MOIS
de JUILLET 2003 (1°quinzaine)
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01/07/03
: Paris quand même !
Ah, Paris, quand même !
Encore un
déjeuner convivial de fin d'année ce midi. Nous étions dans
un petit restau sympa du quartier Beaubourg. J'avais prévu de ne pas retourner
au bureau après, j'ai donc pu flâner tout à loisir en sortant
de nos agapes.
Le temps a changé et c'est un bonheur. Après
toute cette chaleur, un peu de vent, de la pluie par intermittences, des nuages
mouvants et de belles éclaircies cela faisait sacrément du bien.
Je suis resté un long moment sur l'esplanade devant Saint Eustache,
profitant des lumières changeantes, m'abritant sous les arbres lors de
brutales averses. Cela faisait assez longtemps que je n'étais pas venu
dans ce secteur, cela devient un vrai jardin, avec de belles pelouses, des arbres
qui ont bien poussés, des perspectives parfois surprenantes sur l'église,
sur les vieilles maisons contrastant avec l'architecture moderne, sur les "
tuyauteries " au loin du centre Pompidou. Finalement dans cet endroit si
décrié en son temps s'est opérée une vraie alchimie
entre jardins et bâtiments de styles si différents.
J'ai passé
la Seine sur le Pont Neuf. Ciel superbe de contrastes. Tout noir, menaçant,
à l'est, vers Notre-Dame, une belle déchirure au contraire vers
l'Ouest, la statue d'Henri 4 éclatante de soleil et la pointe du Vert-Galant,
lumineuse entre les deux bras du fleuve.
Et puis il y a les gens qui passent,
toute cette humanité si diverse, ces visages que l'on croise le temps d'un
instant, ces bribes de mots que l'on accroche au passage, toutes sortes d'histoires
que l'on se plairait à imaginer.
Et puis il y a les femmes qui sont
si souvent belles dans les habits légers de l'été, les jambes
qui se montrent, les bras nus, les nombrils des demoiselles
Souvent
j'étouffe à Paris. J'ai envie de fuir. C'est vrai. Mais Paris, c'est
cela aussi, ces bonheurs qu'il faut savoir prendre au vol.
Eva qui y revient
a écrit une
belle page là-dessus et je pensais justement à son texte pendant
ma déambulation.
Le bus pour rentrer était bondé.
Ça c'est autre chose. C'est l'autre versant de la vie parisienne. On était
inhumainement serré, on était mal, on étouffait. Rien de
tel pour casser la magie des moments qui avaient précédé.
Et pourtant, même là, j'ai eu un petit moment de rêve. Il y
avait assez loin de moi une fille vraiment superbe. Elle était presque
entièrement masquée par les autres voyageurs et je ne voyais pas
son interlocuteur avec qui elle semblait avoir une conversation tendre. Mais son
visage à elle, strictement encadré par d'autres têtes, se
détachait entre celles-ci, comme isolé du magma environnant, son
profil, son sourire, les mouvements de sa bouche presque contre l'oreille de son
compagnon sont restés ainsi un long moment juste dans l'axe de mon regard
et c'était comme un rayon de lumière.
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03/07/03
: Se rencontrer ?
Évidemment dans mes promenades
diaristiques de ces derniers jours je n'ai pu manquer de tomber sur des comptes-rendus
divers du pique-nique de la Règle
du Je.
Une bonne petite troupe de diaristes s'est retrouvée samedi
dernier au Parc Montsouris pour se découvrir au-delà des mots, échanger
et rigoler. Partant de l'un d'entre eux qui donnait les participants j'ai été
voir ce qu'en disaient les autres, cela m'a permis de découvrir certains
journaux que je n'avais encore jamais rencontrés, je me sens plus ou moins
en empathie avec les uns ou les autres mais tous sont intéressants à
un titre ou un autre.
Le monde est petit finalement. Le Parc Montsouris,
c'est à deux pas de chez moi. C'est un endroit que je connais très
bien et que j'ai beaucoup fréquenté surtout il y a quelques années
quand les enfants étaient plus petits. Je me souviens de la promenade que
j'y ai fait avec mon grand-père déjà très malade,
la dernière fois qu'il était venu à Paris, nous avions fait
lentement le tour du lac, je me souviens de la façon dont il jouissait
de ce paysage tout simple que trop souvent on ne voit pas, les beaux arbres frémissants,
les pelouses en pente douce, le miroir du lac troublé par l'agitation incessante
des canards, conscient sans doute qu'il n'avait plus beaucoup de temps à
vivre
J'aurais pu passer là au même moment que les diaristes.
