02/03/03
: Ne pas s'obliger :
Quelles
que soient mes pétitions de principe (n'écrire que quand j'en ai
envie, ne pas viser une impossible exhaustivité, ne pas m'obliger à
la régularité, à la continuité, à la cohérence
des propos), je me rends compte qu'insidieusement je tends, comme pour beaucoup
d'autres choses, à constituer cette écriture en obligation.
Chaque
élément un peu particulier de ma vie, une image ou une anecdote
qui me marque, un livre lu, un sentiment qui m'habite, une pensée qui me
traverse, tend à m'apparaître comme matière à écriture.
Et j'ai tendance alors à me faire obligation de la concrétiser
Comme
par ailleurs j'ai toujours énormément de travail en ce moment, qu'il
y a le quotidien à assumer, que je veux avoir le temps de lire et de sortir
un minimum, cela finit par faire beaucoup, cela laisse peu de temps de latence,
de respiration, peu de moments où se laisser aller à suivre l'envie
immédiate de l'instant, où céder à l'envie de paresse:
s'affaler devant la télé, s'accorder une pure détente non
programmée.
J'ai toujours eu tendance à
corseter ma vie par des systèmes d'obligations que je me crée, qui
ne concernent que moi et dont je m'aperçois, si j'y réfléchis,
qu'elles n'en sont pas vraiment.
Tenir un journal tel que je le fais depuis
plusieurs années m'apporte de réelles satisfactions (le plaisir
d'écrire tout simplement, le plaisir de construire du sens à partir
du magma des mots, le plaisir de m'éclairer moi-même) mais s'inscrit
aussi, même si j'essaie de m'en défendre, dans ces systèmes
d'obligations implicites.
C'était déjà
vrai lorsqu'il n'était destiné qu'à moi-même. La tendance
devient plus forte maintenant que j'ai mis ce journal sur internet. Comme si l'existence
de lecteurs potentiels (et alors que peut-être personne ne me lis) m'imposait
un devoir de continuité. Maintenant que je me suis mis à la Cev
il faut que j'assume, que je joue le jeu, je ne peux disparaître pendant
des semaines !
Mais il faut que je résiste à cette tendance.
Je
ne dois pas être là à me dire, j'ai encore ceci et cela à
faire pour le bureau et puis il faut que j'aille faire un tour chez les diaristes,
et puis il faut que j'écrive un peu moi aussi, cela fait 3 jours, 5 jours,
8 jours que je n'ai pas écrit, il y a ce bouquin que j'ai lu et qui mérite
commentaire
Non! J'écris si l'envie elle là. Sinon tant pis.
Trop d'obligations de toutes sortes déjà aliènent ma liberté,
pour que je m'en rajoute moi-même.
J'ai pris
un peu de distance justement ces derniers temps, mis mon écriture de côté
pour quelques jours. Cela m'a fait du bien.
L'autre
soir j'ai énormément ri au " Dindon " à la Comédie
Française, c'est un genre de pièce sans doute que je n'aurais pas
été voir spontanément, par je ne sais quelle méfiance
d'intello pour le théâtre de boulevard, mais quel plaisir j'y ai
pris! La mécanique des mots et des situations est tellement bien agencée,
les comédiens jouent avec un tel entrain, qu'on ne peut qu'être soi-même
entraîné et rire, rire
Rire, quel bien cela fait ! Je ne ris
pas assez. Il faut se donner des occasions de rire. Et puis
il y a la magie du théâtre quand les acteurs se donnent vraiment.
Quelle présence, autre chose que le cinéma tout de même !
Aujourd'hui nous avions programmé une rando
avec des copains. On l'a maintenu malgré le temps pourri. On a un peu pataugé
dans la boue, on a pesté contre la pluie, à certains moments on
n'en pouvait plus du vent et on se disait : mais qu'est-ce qu'on fiche là,
on aurait mieux fait de se la couler douce, grasse matinée le matin et
ciné l'après-midi
Et pourtant, après cinq heures de
marche, on est revenu de là en forme, tonifié, nettoyé, relancé
Et ce n'est pas un hasard si ce soir j'ai pu me remettre
avec alacrité, avec une vraie envie, devant mon clavier.
