre le donné de chaque jour.

Laisser le temps au temps…

Et peut-être des choses mûriront-elles d'elles-mêmes, peut-être les percevrais-je sous un autre angle après une parenthèse, peut-être évolueront-elles alors dans un sens qui m'est encore inconnu et que je n'aurais pas particulièrement cherché à susciter.

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11/07/03 : Visite :

Hier nous avons reçu pour dîner Viviane de passage à Paris.

Viviane est une collègue et amie de Constance pour laquelle j'avais ressenti une certaine attirance et qui a obtenue l'an dernier une mutation en province à demi souhaitée. Nous ne l'avions pas revue depuis son départ un peu précipité l'été dernier.

D'emblée je l'avais trouvé mignonne parmi les collègues de Constance, sympathique, pleine de vitalité. Elle vivait seule avec son fils d'une dizaine d'années. C'est une fille qui a beaucoup voyagé, elle a longtemps vécu aux USA où est né son fils. Sans doute étais-je un peu admiratif de la façon libre dont elle menait sa vie, des décisions radicales qu'elle avait été capable de prendre pour changer de vie à plusieurs reprises même si elle a sans doute connu des périodes très difficiles et de grands déchirements. J'étais un peu fasciné par son expérience de vie à cheval sur les deux côtés de l'Atlantique. Elle est devenue dans mon journal de cette époque, " celle à laquelle il m'arrive de penser ", j'ai vaguement fantasmé qu'il puisse se passer quelquechose entre nous d'autant que je savais qu'elle n'avait pas de relation stable mais plutôt des aventures passagères. Mais je me sentais paralysé par le fait que c'était d'abord une copine de Constance, peut-être était-ce le prétexte que je me donnais pour m'interdire de tenter de me rapprocher d'elle.

Une fois seulement j'ai eu l'occasion de me retrouver seul chez elle, un jour où je lui ramenais des bouquins qu'elle nous avait prêtés pour préparer notre voyage en Californie. Je suis resté un moment. Nous avons parlé de choses et d'autres. J'ai passé mon temps à me demander si j'allais manifester et comment mon intérêt pour elle tout en guettant un éventuel signe de sa part. Evidemment je n'ai rien dit, rien fait, idiot que je suis, mais à peine me suis-je retrouvé dans la rue que je l'ai violemment regretté, je me suis senti comme un petit ado timide, je m'en suis voulu, je suis comme j'ai toujours été, les années n'y ont rien changé…

C'était à la fin du printemps. Il n'y a pas eu d'autres occasions. Elle a eu une mutation, nous ne nous sommes plus revus. J'ai repensé à elle, à l'occasion, de temps à autre. Avec une vague sensation de regret. Non pas tant qu'il ne se soit rien passé. Plutôt de ne pas avoir su manifester l'intérêt que je lui portais. Après tout je ne sais pas comment elle aurait accueilli cet intérêt, mais même s'il n'était pas le moins du monde partagé, au moins aurais-je essayé et cela aurait été tout de même un petit secret partagé, l'occasion d'amorcer avec quelqu'un une relation qui me soit propre où l'affect aurait sa part.

Elle était à Paris ces jours ci pour conduire son fils à Roissy afin qu'il parte retrouver son père en Amérique. Tous les ans elle partait avec lui, c'est la première fois qu'elle l'envoie seul, elle se sent à la fois joyeuse de la liberté dont elle va jouir pour ses propres vacances et anxieuse de la séparation. Elle a profité de son passage pour faire la tournée de ses relations parisiennes et est donc venue dîner chez nous. Nous avons passé une agréable soirée. Je l'ai revue avec plaisir. Elle nous a parlé de son installation en province, des deux déménagements qu'elle a dû faire avant de trouver un endroit qui lui plaise, de son adaptation pas facile au départ, des relations qu'elle commence peu à peu à se faire. Je la trouve toujours mignonne, je la retrouve telle que je l'ai vue la dernière fois et telle que je l'ai rêvée…