Nous aurions pu nous croiser. Aurais-je deviné qui ils étaient à
les voir, aurais-je attrapé au passage une bribe de leur dialogue ? Cela
me fait drôle de penser qu'ils étaient tous là, si proches,
en chair et en os, dans leurs paroles vives et dans les mouvements de leurs corps,
déployés dans toutes leurs dimensions, au-delà de cette petite
part d'eux-mêmes, assez abstraite finalement, que sont les mots qu'ils veulent
bien nous donner
Aurais-je eu envie de me joindre à eux ? D'un
côté cela m'aurait fait envie. Qui sont-ils vraiment ? Qui sommes
nous vraiment ? La curiosité m'aurait poussé. J'aurais eu peur aussi.
Peur du décalage, peur de me sentir d'une toute autre planète malgré
ce goût partagé d'écrire. Je sens qu'ils forment une sorte
de petit clan par les habitudes d'échanges qu'ils ont entre eux sur les
forums de la Règle du Je, par l'approche plutôt ludique qu'ils semblent
avoir du diarisme, par le côté un peu potache de l'humour de certains
d'entre eux, par leurs âges aussi peut-être, dans ou autour de la
tranche des 25-30 ans.
Peut-être aurais-je aimé les suivre de
loin, les observer, les écouter, être l'homme invisible au milieu
d'eux ou la petite souris aux oreilles pointées, cachée dans l'herbe.
Toujours mes vieilles tendances de voyeur !
Mais il me semble aussi que
me retrouver trop brutalement au milieu de diaristes ce serait risquer de casser
l'image que progressivement je suis en train de construire, une image qui est
aussi ce que je choisis moi-même de mettre en eux. La réalité
et l'idée que l'on se fait, voilà sûrement une source de déception
dans une rencontre de diaristes, la personne réelle ne correspondant pas
à celle que l'on s'est forgée. J'aime aussi qu'il reste une part
de mystère, j'aime qu'elle se comble peu à peu comme dans un puzzle
dont on rajoute les pièces au fur et à mesure, c'est un des charmes
de la lecture des diaristes que cette découverte progressive que l'on fait
d'eux.
J'imagine que j'aimerais sans doute rencontrer des diaristes mais
plus tard après une longue approche. Et je crois que j'aimerais des rencontres
de tête à tête, la première fois en tout cas, pour s'apprivoiser,
se jauger, s'apprécier, avant de passer éventuellement à
des rencontres de groupe forcément perturbées par des interactions
multiples (perturbées mais pas en un sens péjoratif, je devrais
dire plutôt complexifiées).
J'ai une autre objection, concernant
plus directement l'écriture. Dés qu'on est lu, dès que s'instaure
un minimum de relation avec des lecteurs même de loin il me semble que l'écriture
en est affectée. Comment ne le serait-elle pas de façon bien plus
importante par une telle rencontre ? Puisque évidemment ces diaristes rencontrés
se liront, comment faire alors pour ne pas en tenir compte, pour rester dans la
vérité des sentiments et du ressenti ? Comment ne pas se censurer,
comment ne pas chercher à éviter telle phrase par peur de blesser,
à produire telle autre par volonté de séduire ? Comment faire
pour que l'écriture ne devienne pas avant tout une communication, le produit
peut-être d'une stratégie ?
On pourrait se dire qu'après
tout c'est légitime, que peut-être c'est le but, écrire comme
moyen de se constituer un groupe d'affinités, de faire des rencontres et
pourquoi pas une rencontre décisive. Mais alors c'est un autre projet.
S'agit-il
d'écrire d'abord en direction des autres ou bien d'écrire pour soi
et donner à lire de surcroît ?
Mais cette opposition trop tranchée
n'a peut-être pas de sens. Peut-être l'écriture du diariste
en ligne est-elle justement le produit de cette contradiction permanente, peut-être
sa spécificité est-elle justement de rester autant que faire se
peut en équilibre entre ces deux pôles contradictoires. Les deux
aspects sont présents chez la plupart des diaristes, simplement le point
d'équilibre n'est pas au même endroit chez chacun, certains privilégiant
plutôt la communication, d'autres plutôt l'expression intime pour
soi.