05/03/03
: Beau temps et mauvais climat :
Ouf,
je sors d'une journée de dix heures de travail ! Je sors surtout de la
période à haute charge dans laquelle j'étais depuis un moment.
Maintenant cela va être un peu plus calme et peut-être trouverais-je
plus facilement l'harmonie entre les contraintes professionnelles et les autres
parts de ma vie dont ces moments où je viens ici pour écrire
Mon
encombrement n'est pas seulement objectif. Il est surtout psychologique. J'ai
la tête encombrée même pendant le temps libre. Apprendre à
me détacher, une fois qu'on a fait ce qu'on avait à faire, où
ce qu'on pouvait faire, voilà ce qui serait un grand progrès.
Enfermé
toute la journée dans des salles sans fenêtre, je n'ai quasiment
pas vu le soleil aujourd'hui, il a brillé pourtant, il faisait beau et
doux, les terrasses des cafés ont dû commencer à s'emplir
Je n'ai pas vu la manif des jeunes contre la guerre, elle ne passait pas très
loin de là où j'étais mais je n'en ai pas même entendu
la rumeur.
Il faudrait bouger.
Mais
j'ai une telle conscience de l'inutilité de l'action ! Comme dit l'autre
" game is over ". Les opinions publiques, le pape et toutes les autorités
religieuses, la majorité des gouvernements peuvent bien manifester leur
opposition, Sadam a beau faire quelques concessions, certes sous la pression et
du bout des lèvres, l'imperium avance implacablement sûr de lui et
de son bon droit, ses armées se mettent en place selon le timing décidé,
la guerre aura lieu
Alors un manifestant de plus ou de moins
Raisonnement
imbécile, à ce compte là on ne ferait jamais rien, mais j'ai
du mal à réagir différemment. Cette guerre qui vient et la
conscience de notre impuissance contribuent insidieusement au pessimisme ambiant
et pèsent sur nous à tout niveau, même dans les affaires les
plus privées.
C'est un climat. Un climat qui
déprime. Exactement comme un temps gris, une pluie trop longuement persistante
cassent le moral
La guerre ne peut avoir que
des effets négatifs. Comment croire que pourrait en sortir à brève
échéance, après une brève passe d'armes, un régime
démocratique en Irak puis un développement équilibré
du pays qui en ferait un modèle attractif pour toute la région ?
Ce qui est le plus vraisemblable au contraire ce sont des souffrances accrues
pour le peuple irakien, de nouveaux ferments de crise dans la région (au
Kurdistan notamment), une aggravation de la crise économique mondiale,
la décrédibilisation de l'ONU et surtout, surtout, le développement
de la haine des masses contre l'occident dans les pays du sud avec toutes ses
conséquences : nouvel espace donné aux courants les plus réactionnaires,
à l'islamisme radical, terreau du développement de ce terrorisme
que l'on est censé éradiquer
Le pire n'est peut-être
pas sûr. Toutes ces possibles conséquences négatives ne se
réaliseront peut-être pas mais la pente est grosse de dangers qui
persisteront longtemps après que Saddam aura été éliminé.
A
quoi tient l'histoire ! Aux grandes forces certes mais aussi à des conjonctions
secondes d'éléments en soi peu importants : Je suis convaincu que
la politique américaine aurait été différente si Gore
avait été élu, moins soumise au lobby pétrolier et
à l'idéologie réactionnaire des prédicateurs évangélistes,
plus sensible aux positions de l'ONU et du reste du monde, moins unilatéraliste.
Ce n'était pas bonnet blanc et blanc bonnet, loin de là ! Et ça
s'est joué à si peu de choses, à un nombre si minuscule de
voix. Je pense à nos amis américains, de cette autre Amérique,
cultivée, libérale, ouverte, que nous avons rencontrée cet
été dans les villes universitaires californiennes où beaucoup
ont voté pour Nader, candidat plus radical que Gore trop modéré
à leurs yeux. Et ils ont élu Bush ! Exactement d'ailleurs comme
en France où à faire la fine bouche sur Jospin on a propulsé
un Le Pen au second tour. Le vote protestataire ou de témoignage est à
manipuler avec circonspection !
07/03/03
: " La haine de la famille " :
J'ai
terminé hier " La haine de la famille " de Catherine Cusset.
C'est
la description d'une famille qui est, de façon très claire, la propre
famille de l'auteur.