Après le dîner nous regardons nos photos de Californie. Je suis juste à côté d'elle pour lui commenter les photos. Constance est un tout petit peu à l'écart. Je les regarde tour à tour. Viviane dans sa petite robe légère, sa jambe presque contre la mienne, son bras que je frôle, son décolleté qui s'ouvre vers ses petits seins que je me plais à imaginer frissonnant sous ma main, en face il y a Constance, je la regarde, je voudrais ressentir quelquechose pour elle dans ce moment précis, je voudrais avoir aussi envie de porter ma main vers elle mais non rien, je la regarde comme une absente et j'en ressens une sourde et vague tristesse …

Mais la soirée s'achève. Viviane va nous quitter, rejoindre les amis chez qui elle loge. Demain matin tôt elle reprend son train pour sa province.

Je n'ai rien manifesté cette fois-ci non plus. Sans regret cette fois. Je n'en ai pas eu d'occasion, je ne l'ai pas cherchée, je ne vois pas trop quel sens cela aurait eu de toute façon, il n'y a pas dans le contexte d'aujourd'hui la perspective que quoi que ce soit se noue.

Mais j'ai été content toutefois de ce moment passé, j'ai été content de la revoir alors que j'avais pensé au cours de l'année que nous ne la reverrions plus, qu'elle avait définitivement coupé tous les ponts avec toutes ses relations parisiennes, j'ai été content de ce petit moment d'émotion muette à tourner les pages de l'album photo près d'elle.

Repensant à toute cette histoire qui n'a pas eu lieu, j'en reviens à ma précédente entrée : je concluais dans un consensus mou vis-à-vis de moi-même, en affichant une sérénité de commande basée sur des maximes du style " qui vivra verra ", " advienne que pourra ", " laisser le temps au temps ". C'est trop facile de se laisser aller à attendre, attendre toujours, demain, demain peut-être. Je devrais m'inspirer plus que de ce fatalisme mou de maximes plus toniques, celles par exemple que mettent en exergue certaines de mes diaristes préférées. " Qui ne risque rien n'a rien "(Azulah), " Le seul mauvais choix est de ne pas pas faire de choix" (Lou, citant Amélie Nothomb). L'ennui est que ce ne sont pas des maximes que je peux facilement mettre en pratique, ma pente à moi, je la connais trop, c'est le laisser faire, le laisser aller…

Tout cela pourtant pourrait, devrait être simple. Vivre sa vie de couple de façon ouverte, assumer qu'en plus d'une relation inscrite dans la longue durée dans laquelle le désir sexuel ne peut que s'étioler puisse exister d'autres relations, d'autres amours me parait un objectif qui n'est pas insurmontable. Cela me plait cette idée de polyamour. Je rage à penser que pour Constance et moi il est trop tard. Notre silence est trop installé. Nous n'avons pas su penser ensemble que notre vie amoureuse ne pouvait se limiter à notre couple. Ce qui se suffisait à une époque ne le peut plus dans le long terme. Cela nous n'avons pas su, pas voulu le voir.

Pas voulu… C'est bien là que le bât blesse. Tout ça va bien au-delà de ce qui serait simplement une conception ou une morale de couple, cela relève de déterminismes psychologiques plus archaïques, plus profonds, plus enracinés. Pour ce qui me concerne en tout cas. L'Idéaliste, dans une récente entrée, mettait surtout en avant la morale catho étriquée inculquée par sa mère pour rendre compte de son histoire amoureuse. Mes parents, bourgeois intellos de gauche libéraux développaient, en parole en tout cas, des conceptions bien plus modernes, j'ai vécu mon adolescence dans les années de l'après 68, dans des milieux militants où nous nous moquions de la vieille morale, j'ai eu des amis engagés dans des vies communautaires. Je n'en ai pas été plus à l'aise pour autant dans ma vie relationnelle et amoureuse. Ce n'est pas un hasard si moi, après des premières relations difficiles avec les filles, j'ai choisi le couple stable (ce qui est n'est pas si mal rétrospectivement vu ce que certains ont vécu, je ne le regrette pas), mais plus que le couple stable, le couple fermé à l'excès (ce qui est moins bien). Ma monogamie au long terme que j'ai voulu croire un choix n'a sans doute été que l'effet de mes frilosités relationnelles, de ma peur des autres, de ma peur des corps.