J'avais presque terminé cette entrée hier soir. J'ai
réalisé vers onze heure et demie que j'avais un travail à
préparer pour une réunion au bureau aujourd'hui. J'avais tout simplement
oublié ce travail ! Ça m'inquiète un peu. Je me demande si
je ne me laisse pas trop envahir par ce diarisme, je me fais penser à ces
ados capables de s'enfermer dans des jeux vidéos ou dans des jeux de rôles
au point d'en oublier le monde réel.
Et puis je ne suis pas vraiment
satisfait de ce que j'ai écrit. Et je ne me suis pas fait plaisir en l'écrivant.
C'est venu trop laborieusement. Tout le contraire de mes deux entrées précédentes
qui ont coulé de source, sans hésitation ni repentir, sans doute
parce qu'elles étaient plus descriptives et factuelles. Ici au contraire
je n'ai pas cessé de reprendre, corriger, déplacer. Parce que mon
premier jet me semblait trahir ma pensée, parce qu'en fait celle-ci n'était
pas claire, parce que je tentais de l'élaborer en écrivant sans
avoir le sentiment d'y parvenir. Work in progress !
J'en reste là
pour le moment.
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05/07/03
: Entrée différée :
Ce matin j'ai
écrit une entrée que j'avais dans la tête depuis une dizaine
de jours. Je l'avais pensée, des mots m'en étaient venus mais j'étais
trop occupé puis j'avais eu d'autres choses à dire, plus dans l'actualité
immédiate, j'avais remis de jour en jour...
J'ai voulu l'écrire
avant qu'elle ne se perde.
J'ai failli le faire comme s'il s'agissait d'un
vécu d'aujourd'hui mais cette entorse quoique insignifiante à la
vérité " historique " m'agaçait. J'ai pensé
alors l'écrire comme un proche souvenir mais ça ne me convenait
pas non plus. Finalement, même si la rédaction finale date d'aujourd'hui,
je l'ai réintégrée dans le cours des jours, au moment où
je l'avais pensée et la voici.
Ce retard,
cette entrée en souffrance, ce fait de devoir rattraper le temps m'éclaire
moi-même sur la façon dont le diarisme pénètre de plus
en plus et un peu trop tous les aspects de ma vie. Chaque pensée un peu
élaborée qui me traverse, chaque moment vécu sortant un tout
petit peu du quotidien m'apparaît d'emblée comme de la " chair
à texte ", immédiatement des mots me viennent par lesquels
je voudrais en rendre compte, ceux-ci tendent à se surajouter au vécu
du moment lui-même, à le colorer d'images, de souvenirs, d'idées,
d'associations, qui sont une richesse sans doute mais qui sont aussi un écran
pour la perception brute, immédiate.
Cela me fait tout à fait
penser à la façon dont en voyage parfois on peut cesser de voir
les paysages en direct, on ne les voit plus que par le canal de son objectif,
que par les cadrages que l'on va en faire.
Je commence à vivre à
travers le prisme de ce que j'en pourrais peut-être dire dans le journal
et cela ne me plait pas du tout. C'est un danger que j'ai perçu d'emblée,
je me souviens que je luttais déjà contre cette tendance dans mon
journal papier, le passage en ligne n'a fait qu'exacerber cette tendance à
vouloir, à défaut d'exhaustivité, au moins ne rien laisser
passer de ce qui est jugé mémorable. Or l'habitude même du
journal, le pli pris à l'écrire, conduit à percevoir de plus
en plus de choses comme mémorables.
Il faut s'obliger parfois au
silence, renoncer à l'entrée qui nous titille pour éviter
le cercle vicieux d'un envahissement de plus en plus grand de toute la vie par
le journal qui deviendrait alors non seulement part constitutive de la vie mais
quasiment substitution à elle.
J'avais dans la tête quelques
formules à propos de films vus ces dernières semaines, j'ai par
exemple des envies rentrées de chroniques sur " Dogville " et
sur " Va et Vient ". Mais je laisse aller, j'en reste à mes impressions
premières mitigées de ces films, je ne cherche pas à les
mettre en mots, je ne cherche pas à approfondir ces impressions, à
les enrichir, à les fonder sur une réflexion. Je sais que du même
coup je renonce à tenter de les retenir. L'impression ressentie persistera
tant qu'elle le pourra puis elle s'effritera avec le temps, je la laisse s'éteindre.