Voici le père, un homme précis, ordonné,
maniaque, coléreux parce que faible, mais qui assure cependant et qui sait
trouver des contentements dans sa vie. " Les listes et les objets nous protègent
de l'angoisse
nous sommes du côté de la matière "
; la mère, une femme terriblement travailleuse, cultivée, passionnée
de littérature, entière, excessive dans ses enthousiasmes et ses
rejets, mais qui reste toujours dans l'insatisfaction, que rien au fond ne contente
; la sur aînée, moins intellectuelle, très physique
et qui malgré son parcours chaotique et douloureux, toujours rebondit,
affirmant sa puissance de vie ; les frères cadets, si dissemblables eux
aussi ; la grand mère, dont la présence irradie, vieille dame qui
fut une jeune juive volontaire devenue avocate et qui par chance et par sa force
aussi a réussi à passer à côté de la catastrophe
pendant la guerre. Et voici la narratrice évoluant, réagissant,
commentant, au milieu des siens
Tout cela fait
une famille. Une famille parmi d'autres, dans sa singularité irréductible.
Une famille avec ses névroses et ses contradictions. Vue au plus près.
Et cela fait un livre donné au public. Est-on en droit, même s'ils
le tolèrent, de mettre ainsi les autres sur la place publique? Ou, si on
le fait, ne se trouve-t-on pas contraint de modifier certains éléments,
d'éliminer ce qui risquerait de blesser trop, de déformer selon
une tactique éventuellement inconsciente afin que chacun y trouve au moins
certains éléments de positivité? Aucun personnage ne suscite
vraiment la gêne ou le dégoût, aucun ne porte de l'horreur
en lui. Le livre du coup, même s'il m'a intéressé, reste assez
anodin et sans doute je l'oublierais vite : il n'y a pas de face vraiment noire
dans cette famille. Est-ce la réalité objective, est-ce en tout
cas le ressenti de la narratrice ou bien certains mots ont-ils été
retenus, même inconsciemment, simplement parce qu'elle savait que cela allait
être donné à lire. La haine de la famille en devient plutôt
un chant d'amour, une action de grâces. Elle est formidable cette famille
finalement, intensément vivante en tout cas.
Mais
je ne peux m'empêcher d'avoir un très léger soupçon
de complaisance. Et peut-être est-ce cela qui rend ce texte moins fort que
ceux par exemple d'Annie Ernaux ou de Duras à propos de leur jeunesse.
Ce n'est pas une question d'exactitude factuelle : Duras n'est pas exacte mais
on sent qu'elle est vraie de toutes ses tripes.
Ce
n'est pas un hasard si je ne suis sensible à ce genre d'interrogation.
Je me rends compte en écrivant ici même que je n'ai tout à
fait le même ton que dans mon précédent journal non mis en
ligne. Mais à part quelques détails bien identifiés qui comptent
peu (changements de nom, une certaine décontextualisation) je n'ai absolument
pas conscience d'un changement, je ne décide pas d'éviter de parler
de telle ou telle chose, je ne choisis pas d'atténuer mes formulations
mais je constate, que je le veuille ou non, que le fait d'être en situation
d'être lu par d'autres induit des changements.
J'ai
été frappé de retrouver en moi à la fois des traits
du père et de la mère. Ce qu'ils ont chacun de moins positif ! Sous
des formes moins exacerbées heureusement, mais comme le père j'ai
besoin de me rassurer en cadrant ma vie à l'excès, comme lui je
cède parfois à la colère par incapacité à m'imposer,
comme la mère je souffre d'insatisfaction quasi chronique ! C'est un des
plaisirs de la lecture que de se retrouver à travers certains personnages
et incidemment de s'en trouver éclairé sur soi.
La
lente décrépitude de la grand'mère aussi m'a beaucoup touché.
Parce que c'est un thème auquel je suis très sensible en ce moment.