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12/07/03 : Les vacances, enfin!

Hier c'était ma dernière journée de travail. Taupin aussi a terminé, il passait hier ces derniers oraux, ceux du concours des Mines, cela se passait à l'Ecole des Télécom qui est proche de la maison, du coup après les épreuves il a débarqué avec quelques copains et une bouteille de champagne que l'on a partagé. Ils ne fêtent pas le succès, ça ce sera peut-être pour plus tard, ils fêtent simplement leurs vacances. C'était vraiment sympa de se retrouver au milieu de ces grands dadais, de sentir leur enthousiasme, ils ont bossé dur mais on sent qu'ils y ont pris aussi beaucoup de plaisir. En fait ce sont les parents qui s'inquiètent, on dit parfois de telles horreurs sur la difficulté de ces classes, la concurrence et la pression psychologique qui y règnent, qu'on est surpris de voir qu'ils vivent tout cela très bien, portés par leur stimulation mutuelle, par l'excellente ambiance entre élèves et avec les profs, par la valorisation aussi dont ils se sentent l'objet. Taupin est près à remettre ça s'il n'obtient pas une des écoles qu'il vise. Evidemment il rêve d'intégrer dès cette année, de connaître cette vie d'école, nirvana des taupins, avec un travail beaucoup plus modéré, le sport, la vie associative, les week-end d'intégration et autres plaisirs divers largement mis en avant par les plaquettes de promotion des écoles.

Le soir on a été avec une amie au cinéma, on a vu "Noï Albinoi", pas franchement gai, c'est un euphémisme, je me disais cela va être chouette, les beaux paysages d'Islande, un pays où j'ai voyagé aussi il y a longtemps, ça nous rafraîchira de notre canicule parisienne, en fait c'est un film plutôt sinistre qui se passe dans une bourgade perdue, un monde étouffant et fermé, noyé de neige et de nuit avec des personnages écrasés d'isolement et d'ennui, c'est une quintessence de bout du monde… C'est très ennuyeux au départ, peu crédible, les personnages ne semblent que des caricatures mais peu à peu on s'y fait, on finit par percevoir leur humanité donc ils commencent à nous toucher, ils finissent par être perçus comme des emblèmes d'une vie étriquée, étouffée, sans espoir ce qui ramène à des problèmes universels. Les moyens cinématographiques mis en œuvre en tout cas sont efficaces (traitement des couleurs, découpage des séquences, jeu plutôt distancé des acteurs) pour faire ressentir au spectateur un malaise quasi physique, pour nous plonger dans ce monde glauque. L'ambiance du film et la clim du cinéma ont fait que l'on a fini par avoir presque froid, c'était agréable alors de ressortir dans la chaleur parisienne, dans la lumière déclinante du beau soir d'été.

On s'est installé à une terrasse de resto dans une rue calme. Gaspacho, steak tartare, rosé frais, le plaisir des belles passantes dans la nuit tombante et la fraîcheur du soir, waouh, si ça ce n'est pas déjà les vacances…

Aujourd'hui encore il fait très chaud. Je n'ai pas beaucoup bougé. J'ai savouré mon temps libre, le rythme lent dans lequel j'ai pu m'inscrire. Je me suis offert une petite toile en solitaire en début d'après-midi, cette fois c'était plus léger et estival, mieux dans l'air du temps de ce début de vacances, j'ai vu " Nos enfants chéris ", une comédie qui n'est pas impérissable mais on passe un bon moment en compagnie d'acteurs excellents. Romane Bohringer est particulièrement bonne, elle a un jeu qui n'est pas convenu, c'est vraiment une personne qui est là parmi nous, qui crève l'écran de toute son épaisseur humaine, tout le contraire des personnages du film d'hier, qui étaient avant tout des représentations d'un type de personnage.