Tant pis
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06/07/03
: L'art de rater mes dimanches :
C'est une de mes
spécialités et franchement ça m'insupporte
Je
pense à la chanson de Gréco: " Je hais les dimanches ".
mais justement je ne les hais pas, je les aime, je les attends avec impatience.
Et je les vis d'autant plus mal, lorsque en raison de circonstances extérieures
mais surtout de comportements imbéciles de ma part je n'en fais rien de
positif.
Une petite contrariété et hop, c'est parti, plutôt
que de passer à autre chose je m'enferre, je m'installe dans un comportement
d'échec. En l'occurrence ce matin un logiciel qui plante sur un travail
que je faisais pour le bureau, (et peut-être a-t-il planté parce
que j'ai fait un peu n'importe quoi, j'ai voulu aller trop vite, agacé
de devoir travailler à la maison pour le bureau) des données perdues,
ma volonté de tout reprendre tout en m'énervant de plus en plus
et donc en parvenant de moins en moins à aboutir, l'heure qui tourne, les
autres projets, plus agréables ceux-là, du week-end que je compromets
par mon acharnement imbécile et contre-productif, mon énervement
palpable que Constance ne supporte pas, la tension qui monte entre nous, la dispute
qui menace
Nous avons raté la séance de ciné
à laquelle nous avions prévu d'aller. La seule issue qui m'est restée
a été d'aller me défouler par une longue marche tout seul
dans le quartier. Pas fier de moi ! M'en voulant de m'être laissé
enfermer encore une fois dans ce genre de processus. Me questionnant sur la récurrence
trop fréquente de ces situations. Me questionner sur le pourquoi et le
comment ne m'amène à rien, je connais trop bien le processus. Mais
pourquoi, pourquoi diable, ne puis-je rien contre lui, pourquoi alors que je sais
parfaitement comment cela va se passer et ce qu'il conviendrait de faire, pourquoi
alors que dans ma tête tout est clair la pulsion mauvaise est-elle la plus
forte, pourquoi est-ce que je ne parviens pas à mettre le hola, à
briser le cercle
Toutes proportions gardées c'est le bourreau
de soi-même, l'héautontimorouménos
de Baudelaire!
Je me suis retrouvé dans le Parc Montsouris. Là
j'ai repris peu à peu mon calme et retrouvé une vision plus sereine
des choses. Je me suis installé sur une des pelouses qui dominent le lac,
j'ai regardé la vie tout autour de moi, les familles en balade, les amoureux
qui s'embrassent, les arbres et le ciel. Il y avait un type qui chantait dans
le kiosque à musique, c'était très mauvais et ringard au
point d'en être touchant. Il y a eu à un moment les notes ténues
de la cloche du théâtre de guignol. J'ai repensé à
la dernière balade faite ici autrefois avec mon vieux grand-père
et je me suis dit que je n'avais pas le droit de me laisser aller à une
telle appréhension négative de la vie. J'ai pensé aussi au
personnage dérisoire et pathétique du vieux Joao Vuvu de "
Va et Vient " installé dans le parc sous son arbre, finissant sa vie
dans les rêveries, tentant de s'amuser encore de la comédie du monde
et de la sienne propre, prenant ses petits plaisirs là où il le
peut
Finalement on a été au cinéma en soirée.
La journée s'est mieux terminée qu'elle n'avait commencée.
On a vu " a good girl ", un bon film porté par d'excellents acteurs
mais qui décrit une réalité glauque, des vies étriquées
dans l'Amérique profonde, de quoi conforter normalement notre capacité
d'apprécier à sa juste valeur ce qui à nous est donné
Pourquoi est-ce si difficile ?
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08/07/03
: Ouf !
Voilà j'en ai fini ce soir avec
tout ce qui dans mon travail relève des réunions institutionnelles,
avec tout ce qui s'inscrit dans les convivialités formelles et artificielles.
J'ai encore trois jours de travail et j'ai beaucoup de choses à faire mais
c'est comme si j'étais déjà en vacances. Je n'ai plus personne
sur le dos, plus personne avec qui devoir me montrer sous mon meilleur jour, plus
personne à qui devoir faire des sourires de commande.