Il y eu le lent déclin de Maman englué dans sa maladie d'Alzheimer
et son décès à l'automne. Et Papa physiquement si bien, si
tonique, si actif, qui me semblait toujours égal à lui même
à travers les années, je me rends compte désormais qu'il
vieillit lui aussi, ses attitudes changent, il est moins à l'écoute
des autres, il se répète. Pareil pour la Maman de C, elle devient
plus lente dans tout ce qu'elle fait, se fatigue et s'agace plus vite. Comme si
cette génération là, qui, dans ses possibilités de
vivre, jusque là semblait parfaitement égale à nous et que
nous n'avions aucune raison de percevoir comme vieux était brusquement
en train de passer un cap. Et cela évidemment nous ramène à
notre propre vieillissement que l'on ne perçoit pas encore, mais on le
pressent désormais, et il viendra si vite. Car le temps semble s'accélérer.
Alors carpe diem autant que faire se peut !
08/03/03
: Week-end :
Ce matin
le soleil a l'air de vouloir se mettre de la partie. C'est un beau week-end qui
commence. C. est partie dans le Jura pour quelques jours pour un stage ski et
yoga. Je ne pouvais y aller sur la totalité du temps mais peut-être
aurais-je dû les rejoindre pour ces deux jours. Etre dehors, dans la nature,
m'est de plus en plus précieux. Et je sors toujours apaisé et bien
dans ma peau de l'heure hebdomadaire de yoga à laquelle je participe. Aller
un peu plus loin avec ce stage, m'aurait intéressé et sûrement
fait du bien. Mais je n'avais pas envie d'être dans du temps bousculé,
ce qui aurait été le cas si je m'étais rendu là-bas
pour un temps si réduit. J'ai besoin aussi de me poser, d'avoir ce moment
de respiration qui m'a tant fait défaut dans la dernière période.
Je vais bouquiner, aller me promener à mon rythme, peut-être faire
une petite toile en soirée.
Hier soir j'ai
pris le temps de déambuler sur le net, j'ai revu quelques uns de mes journaux
favoris mais surtout de nombreux nouveaux au hasard, médiocres pour la
plupart mais certains intéressants. Monde protéiforme, infini
mon exploration s'effectue à partir de liens sur certains sites déjà
connus, il y a pas mal de liens assez circulaires, on retrouve un peu toujours
les mêmes, on comprend que se forment des affinités de lectorat,
des sortes de cercles dont les membres se renvoient les uns vers les autres. Mais
certains liens mènent tout à fait ailleurs, vers d'autres mondes,
vers de nouvelles communautés d'affinités qu'on ne peut s'empêcher
d'aller découvrir. Ainsi je suis tombé à partir d'une intervenante
commentant une entrée de Cassandra,
sur un site, " La douceur de la
soie " dont l'auteur valorise des journaux dans lesquels sensualité
et sexualité tiennent une grande place : en suivant ses liens on trouve
des journaux que je n'avais rencontré nulle part ailleurs à ce jour
: certains de ces textes sont faibles, voire nuls (je pense que certains se font
passer pour des journaux mais qu'ils n'en sont pas). Mais d'autres sont très
bons : j'ai retrouvé par exemple le site
d'Anne Archet, que j'avais déjà rencontré sur la Cev
il y a quelques mois mais qui avait interrompu son site : elle revient avec son
journal et ses textes souvent licencieux mais très bien tournés
et souvent plein d'humour. Bref la liste des sites inscrits dans mes favoris s'allonge
et le temps consacré à la prise de connaissance même très
partielle de tout ça s'accroît dangereusement. Je fantasme sur une
espèce de cartographie qui présenterait en temps réel le
monde sans cesse changeant du diarisme avec au-delà des cercles officiels
et reconnus les regroupements d'affinités, de proximité thématique,
avec ses sites qui sont des centres, rattachés aux autres par des multitudes
de liens et avec ses isolés aussi, aux marges de ce monde sans contour.
09/03/03
: Touriste à Paris :
Explosion
de printemps aujourd'hui. Soleil tiède : je sors en chemise et blouson
ouvert. En deux jours le forthytia sur la terrasse s'est couvert de fleurs.