Une des américaines avec qui nous avions échangé notre maison l'été dernier est de passage à Paris après un voyage en Allemagne et en Autriche où elle est venue chanter avec sa chorale d'amateurs de haut niveau. Nous la recevons ce soir ce qui sera encore une occasion d'évoquer notre chouette séjour en Californie. Elle est très passionnée de culture française, particulièrement culinaire et œnologique, on va donc essayer de faire quelquechose de bien. Je ne vais pas tarder à me mettre aux fourneaux, je profite pour l'instant de la terrasse ombragée, c'est un vrai bonheur de se tenir là pour écrire….

Les vacances, les vacances, vous dis-je !

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13/07/03 : À plus tard :

Je vous laisse, amis diaristes, pour quelque temps. Je prends mon ordinateur portable, j'écrirai sûrement mais je n'aurais pas de connexion internet. Je ne viendrai pas visiter vos pages, je n'irai pas actualiser les miennes, je n'échangerai pas de mails. Je sens que cela va un peu me manquer, je suis devenu presque accro mais en même temps c'est salutaire, cette respiration, cette mise à distance…

Je m'aperçois que pour la première fois je m'adresse directement à mes lecteurs. C'est venu spontanément. Un signe sans doute que dans la dialectique entre journal pour soi et journal vers les autres, propre à tout journal en ligne, je glisse peu à peu et de plus en plus vers ce second pôle.

Ce sont des vacances sans grand voyage et sans découverte. Nous allons simplement dans nos lieux habituels, d'abord dans la maison de mes grands-parents dans le sud-ouest que nous avons conservée bien qu'elle soit vide désormais la plus grande partie de l'année, ensuite dans notre petit coin de Bretagne que nous adorons.

Je regrette un peu de n'avoir pas prévu pour cette année un petit temps d'ailleurs, un voyage, une randonnée au loin, une immersion dans la pleine nature, ce sont des moments qui favorisent plus la mise à distance, la rupture par rapport à nos habitudes que le séjour dans des lieux trop familiers, chargés déjà de notre histoire, où des routines existent même si ce ne sont pas les mêmes que dans notre quotidien parisien.

Sans doute n'est-ce pas un hasard, si on n'a rien cherché à organiser avec Constance, l'envie nous en a manqué ce qui un signe, on a eu des velléités mais on n'a pas été au bout, on n'a pas trouvé l'énergie nécessaire. Pas plus que je n'ai trouvé l'énergie d'organiser quelquechose pour moi seul, pendant quelques jours, cela m'aurait fait sûrement du bien. Encore une fois on s'est laissé aller à suivre le sens de la plus grande pente, le plus facile...

Je pars avec des livres, beaucoup de livres, trop sans doute, ceux que je n'ai pas eu le temps de lire pendant l'année, avec des idées d'écriture que je concrétiserai peut-être ou peut-être pas, avec des envies de repos, d'un peu de farniente même ce qui pourtant habituellement n'est pas mon truc, je suis plutôt du type vacances actives, je pars avec des envies de campagne profonde et des envies de mer surtout, la mer, la mer, s'y ressourcer comme dans une eau lustrale (sans boulettes de fuel, j'ose espérer !), s'y apaiser à l'écoute de sa pulsation fondamentale, la contemplation de la mer est pour moi ce qui permet plus que tout de me sentir partie prenante du cosmos et donc ce qui plus que tout m'apaise…

Bonnes vacances à toutes et à tous, si vous avez la chance d'en prendre. Bon été en tout cas.
A bientôt...

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