Je peux me
laisser aller à être moi-même, juste essayer de faire aussi
bien que possible ce que j'ai à faire simplement en fonction de l'idée
que je m'en fais et non vis-à-vis des supérieurs hiérarchiques
ou des " chers collègues ".
Rarement j'ai vu arriver les
vacances avec autant de soulagement. Souffler. Décompresser. Prendre du
champ. Par rapport au boulot mais par rapport au reste aussi, porter un regard
sur mes relations de couple dans un autre contexte, hors des routines quotidiennes,
réfléchir avec un peu de recul à mes activités d'écriture,
à la place croissante qu'elles ont pris dans ma vie. Pour l'instant j'ai
l'impression de deux mondes qui se côtoient, la vie de l'écriture,
" la vie sur terre ", dans lesquels j'avance parallèlement mais
en ayant le sentiment de deux mondes foncièrement étrangers l'un
à l'autre même si mon écriture est pourtant le reflet fidèle
de ma vie. Comment ne pas se percevoir comme clivé entre le moi social
et un hypothétique moi plus authentique qui se chercherait dans l'écriture
? Comment aller vers l'harmonie entre les diverses facettes de soi, comment percevoir
l'unité sous-jacente ? Ou plutôt comment vivre selon ce que l'on
est vraiment ?
Mais la prise de champs des vacances c'est peut-être
aussi de simplement se poser moins de questions.
Se laisser aller à
vivre le donné de chaque jour.
Laisser le temps au temps
Et
peut-être des choses mûriront-elles d'elles-mêmes, peut-être
les percevrais-je sous un autre angle après une parenthèse, peut-être
évolueront-elles alors dans un sens qui m'est encore inconnu et que je
n'aurais pas particulièrement cherché à susciter.
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11/07/03
: Visite :
Hier nous avons reçu pour dîner
Viviane de passage à Paris.
Viviane est une collègue et amie
de Constance pour laquelle j'avais ressenti une certaine attirance et qui a obtenue
l'an dernier une mutation en province à demi souhaitée. Nous ne
l'avions pas revue depuis son départ un peu précipité l'été
dernier.
D'emblée je l'avais trouvé mignonne parmi les collègues
de Constance, sympathique, pleine de vitalité. Elle vivait seule avec son
fils d'une dizaine d'années. C'est une fille qui a beaucoup voyagé,
elle a longtemps vécu aux USA où est né son fils. Sans doute
étais-je un peu admiratif de la façon libre dont elle menait sa
vie, des décisions radicales qu'elle avait été capable de
prendre pour changer de vie à plusieurs reprises même si elle a sans
doute connu des périodes très difficiles et de grands déchirements.
J'étais un peu fasciné par son expérience de vie à
cheval sur les deux côtés de l'Atlantique. Elle est devenue dans
mon journal de cette époque, " celle à laquelle il m'arrive
de penser ", j'ai vaguement fantasmé qu'il puisse se passer quelquechose
entre nous d'autant que je savais qu'elle n'avait pas de relation stable mais
plutôt des aventures passagères. Mais je me sentais paralysé
par le fait que c'était d'abord une copine de Constance, peut-être
était-ce le prétexte que je me donnais pour m'interdire de tenter
de me rapprocher d'elle.
Une fois seulement j'ai eu l'occasion de me retrouver
seul chez elle, un jour où je lui ramenais des bouquins qu'elle nous avait
prêtés pour préparer notre voyage en Californie. Je suis resté
un moment. Nous avons parlé de choses et d'autres. J'ai passé mon
temps à me demander si j'allais manifester et comment mon intérêt
pour elle tout en guettant un éventuel signe de sa part. Evidemment je
n'ai rien dit, rien fait, idiot que je suis, mais à peine me suis-je retrouvé
dans la rue que je l'ai violemment regretté, je me suis senti comme un
petit ado timide, je m'en suis voulu, je suis comme j'ai toujours été,
les années n'y ont rien changé
C'était à
la fin du printemps. Il n'y a pas eu d'autres occasions. Elle a eu une mutation,
nous ne nous sommes plus revus. J'ai repensé à elle, à l'occasion,
de temps à autre. Avec une vague sensation de regret. Non pas tant qu'il
ne se soit rien passé. Plutôt de ne pas avoir su manifester l'intérêt
que je lui portais. Après tout je ne sais pas comment elle aurait accueilli
cet intérêt, mais même s'il n'était pas le moins du
monde partagé, au moins aurais-je essayé et cela aurait été
tout de même un petit secret partagé, l'occasion d'amorcer avec quelqu'un
une relation qui me soit propre où l'affect aurait sa part.