Cet
après-midi j'ai été me promener dans des quartiers de Paris
que je connais peu. Un vrai voyage ! J'avais même à la main un petit
guide, l'excellent " Paris buissonnier " et j'ai suivi une des balades
décrites presque à la lettre, levant la tête là où
il le fallait et découvrant en effet certaines choses que peut-être
je n'aurais pas vues spontanément. Je n'avais pas pris mon appareil photo
et presque je l'ai regretté, il y aurait eu quelques jolies images à
faire :
Perspective étrange de l'Arc de Triomphe
à travers les grilles du Parc Monceau ;
Détails d'architecture
des beaux hôtels qui bordent le Parc ;
Statue de Musset détournée
en portemanteau par des promeneurs qui y ont accroché vestes et manteaux
;
Jeannettes, petites filles bien sages, en cercle autour de leur guidouille
posant des questions du jeu du jour, mi jeu de piste, mi questionnaire culturel
Je me suis assis un long moment sur un banc,
occupé à regarder le monde. Lorsque je suis face à telle
jeune femme dont l'aspect ou le regard m'accroche, à tel couple dont je
surprends une bribe de discussion un peu vive, à tel personnage à
l'allure un peu étrange, décalée, j'aimerais m'immiscer secrètement
dans leur monde, m'y glisser comme une petite souris, m'approprier ces vies qui
échappent. C'est un vieux fantasme unanimiste. Entrer dans toutes les histoires
qui se frôlent ou se croisent dans un immeuble, dans une ville : Je repense
à Perec et à " La vie, mode d'emploi ". J'ai ce fantasme
aussi lorsque je suis en face d'un immeuble où se déploient les
fenêtres de multiples appartements, lucarnes sur des vies qui se côtoient
et s'ignorent. Fantasme de voyeur ! Évidemment mes promenades, dans les
journaux en ligne, le plaisir que j'en tire comme les frustrations qu'elles occasionnent,
ont quelquechose à voir avec ce vieux fantasme.
J'ai
repris ma marche:
Avenues tranquilles des quartiers au-delà du parc,
les larges trottoirs sont presque vides de piétons, les voitures sont rares
sur la chaussée dans la quiétude du dimanche après-midi ;
Long
cheminement dans des rues inconnues de moi, mon regard s'accroche aux façades
si diverses;
Étals désertés du marché du matin
au coin des rues Poncelet et Bayen ;
Élégante bâtisse 18°,
vestige isolé du château des Ternes ;
L'Arc de Triomphe sous
diverses perspectives chaque fois que je croise une Avenue qui y conduit ;
Lente
remontée de l'Avenue Foch, arrivée place de l'Etoile et soudain
basculement dans la foule compacte du haut des Champs-Elysées. Je voulais
reprendre le métro ici mais je me laisse happer, absorber par le courant
Foule
cosmopolite des touristes, grosses cylindrées rutilantes, jeunes gens en
parade, le fric tout à coup s'étale, beaux gosses sapés et
gars des banlieues désoeuvrés qui espèrent le petit trafic
ou la belle étrangère, groupes compacts qui entrent et sortent des
cinémas et des temples de la consommation
J'en
ai la tête qui tourne, à vrai dire je commence surtout à en
avoir plein les jambes, curieusement dix kilomètres dans Paris semblent
me peser plus que les vingt que nous avons fait en pleine nature dimanche dernier
12/03/03
: Fragilité :
Et ça
recommence ! Je pensais démarrer une semaine plus cool au bureau. Il n'en
est rien. De nouvelles difficultés sont apparues. Passons. Mais rien à
faire cela m'encombre la tête.
Encore une fois je ne suis pas resté
aussi calme que je l'aurais dû face à certains de mes collègues.
La colère des faibles ! Il serait bien que je parvienne à transférer
dans ma vie professionnelle (et dans ma vie tout court) un peu des attitudes,
un peu de cette sérénité sur laquelle on travaille dans nos
séances de yoga hebdomadaire. J'en suis loin !
Mon
bien-être, le contentement que je peux avoir de moi et de ma vie, lorsqu'ils
sont là, restent bien fragiles. Je bascule trop facilement après
un moment heureux dans le malaise, la dépréciation, la hargne
Dimanche je me suis senti bien, content de ma journée où j'avais
à la fois réalisé diverses tâches matérielles
plutôt fastidieuses (rangements, classements, mises au net de mes papiers,
de mes écritures, de mes fichiers) et su profiter l'après-midi d'une
longue promenade solitaire dans Paris. Avec quelle rapidité cela s'est
envolé à la première contrariété ! Lundi matin
dès que j'ai retrouvé mes contraintes professionnelles, pendant
toute la journée pénible et lourde, le soir lorsque je me suis exaspéré
devant l'ordinateur qui plantait, le contentement de la veille me paraissait bien
loin. Au point de me dire que mon contentement était forcé, factice,
artificiel, peut-être la simple réponse à une injonction inconsciente
que j'avais dû me faire à moi-même : " allez mon vieux,
par une belle journée comme celle-ci, tu dois absolument te débrouiller
pour te sentir heureux ". La méthode Coué en quelque sorte.