Elle
était à Paris ces jours ci pour conduire son fils à Roissy
afin qu'il parte retrouver son père en Amérique. Tous les ans elle
partait avec lui, c'est la première fois qu'elle l'envoie seul, elle se
sent à la fois joyeuse de la liberté dont elle va jouir pour ses
propres vacances et anxieuse de la séparation. Elle a profité de
son passage pour faire la tournée de ses relations parisiennes et est donc
venue dîner chez nous. Nous avons passé une agréable soirée.
Je l'ai revue avec plaisir. Elle nous a parlé de son installation en province,
des deux déménagements qu'elle a dû faire avant de trouver
un endroit qui lui plaise, de son adaptation pas facile au départ, des
relations qu'elle commence peu à peu à se faire. Je la trouve toujours
mignonne, je la retrouve telle que je l'ai vue la dernière fois et telle
que je l'ai rêvée
Après le dîner nous regardons
nos photos de Californie. Je suis juste à côté d'elle pour
lui commenter les photos. Constance est un tout petit peu à l'écart.
Je les regarde tour à tour. Viviane dans sa petite robe légère,
sa jambe presque contre la mienne, son bras que je frôle, son décolleté
qui s'ouvre vers ses petits seins que je me plais à imaginer frissonnant
sous ma main, en face il y a Constance, je la regarde, je voudrais ressentir quelquechose
pour elle dans ce moment précis, je voudrais avoir aussi envie de porter
ma main vers elle mais non rien, je la regarde comme une absente et j'en ressens
une sourde et vague tristesse
Mais la soirée s'achève.
Viviane va nous quitter, rejoindre les amis chez qui elle loge. Demain matin tôt
elle reprend son train pour sa province.
Je n'ai rien manifesté cette
fois-ci non plus. Sans regret cette fois. Je n'en ai pas eu d'occasion, je ne
l'ai pas cherchée, je ne vois pas trop quel sens cela aurait eu de toute
façon, il n'y a pas dans le contexte d'aujourd'hui la perspective que quoi
que ce soit se noue.
Mais j'ai été content toutefois de ce
moment passé, j'ai été content de la revoir alors que j'avais
pensé au cours de l'année que nous ne la reverrions plus, qu'elle
avait définitivement coupé tous les ponts avec toutes ses relations
parisiennes, j'ai été content de ce petit moment d'émotion
muette à tourner les pages de l'album photo près d'elle.
Repensant
à toute cette histoire qui n'a pas eu lieu, j'en reviens à ma précédente
entrée : je concluais dans un consensus mou vis-à-vis de moi-même,
en affichant une sérénité de commande basée sur des
maximes du style " qui vivra verra ", " advienne que pourra ",
" laisser le temps au temps ". C'est trop facile de se laisser aller
à attendre, attendre toujours, demain, demain peut-être. Je devrais
m'inspirer plus que de ce fatalisme mou de maximes plus toniques, celles par exemple
que mettent en exergue certaines de mes diaristes préférées.
" Qui ne risque rien n'a rien "(Azulah),
" Le seul mauvais choix est de ne pas pas faire de choix" (Lou,
citant Amélie Nothomb). L'ennui est que ce ne sont pas des maximes que
je peux facilement mettre en pratique, ma pente à moi, je la connais trop,
c'est le laisser faire, le laisser aller
Tout cela pourtant pourrait,
devrait être simple. Vivre sa vie de couple de façon ouverte, assumer
qu'en plus d'une relation inscrite dans la longue durée dans laquelle le
désir sexuel ne peut que s'étioler puisse exister d'autres relations,
d'autres amours me parait un objectif qui n'est pas insurmontable. Cela me plait
cette idée de polyamour.
Je rage à penser que pour Constance et moi il est trop tard. Notre silence
est trop installé. Nous n'avons pas su penser ensemble que notre vie amoureuse
ne pouvait se limiter à notre couple. Ce qui se suffisait à une
époque ne le peut plus dans le long terme. Cela nous n'avons pas su, pas
voulu le voir.
Pas voulu
C'est bien là que le bât blesse.