Laquelle, c'est bien connu, ne marche que pour un moment. En vérité
c'est le malaise qui est la tonalité de fond, les bonheurs sont de petites
excroissances bienvenues mais plaquées sur tout le reste et qui ne le modifient
en rien. Il serait tellement heureux que ce soit l'inverse, que le contentement
et la joie de vivre soient le fond
C. est
revenue ravie de son week-end ski et yoga. Elle parait détendue, joyeuse
comme je ne l'avais pas vue depuis longtemps. Cela durera-t-il ? J'en doute mais
tout de même cette voie du yoga ne serait-elle pas à explorer de
façon un peu plus engagée pour moi aussi ?
15/03/03
: Une autre étape ? :
La
question principale est : est-ce que je me fais du bien, est-ce que je me fais
plaisir avec ce journal en ligne tel qu'il est ? La réponse pour le moment
serait plutôt non. Plus exactement les contraintes que je me crée
contrebalancent le plaisir que j'y prends. Je me rends compte,
je l'ai dit déjà, que je n'écris pas tout à fait
de la même manière, que je contrôle plus mon expression et
que je suis moins au plus près de moi que lorsque j'écrivais à
l'abri de tout lecteur. Au point de me demander parfois si je dois continuer,
si l'écriture cachée ne correspond pas mieux à ce dont j'ai
besoin puisqu'elle m'est plus légère et que j'y suis plus moi-même.
En
fait j'ai surtout le sentiment d'être dans un entre-deux. Car le diarisme
ne prend sens d'être en ligne que par les interactions qui peuvent se créer
avec certains lecteurs. Pour qu'elles deviennent effectives sans doute faudrait-il
que je m'engage un peu plus. Sans pour autant transformer le journal en un appel
continuel à commentaires comme le sont certains blogs, encore faudrait-il
en susciter un minimum. Il faudrait aussi s'insérer un peu de façon
active dans ce petit monde du diarisme (petit et gigantesque à la fois),
écrire à certains, intervenir dans des forums, se faire référencer
dans divers endroits ( je viens de découvrir un nouveau cercle de diariste
" La règle du je ".)
Bref exister " internettement " au-delà du simple dépôt
passif de mes textes sur mon site. Il faut que je passe à cette étape
et que je voie ce que cela induit. Tant que je n'ai pas fait cette expérience,
je n'ai pas vraiment fait l'expérience du journal en ligne.
Je
sais que j'y suis réticent. Le temps qui manque, la peur de me sentir envahi,
et sans doute plus profondément, mon attachement traditionnel à
une position qui est plutôt d'observation, quasi voyeuriste, expression
d'un besoin de me protéger, d'une peur de m'engager, d'être partie
prenante
Mais aussi j'écris trop lentement.
Pour moi-même en général mais encore plus lorsque je sais
que je donne à lire, je m'oblige à la correction de la forme, j'essaie
d'organiser mon texte et mes idées de façon cohérente : ce
qui veut dire que je fais fonctionner assez souvent le retour arrière et
le copier, couper, coller, je n'ai pas la chance d'écrire comme je parle.
Et je suis sûr que dans le dialogue internautique je risque d'être
comme cela aussi, toujours anxieux à l'idée de ne pas présenter
les choses telles que je crois qu'elles sont, à l'idée de donner
de moi une image non-conforme à ce que je pense être. Ce qui ramène
au paragraphe précédent : c'est encore une façon de se protéger,
je me protège de l'imprévu d'une parole mal contrôlée
et de ce qu'elle pourrait induire. Allez, Valclair, il faut te lâcher un
peu !
Le temps qui manque toutefois ce n'est pas qu'un
prétexte. Aujourd'hui même, samedi matin, alors que j'écris,
je vois cette matinée superbe qui commence, je me dis qu'il est temps de
sortir, dehors, dehors, dehors et pas derrière cet écran à
enfiler mes mots ou à me promener dans ceux des autres.