Tout ça va bien au-delà de ce qui serait simplement une conception
ou une morale de couple, cela relève de déterminismes psychologiques
plus archaïques, plus profonds, plus enracinés. Pour ce qui me concerne
en tout cas. L'Idéaliste,
dans une récente entrée, mettait surtout en avant la morale
catho étriquée inculquée par sa mère pour rendre compte
de son histoire amoureuse. Mes parents, bourgeois intellos de gauche libéraux
développaient, en parole en tout cas, des conceptions bien plus modernes,
j'ai vécu mon adolescence dans les années de l'après 68,
dans des milieux militants où nous nous moquions de la vieille morale,
j'ai eu des amis engagés dans des vies communautaires. Je n'en ai pas été
plus à l'aise pour autant dans ma vie relationnelle et amoureuse. Ce n'est
pas un hasard si moi, après des premières relations difficiles avec
les filles, j'ai choisi le couple stable (ce qui est n'est pas si mal rétrospectivement
vu ce que certains ont vécu, je ne le regrette pas), mais plus que le couple
stable, le couple fermé à l'excès (ce qui est moins bien).
Ma monogamie au long terme que j'ai voulu croire un choix n'a sans doute été
que l'effet de mes frilosités relationnelles, de ma peur des autres, de
ma peur des corps.
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12/07/03
: Les vacances, enfin!
Hier c'était ma dernière
journée de travail. Taupin aussi a terminé, il passait hier ces
derniers oraux, ceux du concours des Mines, cela se passait à l'Ecole des
Télécom qui est proche de la maison, du coup après les épreuves
il a débarqué avec quelques copains et une bouteille de champagne
que l'on a partagé. Ils ne fêtent pas le succès, ça
ce sera peut-être pour plus tard, ils fêtent simplement leurs vacances.
C'était vraiment sympa de se retrouver au milieu de ces grands dadais,
de sentir leur enthousiasme, ils ont bossé dur mais on sent qu'ils y ont
pris aussi beaucoup de plaisir. En fait ce sont les parents qui s'inquiètent,
on dit parfois de telles horreurs sur la difficulté de ces classes, la
concurrence et la pression psychologique qui y règnent, qu'on est surpris
de voir qu'ils vivent tout cela très bien, portés par leur stimulation
mutuelle, par l'excellente ambiance entre élèves et avec les profs,
par la valorisation aussi dont ils se sentent l'objet. Taupin est près
à remettre ça s'il n'obtient pas une des écoles qu'il vise.
Evidemment il rêve d'intégrer dès cette année, de connaître
cette vie d'école, nirvana des taupins, avec un travail beaucoup plus modéré,
le sport, la vie associative, les week-end d'intégration et autres plaisirs
divers largement mis en avant par les plaquettes de promotion des écoles.
Le
soir on a été avec une amie au cinéma, on a vu "Noï
Albinoi", pas franchement gai, c'est un euphémisme, je me disais cela
va être chouette, les beaux paysages d'Islande, un pays où j'ai voyagé
aussi il y a longtemps, ça nous rafraîchira de notre canicule parisienne,
en fait c'est un film plutôt sinistre qui se passe dans une bourgade perdue,
un monde étouffant et fermé, noyé de neige et de nuit avec
des personnages écrasés d'isolement et d'ennui, c'est une quintessence
de bout du monde
C'est très ennuyeux au départ, peu crédible,
les personnages ne semblent que des caricatures mais peu à peu on s'y fait,
on finit par percevoir leur humanité donc ils commencent à nous
toucher, ils finissent par être perçus comme des emblèmes
d'une vie étriquée, étouffée, sans espoir ce qui ramène
à des problèmes universels. Les moyens cinématographiques
mis en uvre en tout cas sont efficaces (traitement des couleurs, découpage
des séquences, jeu plutôt distancé des acteurs) pour faire
ressentir au spectateur un malaise quasi physique, pour nous plonger dans ce monde
glauque. L'ambiance du film et la clim du cinéma ont fait que l'on a fini
par avoir presque froid, c'était agréable alors de ressortir dans
la chaleur parisienne, dans la lumière déclinante du beau soir d'été.
On s'est installé à une terrasse de resto dans une rue calme.
Gaspacho, steak tartare, rosé frais, le plaisir des belles passantes dans
la nuit tombante et la fraîcheur du soir, waouh, si ça ce n'est pas
déjà les vacances
Aujourd'hui encore il fait très
chaud. Je n'ai pas beaucoup bougé. J'ai savouré mon temps libre,
le rythme lent dans lequel j'ai pu m'inscrire. Je me suis offert une petite toile
en solitaire en début d'après-midi, cette fois c'était plus
léger et estival, mieux dans l'air du temps de ce début de vacances,
j'ai vu " Nos enfants chéris ", une comédie qui n'est
pas impérissable mais on passe un bon moment en compagnie d'acteurs excellents.
Romane Bohringer est particulièrement bonne, elle a un jeu qui n'est pas
convenu, c'est vraiment une personne qui est là parmi nous, qui crève
l'écran de toute son épaisseur humaine, tout le contraire des personnages
du film d'hier, qui étaient avant tout des représentations d'un
type de personnage.
Une des américaines avec qui nous avions échangé
notre maison l'été dernier est de passage à Paris après
un voyage en Allemagne et en Autriche où elle est venue chanter avec sa
chorale d'amateurs de haut niveau. Nous la recevons ce soir ce qui sera encore
une occasion d'évoquer notre chouette séjour en Californie. Elle
est très passionnée de culture française, particulièrement
culinaire et nologique, on va donc essayer de faire quelquechose de bien.
Je ne vais pas tarder à me mettre aux fourneaux, je profite pour l'instant
de la terrasse ombragée, c'est un vrai bonheur de se tenir là pour
écrire
.
Les vacances, les vacances, vous dis-je !
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13/07/03 :
À plus tard :
Je vous laisse, amis diaristes, pour
quelque temps. Je prends mon ordinateur portable, j'écrirai sûrement
mais je n'aurais pas de connexion internet. Je ne viendrai pas visiter vos pages,
je n'irai pas actualiser les miennes, je n'échangerai pas de mails. Je
sens que cela va un peu me manquer, je suis devenu presque accro mais en même
temps c'est salutaire, cette respiration, cette mise à distance
Je
m'aperçois que pour la première fois je m'adresse directement à
mes lecteurs. C'est venu spontanément. Un signe sans doute que dans la
dialectique entre journal pour soi et journal vers les autres, propre à
tout journal en ligne, je glisse peu à peu et de plus en plus vers ce second
pôle.
Ce sont des vacances sans grand voyage et sans découverte.
Nous allons simplement dans nos lieux habituels, d'abord dans la maison de mes
grands-parents dans le sud-ouest que nous avons conservée bien qu'elle
soit vide désormais la plus grande partie de l'année, ensuite dans
notre petit coin de Bretagne que nous adorons.
Je regrette un peu de n'avoir
pas prévu pour cette année un petit temps d'ailleurs, un voyage,
une randonnée au loin, une immersion dans la pleine nature, ce sont des
moments qui favorisent plus la mise à distance, la rupture par rapport
à nos habitudes que le séjour dans des lieux trop familiers, chargés
déjà de notre histoire, où des routines existent même
si ce ne sont pas les mêmes que dans notre quotidien parisien.
Sans
doute n'est-ce pas un hasard, si on n'a rien cherché à organiser
avec Constance, l'envie nous en a manqué ce qui un signe, on a eu des velléités
mais on n'a pas été au bout, on n'a pas trouvé l'énergie
nécessaire. Pas plus que je n'ai trouvé l'énergie d'organiser
quelquechose pour moi seul, pendant quelques jours, cela m'aurait fait sûrement
du bien. Encore une fois on s'est laissé aller à suivre le sens
de la plus grande pente, le plus facile...
Je pars avec des livres, beaucoup
de livres, trop sans doute, ceux que je n'ai pas eu le temps de lire pendant l'année,
avec des idées d'écriture que je concrétiserai peut-être
ou peut-être pas, avec des envies de repos, d'un peu de farniente même
ce qui pourtant habituellement n'est pas mon truc, je suis plutôt du type
vacances actives, je pars avec des envies de campagne profonde et des envies de
mer surtout, la mer, la mer, s'y ressourcer comme dans une eau lustrale (sans
boulettes de fuel, j'ose espérer !), s'y apaiser à l'écoute
de sa pulsation fondamentale, la contemplation de la mer est pour moi ce qui permet
plus que tout de me sentir partie prenante du cosmos et donc ce qui plus que tout
m'apaise
Bonnes vacances à toutes et à tous, si vous
avez la chance d'en prendre. Bon été en tout cas.
A bientôt...
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